Eglises d'Asie – Birmanie
Longtemps instrumentalisée par la junte au pouvoir, la sangha, la communauté monastique bouddhiste, s’est retournée contre les militaires
Publié le 18/03/2010
L’engagement en politique des bonzes bouddhistes est un fait avéré. Que ce soit dans la lutte contre le colonisateur britannique pour obtenir l’indépendance en 1948 ou, plus récemment, lors des grandes manifestations de l’été 1988 puis, deux années plus tard, au moment de la « révolte des jeunes bonzes » à Mandalay, après la victoire électorale de la Ligue nationale pour la démocratie, les bonzes ont joué un rôle politique. Dans ce pays où la population ethniquement birmane (75 % des habitants du pays) est profondément bouddhiste, adepte du bouddhisme Theravada (dit du Petit Véhicule), les bonzes n’ont pas vocation à faire de la politique, ni même à s’impliquer dans l’action sociale ou caritative, mais, étant en contact quotidien avec la population, ils se trouvent au cœur de la vie sociale.
De ce fait, les généraux au pouvoir en Birmanie depuis le coup d’Etat du 2 mars 1962 ont toujours eu à cœur de contrôler les bonzes. Bien que portés au départ par des idéaux socialisants, les généraux n’ont pas, contrairement à d’autres régimes communistes ou militaires comme le Vietnam par exemple, considéré que le bouddhisme ou les religions de manière générale présentaient en soi une menace. « Les moines sont considérés comme dangereux mais le bouddhisme est vu comme un instrument pour contrôler le pays », expliquait un observateur, en 1996, dans les colonnes d’Eglises d’Asie (2).
La communauté monastique, la sangha, a ainsi fait l’objet d’une attention constante de la part des militaires au pouvoir, dont la conduite a été de manier en même temps la carotte et le bâton. Le bâton car le régime n’a jamais hésité à fermer les pagodes frondeuses ni à emprisonner les moines affichant leur opposition au régime en place. La carotte car les généraux, très conscients de la ferveur religieuse de la population, se sont toujours impliqués activement dans l’organisation d’activités bouddhistes. Les dirigeants de la junte et leurs épouses s’affichent comme des bouddhistes pieux et des protecteurs du bouddhisme birman, multipliant les offrandes aux pagodes et aux monastères d’enseignement pour s’inscrire dans la lignée des monarques d’antan qui se conformaient aux commandements du Bouddha.
Un exemple parlant de cette volonté d’exploiter pour son propre compte le sentiment religieux des Birmans a été la fabrication et l’acheminement à Rangoun du « Roi du Dhamma », une statue de bouddha de près de 12 mètres de haut, sculptée dans un énorme bloc de marbre près de Mandalay (3). Entre le 9 juillet et le 9 août 2000 (le 9 est le chiffre fétiche de la junte), cette statue colossale de 680 tonnes a descendu le fleuve Irrawaddy sur une barge, s’arrêtant dans les chefs lieux de districts où ont été organisées des cérémonies grandioses présidées par des membres de la junte. A chaque étape, les fidèles étaient réquisitionnés pour assister aux rites et faire des donations afin de financer la coûteuse entreprise. La statue se trouve actuellement dans une pagode proche de l’aéroport Mingaladon, près de Rangoun. Sur les fresques murales, on y voit de manière révélatrice bonzes et militaires en uniformes se mêler les uns aux autres.
Face à cet encadrement des activités religieuses par les militaires, les moines qui ne font pas cause commune avec le pouvoir n’ont comme seule arme que de refuser les aumônes du régime et de ses partisans. En 1990, les moines engagés dans le mouvement en faveur de la démocratie avaient menacé de procéder à un « patam nikkujjana kamma », ce refus des aumônes, de la prédication et des rites religieux, qui expose le bienfaiteur dont le don est refusé à se voir condamner à demeurer dans le cycle des réincarnations. On a vu, lors des manifestations de ces derniers jours, que ce geste avait été à nouveau utilisé par des moines. Au-delà, un engagement plus directement politique n’est pas à exclure. En 1996, dans une interview au Bangkok Post, Aung San Suu Kyi déclarait : « La tradition d’engage-ment des moines dans la politique est très ancienne et ne disparaîtra pas facilement. Elle se manifeste plus ou moins ouvertement selon les circonstances et elle peut se réfugier dans la clandestinité » (4).