La moralité des gens est en déclin et ces dernières années, le bouddhisme n’a fait que s’affaiblir de manière continue, du fait, en partie, d’une menace provenant de l’extérieur. En conséquence, de nombreux bouddhistes estiment que le moment est venu de promouvoir leur religion afin qu’elle reprenne de son importance au plan national. L’une des mesures pour y parvenir est d’exiger que la nouvelle Constitution déclare le bouddhisme religion d’Etat.<br />Il est très difficile de nier que, par le passé, le bouddhisme a eu des liens très étroits avec la nation et la culture. Toutefois, aujourd’hui, la Thaïlande est en train de s’éloigner de l’enseignement du bouddhisme. En sont la preuve l’expansion de la criminalité, de la corruption, le problème de la violence dans les familles, en particulier envers les femmes et les enfants, l’obsession du jeu et du sexe, l’attachement aux biens matériels, la dévotion à l’argent au point d’en faire des offrandes et d’avoir recours aux pratiques magiques qui sont devenues un commerce florissant. Tout ceci rend septique et amène à s’interroger si le bouddhisme est encore la religion de la nation thaïlandaise ou non.<br />Ce n’est pas un mal mais plutôt un bien que nous nous efforcions de faire de sorte que la religion bouddhique redevienne religion d’Etat. Mais cela n’a aucune chance de se réaliser en ajoutant simplement un article dans la Constitution. Au contraire, cela ne fera qu’augmenter les soupçons chez les étrangers et les membres des autres religions. Ils se demanderont : puisque le bouddhisme est religion d’Etat, quelle est la raison de la baisse de moralité en Thaïlande ? Pourquoi le bouddhisme n’a pas œuvré pour que les Thaïlandais aient un niveau de moralité plus élevé ?<br />Si nous voulons que le bouddhisme redevienne réellement la religion de la nation thaïlandaise, il n’existe qu’un seul moyen : faire en sorte qu’il redevienne une religion qui s’enracine au plus profond de l’être. Il faudrait que les bouddhistes mobilisent toutes leurs forces pour que le bouddhisme comme religion enracinée au plus profond de l’être devienne réalité. Mais pour cela, il faut avoir recours à un grand nombre de mesures et non pas se contenter de la prédication et de l’enseignement. Ces mesures devraient être encouragées par l’Etat, par exemple en promulguant des lois, en procurant une aide budgétaire et du personnel. Le rôle de l’Etat est cependant moins important que celui de la communauté des bonzes et du peuple. Inscrire dans la Constitution que le bouddhisme est religion d’Etat pourrait être une condition obligeant l’Etat à soutenir vraiment le bouddhisme mais cependant, pas au point de faire bouger la communauté des bonzes et d’amener le peuple à faire quelque chose en faveur du bouddhisme.<br />Il est courant de penser que si le bouddhisme est en décadence aujourd’hui, c’est à cause du laisser aller et de l’indifférence de l’Etat. De ce fait, si l’Etat l’encourageait et l’aidait davantage, le bouddhisme se développerait et ne serait pas faible et chancelant comme il l’est actuellement. D’aucuns demandent avec instance que l’Etat affecte un budget plus élevé aux institutions et aux activités du bouddhisme. La question qui se pose est de savoir si les institutions bouddhiques manquent de moyens financiers. La réponse est qu’elles n’en manquent pas. Les sommes d’argent que les institutions de la communauté des bonzes et les pagodes reçoivent du peuple croyant sont énormes. La question suivante est celle-ci : à quoi sont utilisées ces sommes d’argent ? La réponse est qu’une grande partie de ces sommes sont dépensées en biens matériels, plus précisément pour les constructions. Des milliards sont utilisés pour construire de belles pagodes et autres bâtiments religieux. Mais, en même temps, on manque d’argent pour la formation des bonzes et des novices et pour l’éducation morale de la jeunesse. Dans certaines villes, il n’y a pas même assez d’argent pour subvenir à la nourriture dans les écoles de formation des novices. Quand certaines pagodes possèdent des moyens financiers qui se comptent par millions, un nombre important de pagodes du pays restent pauvres (même si les villages et les agglomérations qui entourent ces pagodes ont les moyens de promouvoir les vices que sont les jeux et l’alcool).<br />Les problèmes les plus importants ne sont pas le manque d’argent ou la négligence de l’Etat ; mais plutôt le fait que les milieux bouddhistes à tous les niveaux n’ont pas conscience du problème qui est en train de se poser au bouddhisme, à savoir le manque de collaboration des bouddhistes pour raviver le bouddhisme dans le cœur des gens. Réfléchissez donc bien et vous verrez combien il serait bénéfique au bouddhisme si toutes les pagodes riches se montraient généreuses envers les pagodes pauvres, pour promouvoir l’éducation et la formation des bonzes et des novices des campagnes ou encore en envoyant du personnel pour aider dans l’enseignement. Quant au peuple, il comprendrait la valeur de la formation des bonzes et des novices au lieu de s’en désintéresser et de ne penser qu’aux constructions car avec ces dernières, il espère que cela lui apportera chance et bonne fortune.<br />Il est vrai que les gouvernements précédents ne se sont pas intéressés autant qu’ils l’auraient dû aux problèmes du bouddhisme. Malgré cela, la situation du bouddhisme n’était pas si décevante qu’aujourd’hui. Si toutes les instances responsables prenaient conscience de leurs responsabilités, à commencer par le Conseil des Anciens, elles se rendraient compte que la formation des bonzes se trouve actuellement dans un état critique. La communauté des bonzes n’a pas vraiment fait tous les efforts nécessaires pour que les bonzes et les novices reçoivent une formation complète ; au contraire, il en a laissé la responsabilité aux différentes pagodes. Ce Conseil se contente de faire passer les examens. Bien qu’il y ait des voix qui s’élèvent pour réclamer la réforme de la formation des bonzes, en pratique, rien n’a été encore fait en ce sens alors que le Conseil des Anciens en est directement responsable. Même si l’Etat s’y impliquait vraiment, il lui serait difficile d’améliorer la qualité de la formation des bonzes… Et encore, nous ne parlons pas de la réforme de la manière de gouverner la communauté des bonzes. Le gouvernement a bien formulé un nouveau projet de loi concernant cette réforme, mais ce projet est resté en suspens tout simplement du fait de l’opposition de la communauté des bonzes, le Conseil des Anciens se plaçant au-dessus des débats.<br />Les pressions exercées pour insérer un article dans la Constitution décrétant le bouddhisme religion d’Etat trouve son origine dans le fait que les gens se figurent que le bouddhisme sera prospère ou non dépendant avant tout de l’Etat. Mais en réalité l’Etat n’est qu’un facteur qui peut y contribuer. Mais le facteur fondamental de cette prospérité réside dans la communauté des bonzes et dans le peuple. Si ces deux instances ne bougent pas, l’Etat pourra s’efforcer de faire tout ce qu’il peut, comme dans le cas de la réforme de la formation des bonzes ou dans d’autres circonstances, il n’aboutira à rien ; surtout quand il s’agit de problèmes fondamentaux tels que celui de l’interdiction de l’alcool dans l’enceinte des pagodes alors que l’alcool et le bouddhisme s’excluent mutuellement. Mais de nos jours, la consommation d’alcool lors de la fête des offrandes de vêtements aux bonzes, de la fête de la pagode ou à l’occasion des crémations est devenue pratique courante dans de nombreuses pagodes à travers tout le pays. Ce genre de problème, il n’y a que les bonzes et les résidents des villages qui peuvent le résoudre. Cependant, beaucoup de pagodes ne le peuvent pas dans les faits pour la bonne raison que les pagodes manquent d’autorité et que le peuple ne s’y intéresse pas. La question qui se pose est alors la suivante : si le bouddhisme devient religion d’Etat, est-ce que l’alcool disparaîtra de l’enceinte des pagodes ?<br />Ce dont on a parlé jusqu’ici ne concerne que le problème des bonzes. Le problème du bouddhisme englobe aussi celui de la baisse de la moralité et de la qualité de la vie du peuple. Quel que soit son pouvoir, l’Etat n’a pas la capacité de faire du bouddhisme une religion enracinée au plus profond de l’être des gens. Tout au plus, il peut obliger les gens à étudier davantage les cours de morale. L’expérience du passé prouve néanmoins que ces cours n’améliorent pas du tout leur moralité. Mais évoquer le rôle de l’Etat de la sorte ne veut pas dire qu’il est inutile ou qu’il manque de capacités. Il peut encore intervenir sur plusieurs plans, mais au lieu de penser à faire étudier davantage les préceptes de la morale ou à écouter davantage les prêches des bonzes, l’Etat devrait s’efforcer de consolider les familles et les communautés. Dans le passé, la famille et la communauté ont été des institutions très importantes au point de vue de la transmission des valeurs morales. Mais de nos jours, elles se sont affaiblies au point de n’être plus capables de tenir ce rôle comme jadis. La mise en place de mécanismes sur le plan institutionnel et légal pour renforcer la solidité de la famille et des communautés – par exemple, donner aux parents la possibilité d’être plus longtemps avec leurs enfants – est une chose qui pourrait aider à relever le niveau moral des personnes. Promouvoir une réforme des médias pour qu’ils se libèrent de l’influence de l’idéologie de la consommation est une mesure parmi d’autres que l’Etat pourrait prendre. Mais toutes ces mesures sont envisageables sans qu’il soit nécessaire de devoir inscrire dans la Constitution que le bouddhisme est religion d’Etat.<br />Introduire dans la Constitution un article décrétant que le bouddhisme est religion d’Etat, ne permettra pas, d’une part, de faire du bouddhisme une religion enracinée au fond de l’être, mais, d’autre part, cela aura pour conséquence de ne pas résoudre véritablement les problèmes auxquels les milieux bouddhistes sont confrontés. Car c’est mettre là trop d’espoir dans l’Etat au point de ne dépendre et de ne compter que sur lui, au lieu de faire collaborer la communauté des bonzes et le peuple dans la recherche de solutions avec l’encouragement de l’Etat.<br />De plus, faire du bouddhisme la religion d’Etat pourrait bien être la source de nombreux problèmes par la suite, la division des religions étant un problème dont on parle beaucoup actuellement. Ce problème ne se poserait pas si tous les adeptes vivaient leur religion avec un esprit ouvert. Mais la situation actuelle ne nous permet pas de parler de cette manière avec assurance, car l’attachement à son point de vue ne permet pas d’accepter des opinions différentes de la sienne. Cela se voit partout, spécialement lorsque l’influence de l’idéologie nationaliste s’en mêle. Par exemple, maudire ou menacer ceux qui pensent que l’inscription sur une stèle, attribuée à Ramkhamheng ne serait pas son œuvre, ceux qui doutent que Khun Hing Mo ait été l’héroïne que l’on pense, ou encore ceux qui soutiennent qu’on ne devrait pas interdire aux femmes d’entrer dans l’enceinte des stupas qui contiennent des reliques – une accusation très répandue assure que ces gens-là « ne sont pas des Thaïs ». Ces réactions sont très répandues aujourd’hui, au point de mettre en doute la tolérance d’un certain nombre de Thaïlandais.<br />Cette question concerne notre débat car si la religion bouddhiste vient à être inscrite dans la Constitution, on arrivera facilement à penser que si on est Thaïlandais, on doit être bouddhiste. Etre attaché à cette idée en manquant de tolérance, pourrait susciter des conflits avec les membres d’autres religions ainsi qu’entre membres d’une même religion, mais avec des opinions différentes. Par exemple, les accuser de ne pas être Thaïlandais, ou encore, réclamer que l’Etat prenne des mesures qui soient positives à l’égard du bouddhisme pourrait avoir des conséquences négatives pour les autres religions en arguant que le bouddhisme est thaïlandais. On ne peut certes nier que l’attachement à une religion, sans tolérance envers les autres, est seulement le fait de certains bouddhistes. C’est aussi le fait de certains musulmans. Même s’ils ne représentent qu’une petite minorité, ils peuvent créer de sérieux problèmes à la majorité des croyants, comme c’est le cas actuellement dans les provinces frontalières du sud du pays.<br />Peu importe les différences d’opinions, la tolérance est une nécessité que l’on soit pour ou contre l’inscription du bouddhisme dans la Constitution. Par conséquent, il faudrait éviter de s’accuser et de se condamner mutuellement, particulièrement lorsque les deux parties en question se disent bouddhistes. Pour le moins, on ne devrait pas entrer en conflit et se haïr mutuellement car c’est par cette attitude intérieure que l’on reconnaîtra que nous sommes de véritables bouddhistes et que le bouddhisme est enraciné au plus profond du cœur de l’homme.<br /><br /><br />