Eglises d'Asie

L’ÉVANGÉLISATION DES SANTALS AU BANGLADESH

Publié le 18/03/2010




Aperçu historique sur les Santals

On ne sait pas exactement quand les Santals sont arrivés dans le territoire actuel du Bangladesh. On pense que les Khervars (1) ont atteint le territoire du Bengale à la suite de luttes avec les envahisseurs aryens (2 500 ans avant J.-C.). Selon toute vraisemblance, les Santals de l’ethnie actuelle sont parvenus au Bangladesh bien plus tard. Ils se sont sans doute disséminés dans le Bengale, au temps de l’invasion arabe, au cours des dernières décennies du XIIe siècle, ou au début du XIIIe. Selon le P. Luizi Pussetto, « les Santals se sont progressivement retirés vers des régions plus calmes ou dans lesquelles il était plus facile de se défendre contre les envahisseurs » (Pussetto 2003 : 2).

Plus récemment, en 1855, lors de la révolution historique des Santals, sous le régime colonial britannique, pendant laquelle près de 30 000 d’entre eux ont été tués (Hasdak 2002 : 107-11), il est certain que beaucoup vivaient dispersés dans des régions lointaines et isolées. Nombre d’entre eux avaient même traversé le Gange et atteint l’Est du pays, le Bangladesh actuel. On a tendance à penser que les premiers Santals sont venus dans le Nord du Bengale pour y chercher du travail, en particulier au moment de la construction du chemin de fer, sous le régime britannique, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cela expliquerait pourquoi la majorité des Santals s’est établie des deux côtés de la voie ferrée reliant le nord au sud.

Le nom « Santal »

En ce qui concerne l’appellation de Santal, les opinions des experts divergent. Pour L.O. Skrefsrud, elle est une déformation de Saontar, nom qui avait été adopté par la tribu après un séjour de plusieurs générations dans la région de Saont, dans le Midnapur. W.B. Oldham pense, quant à lui, que Santal est une abréviation de Samantawala, qui a son étymologie dans le nom sanscrit Samanta donné à la région avoisinant Saont (dans Murmu 2004). L.S.S. O’Malley penche pour l’adaptation anglaise d’un terme hindi qui correspond au mot Santal utilisé par les Bengali parlant anglais (ibid.). Sir John Shore appelle les Santals Soontars, et Mc Pherson, Saungtars. Pour P.O. Bodding, ce nom dérive de Sant (Sat ou Sar), une région du district de Midnapur, en Inde. Mgr J. Obert, qui a longtemps collaboré avec les Santals, penche pour une autre version. Selon lui, Set signifierait sept, d’après les sept fleuves de la région (Pussetto, 1).

La plupart des anthropologues pensent que le nom de Santal fut donné à cette tribu par des non-aborigènes. En effet, les Santals préfèrent s’appeler Hor, qui signifie « être humain ou personne ». Pour eux, le concept Hor a la riche connotation d’une personne ayant des qualités d’intelligence, de savoir et de sagesse. Les Santals sont fiers de leur identité, qui apporte solidarité et unité à leur groupe.
Origine, race et langue

L’origine des Santals est mal connue, de même que leur histoire. Comme beaucoup, ils ont essayé d’explorer les mystères de la création, de l’histoire et de la vie au moyen de mythes et de légendes. D’après leurs données anthropologiques, ils ont été rattachés par certains auteurs aux prédravidiens et par d’autres aux proto-australoïdes, ou encore aux aborigènes du Nord-Ouest. Ces opinions, on le voit, sont discordantes. Les Santals ont leur propre mythologie de la création, mais beaucoup d’entre eux croient descendre des mêmes parents : Pilcu haram et Pilcu Budhi, qui rappellent Adam et Eve.

Le santali est la langue parlée par ce peuple. C’est une langue munda du groupe kherwar, qui appartient à la sous-famille munda-mon-khmer, ou austro-asiatique. Mais il y a aussi d’autres avis sur la question. Selon N. Prasad, « le santali est le dialecte le plus riche de tous les dialectes tribaux de Bihar » (Prasad, 295).

Localisation géographique

Au Bangladesh, les Santals se trouvent majoritairement dans le Nord-Bengale (la partie nord du pays), particulièrement dans les districts de Dinajpur, Rangpur, Bogra et Rajshahi. Le recensement de 1881 montre qu’ils étaient présents au sud, dans les districts de Khulna, Pabna et Chittagong. Beaucoup pensent que ceux qui vivent dans le district de Sylhet sont venus de ces dernières provinces pour travailler dans les plantations de thé. En fin de compte, les Santals du Bangladesh ont émigré du Santal Pargana en Inde et rien ne les distingue de ceux qui y vivent encore, à l’exception peut-être de l’usage de la langue nationale du Bangladesh, le bangla, qu’ils ont santalisé (Pussetto, 2). Récemment, un petit nombre de Santals du Bangladesh ont commencé à s’expatrier pour chercher du travail. Notons enfin que, sur une population totalisant 250 000 personnes, seuls 50 000 ont rejoint le christianisme (y compris le protestantisme) au Bangladesh, au cours du siècle dernier.

Conception du monde

Les Santals sont simples et peu sophistiqués. Comme beaucoup d’autres peuples, ils ont élaboré leur propre conception du monde, un système destiné à aborder les problèmes de base de la vie et de sa signification. Ils ont perçu l’énigme et la dichotomie de base de l’existence humaine – la vie et la mort, le bien et le mal – dans une perspective qui leur est propre. Pour eux, vie, santé, richesse, prospérité, bonheur, solidarité tribale, croyances religieuses, coutumes, etc., sont de « bonnes choses », et mort, maladie, pauvreté, malheur et blessures sont de « mauvaises choses ». Ils ont connu la religion au travers de leur culture et ils l’expriment par des symboles, des métaphores, des mythes, des légendes, du folklore, des chants, un culte, des rites, etc. (Lakra 1992 : 159-70). Ils considèrent Thakur Jiu, le Dispensateur de la vie, et Cando Baba, le Père Soleil, comme la source de tous les « biens ». Pour eux, c’est le « mauvais œil », la « mauvaise bouche » et les Baric Bonga (3), les esprits malveillants, qui sont la cause de tous les maux de la vie humaine. Par conséquent, tout en reconnaissant l’Etre suprême, ils se concilient en même temps les bonnes grâces des esprits bonga pour résoudre souffrances, maladies et autres malheurs. Tout cela les amène souvent à la superstition et à une peur omniprésente des bonga.

Pour les Santals, tout enfant qui naît vient du monde invisible de l’ombre et doit être purifié, identifié et introduit dans la société des Santals, au cours de cérémonies rituelles. Ainsi, le janam chatiar, purification de l’enfant auquel on donne un nom, est un exemple de ces rites où l’on procède au bain et au rasage de la tête de l’enfant, à la divination de grains de riz arwa, non bouillis, et à l’accueil de l’enfant dans la communauté.

Les cérémonies de purification des morts, comme les rites funéraires de bhandan, ou mora karam, éclairent sur les croyances des Santals qui pensent que le défunt retourne dans le monde des esprits dont il est originaire, et y demeure dans l’impureté qu’il propage. C’est pourquoi non seulement la famille mais la mort elle-même a besoin d’être purifiée, le retour de la personne décédée au monde des ombres devant l’être aussi, car son impureté punit ses péchés d’orgueil et d’avidité. Le défunt doit donc être ramené spirituellement à sa famille et prendre place en son sein comme membre invisible, en tant que hapram, ancêtre. Les défunts sont fêtés au cours de cérémonies familiales. De plus, les Santals croient que lorsqu’un homme s’affranchit complètement de l’orgueil et de la cupidité, son impureté disparaît et il devient une Nouvelle Création (Kullu 2003 : 65-79), ce qui dans le christianisme peut être assimilé au Salut.

Néanmoins, les Santals ne font pas de distinction tranchée entre le sacré et le profane, le matériel et le spirituel. Animaux et autres biens de ce monde sont à la disposition des hommes pour leur survie et leur bien-être. La vie des Santals est étroitement liée à la nature et à la création dans son ensemble. Les terres et les forêts leur sont unies et sont aimées, racontées, chantées et dansées. Ainsi, les Santals s’adressent à Cando Baba et les étoiles ont également des noms. Selon Archer, « bien que les champs, les maisons, les hommes et les femmes constituent un village, les Santals les considèrent comme une partie de leur monde global » (Archer 1974 : 25-26).

La religion et les pratiques rituelles

Pourquoi sommes-nous dans ce monde ? Existe-t-il quelque chose au-delà des apparences ? Quelle est notre finalité ? La religion rassemble ces questions touchant à la vérité ultime, la beauté absolue et la bonté sans limite. Elle le fait en unissant l’homme avec l’homme, avec le transcendant et avec la création toute entière.

Pour les premiers missionnaires, les Santals étaient des païens idolâtres et leur religion, démoniaque. Cette attitude s’est développée tout au long du siècle dernier ; elle a non seulement divisé Santals chrétiens et Santals non chrétiens, mais elle a laissé un vide dans leurs croyances ainsi qu’un sentiment de culpabilité. Cela dit, affirmer que les Santals ont une religion surprend le clergé et les Santals eux-mêmes, particulièrement ceux qui, devenus chrétiens, ont rejeté leurs croyances traditionnelles. Il apparaît donc utile de reprendre l’hypothèse du concile Vatican II selon laquelle « vérité et grâce se trouvent déjà parmi les nations comme une présence secrète de Dieu » (Ad Gentes, 9). Elles possèdent « des traditions contemplatives qui ont été semées par Dieu dans des cultures antérieures à l’annonce de l’Evangile » (id., 18), parce que Dieu est entré en dialogue avec toute l’humanité, ses religions et ses cultures.

La conception de la religion chez les Santals

La religion des Santals se réfère d’abord à leur relation avec l’Etre suprême, destinée ultime de tous et de toutes choses. Néanmoins, l’appellation « Dieu » ne semble pas convenir aux Santals. A un Dieu tout puissant, ils préfèrent un Dieu paternel et tendre. Des termes comme Thakur Jiu, Celui qui donne la vie, ou Cando Baba, le Père Soleil, s’harmonisent avec leurs expressions traditionnelles.

Les Santals, on le sait, croient aussi aux bonga, ces esprits qui prennent soin des besoins humains. Cela suppose de la part des Santals une expérience religieuse de la relation des hommes avec le monde invisible de Thakur Jiu. Ainsi, les bonga agissent comme une force spirituelle qui réalise cet objectif. Ils créent un lien entre Dieu et l’humanité, alors que l’existence de bonga malveillants représente l’état de péché de ce monde. En bref, pour les Santals, la religion :

– fait partie intégrante de la vie socioculturelle ;

– pénètre tous les aspects de la vie : coutumes, comportements, identité individuelle et collective ;

– enseigne l’existence des bonga, intermédiaires entre noa puri, le monde visible, et hana puri, l’invisible réalité du monde de l’Etre suprême ;

– représente une force qui contribue puissamment à unifier la société par des pratiques rituelles et des célébrations cul-turelles.

La croyance dans un Etre suprême

Quand les Santals parlent de Cando Baba, ils ne se réfèrent pas littéralement au soleil. Pour eux, Cando Baba est une divinité (4) bienveillante qui organise les jours et les nuits, est responsable de la chaleur et du froid, de la pluie et du soleil, à partir d’une demeure « quelque part dans les cieux ». Il attribue un terme à la vie sur terre, mais il se tient en dehors, sans qu’on puisse s’adresser à lui. C’est en dessous du soleil et sous les nuages que la vie des hommes est menacée. Là, rôdent les bonga et c’est seulement en s’entendant avec eux que les Santals peuvent être heureux (Archer, 26).

La croyance aux esprits

Pour s’assurer de leur soutien continuel, on s’adresse quotidiennement aux bonga, en plus des sacrifices annuels. Lorsqu’on prend un repas, un peu de nourriture est déposé par terre pour le bonga, et lorsqu’on boit de la bière de riz, une petite quantité est versée sur le sol pour le Marang Buru. Ainsi, les Santals ne vivent-ils pas uniquement au sein de leur société tribale, mais également dans une société plus vaste comprenant des êtres surnaturels (Datt-Majumdar 2004 : 24). Le culte bonga a pour but essentiel de se concilier les pouvoirs des bonga bienveillants et de se prémunir de la méchanceté des bonga hostiles. On peut y distinguer deux aspects liés :

a.) l’aspect objectif des rites religieux, destiné à s’allier la bienveillance des bonga, et par là contrôler, voire contrecarrer les pouvoirs des bonga malveillants ;

b.) l’aspect expressif du culte, qui se manifeste par de nombreux rites saisonniers et religieux, des festivals et des cérémonies associés à des rites sociaux variés.

Les Santals ont une relation intime avec leurs bonga et considèrent qu’ils vivent avec eux, relation faite surtout de dé-pendance, de soumission, d’imploration et de peur révérencieuse. Ils leur offrent des animaux et de la bière de riz. Il faut ajouter qu’il existe des cas, dans les villages de campagne, où les Santals, même gravement malades, refusent toute aide médicale, mais s’adressent au bonga pour être soignés (6).

La croyance aux sorcières

Les Santals croient également à l’existence de sorcières, munies de pouvoirs particuliers pour nuire aux hommes, au bétail et aux récoltes. Ces sorcières se livrent à toutes sortes d’activités maléfiques, empoisonnent des gens, leur ôtent le foie, jettent des sorts à certaines familles, ou se métamorphosent en chats noirs. Du fait de cette croyance, il arrive que des Santals se soupçonnent mutuellement et en viennent aux mains. Une telle croyance semble indispensable, particulièrement dans le monde païen (Archer, 290-304).

Il existe cependant une contre-croyance, selon laquelle certaines personnes, les ojha-janguru, les spécialistes, essen-tiellement des hommes, ont le pouvoir de détecter les sorcières et d’annuler leurs sorts. C’est pourquoi, chaque fois que les Santals ont des problèmes, ils font appel à eux, qui souvent les exploitent.

En ce qui concerne les maladies ou autres difficultés, les Santals croient qu’elles trouvent leur origine dans le mécontentement des esprits vis-à-vis des sacrifices qui leur sont offerts, ou dans les sorts qui leur sont jetés par des sorcières. Les Santals essaient alors d’identifier la cause de leur mal grâce aux ojha-janguru et essaient de pacifier les mauvais esprits par des sacrifices variés.

Les ancêtres

Chez les Santals, l’adoration des ancêtres est une pratique courante. Les ancêtres défunts sont les principaux bienfaiteurs des familles ou des groupes auxquels ils appartenaient. Ils sont aisément accessibles par leurs proches encore en vie. D’où les cérémonies du souvenir et les sacrifices qui leur sont offerts lors des principaux événements familiaux, naissance, mariage ou obsèques.

Le Jaherthan, le bosquet sacré

Le bosquet sacré ou Jaherthan est dans le village santal, un lieu sacré, réservé à l’adoration. Lorsqu’un village a été édifié, un Jaherthan est aménagé à proximité, au cours d’une cérémonie rituelle. La principale divinité du Jaherthal est connue sous le nom de Jaher Era, la dame du bosquet. Pour les Santals, elle demeure à cet endroit, avec d’autres divinités importantes, comme Moreko-Turuiko (littéralement les Cinq-Six). Jaher Era préside dans le bosquet, s’occupe des autres bonga dans le Jaherthan et prend soin des intérêts des villageois, particulièrement de leurs besoins physiques. Les esprits du Jaherthan sont célébrés au cours des principales fêtes, comme Sohorae, la fête des moissons, Baha, la fête des fleurs, Erok, la fête des semailles, etc., pour obtenir le bonheur du village, de bonnes récoltes, la santé des villageois et de leurs bétails (Troisi 1979 : 80-83).

Le Manjhithan, l’autel du chef

L’autel du chef est situé le long de la route du village (kulhi), ou souvent sur la place centrale ou en face de la maison du manjhi, le chef. On croit que le Manjhi bonga, l’esprit du chef demeure dans cet autel et est son conseiller. C’est là que le Manjhi lui offre des sacrifices pour lui, sa famille et tout le village.

L’autel de la maison
A l’intérieur de la maison des Santals se trouve le bhitar, petite case disposée à l’endroit le plus sombre de la maison. C’est là que demeurent les Orak’ bonga, esprits de la mai-son (Archer, 26) que l’on appelle souvent abge bonga – bonga du sous-clan. Le chef de famille est en charge de l’adoration. Pour des événements familiaux particuliers ou aux fêtes, on leur offre de la nourriture sur cet autel. Les noms des Orak’ bonga ne sont pas communiqués aux per-sonnes étrangères, ni aux femmes de la famille, transmis de père en fils. Généralement, le fils aîné reçoit le nom de son père (Prasad, 70). Le bhitar est aussi utilisé comme un endroit caché pour faire fermenter et conserver le handi, bière de riz qui n’est pas seulement une boisson courante, mais sert également aux célébrations rituelles et est offerte au bonga.
La vie dans l’au-delà

La vie dans l’au-delà continue celle de ce monde. Les Santals croient que l’esprit du défunt va dans un monde vague, où il a encore besoin des commodités matérielles d’ici-bas. C’est ce que montrent bien les pratiques rituelles faites lors des funérailles et durant le bhandan, dernière cérémonie faite en l’honneur du défunt. Autrefois, cette cérémonie suivait immédiatement les rites, mais, aujourd’hui, les familles riches la font dans les deux ou trois mois qui suivent le décès, et les familles pauvres, dans le courant de l’année ou l’année suivante. Pour les Santals, plus les animaux sacrifiés sont nombreux durant le bhandan et plus l’ancêtre en aura dans l’autre monde. La plupart des animaux sacrifiés sont offerts par les parents du défunt et aucun n’est gardé pour les besoins de la famille.

Traditionnellement, tous les Santals, hommes et femmes, sont supposés avoir des marques indélébiles sur le corps. Pour les hommes, c’est la sika (8). Normalement, il doit y avoir au moins trois marques représentant jion, la vie, moron, la mort, et jion, la vie. Les femmes, elles, ne pratiquent pas la sika, mais pour ne pas être dévorées par les vers dans l’au-delà, elles se tatouent la poitrine, pratique appelée khoda. Le P. Pussetto qui avait une grande connaissance des Santals témoigne :

J’ai vu des femmes, qui avaient non seulement des tatouages sur la poitrine, mais aussi dans le dos, sur le visage, les bras et les jambes. Les tatouages, dessins très compliqués, ont un rôle ornemental… Ils leur permettront d’être reconnues dans l’au-delà par leurs maris (22).

Actuellement, les jeunes ne pratiquent plus la sika, ni la khoda, sauf s’ils le veulent bien. Par contre, tous les enfants ont les oreilles percées pour porter des boucles quand ils seront grands, surtout lors de leur mariage.

Les Santals en quête d’une nouvelle identité

Chaque groupe ethnique, ou chaque société, a ses caractéristiques propres, son système de valeurs, sa langue, ses croyances religieuses, ses habitudes, sa culture, ses coutumes et ses traditions, sa propre approche de la vie et de la mort, de la souffrance et des maladies, des autres et de la communauté, mais avant tout, son propre sens de son identité. Quiconque visite un village ou une région majoritairement peuplés de Santals par eux réalisera la différence d’identité propre aux Santals. Celle-ci, ou l’image qu’ils donnent de leur culture, définit les caractéristiques de leur unicité et de leur solidarité, aussi bien que leurs différences avec les autres groupes qui les entourent (Murmu 2004 : 2).

Mais actuellement, les Santals du Bangladesh semblent traverser une crise d’identité pour de nombreuses raisons. Ils n’ont pas été capables de s’adapter ensemble aux changements rapides de leur situation. En dépit des changements survenus sous une pression extérieure, du développement de l’éducation ou des initiatives de l’Eglise, la majeure partie de la population santale continue de vivre dans des villages reculés. Avec le temps, les Santals sont de plus en plus marginalisés – luttant pour leur propre survie, sans aucune direction précise pour orienter ou améliorer leurs conditions de vie. Notons toutefois qu’il n’existe pas de mendiants parmi eux. Plutôt que de mendier, ils préfèrent se retirer dans la jungle pour ramasser pommes de terre sauvages, fruits, racines de jeunes pousses, fleurs et champignons, etc., ou prendre d’autres options comme celles de la chasse ou de la pêche.

Il existe clairement une situation conflictuelle entre la culture traditionnelle santale, fondée sur des rites, et les forces de changement de la modernisation, représentées par les facteurs sociopolitiques et socioéconomiques liés à ces changements. En fait, les Santals sont pris entre le passé mythologique de leurs glorieuses traditions et le présent, avec son cortège de pauvretés dégradantes et sans espoir, dû à l’ignorance, l’exploitation ou l’oppression de leurs voisins d’autres religions. De plus, ils sont davantage divisés qu’unis, à cause de ceux d’entre eux qui ont embrassé la foi chrétienne et appartiennent à différentes Eglises, alors que la majorité des autres continue à suivre coutumes et pratiques religieuses traditionnelles. L’écart entre ces groupes s’est d’ailleurs creusé au fil du temps. Selon le professeur Kazi Tobarak Hossain, « la solidarité sociale et l’homogénéité de cette minorité ethnique vont s’amenuisant jusqu’à la désintégration. En effet, ils sont à un stade culturel transitoire » (9), devant faire face à la transition de leur souveraineté dans des villages isolés ainsi qu’aux complexités de la modernité, de la bureaucratie et de l’économie monétaire.

Lors de la guerre de libération, en 1971, et dans l’immédiat après-guerre, les Santals chrétiens et non chrétiens se sentaient très proches de l’Eglise catholique. Le P. Giacomelli, missionnaire de l’Institut pontifical des Missions étrangères (PIME), qui travaillait avec les Santals à cette époque, raconte qu’il distribuait, pour des raisons de sécurité, des milliers de médailles et de crucifix à des non-chrétiens qui venaient le voir. Mais il n’était pas le genre de missionnaire à profiter de cette situation pour les convertir. Il ne fit jamais la différence entre les personnes. La même chose peut être affirmée pour d’autres missionnaires présents dans différentes régions du Bangladesh.

Actuellement, un léger changement est observé, surtout chez les Santals chrétiens, du fait de leurs contacts avec les missions locales. Les activités d’entraide juridique pour les aborigènes, soutenues par Caritas Bangladesh, les Manjhi-dupurup, réunions de chefs de village, le sida-kanu maha, fête annuelle des martyrs, le mouvement diocésain de crédit mutuel, les équipements scolaires et sanitaires, les pèlerina-ges aux sanctuaires chrétiens, les ordinations de prêtres, les visites pastorales des évêques aux paroisses, tout cela a eu un impact considérable sur les Santals non chrétiens, qui ont voulu connaître le Christ. Mais beaucoup d’entre eux restaient encore très attachés à leurs croyances traditionnel-les et à leur héritage culturel et craignaient une possible exclusion de leur groupe et des conséquences néfastes que pourraient leur causer le mécontentement des bonga.

Jusqu’à présent, les Santals n’ont été convertis ni à l’islam, ni à l’hindouisme ni au bouddhisme, mais seulement au christianisme. Ce constat est très important, car on peut se demander s’ils ne pourraient pas, dans un avenir proche, accepter l’islam ou se convertir à d’autres religions, comme ce fut le cas dans le passé, lorsque des basses castes hindoues sont devenues musulmanes ou chrétiennes dans l’est du Bengale (Timm 1994 :72). Rappelons-nous l’exemple de l’Europe et de l’Amérique du Nord, où se sont produites de nombreuses conversions à l’islam.

Le fait que les Santals restent artificiellement divisés en deux camps – un petit nombre de chrétiens et la majorité restante, hors d’atteinte – n’est certainement pas un bon signe pour leur société et leur avenir. La prière de Jésus à ses disciples, dont se fait l’écho l’Evangile de saint Jean (Jn 17, 21-22) doit attirer notre attention : « Qu’ils soient tous un, comme toi Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » L’évangélisation des Santals, au sens propre, serait donc un nouvel espoir et un nouveau commencement vers la réalisation d’un rêve qui apporterait la Bonne Nouvelle de Jésus de Nazareth, le Sauveur et le Médiateur entre Dieu et l’humanité. « La récolte est immense » (Mt 9,37-38) et le Bangladesh reste une terre fertile pour une mission d’évangélisation. Les Eglises locales au Bangladesh ont un grand rôle à jouer dans l’évangélisation des Santals. Car « Dieu nous a appelés à être chrétiens, non pas seulement pour être sauvés, mais pour collaborer au Salut du monde et inviter ceux que Dieu a fait venir dans son Eglise à partager notre foi » (Rosales et Arevalo 1992 : 280).

Le christianisme chez les Santals

Selon G. Beckers, missionnaire jésuite qui a travaillé de nombreuses années en Inde, la première conversion d’un Santal au christianisme remonte au milieu du XIXe siècle (Beckers 1995). Elle eut lieu dans un petit village au cœur de la jungle, aux frontières du Bengale et de l’Orissa, avant la partition de l’Inde, au moment des premiers contacts entre le christianisme et cette ethnie, et fut obtenue par Jeremiah Phillips, un missionnaire baptiste américain qui s’établit à Jaleswar en 1840 et fut le pionnier de l’évangéli-sation des Santals. En 1845, il ouvrit la première école pour enfants et imprima le premier livre élémentaire en santali. En 1847, deux jeunes garçons de l’école furent les premiers Santals baptisés. Mais, avant leur baptême, Phillips voulut tester la solidité de leur foi. Voici son propre témoignage :

J’ai appelé Daniel et Elias et, après avoir bavardé avec eux quelque temps, je leur ai proposé de prendre du pain et de le manger avant nous… Cela les a effrayés et ils ont reculé… Le pain fut apporté, mais le cœur de Daniel lui manqua presque. Le pauvre Daniel était assis avec le pain dans sa main, submergé et comme en proie à la pire épreuve, et ce pendant plus d’une demi-heure. Ils semblaient hésitants à goûter le morceau de pain, ce qui aurait été le signe de leur séparation définitive d’avec leurs anciennes attaches… Daniel et Elias semblent maintenant très heureux ensemble et occupent chacun un logement où ils cuisinent pour eux-mêmes (Beckers 1995).

Les missionnaires catholiques ont commencé à propager le christianisme parmi les Santals, dans l’actuel Bangladesh, au début du XXe siècle. Le P. Francesco Rocca, un missionnaire PIME peut être considéré comme le pionnier et l’apôtre des Santals. Il arriva à Dhanjuri en 1906, à la demande de Fagu Mistri Soren, puis effectua une deuxième visite en février 1909 et baptisa Phudon Marandi et son fils aîné Pitor Marandi. Le P. Luigi Pinos (1994 : 10) raconte :

Durant un de ses voyages en train, le P. Rocca, aumônier des trains, fut approché par un Santal qui se rendait à un tribunal pour un procès qui durait depuis longtemps. C’était Fagu Mistri Soren, le chef de village de Dhanjuri. C’était un bon à rien, toujours empêtré dans des histoires de femmes pour lesquelles il avait une faiblesse. Il lui dit alors : « Sahib, je suis de Dhanjuri. Pourquoi ne viendriez-vous pas nous rendre visite ? » Le P. Rocca accepta l’invitation et arriva un jour de 1906 à Dhanjuri… Phudon exultait et lui offrit l’hospitalité. Le P. Rocca qui avait le sens des contacts fut invité à revenir. Il y consentit et, le 21 février 1909, il baptisa Phudon et son fils aîné Peter.

L’histoire de Pitt Moore, missionnaire évangélique, est la suivante : après avoir commenté l’Evangile dans un village, un homme (probablement un Santal) lui posa cette question : « Où sont mes parents et mes amis villageois qui sont morts ? » Pitt Moore lui répondit qu’ils étaient en enfer. « Alors, répliqua l’homme, c’est là que je veux aller quand je mourrai. » Après cela, Moore décida de ne plus parler du ciel et de l’enfer dans ses sermons, mais uniquement de l’amour de Jésus-Christ (Downs 1999 : 116-26). Voilà un des nombreux exemples des premières approches des missionnaires, qui ne faisaient pas de différence entre les Eglises catholique et protestantes.

Sans sous-estimer les difficultés, et encore moins le bon travail effectué par les premiers missionnaires, j’entends apporter quelques brèves réflexions sur les efforts missionnaires menés dans le passé chez les Santals. Historiquement, nous pouvons observer que :

– Tout d’abord, les premiers missionnaires voyaient dans les Santals des animistes, des païens, ou des idolâtres sans religion.

– Deuxièmement, la proclamation du message de l’Evangile était le principal moyen d’évangélisation, parce qu’il était plus directement orienté vers les conversions : « Prêcher (proclamer l’Evangile) touchait le cœur des auditeurs et aboutissait ici ou là à des conversions » (Thomssen 1978 : 19).

– Troisièmement, l’éducation était considérée comme secondaire et beaucoup de missionnaires la considéraient comme moins importante que la proclamation du message évangélique (Thomssen 1978a : 19). Par conséquent, des tensions ont toujours existé entre tenants de la proclamation directe de l’Evangile et tenants des activités éducatives ou sociales.

Il faut se souvenir que les Santals qui devenaient chrétiens risquaient d’être abandonnés par leurs familles, leurs amis, les villageois, et privés de leur héritage et de leurs droits. Il n’est donc pas exact de dire que les Santals ont rejeté le Christ. L’important est de voir comment le christianisme leur a été présenté. De plus, dire que les Santals sont devenus chrétiens en raison de la promesse du ciel ou pour sauver leur âme n’est pas un argument persuasif. Après tout, dans leur propre religion, ils avaient également cette promesse du ciel. Demandons-nous plutôt pourquoi le christianisme n’a pas fait plus de progrès dans l’évangélisa-tion des Santals. La meilleure réponse est probablement celle de J. Troisi : « L’objection la plus profondément enracinée est que la méthode chrétienne d’évangélisation avait souvent tendance à sortir les Santals de leur propre milieu et posait, par conséquent, de sérieux problèmes de solidarité tribale, les convertis ne se sentant plus en sécurité » (226).

Nouvelles réflexions et recommandations

Je pense que l’essentiel du travail d’évangélisation des Santals pourra se faire lorsque :

a.) Les évangélisateurs eux-mêmes se seront familiarisés avec le contexte culturel et socioreligieux des Santals. Tout en respectant leurs valeurs culturelles et leur liberté religieuse, il est impératif que la communauté chrétienne « les aide à s’aider entre eux, afin qu’ils puissent travailler à améliorer leur situation et à devenir les évangélisateurs de leur propre culture et de leur société » (Jean-Paul II 1999 : n° 34).

b.) Le christianisme sera présenté dans sa totalité et non plus découpé en morceaux en raison de problèmes doctrinaux ou d’une spiritualité absolue et vague, sans aucun rapport avec les réalités du monde. La révélation historique qui a culminé en Jésus-Christ prend en compte les valeurs de ce monde et la vocation de la personne à la plénitude de la vie. C’est là que le dialogue entre celui qui rencontre le Christ et le catéchiste local peut être décisif (10).

c.) Le processus d’évangélisation des Santals ne leur demandera pas d’oublier leur passé et de ne plus participer à leurs pratiques tribales traditionnelles, toutes perçues comme des manifestations païennes. En fait, le Santal récemment converti est si profondément enraciné dans ses pratiques ancestrales traditionnelles qu’il est souvent immanquablement attiré par elles. Mais ce n’est pas en cherchant à éviter le passé qu’on aidera les Santals à construire leur propre avenir.

d.) Les erreurs seront critiquées de manière constructive. En d’autres termes, il ne s’agit pas tant de faire disparaître les points de vue erronés, ni de mettre en exergue les superstitions (11) qui peuvent entacher les croyances ou les pratiques rituelles, que de chercher les points communs entre le christianisme et la religion des Santals.

e.) L’évangélisation sera intégrale, totale et holistique. Séparer le ministère social du ministère pastoral est sans doute la manière la plus efficace de rester indifférent à la pauvreté, à l’injustice, aux souffrances et aux besoins les plus criants. A ce propos, le P. R.W. Timm, missionnaire au Bangladesh écrit :

Ministère social et ministère pastoral ne doivent pas être séparés l’un de l’autre, étant tous deux utiles à la mission de l’Eglise dans le monde. Ils étaient déjà là, habilement mélangés dans la vie et l’œuvre de Jésus, réformateur religieux et social à la fois. Par conséquent, dans son Eglise, une approche intégrée est également nécessaire (77).

Conclusion

Evangéliser les Santals n’est ni faire du prosélytisme, ni amener de nouveaux convertis à l’Eglise pour faire du chiffre ou augmenter la population chrétienne, mais, dans le cas qui nous intéresse, faire de la société santale une communauté en progrès sans la couper de ses racines tribales. Les Santals doivent connaître les forces et les faiblesses de leur culture. L’Evangile doit leur être annoncé pour les provoquer et les transformer de l’intérieur, comme le levain et le sel, afin que les Santals du Bangladesh contribuent à la communion et au développement de l’homme dans son intégrité, par le biais de leur évangélisation où « tous les peuples sont unis comme Dieu veut qu’ils soient unis » (Vatican II, Ad Gentes, 1965 : n° 42).

Les Eglises locales du Bangladesh doivent œuvrer pour un monde où les peuples pourront grandir dans la bonté et l’amour, même en dehors du périmètre de l’Eglise. Ainsi, des initiatives pourront être prises pour la promotion de la justice, de la paix et des droits de l’homme, pour le recul de la pauvreté, la restauration de la famille et des valeurs tribales, la santé et ainsi de suite. Car « aucune communauté n’est véritable si ses propres besoins sont ignorés » (12). Par conséquent, la mission de service est à prendre dans sa totalité ; plutôt que de faire des choses pour le peuple, efforçons-nous de créer une société dans laquelle la dignité humaine sera respectée et où la voix des pauvres et des marginaux sera entendue.

Finalement, merci au concile Vatican II et au changement d’attitude ayant entraîné la reconnaissance que Dieu est entré en dialogue avec les autres religions, cultures et traditions (AG 9,18), car beaucoup de personnes, aujourd’hui, hésitent à dire que les religions tribales – ou la religion traditionnelle des Santals – sont démoniaques, païennes, dépourvues de rationalité, de moralité, de vérité et sauvages (13). Toutefois, beaucoup reste encore à faire pour améliorer la situation sur le terrain, où l’évangélisation des Santals continue, sans parler du dialogue, de la rencontre et de la réconciliation.