Eglises d'Asie

DOCUMENT ANNEXE : UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS L’HISTOIRE DE L’EGLISE DE CHINE – Réflexions sur la lettre du pape Benoît XVI à l’Eglise de Chine –

Publié le 18/03/2010




La lettre pastorale du pape Benoît XVI à l’Eglise catholique de Chine, publiée le 30 juin 2007, est remarquable et historique tant par son contenu que par son style. Le pape s’adresse comme un père aux catholiques chinois et avec respect aux autorités chinoises, et il présente aux uns et aux autres des principes clairs. En termes soigneusement choisis, il exprime sa compréhension pour les souffrances de la « communauté souterraine » qui refuse de collaborer avec le gouvernement, mais aussi pour la « communauté officielle » qui a décidé de collaborer. Il propose quelques principes théologiques fondamentaux qui appellent les deux communautés à se réconcilier et il invite les autorités civiles à dialoguer en dépassant les incompréhensions du passé.

 

Le contenu de la lettre est remarquable parce qu’il apporte une réponse claire aux questions pastorales brûlantes qui ont suscité la division au sein de l’Eglise de Chine depuis vingt années. Après les discussions confuses du passé, seule Rome pouvait apporter la clarté. La réponse du pape Benoît XVI se résume ainsi : il n’y a qu’une seule Eglise catholique de Chine et elle est fidèle au Saint-Siège. Les évêques et les prêtres peuvent concélébrer, mais je les encourage à exprimer d’abord entre eux leur unité par une profession de foi. Pour l’Eglise, ce n’est pas une situation normale de vivre dans la clandestinité. Aujourd’hui, il n’existe plus de raison de maintenir une communauté souterraine en Chine. C’est pourquoi je révoque tous les privilèges accordés par le passé à la communauté souterraine en Chine. Les fidèles chinois peuvent aussi prendre part aux Eucharisties célébrées par des prêtres de la communauté d’Eglise officielle.

 

Le pape expose ces directives pastorales après avoir développé, dans la première partie des 26 pages de cette lettre, quelques principes théologiques fondamentaux sur la communion entre les Eglises particulières et l’Eglise universelle, sur la réconciliation, sur la nécessité du dialogue et de la coopération dans la charité et la vérité entre l’Eglise et l’Etat, en rendant à Dieu et à César ce qui appartient à chacun.

 

C’est en janvier 2007 que le pape avait promis d’écrire une lettre à l’Eglise catholique en Chine. Depuis lors, les chrétiens attendaient la lettre avec impatience, tout comme les autorités civiles. Il y avait même une certaine tension. Toutes les ordinations prévues ainsi que d’autres activités ecclésiales importantes avaient été différées jusqu’après la lettre du pape, même si ce n’était pas exprimé aussi clairement. Les causes de cette incertitude en Chine étaient les appels à l’affrontement avec les autorités chinoises émanant de milieux extérieurs au continent, ainsi que les ordinations épiscopales illicites effectuées en Chine en 2006 auxquelles des évêques chinois reconnus par Rome avaient été forcés de prendre part. Tout le monde s’interrogeait : dans cette lettre, le pape allait-il menacer d’appliquer les sanctions canoniques pour des ordinations illicites qui se produiraient à l’avenir ? Ou bien la lettre serait-elle un appel plutôt amical bien que pressant en vue de l’unité et du dialogue ?

 

La grande majorité des chrétiens chinois qui habitent les lointaines régions des campagnes avaient d’autres soucis. Pour eux, depuis des décennies, la question vitale était : pouvons-nous, oui ou non, participer à l’Eucharistie célébrée dans les communautés de l’Eglise « ouverte » (officielle) ? Commettons-nous un péché mortel en faisant ainsi, comme on nous l’a dit ? Le désarroi ainsi provoqué par ce qu’on disait, prêchait et écrivait était tel que seule l’autorité suprême de l’Eglise pouvait apporter une réponse claire. C’est ce que fait la lettre pastorale en affirmant qu’il n’y a qu’une seule Eglise catholique en Chine et en rassurant les catholiques chinois qui peuvent célébrer ensemble l’Eucharistie.

 

Mais il y a davantage dans la lettre. Le pape exhorte les évêques officiels qui ont été reconnus par le Saint-Siège à rendre publique la légitimation obtenue, ce qui apparemment ne s’est pas fait assez ouvertement par le passé. Il n’adresse pas un avertissement aux évêques qui ont été ordonnés sans nomination par le pape, mais il leur demande de régulariser maintenant leur relation avec Pierre. Les évêques clandestins sont encouragés à solliciter leur reconnaissance par les autorités civiles. Une Eglise clandestine « n’est pas une situation normale et durable » pour l’Eglise catholique, dit le pape. Tous les évêques devraient maintenant s’unir afin que Rome puisse enfin reconnaître officiellement la Conférence des évêques de Chine qui existe déjà. Ce qui ne peut se faire aujourd’hui étant donné que les évêques clandestins n’en sont pas membres et que quelques autres membres de la Conférence ne sont pas reconnus par Rome.

 

La lettre pastorale touche ici un point extrêmement délicat de la relation Eglise-Etat. La lettre suggère que les statuts actuels de la Conférence des évêques de Chine doivent être amendés. Dans la situation actuelle, un « organisme voulu par l’Etat » – allusion claire à l’Association patriotique – est placé au-dessus des évêques et prend des décisions pastorales importantes, dont certaines concernent même la nomination des évêques. En agissant de la sorte, cet organisme gouverne en fait l’Eglise. Cette situation supprime l’autorité des évêques, ce qui s’oppose à l’enseignement catholique : « Seule une Conférence épiscopale légitime peut formuler des orientations pastorales, valables pour la totalité de la communauté catholique du pays concerné. »

 

La lettre pastorale contient davantage de directives pastorales concrètes que beaucoup d’entre nous l’avaient prévu, mais toutes sont importantes et précieuses. L’Eglise en Chine en a un pressant besoin et elles sont prévues par le Droit canon. Il est rappelé aux prêtres qu’ils doivent être incardinés dans un diocèse bien défini. Les diocèses qui n’ont qu’un petit nombre de prêtres et qui trouvent difficilement un candidat-évêque idoine sont invités à faire appel à des évêques voisins pour trouver d’autres candidats. Il est rappelé aux évêques qu’ils doivent mettre en place dans leur diocèse les instruments indispensables de collaboration et de dialogue dans le travail pastoral, tels que : la curie diocésaine, le conseil presbytéral, le collège des consulteurs, le conseil pastoral diocésain, le conseil économique. La lettre évoque même l’importance d’enregistrer les propriétés de l’Eglise au nom de l’Eglise et non pas au nom de personnes individuelles. Tout ceci montre combien le Saint-Siège est informé des besoins concrets de l’Eglise en Chine et en porte le souci.

 

Le pape plaide pour le principe de la séparation entre l’Eglise et l’Etat, une relation « dans la vérité et l’amour » qui ne peut exister que par un dialogue ouvert. Cependant, il avance certains points qui pour l’Eglise ne sont pas discutables. Le projet d’une Eglise « indépendante » du Saint-Siège est incompatible avec la doctrine catholique. Le principe selon lequel les évêques doivent être nommés par le successeur de Pierre est crucial pour l’Eglise, car seules les nominations effectuées par le pape garantissent l’unité de l’Eglise et la succession apostolique des évêques. Ces nominations n’ont absolument aucun caractère politique. Le pape se réfère à des documents reconnus au plan international qui établissent que la nomination des évêques catholiques par le pape fait partie de la vraie liberté de religion.

 

Aux yeux de certains lecteurs, la lettre peut donner l’impression d’être « trop claire » et « trop explicite » et de ne laisser aucune matière à discussion ou à explicitation pour le dialogue avec des diplomates. Telle est l’opinion de certains amis en Chine qui soulignent qu’en Chine on doit laisser quelques points en vue d’une négociation à venir. Mais ici le problème est aussi que des années de discussion ont créé le désarroi sur des matières et des principes qui sont cruciaux pour l’Eglise. De même que des directives pastorales étaient urgentes pour l’Eglise de Chine, de même aussi il y a nécessité de dire clairement ce qui est ou n’est pas discutable concernant les relations entre l’Eglise et l’Etat. Laisser ces matières dans l’incertitude aurait à coup sûr suscité la critique. Mais le pape ne cesse de redire son espoir et sa confiance que, par le dialogue, toutes les questions peuvent être éclairées et faire l’objet d’un accord. Et le pape donne en exemple concret les nouvelles divisions des diocèses qui ont été établies par les autorités civiles au cours des cinquante dernières années et qui n’ont jamais été avalisées par Rome. Le pape affirme que ceci peut être discuté dans la mesure où cela est opportun et utile.

 

Le début d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’Eglise catholique de Chine

 

Avec la lettre dans laquelle le pape Jean-Paul II présentait ses excuses pour ce qui s’était passé au XIXe siècle, la présente lettre pastorale est indubitablement le document le plus important et historique jamais écrit par Rome à l’adresse de l’Eglise de Chine. Les mots-clefs sont : réconciliation, unité et dialogue. En aucun endroit de cette lettre, le pape n’invite à l’affrontement. Cette lettre ouvre une nouvelle phase dans l’histoire de l’Eglise catholique de Chine, marquée par la réconciliation et l’unité au sein de l’Eglise et par le dialogue avec les autorités civiles sur la base de l’égalité et du respect mutuel.