Eglises d'Asie

Dans le sud thaïlandais, malgré les violences récurrentes, une religieuse catholique, directrice d’école, s’efforce d’aider les élèves dont elle a la responsabilité

Publié le 18/03/2010




En dépit de l’aggravation des violences dans les provinces de l’extrême sud de la Thaïlande, une religieuse catholique, directrice d’école, s’efforce de faire fonctionner l’établissement dont elle a la responsabilité. Elle vient également en aide des familles dont un des parents a été tué, victime de ces violences.

“La vie ne coûte pas chère se lamente, Sr Nara Niyomthai, précisant que le prix d’un assassinat d’un fonctionnaire oscille entre 10 000 et 20 000 baths (de 230 euros à 460 euros), alors que pour le meurtre d’une personne ordinaire, il en coûtera “seulement” 5 000. Depuis le début des violences, en janvier 2004, plus de 1 800 personnes ont été tuées. Des bouddhistes et des musulmans sont tués par arme à feu, décapitation, bombe ou incendie dans les trois provinces méridionales majoritairement musulmanes de Narathiwat, Pattani et Yala. La plupart des violences dans ces trois provinces sont attribuées à des insurgés musulmans, aux forces gouvernementales ou à des mercenaires (1).

Les Servantes du Cour de Marie ont en charge l’école Charoensri Suksa, à Pattani. D’après Sr Nara, une soixantaine de familles de la région de Pattani ont eu au moins un de leurs proches tués depuis le début des violences. Plusieurs d’entre elles ont leurs enfants à l’école et la religieuse et les enseignantes visitent les familles endeuillées toutes les semaines. Elles viennent en aide aux femmes ainsi qu’aux groupes de réinsertion organisés par des ONG et le gouvernement. Celles qui ont perdu leur soutien familial sont exemptées des frais scolaires et la cantine est gratuite pour leurs enfants. Pour ces familles et leurs enfants, une aide financière du gouvernement est également demandée.

La religieuse reconnaît que la langue est un obstacle important pour elle, depuis que les musulmans locaux cherchent à imposer le yawi, dialecte malais, aux dépens du thaïlandais. “Souvent, j’ai un professeur ou un musulman qui me sert d’interprète explique-t-elle. Si elle est trop occupée, les institutrices font les visites à sa place, mais elles doivent le faire en journée car la nuit, la sécurité n’est pas assurée. Parmi les tragédies des derniers mois, elle se souvient d’une écolière dont le père, un fonctionnaire musulman, a été tué en novembre dernier. Deux autres filles ont perdu leur père, un bouddhiste qui venait d’ouvrir un garage à Pattani et a été tué chez lui en décembre.

Certains enfants ont même été témoins d’assassinat, comme Maprang, 5 ans, qui va au jardin d’enfants de l’école Charoensri Suksa. Sa maman, Aporn, témoigne qu’un jour de juin 2005, deux hommes en moto sont venus à son épicerie demander des cigarettes. Comme elle se retournait pour les servir “l’un d’eux a tiré sur mon mari qui était en train de manger”. C’est arrivé “sous les yeux de ma fille con-fie Aporn, 34 ans, qui voit encore Maprang se précipiter sur son père en criant, le visage et le corps couverts de son sang. Elle ne comprend pas pourquoi quelqu’un a tué son père, ajoute-t-elle, précisant que, depuis ce drame, Maprang sursaute si quelqu’un l’appelle en criant son nom.

Nutthamol Thinlaong, institutrice, a expliqué que “tout le monde a peur. Les gens ne circulent pas la nuit”. Elle dit que la police ou les soldats ne patrouillent plus autour de l’école et que ce sont le concierge et le chauffeur qui servent d’agents de sécurité. “Il faut nous protéger nous-mêmes dit-elle. En attendant, la peur pousse les parents à retirer leurs enfants de l’école. Sr Nara a confirmé qu’en juin dernier, les inscriptions étaient passées de 1 000 avant les violences à 800 et qu’elles continuent à baisser.

La province voisine de Yala n’est pas non plus épargnée. Sr Usa Pornsirikan, directrice de l’école Mana Suksa, située dans cette localité, a expliqué qu’à la mi-janvier, elle avait recommandé des familles d’élèves dont un des parents avait été tué, afin qu’elles puissent obtenir des bourses d’études et la gratuité de la cantine pour les enfants. Sr Usa rend aussi visite aux familles traumatisées, en essayant de les aider. La violence s’est d’ailleurs dangereusement rapprochée de l’école. L’année dernière, la police a désamorcé deux bombes artisanales qui contenaient dix kilos d’explosifs chacune. Si les bombes avaient explosé, “notre chapelle et l’école se seraient sûrement écroulées affirme la religieuse. Elle confirme que le nombre des élèves diminue parce que “les parents craignent pour la sécurité de leurs enfants en dépit du renforcement des mesures de sécurité appliquées dans les écoles.

Depuis trois mois, le gouvernement a autorisé la fermeture des écoles des trois provinces à majorité musulmane du sud, où sévit une rébellion anti-gouvernementale. Perçus comme des agents d’occupation, les fonctionnaires sont une des cibles privilégiés, avec les moines bouddhistes, des violences (2).

Si le retour à la paix dans les provinces méridionales semblait être une des priorités du Premier ministre intérimaire, Surayud Chulanont (3), force est de constater que les différentes démarches entreprises par le gouvernement pour conclure une paix avec les groupes de rebelles musulmans malais sévissant dans les trois provinces du sud n’ont pas abouti. Pour certains observateurs, ces difficultés s’expliquent en partie par l’extrême fragmentation des groupes rebelles.