Eglises d'Asie

DOCUMENT ANNEXE : LE COMMENTAIRE D’UN PRÊTRE « CLANDESTIN » À LA LETTRE DU PAPE

Publié le 18/03/2010




La lettre du pape tant attendue est finalement parue. Elle aborde différents aspects de la vie de l’Eglise en Chine. Elle ne peut pas être résumée simplement en quelques points de réflexion, pas plus que son impact sur l’Eglise en Chine peut être explicité en quelques commentaires. Mais, sans aucun doute, cette lettre aura un impact décisif sur le développement à venir de l’Eglise en Chine. Je voudrais ici exprimer quelques idées et vues personnelles.

 

1.) A travers toute la lettre, le pasteur de l’Eglise universelle et le successeur de saint Pierre exprime son attention pour les fidèles en Chine. Il exprime sa joie et son espérance, ses craintes et ses inquiétudes pour cette Eglise locale. A n’en pas douter, cela apportera un grand réconfort spirituel aux catholiques de Chine. Nous pouvons éprouver que nous sommes une partie importante de l’Eglise universelle. Nous pouvons sentir son attention spirituelle et ressentir au plus profond que la communion de l’Eglise n’est pas un concept vide. Nous savons que nous vivons vraiment dans la communion de l’Eglise.

 

2.) Pendant plus de cinquante ans, l’Eglise en Chine n’a pas pu connaître un développement normal. Par conséquent, le pape, dans cette lettre, exprime l’espoir de voir l’Eglise en Chine, en ce qu’elle est en train de dépasser certaines difficultés, se diriger progressivement vers un développement plein et normal. Que ce soit lorsqu’il révoque des dispositions spéciales ou lorsqu’il s’adresse à certains segments des fidèles (évêques, prêtres, familles), il exprime son souci au sujet des problèmes urgents auxquels fait face l’Eglise en Chine et souligne comment l’Eglise peut s’engager vers un développement sain et normal.

 

3.) La mission la plus urgente de l’Eglise en Chine est aujourd’hui la réconciliation. La réconciliation signifie que nous tournons ensemble nos regards vers Jésus dans un esprit de vérité et de charité. Cela demande que nous abandonnions nos préjugés pour que nous soyons à même de nous asseoir ensemble et d’engager un dialogue en vérité. Si l’Eglise est semblable à une personne vivante et que nous avons à vivre ensemble en communion avec le Christ, alors la situation qui est celle de l’Eglise en Chine aujourd’hui peut et doit être changée d’abord par vous et moi. Il est de notre devoir de nous asseoir à une même table et de nous écouter mutuellement. En communion avec le Christ, nous pouvons nous accepter mutuellement. Nous formons véritablement un seul corps. Nos querelles et nos confrontations ne sont certainement pas ce que le Christ souhaite. Il nous faut nous asseoir dans un esprit d’amour et de vérité – plus, dans la vérité de l’amour et dans l’amour de la vérité – afin d’engager un dialogue sincère. Nous ne devons pas chercher à regarder l’attitude de l’autre. C’est à moi de m’asseoir en premier, sans condition. Pour que l’autre s’asseye, c’est à moi de m’asseoir en premier. La seule manière de faire en sorte que l’autre m’écoute est de faire que je l’écoute en premier. La seule manière d’éviter de se quereller est pour moi de ne pas chercher querelle. Bien entendu, je ne fais pas cela parce que je veux obtenir que l’autre s’asseye mais parce que lui et moi sommes en communion avec le Christ et parce que nous vivons dans la même Eglise du Christ. Lorsqu’un tel dialogue pour l’unité est engagé, il est tout aussi regrettable d’oublier l’amour que d’oublier la vérité. Le pape a réitéré la vérité de l’Eglise dans cette lettre. En même temps, il souligne la demande concrète d’amour. Pour être frère dans la communion avec le pape et les conférences des évêques de l’Eglise universelle, je dois ouvrir mon cœur entièrement. Cela nous mène à la question de la « concélébration ». Peut-être certains membres de l’Eglise « clandestine » trouveront-ils difficile d’accepter cela aujourd’hui. Nous devons laisser de côté nos points de vue et nos préjugés personnels et avoir constamment à l’esprit l’Eglise du Christ.

 

4.) Concernant les aspects juridiques et la réalité présente, objectivement parlant, il est clair que la liberté de religion (y compris la liberté de croyance et la liberté de mouvement) telle qu’elle est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas pleinement respectée en Chine. En tant que prêtre de l’Eglise « non officielle », je crois personnellement que la raison de notre existence est de défendre la vocation de l’être humain et de continuer à se battre pour obtenir le respect du droit fondamental à la liberté religieuse. Des voix diverses peuvent et doivent exister au sein de l’Eglise. La diversité est facteur de richesse dans la vie de l’Eglise. La véritable valeur de l’existence de l’Eglise « clandestine » est la voix faible mais bien réelle qu’elle porte. C’est la voix de la conscience humaine. Sans nier les efforts du gouvernement de ces trente dernières années pour parvenir à la liberté religieuse, nous devons admettre que la Chine a encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à ce que les standards internationaux reconnaissent généralement comme étant le respect de la liberté religieuse.

 

5.) Une communauté religieuse – et cela fait partie de son développement normal – entretient, directement ou indirectement, des liens avec les autorités civiles. Une vie d’Eglise normale ne peut faire l’économie de contact avec les autorités gouvernementales. On peut citer ici, à titre d’exemple, la reconnaissance du clergé ou bien le fait de demander une permission pour organiser les activités religieuses. Cependant, le point de départ de base est que le gouvernement protège, plutôt qu’il ne contrôle les activités religieuses normales.

 

6.) Au sujet des relations sino-vaticanes, le pape exprime clairement son désir sincère pour mener un dialogue avec les autorités chinoises. La balle est désormais dans le camp du gouvernement chinois. C’est à lui de décider s’il souhaite exprimer une même sincérité dans le dialogue. D’un point de vue concret, si le gouvernement continue à utiliser l’Association patriotique des catholiques chinois – sur le papier, une organisation interne de l’Eglise en Chine, mais, en réalité, un outil que le gouvernement utilise pour contrôler l’Eglise – pour diriger l’Eglise de Chine, cela indiquerait que le gouvernement ne souhaite pas ouvrir un vrai dialogue. Dans une perspective de long terme, si la Chine et le Vatican doivent établir des relations diplomatiques, l’Association patriotique est une carte que le gouvernement peut se permettre de sacrifier.

 

7.) La lettre du pape ne fait pas mention une seule fois des évêques et des prêtres qui se trouvent toujours en prison. Je pense personnellement que c’est là une imperfection de la lettre. Nous n’appelons pas le pape à apporter, dans cette lettre, un soutien trop voyant à ces frères qui souffrent ; l’histoire de l’Eglise nous enseigne qu’à ceux qui donnent leur vie pour leur foi – et cela dans quelque pays que ce soit –, il n’est pas donné un rôle important à la table des négociations. Nous ne demandons rien en particulier. Pour le bien de l’unité et pour celui de l’Eglise, nous pouvons mettre cela de côté et endurer dans le silence. Cependant, le fait que le pape, pasteur de l’Eglise universelle, ne mentionne pas, ne serait-ce qu’une fois, ceux qui continuent de souffrir est choquant et facteur de frustration. Nous ne demandons pas au pape d’offenser le gouvernement chinois en mentionnant ce point, pas plus que nous demandons des droits particuliers. Non, nous voulons seulement l’assurance que l’Eglise universelle n’abandonne pas totalement ces personnes qui souffrent, en silence. Ce n’est là qu’une humble requête.