Eglises d'Asie

La répression s’est abattue sur les manifestants au moment même où les Eglises chrétiennes appelaient leurs fidèles à une semaine de prières « pour la paix et la réconciliation dans le pays »

Publié le 18/03/2010




Dans ce pays de 47 millions d’habitants, à 90 % bouddhistes, il est rare que les Eglises chrétiennes, qui rassemblent 4 % de la population et sont implantées quasi exclusivement parmi les minorités ethniques de l’« Union de Myanmar » (1), s’adressent à la junte au pouvoir depuis 1962 et particulièrement à son chef, le général Than Shwe. C’est pourtant ce qu’elles ont fait le 28 septembre dernier, deux jours après le déclenchement de la répression des manifestations populaires emmenées par les moines bouddhistes (2).

Par une lettre signée de Mgr Charles Bo, archevêque de Rangoun et secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Myanmar, et de Mgr Samuel Mahn San Si Htay, archevêque anglican et président du Conseil des Eglises (protestantes) du Myanmar, les chefs des Eglises chrétiennes du pays en appellent à « l’amour paternel » du chef de la junte pour qu’« une solution pacifique » émerge afin que prévalent « la paix, la stabilité et la non-violence », qui sont tant « désirées par la population ».

Mgr Charles Bo et Mgr Samuel Mahn San Si Htay écrivent que, chaque année depuis cinq ans, l’Eglise catholique (630 000 fidèles) et les Eglises protestantes (2 à 3 % de la population) appellent leurs fidèles à une semaine de prières en commun « pour la paix et la réconciliation dans le pays ». La cruelle ironie de l’histoire fait que, cette année, ces sept jours de prière sont tombés du 28 septembre au 4 octobre, moment même où la répression des forces armées s’abattait sur les manifestants pacifiques de ces dernières semaines. « Tous, parmi nous – archevêques, évêques, prêtres, pasteurs, leaders religieux chrétiens –, sommes inquiets de la situation et de l’état de choc du pays », expliquent les deux archevêques. « Tous les habitants du Myanmar se dévouent profondément à leur religion et vivent en vérité selon les enseignements de leurs religions respectives, fondés sur l’amour, la vérité, la justice, la droiture, le pardon et la réconciliation », poursuivent-ils.

Deux jours auparavant, le 26 septembre, tandis que les manifestations avaient atteint un sommet – avec quelque 100 000 moines et citoyens dans les rues de Rangoun –, Mgr Charles Bo avait, au nom de la Conférence épiscopale, rendu public un communiqué pour déclarer que, selon le droit canon et la doctrine sociale de l’Eglise, il n’appartenait pas aux prêtres et aux religieux catholiques de s’impliquer dans la vie des partis politiques ou de descendre dans la rue. Toutefois, les laïcs, « en tant que citoyens du pays, sont libres d’agir s’ils estiment pouvoir le faire » ; en ce cas, « le clergé et les religieux peuvent les conseiller comme il se doit ».

Depuis que la répression s’est durcie à Rangoun et dans les grandes villes du pays et que les communications sont rendues plus difficiles du fait des mesures prises par les militaires, il n’est pas possible de dire avec certitude si des chrétiens ont pu se joindre au mouvement de protestation des jeunes bonzes bouddhistes et de la population. Les témoignages venus de Rangoun font état d’un retour à la vie normale le jour, mais la nuit d’une poursuite des opérations de police et des arrestations.

Selon Democratic Voice of Burma, station de radio basée en Norvège et animée par des dissidents généralement bien informés, les mauvais traitements dans les centres de détention, qu’ils soient improvisés comme à l’Institut technique de Rangoun ou déjà en place, sont la norme. « Ils battent tout le monde, y compris les femmes et les jeunes filles », a témoigné une personne détenue puis remise en liberté. La junte a annoncé que dix personnes avaient été tuées et 2 100 arrêtées, dont 700 ont été depuis relâchées. Les diplomates occidentaux en poste à Rangoun estiment que le nombre des tués est bien supérieur et qu’au moins 6 000 personnes ont été arrêtées, dont de très nombreux bonzes. Au moins un détenu, U Than Aung, âgé de 48 ans, est mort en détention, le 30 septembre, à Rangoun.

Sur le plan politique, les généraux semblent vouloir manier aussi bien la carotte que le bâton. Tandis que la répression se poursuit, les militaires ont donné une forte publicité aux offrandes faites à certains moines ; le 8 octobre, un général a été nommé pour assurer « la liaison » avec Mme Aung San Suu Kyi, la figure emblématique de l’opposition au pouvoir en place. Des gestes qui, selon les analystes, s’apparentaient plus à une opération de communication qu’à un changement d’orientation. Le Conseil de sécurité de l’ONU est, quant à lui, parvenu, le 11 octobre, à surmonter ses divisions pour voter un texte appelant à la libération des prisonniers politiques et à l’ouverture « sans délai d’un dialogue avec les dirigeants de tous les groupes politiques et ethniques en vue d’un processus complet de réconciliation nationale ». Présentée par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, la résolution, non contraignante, a fini par être votée par la Russie et la Chine.