Eglises d'Asie

LES CONVERSIONS AU CHRISTIANISME SE MULTIPLIENT DANS LES GRANDES VILLES CHINOISES

Publié le 18/03/2010




Quand le Parti communiste a pris le pouvoir en 1949, un peu moins de 0,8 % des Chinois étaient chrétiens par leur baptême. Aujourd’hui, le gouvernement recense officiellement 21 millions de chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants, soit 1,6 % de la population. Mais ce chiffre est très sous-estimé, compte tenu du fait que la majorité des chrétiens ne participe pas aux offices des Eglises officielles. Un pasteur de 85 ans, à la retraite à Pékin, qui a préféré garder l’anonymat, affirme ainsi qu’un Chinois sur dix est chrétien. Le livre de David Aikman, paru en 2003, Jésus in Beijing: How Christianity is Transforming China and Changing the Global Balance of Power (1), avance une estimation de près de 80 millions de catholiques et de protestants, soit 6 % de la population.

Le fait que le christianisme fasse des incursions majeures dans les classes moyennes et parmi les intellectuels citadins est encore plus remarquable que sa croissance continue. « Avant l’année 2000, la plupart des croyants étaient dans les campagnes, explique l’écrivain pékinois Yu Jie, qui s’est converti en 2003. Après 2000, ils ont commencé à se déplacer vers les centres urbains comme Pékin, Shanghai et Canton, et le christianisme a commencé à toucher les intellectuels des grandes villes. »

Même si la majorité des chrétiens chinois considère que la foi est séparée de la politique, ce phénomène a de lourdes conséquences sur le développement économique et social du pays. Selon une analyse rapide de ce phénomène, on y voit le fait que le christianisme a comblé le vide laissé par la perte de la foi dans l’idéologie communiste. Mais interpréter ce mouvement comme un simple glissement d’une foi à une autre serait sous-estimer son importance. Le christianisme attire des Chinois instruits qui ne cherchent pas précisément un dogme tous azimuts pour diriger leur vie, mais veulent seulement un cadre humaniste qui leur laisse toute latitude de pensée. De plus, le christianisme procure une alternative au système de valeurs sociales et permet à ces classes urbaines montantes de répondre aux problèmes qui sont apparus depuis que la Chine a commencé sa transition vers l’économie de marché.

La répression donne de la vitalité

L’Eglise se développe en dépit – ou peut être à cause – des tentatives de contrôle du gouvernement ces dernières décennies. Au début des années 1950, des dirigeants protestants et catholiques ont été forcés de rejoindre respectivement le Mouvement des trois autonomies et l’Association patriotique des catholiques chinois, émanations de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses, crées pour s’assurer que le christianisme restait sous contrôle. Beaucoup furent emprisonnés pour avoir refusé de le faire.

Le pasteur de 85 ans cité plus haut décrit la croissance de l’Eglise en Chine, malgré les restrictions gouvernementales, comme l’image de la première Eglise chrétienne persécutée par les autorités romaines. Mais l’inadéquation de la réponse de l’Etat est évidente. « Maintenant, la réponse (du Bureau des Affaires religieuses) est mei banfa – ils n’ont aucune idée de ce qu’il faut faire dit-il. Après que le gouvernement eut d’abord essayé de restreindre les Eglises par des arrestations et des harcèlements, il a compris que cette façon de faire se retournait contre lui. « S’il arrêtait le responsable d’une église domestique, la congrégation éclatait en formant cinq, six ou même dix nouvelles églises domestiques. »

Au cours du siècle dernier, le christianisme est resté populaire dans les campagnes où les missionnaires occidentaux avaient converti les plus pauvres et les moins instruits. Le vieux pasteur explique qu’avant 1949, les gens aisés et éduqués ne montraient aucun intérêt pour le christianisme. « Les personnes éduqués rejetaient simplement ces idées venant de l’étranger. »

Qu’est ce qui a donc changé aujourd’hui ? D’une façon surprenante, nombre de chrétiens vivant en ville affirment que le christianisme est une force de développement intellectuel, économique et social en Chine. En d’autres termes, même si la foi, pour la plupart d’entre eux, reste personnelle et non politique, beaucoup croient que foi et progrès sont liés. Le christianisme, pensent-ils, peut aider la Chine à devenir grande, à se développer et à se moderniser.

« La foi et la politique sont définitivement liées assure un dissident bien connu qui préfère garder l’anonymat car tout contact avec des journalistes lui est interdit. En nous promenant autour des lacs qui jouxtent la porte ouest de l’Université de Pékin, il s’interroge : « Que serait la Chine si ses dirigeants étaient chrétiens ? Si seulement 50 % de ses policiers étaient chrétiens ? On ne peut même pas imaginer… Cela changerait tellement de choses. »

Mais même ceux qui rejettent tout lien direct entre le christianisme et la politique parlent des bénéfices potentiels du christianisme pour une démocratie. « Je pense que la démocratie et le christianisme ont des choses à se dire. Mais vous ne pouvez pas utiliser l’un pour avoir l’autre explique Yu Jie, intellectuel et écrivain. Il pense que les gens se trompent s’ils voient la démocratie et le christianisme comme une forme unique de penser, mais il affirme, lui aussi, que la foi chrétienne peut être bénéfique à la société. « Une société démocratique connaît naturellement beaucoup de problèmes, mais si plus de gens étaient chrétiens, cela serait bon pour elle. Les gens s’aimeraient davantage… Une société sans religion ne peut pas donner une bonne démocratie. »

L’émergence récente d’avocats chinois chrétiens qui se sentent appelés au nom de leur foi à défendre les droits de l’homme constitue une illustration de ce phénomène. Lorsque Yu Jie a rencontré le président George W. Bush en mai dernier, il était accompagné de deux avocats chinois chrétiens, Wang Yi et Li Baiguang – et tous deux, comme Yu Jie, sont de nouveaux convertis. Yu Jie a expliqué ce qui était vraiment unique et propre à l’église qu’il fréquentait à Pékin, Fangcheng, ou l’Eglise de l’Arche. « Notre Eglise veut l’égalité sociale, développait-il, en décrivant quelques uns des programmes sociaux qui y ont été lancés. Et il se trouve que nous avons beaucoup d’avocats ; ainsi, nous pouvons donner gratuitement des conseils aux gens qui ont eu des problèmes, qu’ils soient chrétiens ou non. »

Récemment, le lien entre christianisme et capitalisme est devenu un sujet de discussion à la mode. Une des figures les plus éminentes de ce mouvement est Zhao Xiao, un jeune chercheur en économie de l’Université de Pékin. Au début de l’année 2006, il a publié un essai de onze pages dans l’édition chinoise du magazine Esquire, dont le titre est : « Dieu est mon PDG. »

Zhao Xiao commence par aborder le rôle central de la foi chrétienne aux Etats-Unis puis expose les avantages et les inconvénients de l’économie de marché : « Une économie de marché a le grand avantage d’apprendre aux gens à ne pas être paresseux. Mais elle ne peut pas leur apprendre à ne pas mentir ou à ne pas se faire de mal les uns aux autres. C’est là que réside le danger de l’économie de marché. »

Citant l’ouvrage de Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, il souligne comment la présence de l’Eglise dans l’économie de marché aide les gens à se faire confiance mutuellement et à se respecter. Un autre avantage de l’Eglise dans l’économie de marché est le fait qu’elle « montre la façon dont on peut employer sa fortune et alléger les tensions entre les riches et les pauvres » par des ouvres caritatives. Il donne enfin l’exemple de plusieurs hommes d’affaires chrétiens qui ont réussi, dont Richard Chang, président de la société taïwanaise Semi Conductor Manufacturing International Corporation, Shi Dakun, président de Motorola China, et Chan Kei Thong, fondateur et président de Leadership Development International.

Les voies multiples de la foi

Depuis que la Chine a commencé à s’ouvrir, dans les années 1980, le nombre d’étudiants allant à l’étranger pour parfaire leur formation a augmenté de manière constante. Comme ces étudiants ont essayé de s’acclimater à leur environnement, nombre d’entre eux ont été invités à se rendre à l’église, où ils ont rencontré des gens sympathiques et y ont trouvé un grand sens de la communauté. « En ce moment même, bon nombre de Chinois à l’étranger, particulièrement en Amérique du Nord, sont chrétiens, explique Yu Jie. Or, ces gens qui se sont convertis à l’étranger sont revenus ces dernières années. » Non seulement ils ont une grande influence quand ils reviennent en Chine, mais ils travaillent à la conversion de leur famille et de leurs amis, même lorsqu’ils sont encore à l’étranger, ou bien ils font de l’évangélisation lorsqu’ils reviennent en Chine à l’occasion de voyages d’affaires.

Les migrations à l’intérieur de la Chine contribuent également à la diffusion du christianisme. Les paysans qui quittent leurs villages pour chercher à s’embaucher dans les usines des villes rencontrent parfois Dieu sur leur chemin. Des villes comme Wenzhou, grande cité ouvrière de la province du Zhejiang, avec une population chrétienne importante et active, contribuent à l’expansion de l’Evangile. Des voyageurs de commerce chrétiens se déplacent, des patrons d’usine chrétiens donnent des congés à leurs employés les dimanches et jours de fêtes chrétiennes – une pratique qui tranche avec les horaires à rallonge pratiqués dans les ateliers de leurs concurrents.

Les gens qui déménagent de régions relativement chrétiennes emmènent la Bible avec eux, là où ils vont. Une chrétienne de Wenzhou explique la façon dont son mari et elle ont aidé la petite église de Jishou qu’ils ont rejoint, dans l’ouest de la province du Hunan, lorsqu’ils ont déménagé il y a quatre ans pour ouvrir une boutique de chemisettes. « Il n’y a pas beaucoup de chrétiens à Jishou dit-elle, avec une pointe de déception, en expliquant que beaucoup de paroissiens ne sont pas originaires de la ville. « Notre église manque de pasteurs et d’enseignants, alors chacun aide à tour de rôle. Parfois, il arrive même à mon mari de prêcher. » Ces dernières années, avec d’autres migrants, ils ont aidé leur communauté à trouver une salle à louer de manière permanente – pas une pièce dans la maison de quelqu’un -et à faire grandir la congrégation qui atteint aujourd’hui quelque cent personnes.

Chaque génération en Chine fait l’expérience du christianisme à sa manière. Ceux qui ont vingt ans associent la recherche religieuse à la liberté qui vient avec l’entrée à l’université. « Vous y étudiez à longueur de journée, mais vous avez plus de liberté, vous y rencontrez davantage de gens et vous vous familiarisez avec tous les aspects de la société explique une jeune fille de 21 ans, qui fait des études de médecine au Centre des Sciences de la Santé de l’Université de Pékin et qui préfère rester dans l’anonymat. Pour elle, c’est la vie sociale à l’université qui l’a menée à l’église. « Vous rencontrez tellement de gens à l’université, dit-elle. Beaucoup vont pour la première fois à l’église avec des amis, lorsqu’ils sont en première année d’étude à l’université. » Pour d’autres, c’est la vie intellectuelle universitaire qui les pousse à étudier la religion. « Pour la première fois de ma vie, j’avais le temps de lire se souvient un journaliste free-lance en racontant sa conversion au christianisme alors qu’il était étudiant à l’Université des Communications de Pékin.

Un diplômé de l’Université de Tsinghua (Qinghua) explique que, pour lui, le christianisme est une expression de la liberté intellectuelle. Les étudiants qui ont réussi à intégrer une université ont dû franchir des obstacles idéologiques tout au long de leur vie pour réussir. S’inscrire au Parti communiste est un pas de plus sur ce chemin balisé, même si beaucoup ne sont pas d’accord avec l’idéologie du Parti. Ainsi, lorsque l’occasion se présente, choisir de devenir chrétien peut être le signe d’une rébellion personnelle.

Beaucoup d’étudiants et de diplômés, quelles que soient leurs croyances religieuses, identifient l’ouverture vis-à-vis de l’expérimentation religieuse à un trait caractéristique de leur génération. « Il est plus facile pour les gens de ma génération d’accepter une nouvelle foi, parce que notre monde change tellement, surtout par rapport à celui de la génération de nos parents explique Raymond, en entamant la conversation alors qu’il fouillait dans les rayons de la section religieuse d’une librairie, près de Tsinghua. Bien que se disant agnostique, il prévoit d’obtenir une maîtrise en études bouddhiques et de choisir une religion après ses études. « Tout le monde a besoin d’avoir la foi dit-il. L’étudiante en médecine approuve : « La société s’est développée si rapidement – on a pris l’habitude de s’adapter. »

Mais les étudiants chrétiens doivent toutefois affronter de formidables défis. Les groupes d’études bibliques et de prières sont interdits dans de nombreux campus et les étudiants chrétiens doivent souvent garder leur foi pour eux, par peur de représailles s’ils venaient à être découverts. « Si les professeurs apprenaient que je suis chrétienne, ce ne serait pas une bonne chose explique l’étudiante en médecine de l’Université de Pékin. Quand je lui demande de s’expliquer, elle semble embarrassée et avoue qu’elle a rejoint récemment le Parti communiste, qui interdit toute croyance religieuse à ses membres.

Son appartenance au Parti communiste, elle l’explique comme une étape dans la vie que Dieu lui réserve. « Je dois vivre en Chine et je veux avoir une bonne situation ; alors, il vaut mieux être membre du Parti. » Elle cite l’ouvrage de Rick Warren, The Purpose-Driven Life, un livre populaire aux Etats-Unis, et explique qu’être membre du Parti lui permettra de se servir de ses études médicales pour le dessein de Dieu. « Le dessein que Dieu a choisi pour moi est d’alléger la souffrance des gens et de les soigner ; devenir membre du Parti est une étape sur ce chemin. »

Rencontrer des chrétiens qui sont également membres du Parti est fréquent et, à Pékin, beaucoup avancent la désillusion ressentie pour le communisme pour expliquer le mouvement de conversion au christianisme parmi les intellectuels chinois. Le vieux pasteur de 85 ans à Pékin exprime que les doutes sur le communisme ont commencé lorsque les gens ont pu se rendre à l’étranger. « L’exemple le plus typique est celui de Yuan Zhiming, dit-il. [Lui et beaucoup d’autres comme lui] ont cherché le communisme jusqu’à s’en rendre malade. Il était diplômé et spécialiste de la pensée de Marx-Engels et il est devenu professeur d’université dans cette matière. Toutefois, lorsque il s’est rendu aux Etats-Unis avec d’autres, ils se rendus compte que cela ne se passait pas de cette manière. Ils ont cherché la vérité et ont découvert qu’ils avaient été bernés. Rechercher la foi serait bénéfique. » Yuan Zhiming est devenu chrétien après avoir été contraint à l’exil, aux Etats-Unis, du fait du rôle qu’il a joué lors du printemps de Pékin ; il a depuis réalisé plusieurs documentaires célèbres, comme River Elegy ou The Cross, qui aborde le sujet des Eglises clandestines en Chine.

D’autres estiment que la désillusion née de l’échec du mouvement démocratique, après 1989, explique pourquoi certains en sont venus à la foi. Yu Jie pense que les récentes conversions d’intellectuels au christianisme prennent racine dans l’échec du mouvement démocratique de Tienanmen. « Il y a eu un groupe important d’intellectuels et d’étudiants qui sont partis en Occident [après Tienanmen]… Mais les luttes internes dans ce mouvement en ont déçus beaucoup. » Il explique ainsi qu’une foi affaiblie dans la démocratie a amené des ex-militants réfugiés à l’étranger à rechercher autre chose, et les intellectuels restés en Chine leur ont emboîté le pas. « Ils ont commencé à penser qu’ils avaient besoin de quelque chose de plus – une foi religieuse. Nombreux sont ceux qui se sont convertis. » Il dresse la liste des leaders de Tienanmen qui sont devenus chrétiens, en commençant par Yuan Zhiming. « Ils sont maintenant cinq ou six leaders à être devenus chrétiens, ce qui est beaucoup sur un groupe d’une trentaine. » Puis il enchaîne : « Quand ces personnes [qui étaient à l’étranger] sont devenues chrétiens, les jeunes intellectuels restés en Chine ont dressé l’oreille. Ils étaient alors complètement désemparés. »

D’après Yu Jie, le christianisme attire également la minorité d’intellectuels qui ne s’est pas « vendue ». En effet, certains intellectuels sont devenus plus conservateurs et moins critiques vis-à-vis du gouvernement et de la société chinoise, en échange de plus hauts revenus et d’une vie meilleure. « Dès le début des années 1990, le gouvernement a commencé à changer sa politique vis-à-vis des intellectuels. » Il explique que « les professeurs ont pu avoir de plus hauts salaires et une meilleure situation. Seule une petite minorité persiste et continue de dire la vérité. Mais si vous dites la vérité, vous risquez d’être expulsé – comme Jiao Guobiao, un professeur de l’Université de Pékin qui a perdu son poste pour avoir publié une critique au vitriol du département central de la Propagande et qui s’est récemment converti. Ainsi, la petite minorité qui persiste se sent complètement isolée et a besoin de quelque chose vers lequel se tourner. »

Cette tendance des avocats de la démocratie à se convertir souligne l’association inconfortable entre la religion et le militantisme politique. Inconfortable car il existe de profonds désaccords au sein du camp chrétien entre ceux qui voient le christianisme comme l’arrière-plan nécessaire à une future société démocratique et ceux qui sont violement opposés à une telle association.

En réponse à une question précise sur les implications politiques de leur foi chrétienne, la plupart des gens répondent qu’il n’y en a pas. « La politique est très loin, mais vraiment très loin du chrétien moyen assure le journaliste free-lance chrétien. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ajoute-t-il, en citant la Bible (2).

Yu Jie explique que la question des liens entre démocratie et christianisme a été un problème décisif dans son Eglise. « Pour moi, c’est clair. D’abord, je suis chrétien. Ensuite, je suis écrivain. Je ne fais pas de politique. Ce n’est un problème pour moi de savoir si la Chine deviendra démocratique ou non. Je suis un intellectuel, donc je critique la société, mais je n’ai pas de programme que je garderais caché. » Il cite l’exemple d’un avocat célèbre, engagé dans la défense des droits de l’homme – Gao Zhisheng, devenu chrétien en 2005 et qui est maintenant en prison -, parce que, pense-t-il, il s’est servi du christianisme comme d’un outil pour faire avancer son programme démocratique. « Nous avons découvert qu’il n’était pas tellement intéressé par l’Eglise, si ce n’est pour s’en servir comme d’un tremplin pour promouvoir ses propres convictions. »

Emotions campagnardes

A 270 kilomètres du lieu de naissance de Mao Zedong, les yeux de Tan Chuntao brillent quand elle raconte la mort qu’elle a vue de près, expérience qui l’a conduit à suivre les cours d’un séminaire pendant deux ans. « Alors que j’étais au huitième étage d’un hôpital pour une intervention chirurgicale, j’entendais un refrain dans ma tête. Ce refrain, c’était le psaume 150 et elle commence à le chanter. « Je ne l’avais jamais entendu avant, mais ces paroles ne cessaient d’être présentes à mon esprit. Alors après cela, je l’ai appris à toute la communauté. »

Dans sa veste Mao verte impeccable, son visage chaleureux, sa position droite, la ferveur inscrite dans chacun de ses traits, Mme Tan Chuntao pourrait être le personnage d’un film de propagande, si ce n’est le fait de chanter un hymne religieux. Nous sommes dans la petite ville endormie de Xinqiao, dans le nord de la province du Hunan, où Mme Tao est la femme du secrétaire local du Parti. Autour de nous s’étendent des jardins avec des arbres nus et des rizières en jachère pendant l’hiver. Avec ses deux rues asphaltées et son école à deux étages, Xinqiaozhen est une ville riche comparée à la plupart des campagnes chinoises. Mais ce qui est le plus impressionnant dans cette bourgade, c’est l’église flambant neuve, terminée en avril dernier grâce à des fonds provenant d’une Eglise américaine.

Le Hunan n’est pas particulièrement connu pour être un foyer du christianisme – cet honneur reviendrait plutôt à des provinces comme le Henan, le Zhejiang, le Hubei et l’Anhui -, mais, selon Mme Tan, toutes les églises de la région se développent. « Le christianisme s’est développé très vite à Xinqiao, qui compte quatre églises officielles, deux églises domestiques et près de 1 000 chrétiens pour une population de 90 000 personnes. La plupart des chrétiens sont des femmes, une caractéristique qui reste vraie dans toute la Chine, mais plus particulièrement à la campagne. »

Dans la ville voisine de Zhangjiajie, cette différence entre les deux sexes est très forte. L’église de la ville, une imposante construction en pierre crème et rose, construite en 1905 par un missionnaire finlandais, peut contenir 600 fidèles. Mais, même si les bancs sont bondés le dimanche matin, on n’y voit guère qu’une poignée d’hommes et l’âge moyen frôle les 70 ans. Cette répartition par âge et par sexe n’est pas rare dans les zones rurales, où le christianisme a prospéré bien avant l’arrivée au pouvoir du Parti communiste, mais cela constitue un fort contraste avec les églises urbaines, où les hommes sont tout aussi nombreux que les femmes, les jeunes que les personnes âgées. Ces différences de public sont une des raisons du fossé idéologique qui sépare les églises urbaines des églises rurales en Chine.

Les fidèles des villes pourraient se lamenter ou avoir un mouvement de recul face à l’expérience décrite par Mme Tan, qu’ils percevraient comme étant trop émotionnelle et pseudo-superstitieuse. Yu Jie résume ces différences idéologiques par cette phrase : « Croire au Christ relève d’un équilibre entre la raison et l’émotion. Mais dans les campagnes, [la foi] penche davantage du côté de l’émotion. Le dimanche, ils peuvent très bien hurler ou pleurer. Parfois, cela va trop loin… Ils pensent qu’ils n’ont pas besoin d’aller à l’hôpital pour se soigner… comme les adeptes du mouvement mystique Falungong. Cela me préoccupe beaucoup. »

Mais, que ce fait soit apprécié ou non, les citadins reconnaissent que l’expansion récente du christianisme dans les villes est largement due à ses fortes racines rurales. A quelques exceptions près, les chrétiens que j’ai rencontrés à Pékin avaient un ou deux parents à la campagne qui s’étaient convertis avant eux. Un exemple peut être fourni par ce dissident qui s’est récemment converti au christianisme et dont presque toute sa famille, qui vit à la campagne dans la province du Henan, est chrétienne. Il explique que l’enracinement du christianisme à la campagne est une « bonne base » pour que se développe le christianisme dans les villes. Toutefois, il hésite un peu lorsqu’on lui demande si sa foi est identique à celle de ses parents. « Il y a une grande différence dans la manière de célébrer l’office du dimanche, mais pas dans les croyances fondamentales analyse-t-il.

Néanmoins, il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance du christianisme dans les campagnes. Un étudiant d’une université de Pékin explique ainsi que, pour les étudiants, avoir une grand-mère chrétienne à la maison qui « peut leur en parler » leur permet d’explorer plus facilement le christianisme une fois qu’ils arrivent à l’université. Et le vieux pasteur déjà cité d’ajouter que tous les missionnaires qu’il connaît sont issus d’un milieu rural et pauvre.

Qu’est-ce que ce fossé générationnel entre les Eglises rurales et urbaines peut signifier pour l’avenir du christianisme en Chine ? Beaucoup de gens à Pékin sont optimistes quant à la présence de davantage de chrétiens mieux instruits en Chine, afin d’ouvrir pacifiquement la voie vers une plus grande liberté religieuse. « Nous ne sommes pas loin d’une ère de liberté religieuse en Chine assure un intellectuel chrétien, alors que nous nous asseyons dans une pagode du campus de l’Université de Pékin. « Avant, les paysans usaient de méthodes dures et sauvages [pour exprimer leur foi]. Mais, maintenant, il y a davantage de chrétiens instruits, ce qui permet davantage de liberté. »

Même si ses propos peuvent paraître simplistes, cet intellectuel chinois n’a probablement pas tort. Quelques jours plus tard, à plusieurs milliers de kilomètres de là, je partageais, en train, le compartiment de trois cadres dans la force de l’âge venant des différentes régions du Hunan. Pour briser la glace, ils m’ont demandé très sérieusement quelle était mon opinion vis-à-vis du président Mao. Quand je leur ai dit que je travaillais à la rédaction d’un dossier sur le christianisme en Chine, ils m’ont presque encouragée. « Et bien, si vous êtes membre du Parti comme nous, vous ne pouvez pas croire à autre chose, parce que le communisme est notre foi, m’a dit un certain M. Peng, 33 ans, principal de collège. Mais la religion, c’est très bien pour ceux qui ne sont pas membres du Parti. » En fait, une petite église venait juste d’être construite dans sa ville, a-t-il ajouté. Et les trois, chacun à leur tour, se sont mis à m’expliquer que la religion pouvait probablement être une bonne chose parce qu’elle peut aider à construire une « société plus harmonieuse faisant écho au slogan favori du président Hu Jintao.

(1)David Aikman, Jesus in Beijing: How Christianity is Transform-ing China and Changing the Global Balance of Power, Regnery Publishing, Inc., Washington DC (2003), 344 p.

(2)NdT : Voir Mt, 22,21