Eglises d'Asie

DOCUMENT ANNEXE – LA POLITIQUE DE L’ENFANT UNIQUE ET « LA CULTURE DE L’AVORTEMENT » EN CHINE

Publié le 18/03/2010




Que faudra-t-il pour que les dirigeants chinois admettent qu’ils doivent sortir du fiasco produit par leur politique de planning familial ? Les événements de ces dernières semaines fournissent une nouvelle preuve – si besoin est – que la Commission d’Etat pour la population et le planning familial doit changer de politique. Le plus tôt sera le mieux. Pour l’heure, la réponse a été la même qu’à l’accoutumée, c’est-à-dire supprimer les voix discordantes et envoyer la troupe, ce qui a provoqué en réaction de violentes émeutes dans les campagnes.

Les émeutes qui viennent de se produire dans le Guangxi à propos de la politique de l’enfant unique – mise en place en 1979 par une Chine inquiète de l’essor de sa population – ne sont que la dernière manifestation en date de l’inhumanité inhérente à cette politique. Elles viennent également rappeler ce que son application peut avoir d’arbitraire et de brutal. Des cas d’avortements et de stérilisations forcés ont été rapportés. Au même moment, on constate que, du fait d’une éducation sexuelle inexistante ou peu adaptée, les jeunes femmes en Chine sont de plus en plus nombreuses à recourir à l’avortement comme moyen principal de contraception.

 

Selon les informations rapportées par les médias internationaux, notamment la National Public Radio aux Etats-Unis, plusieurs dizaines de femmes au Guangxi ont été contraintes à avorter ; pour certaines d’entre elles, leur grossesse était dans son neuvième mois. Le programme Morning Edition de la National Public Radio a notamment cité le cas de Liang Yage et de son épouse, Wei Linrong. Le couple a un enfant et souhaitait en avoir un second. Enceinte de sept mois, Wei Linrong a été forcée à avorter dans une maternité de Baise. Tous deux sont chrétiens.

 

Une jeune femme du nom de He Caigan, âgée de 19 ans, a déclaré aux journalistes occidentaux qu’elle avait dû avorter à quelques jours du terme prévu pour sa grossesse. Selon un témoin anonyme, pas moins de 41 lits dans la maternité de Baise étaient occupés par des femmes contraintes à avorter.

 

Dans ce district de Bobai, la brutalité des autorités locales dans l’application de la politique de l’enfant unique a déclenché des émeutes dans près d’une trentaine de villages et localités du district. Ces actes de révolte ont commencé après que des représentants des autorités eurent saccagé les habitations des personnes qui ne pouvaient pas payer les amendes qui leur étaient demandées du fait d’avoir enfreint la politique de l’enfant unique. Cherchant à se venger de l’humiliation et des dommages causés, des villageois en colère n’ont pas hésité à investir des bâtiments publics et à les saccager. Il a été rapporté que quelques uns ont tenté d’y mettre le feu. Au total, plusieurs milliers d’habitants se sont ainsi mobilisés.

 

Pour étouffer la rébellion, le gouvernement de la province a dépêché plusieurs centaines de policiers armés, mais, à la fin, seulement vingt-huit personnes ont été interpellées, a rapporté l’agence Chine Nouvelle, pour « atteinte à des biens publics ». Toujours selon l’agence officielle, 4 200 cadres du Parti ont été envoyés dans les villages pour renouer le dialogue avec les habitants, entendre leurs plaintes et apaiser les tensions.

 

A la base de cette soudaine éruption de violence, on trouve le mode de fonctionnement de la bureaucratie chinoise. Le gouvernement provincial a décrété que, cette année, l’avancement politique – et même le simple maintien en poste – des fonctionnaires locaux dépendraient de leur capacité à tenir les objectifs fixés, dans le domaine de la politique de l’enfant unique comme dans d’autres domaines. Ayant reçu une mise en garde de leurs supérieurs du fait d’un nombre excessif de naissances dans leur district, les fonctionnaires du district de Bobai ont décidé de faire appliquer, par la brutalité si nécessaire, la politique de planning familial.

 

Depuis le début, la politique de l’enfant unique a été source de difficultés. Des études officielles l’indique, son application n’a été que très partielle, 35 % de la population y étant véritablement soumis. Dans les campagnes, un second enfant est toléré dès lors que le premier est une fille – et il n’est pas rare de voir des familles de trois, quatre ou cinq enfants. A Bobai, il semble que, ces dernières années, l’administration se soit montrée plutôt laxiste dans l’application du principe de l’enfant unique, jusqu’à l’année dernière. Les fonctionnaires locaux voyant leur avenir compromis, ils ont choisi d’agir, les populations locales ont réagi et, durant au moins deux jours, une trentaine de villages et bourgs ont été le théâtre de violences.

 

A l’approche du 17ème congrès du Parti communiste, qui se tiendra à Pékin cet automne, la haute direction chinoise n’avait pas vraiment besoin de cela, elle dont le mot d’ordre est le maintien d’« une société harmonieuse » et qui veut faire des Jeux olympiques 2008 une vitrine de la réussite du pays. Des incidents comme ceux qui se sont produits à Bobai sont la cause d’un réel embarras.

 

A cela, il faudrait ajouter un long article paru le 13 mai dernier dans les colonnes du New York Times. Son auteur y décrit la hausse du taux d’avortement chez les jeunes femmes célibataires en Chine. Décrivant en filigrane les conséquences d’une absence d’éducation sexuelle dans la jeunesse chinoise, le journaliste Jim Yardley a rassemblé des témoignages tirés de journaux et sites Internet chinois, d’interviews de professionnels de la santé et d’universitaires spécialises de santé publique, d’études statistiques officielles, pour décrire ce qu’il qualifie de culture alarmante de l’avortement au sein de la jeunesse chinoise, tout spécialement parmi les jeunes femmes.

 

L’article décrit par le menu un sous-produit embarrassant du matérialisme proéminent qui accompagne l’extraordinaire croissance économique de ce pays. En l’absence d’une éducation, même basique, en matière de contraception, une classe sociale urbaine et en pleine essor de jeunes femmes célibataires, aux mœurs sexuelles plus libérées qu’auparavant, recourt massivement à l’avortement pour échapper à la stigmatisation sociale qui continue de peser sur les « filles-mères ». En quittant leurs campagnes pour trouver à s’employer dans les villes, des millions de jeunes femmes ont laissé derrière elles une bonne partie des valeurs traditionnelles qui restent fortes dans le pays.

 

Les relations sexuelles avant le mariage, autrefois taboues, sont désormais devenues banales dans les grandes villes, de même que le recours à l’avortement pour se débarrasser d’une grossesse non désirée. Et tandis que le gouvernement concentre son action sur la limitation de la période durant laquelle les femmes mariées sont autorisées à procréer, bien peu de choses ont été mises en place pour fournir ne serait-ce qu’une éducation sexuelle minimale à celles qui sont célibataires – une éducation qui pourrait commencer par une information sur les risques pour la fécondité d’un recours à répétition à l’avortement.

 

A l’heure où des jeunes femmes interrogées par le journaliste du New York Times ne se souviennent même plus avec précision du nombre d’avortements qu’elles ont subis – six ou sept –, il est grand temps que les responsables de la santé publique commencent à réfléchir au-delà du cadre fixé il y a près de trente ans par le planning familial. Un sondage réalisé à Shanghai indique que 69 % des femmes célibataires sont actives sexuellement et d’autres études montrent qu’entre 20 et 55 % des femmes célibataires vivant dans les villes ont subi au moins un avortement.

 

Selon l’International Planned Parenthood Association, il y environ sept millions d’avortements par an en Chine. Une estimation fondée sur des statistiques pas toujours très fiables du ministère de la Santé, qui minore sans doute le nombre des avortements pratiqués dans les hôpitaux publics et ne prend pas en compte ceux pratiqués dans les cliniques privés, des établissements qui font ouvertement de la publicité pour cet acte malgré l’interdiction des autorités l’an dernier. De plus, aucune statistique ne comptabilise les femmes qui ont recours à la pilule du lendemain. Au final, il se pourrait que le chiffre réel des avortements en Chine soit deux fois plus élevé que le chiffre officiel.

 

Les experts de la santé publique estiment qu’en dépit du caractère terrible des avortements forcés tels que ceux qui ont eu lieu au Guangxi, le taux d’avortement parmi les femmes mariées serait plutôt à la baisse en Chine. Mais ce taux est clairement à la hausse chez les jeunes femmes célibataires.

 

Les dirigeants chinois mettent en avant le fait que la politique de l’enfant unique a permis de contrôler la croissance démographique du pays, évitant ainsi une explosion. Si l’objectif fixé pour 2010 d’une population à 1,36 milliard d’individus peut être tenu, c’est grâce à cette politique, font-ils valoir. De fait, la gestion d’une population de la taille de celle de la Chine n’est pas une tâche aisée, mais on peut penser qu’un programme d’éducation bien pensé aurait permis de parvenir au même résultat en faisant l’économie de « dégâts collatéraux » terrifiants. La politique de l’enfant unique combinée à une préférence traditionnelle pour un descendant mâle a conduit à un ratio de 119 garçons pour 100 filles âgés de moins de 5 ans. Dans certaines régions, le déséquilibre peut grimper à 130 garçons pour 100 filles. Aujourd’hui, les classes moyennes urbaines portent la culture de l’avortement à un autre niveau. Quelle que soit le jugement moral que chacun peut porter sur l’avortement, le recours à l’avortement revêt une nouvelle signification dans la Chine d’aujourd’hui.