Eglises d'Asie

Face à la crise politique dans laquelle s’enfonce le pays, un prêtre catholique appelle la petite communauté chrétienne à l’unité

Publié le 18/03/2010




A mesure que la crise politique prend de l’ampleur au Pakistan, le sort de la petite communauté chrétienne du pays – 2 % d’une population évaluée à 150 millions de personnes – ne laisse pas d’inquiéter. Pour le P. Bonnie Mendes, 71 ans, prêtre de l’Eglise catholique du Pakistan, la situation est effectivement sombre, les islamistes pesant chaque jour d’un poids plus important dans la société, mais elle appelle à un sursaut d’unité de la part des chrétiens.

Le P. Mendes, qui a vécu à Manille de 1979 à 1983 où il a été secrétaire exécutif du Bureau pour le développement humain de la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie), avant de revenir vivre dans son pays, souligne que bien des Pakistanais se sentent désemparés face à l’évolution que connaît leur pays. Les médias peuvent bien relayer la propagande gouvernementale selon laquelle l’économie se porte bien, l’homme de la rue a le sentiment que chaque jour apporte son lot de dégradations, explique le prêtre. Les incidents de Karachi, où, le 12 mai dernier, une quarantaine de personnes ont été tuées lors d’affrontements entre partisans du président Pervez Musharraf et partisans du président démis de la Cour suprême, ont marqué un point de non-retour. Même les médias nationaux s’interrogent : « Où allons-nous ? », relève le P. Mendes.

La corruption que chacun peut voir à l’œuvre chaque jour touche tous les secteurs, de l’exportation d’organes humains au trafic d’êtres humains en passant par le paiement de dessous-de-table. Ce ne sont pas les pauvres et les illettrés qui montrent la voie, mais bien les personnes éduquées et en situation de pouvoir, explique encore le prêtre.

Et c’est dans ce contexte, déjà peu réjouissant, que les nuages s’amoncellent à l’horizon. Les groupes islamistes n’hésitent désormais plus à agir au grand jour, souligne le P. Mendes, citant l’occupation forcée à Islamabad d’une bibliothèque pour enfants par des extrémistes musulmans qui dénoncent la destruction de sept mosquées construites sans permis. Dans la capitale, les islamistes de la Mosquée rouge défient ouvertement le gouvernement, en interdisant, par la violence au besoin, les pratiques qu’ils jugent contraire à l’islam. « Le droit et l’ordre public sont très fragiles », écrit le prêtre.

Les chrétiens sont, avec les musulmans modérés, des cibles faciles pour les extrémistes. Dans la Pro-vince de la frontière du Nord-Ouest, à Charsadda, des chrétiens ont reçu des menaces du type : « La conversion ou la mort ». La police a pris la menace à la légère, en invitant chacun à garder son calme. De retour de Charsadda, le P. Mendes indique que, parmi les chrétiens, si les anciens se montrent fata-listes, les jeunes sont partagés entre la peur et la rage. Le danger serait que, face à des menaces similai-res, les chrétiens se divisent. Isolés, ils seront plus que jamais des cibles faciles pour les extrémistes.

Cette perspective d’une division des chrétiens amène le prêtre à s’interroger sur les faiblesses de l’Eglise et de la communauté chrétienne du Pakistan. Les efforts entrepris dans le domaine de la formation ne sont pas toujours payés de retour, à en juger par le taux d’abandon chez les séminaristes et le clergé. De même, il n’est pas rare que des laïcs à qui sont confiés des responsabilités partent avec la caisse. Les personnes prêtes à s’engager au service de l’Eglise et des chrétiens ne sont plus si nombreuses que cela, remarque le P. Mendes. De même, l’œcuménisme est une réalité négligée depuis des années. De nouvelles Eglises apparaissent et accentuent cette tendance à la division.

La division est un poison, affirme encore le prêtre, dont l’effet est d’autant plus sensible qu’il affaiblit la communauté à une époque où les accusations pour blasphème se multiplient contre les chrétiens. Ces deux derniers mois, à Lahore, à Kotri, à Toba Tek Singh, la police a enregistré des plaintes pour blasphème visant des chrétiens pauvres et qui ne reposaient sur rien. Les autorités subissent peut-être la pression des islamistes pour agir en ce sens, mais les chrétiens ne réagissent pas de manière unie.

Vers qui se tourner alors pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve ?, interroge le P. Mendes. Les extrémistes musulmans sont une menace pour l’équilibre du pays. Face aux manœuvres du président Musharraf, la société civile, les professions juridiques à tout le moins, ont montré leur capacité à réagir. Mais, au-delà, que proposer aux Pakistanais ? Les pauvres ne croient pas aux vertus de la démocratie parlementaire. Ceux qui sont élus montrent leur incapacité à sortir le pays de la crise. Les gens veulent quitter le pays pour s’installer ailleurs, en Occident notamment, mais les frontières se ferment et les élites sont déjà parties. Aucune réponse évidente ne peut être donnée à la question : « Le Pakistan se dirige-t-il vers le chaos complet ou est-il encore possible de voir émerger un nouveau contrat social ? »