Eglises d'Asie

Supplément EDA 1/2008 : Bible et culture chinoise

Publié le 09/09/2010




Face aux 5 000 ans d’histoire de la Chine, la Bible fait figure de nouveau venu dans le monde culturel chinois. Présente en Chine – pour ce que nous en savons – depuis quatre ou cinq siècles, elle progresse cependant à grands pas : dans les décennies qui ont suivi le concile Vatican II, la dissémination de la Parole a pris une nouvelle dimension, écrit Sœur Maria Ko.

L’enjeu actuel est l’interpénétration de la Parole vivante et de la culture chinoise.

 

Huang Shangu, un lettré de la dynastie Song, était connu pour avoir dit au sujet de la lecture : « Si votre cœur n’est pas arrosé par les écrits anciens et modernes, votre vie se passe dans l’ombre. Si vous vous regardez dans un miroir, vous verrez un visage laid et votre conversation n’aura aucune saveur. » Comprenons que la lecture forme notre esprit, élève nos pensées, accroît notre sagesse et nourrit nos vies.

Les Chinois prônent la lecture et admirent profondément « ceux qui lisent ». Ils respectent vraiment les familles de lettrés. On a l’habitude de dire, au sein du peuple, que « dans les livres, il y a des salles en or et de jolis visages ». On peut réussir une vie bien remplie avec des livres. A un niveau plus élevé, on peut dire que celui qui lit beaucoup étend ses connaissances, élargit sa vision, échappe à l’ennui et à la claustration, connaît l’ampleur de l’univers, comprend l’étendue de l’histoire, perce les mystères de la vie, met ses pas dans ceux des anciens et devient l’ami des intellectuels et des savants.

Les livres à lire pour les Chinois sont innombrables, les Quatre Livres et les Cinq Classiques, les livres d’histoire, les collections de poèmes et de chants, les essais et les romans, les livres qui renferment la sagesse de milliers d’années. Si l’on prend les œuvres de chaque école dans chaque domaine de la connaissance, des sciences et des arts, avec tous les trésors qu’ils contiennent, il est impossible de les lire tous.

Dans le domaine religieux, les livres et les classiques ont une immense importance. Considérons seulement comment le bouddhisme s’est implanté dans notre pays. Les prêtres de la dynastie Tang, comme Xuan Zang et bien d’autres, ont dépensé une énergie considérable, ils ont enduré de nombreuses souffrances pour aller en Inde et rapporter les classiques bouddhiques, qu’ils ont ensuite étudiés, traduits et commentés. Leur travail a eu un profond impact sur notre pays. Il a permis au bouddhisme de s’y enraciner, de s’y développer et de s’y répandre largement et en profondeur.

On pourrait se demander, s’agissant de l’histoire de l’introduction de la religion catholique en Chine, quel rôle les classiques chrétiens – la Bible – ont joué. Dans un pays où les classiques sont les piliers de la culture et où on attache une grande importance aux mots et aux livres, quelle place tient la Bible dans la communauté chrétienne ?

1.) L’expansion de la Bible en Chine

La Bible chrétienne est un livre qui peut « se développer » et « se répandre ». Saint Paul a parlé de « la Parole de Dieu qui va de l’avant » (2 Th 3,1) et saint Luc a également cité « la Parole de Dieu qui se répand » (Ac 6,7 ; 12,24 ; 13,49 ; 19,20). Bien sûr, après que la Bible a pris forme, on ne peut y changer un mot, ni y ajouter quoique ce soit. Pourtant, sa signification, son action, la grande expansion de son enseignement et la profondeur de son influence n’ont cessé de croître avec le temps. Par ceux qui ont été témoins et y ont consacré leur vie, nous réalisons que la crédibilité et la véracité de la Parole augmentent continuellement. Par les recherches sur les Ecritures qu’ont réalisées les lettrés et les théologiens, nous voyons que la Parole peut pénétrer profondément dans un cœur. Et par la liturgie, le travail pastoral et la vie spirituelle, nous voyons que la Parole secrète sa propre énergie. Grégoire le Grand a eu ce mot merveilleux : « Les Ecritures grandissent en étant lues. » Depuis le moment où elle a été écrite et pour les vingt siècles qui ont suivi, la diffusion de la Bible a été prodigieuse. Elle a été traduite en 2 000 langues. Elle a baigné toute la culture occidentale. Elle a pris toutes les formes, chants, danses, musiques, films, peintures et sculptures. Elle est devenue le « symbole de base » de la littérature et des arts occidentaux et enfin, elle a influencé de nombreuses branches de la pensée philosophique et également les perspectives sur la vie.

La Bible ne s’est répandue en Chine que depuis quatre ou cinq siècles. C’est une période très courte, comparée aux 5 000 ans de l’histoire de la Chine. Mais on ne peut nier qu’après sa diffusion en Chine, la Bible se soit également développée dans les vastes espaces de ce pays. Au début, ce développement a été très lent. Mais, dans les décennies qui ont suivi le concile Vatican II, la dissémination de la Parole a pris une autre dimension, passant de petites étapes aux grands sauts.

a.) Les premiers temps de l’évangélisation

Du XVIe au XVIIIe siècle, la religion catholique a marqué des progrès graduels en Chine. Ce n’était qu’une période préliminaire après le concile de Trente. Comme le reste de l’Eglise, les missionnaires pensaient que la Bible devait être lue avec beaucoup d’attention. Ils tenaient que, pour éviter les incompréhensions, il n’était pas nécessaire que les catholiques lisent directement la Bible. Pour être chrétien, le livre à lire n’était pas la Bible, mais le Catéchisme. Il est fort possible que les missionnaires n’aient même pas emmenés avec eux leur Bible en Chine. Comme partout en Occident, les missionnaires ne lisaient très vraisemblablement les Ecritures que lorsqu’ils célébraient la messe. Ils n’entraient pas en contact direct avec la totalité de la Bible. Ainsi, pour les catholiques en Chine, ce qui plaisait le plus aux gens étaient les missionnaires savants, les grandes églises, les communautés soudées, l’efficacité maximale, les grandes œuvres charitables, les liturgies exceptionnelles et les rituels religieux. Ce n’était pas les Ecritures, ni la littérature religieuse. Les catholiques ignoraient totalement que la Bible était le fondement et la source de leur foi. La majorité de ces catholiques était plus à l’aise avec leur livre de prières et leur Catéchisme qu’avec la Bible.

La Bible n’a été traduite en chinois que tardivement. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, peu après que le protestantisme se soit développé en Chine, il y avait plusieurs versions de la Bible en chinois. Mais bien que le pape Paul V ait donné, dès 1615, la permission de traduire la Bible en chinois, ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que le Studium Biblicum, à Hongkong, a traduit et diffusé aux catholiques la Bible en chinois, qui alors est devenue d’usage plus courant.

Cependant, la traduction tardive de la Bible et son manque d’usage direct ne doivent pas signifier qu’elle n’a pas un rôle important à jouer dans le développement de l’Eglise catholique en Chine. En fait, les premiers missionnaires en faisaient grand usage, que ce soit dans l’évangélisation, dans l’enseignement du catéchisme ou dans leurs sermons. Ainsi, nombre de chrétiens, même s’ils ne lisaient pas directement la Bible, devinrent très familiers, par tradition orale, avec les histoires de la Bible et avec leur signification. Des missionnaires écrivirent également des livres sur les hauts faits de la Bible, particulièrement sur ce que fit Jésus durant sa vie. Les chrétiens aimaient entendre ou lire ce genre d’histoires. En 1635, le jésuite missionnaire Giulio Aleni écrivit un livre intitulé Le Récit des Gestes et des Paroles du Dieu Incarné, qui, sous la forme d’une biographie de Jésus, reprenait le contenu des quatre Evangiles. Dans les deux siècles suivants, des « explications directes » ou des « brèves explications » de la Bible étaient régulièrement publiées, dans différents contextes, soit liturgique, spirituel ou pastoral.

b.) Les développements après le concile Vatican II

Après le concile Vatican II, toute l’Eglise se trouva renouvelée. D’une part, elle retournait à ses sources, d’autre part, elle s’ouvrait au monde, pour apporter l’Evangile à la société moderne. L’Evangile prit une importance considérable dans la vie de l’Eglise et dans les consciences. La Constitution dogmatique sur la Révélation divine (DCDR) de Vatican II indique que la Bible est une conversation entre Dieu et les hommes. C’est un contact d’amour qui se manifeste entre Dieu et les hommes. « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler et de faire connaître le mystère de sa volonté (…). Par cette révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes comme à des amis, dans la plénitude de son amour » (DCDR, par 2). Le Dieu des chrétiens est le Dieu qui a créé les hommes et les femmes, les aime et est heureux de communiquer avec eux. Il se fait connaître à eux et cela leur permet de reconnaître et d’apprécier plus intensément leur valeur et le sens de leur vie.

L’Eglise tout au long de sa vie trouve sa vie et sa nourriture dans la Bible. Elle croit ainsi fortement que « la force et le pouvoir de la Parole de Dieu sont tels qu’ils soutiennent l’Eglise et lui donne sa vigueur, qu’ils renforcent la foi de ses enfants, sont la nourriture de leur âme, la fontaine jaillissante de leur vie spirituelle » (DCDR, para. 6). Il faut donc que tous les chrétiens soient en contact direct avec les Ecritures.

La révélation contenue dans la Bible n’est pas abstraite. Elle est réelle, elle a eu lieu dans l’histoire et elle peut être vécue, expérimentée. Dans la conversation entre Dieu et les hommes, ces derniers peuvent prendre conscience du plan de salut de Dieu dans chaque passage et dans chaque citation. Cette révélation ne reste pas au niveau d’un message dont on prendrait connaissance, mais elle amène les hommes à « réaliser la bonté de Dieu » (DCDR, para. 6), elle met en communion le ciel et la terre et les hommes avec Dieu dans un contact d’amour. Le but ultime de la lecture des Ecritures n’est pas la compréhension de ses phrases, mais plutôt comme le disait Grégoire le Grand : « Lire les Saintes Ecritures revient à connaître le cœur du Seigneur à travers ses Paroles. » L’idée de pénétrer dans le cœur du Seigneur, en lisant sa parole fait fermement partie de la tradition de l’Eglise. Les premiers Pères de l’Eglise insistaient beaucoup sur ce concept. Les paroles dites ou écrites ne sont pas absolues ; les livres ne sont, en dernier ressort, qu’un moyen de communiquer. Ils sont utiles pour exprimer les désirs du cœur, pour communiquer les émotions, pour évangéliser, ou pour révéler ses pensées et ses sentiments. La Bible ne fait pas exception. Mais, dans le langage limité de l’homme, elle transmet à l’infini les paroles de Dieu. On peut dire de chaque mot et de chaque phrase qu’ils sont transcendants, dans la mesure où leur contenu est sans limite, cachant un pouvoir mystérieux et insondable ainsi que la marque de la rencontre de Dieu avec les hommes. L’Eglise insiste maintenant de plus en plus sur ce point : on ne peut pas simplement étudier de manière littéraire des « explications » ou des « interprétations » de la Bible, on doit arriver à une « communion » et à un « contact », c’est-à-dire à une communication avec Dieu, qui parle aux hommes. Le lecteur des Ecritures doit avoir « l’esprit du Christ » (Cor. 1 2,16), « l’esprit qui était aussi dans le Christ Jésus » (Phil. 2,5) et il doit trouver cette sorte d’accord implicite qui vient d’une « rencontre des âmes ».

Avant de monter aux cieux, Jésus fit cette promesse : « J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pourriez pas le comprendre maintenant. Quand il viendra, l’Esprit de Vérité vous guidera à toute la vérité » (Jn 16,12-13). Tout le processus de la révélation, d’abord annoncée puis écrite pour devenir finalement un livre, tout ce processus a été fait sous la conduite de l’Esprit Saint. Saint Paul nous dit avec clarté que toute l’Ecriture « a été réalisé sous l’inspiration de Dieu » (2 Tm 3,16). Ce mot « inspiration », que ce soit en grec ou en latin, est entièrement contenu dans la notion de « respiration ». Dans les Ecritures, il y a le souffle de l’Esprit. C’est une force qui pousse l’homme à devenir bon, qui le guide vers une entité totale (2 Tm 3,16) qui l’aide à « obtenir la sagesse du salut » (2 Tm 3,15). La Bible a été écrite sous l’inspiration, absorbant le souffle de l’Esprit. Ce souffle s’est ensuite propagé partout avec vigueur, jusqu’au lecteur, lui apportant la révélation. Ainsi, Origène a-t-il pu dire qu’à la lecture des Ecritures, l’Esprit ne peut qu’être présent pour aider le lecteur, parce que lire les Ecritures, c’est réellement « écouter les Paroles du Saint Esprit, avec le sens qu’Il leur a donné ». Le pape Pie XII disait aussi dans son encyclique Divino Afflante Spiritu : « Si nous voulons comprendre et interpréter le sens de la Bible, le Saint Esprit doit descendre sur nous et nous donner sa lumière et sa grâce. » L’inspiration a été l’œuvre de l’Esprit quand la Bible a été écrite. On peut dire que cette inspiration est la continuation de cette œuvre, bien que d’une manière différente. « Parce que la Bible a été écrite sous l’inspiration du Saint Esprit, elle doit être lue et reçue sous la conduite du même Esprit Saint » (DCDR, para. 12).

Cette attitude spirituelle particulière ne peut que renouveler notre façon de penser, mais elle peut aussi renouveler la présence de Dieu dans nos cœurs. Par cette merveilleuse manière de lire les Ecritures, la Bible et la culture chinoise peuvent être rapprochées l’une de l’autre. On pourrait ainsi ressentir ce genre d’excitation qui « traduit l’admiration en mettant sur la table » une certaine douceur « qui flotte longtemps dans l’air » avec la reconnaissance d’« une réunion qui s’est produite trop tard ».

c.) Regarder l’avenir

Alors que le concile Vatican II se terminait en 1965, dans l’illumination de l’Esprit, ses enseignements se répandirent rapidement dans le monde. La Chine, Hongkong et Taiwan se lancèrent immédiatement dans le renouveau. A cause des problèmes de la Chine continentale, l’esprit de Vatican II n’arriva que vingt ans plus tard. Mais, après la mise en place de la politique d’ouverture, l’Eglise de Chine continentale a essayé de rattraper le retard aussi vite que possible, même si elle a connu beaucoup de difficultés.

Ces dix dernières années, l’auteur de cet article s’est rendu dans plusieurs séminaires pour enseigner en Chine le Nouveau Testament. En même temps, j’ai dirigé de nombreuses retraites et exercices spirituels ayant la Bible pour sujet. Il m’est apparu clairement que l’intérêt des jeunes prêtres, des séminaristes et des religieuses pour la Bible était très profond. Leur application était louable et leur désir d’apprendre ne connaissait pas de limites. En plus d’un désir de connaissance académique, ils étaient très désireux de faire de la Bible la base de leur vie spirituelle, et le centre de leur travail pastorale – savoir comment amener les chrétiens à lire la Bible avec respect, à l’aimer et à vivre la doctrine dans leur vie quotidienne.

Il y a vingt ans, il n’était pas aisé de trouver une bible en Chine. La situation a maintenant considérablement changé. Il est facile d’en posséder une et de la lire souvent, même si la Bible est un livre dont la lecture est difficile. La Bible est en fait à elle seule toute une bibliothèque, qui comprend 73 livres écrits à des époques différentes, dans des contextes différents et dans des styles différents. Pour entrer dans cet univers et en acquérir la connaissance, il faut une sorte de guide et un temps certain à consacrer à cette introduction. Il ne faut pas nourrir de vains espoirs en pensant qu’on peut l’étudier seul, sans professeur. En Chine, les professeurs qui peuvent le faire, de même que le matériel pour le faire, manquent cruellement. Ces quinze dernières années, de nombreux prêtres et religieuses ont été envoyés en Europe ou en Amérique pour étudier différents aspects de la philosophie et de la théologie, y compris la Bible. Certains sont déjà revenus en Chine et enseignent les Ecritures dans les séminaires. Ils font également la promotion de l’apostolat biblique. Ils sont très dévoués et très idéalistes. Ce sont eux les espoirs de l’Eglise de Chine. Mais ils sont trop peu nombreux et leur influence est trop limitée. Je les bénis de tout mon cœur et je les aide. J’espère que leur nombre augmentera, qu’ils s’aideront les uns les autres, qu’ils travailleront durement, avec efficacité et à propos, pour amener les Ecritures dans la vie des chrétiens.

Ce qui me rend heureux et reconnaissant est que la faveur dont jouit la Bible parmi les catholiques de Hongkong, de Macao et de Taiwan ne cesse de croître. Les nombreux groupes d’étude et de partage de la Bible, de même que les retraites faites sur la Bible, qui sont organisées par des catholiques les ont amenés à vivre plus activement, plus profondément et plus unis aux autres chrétiens. Bien que leur temps et leurs moyens soient limités, des groupes de chrétiens ont mis sur pied de telles activités en Chine continentale. Tout ceci est l’effet de l’Esprit Saint qui mène l’Eglise. Dans les communautés chinoises à l’étranger, la Bible devient aussi de plus en plus une force de vie pour les chrétiens et la source de leur bonheur et de leur paix. Ces dernières années, je me suis rendu à Singapour, en Malaisie, en Indonésie, en Australie, en Amérique et au Canada pour donner des conférences sur la Bible à des groupes catholiques. La foi fervente de ces catholiques et leur amour de la Bible sont profondément émouvants. J’y ai appris que bien des catholiques se réservaient un temps chaque jour pour lire la Bible chez eux, permettant ainsi à la Parole de Dieu d’être leur boussole et le pain journalier de leur vie familiale. Cela vaut d’être admiré et imité.

Après la création, en 1990, de l’Association biblique catholique chinoise unie, les catholiques chinois, fervents de la Bible, purent, par des réunions périodiques et l’échange de livres et de magazines, s’encourager mutuellement dans le partage, accroître et partager leur connaissance de la Bible et leurs expériences spirituelles et pastorales. Ainsi, depuis l’an 2000, la Commission pastorale pour les catholiques de la diaspora, de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a tenu des réunions périodiques de Chinois catholiques de la diaspora sur le thème de l’évangélisation. Bien que la Bible en demeure le thème principal, ces réunions sont l’occasion pour des catholiques d’horizons très divers d’échanger sur leurs expériences de lecture de la Bible. Les deux réunions tenues jusqu’à maintenant ont insisté sur l’importance de la Bible dans l’évangélisation et dans la vie spirituelle du peuple chinois.

Une autre donnée qu’il ne faut pas négliger est que la Bible s’est « déplacée » et a « grandi » en dehors des frontières de l’Eglise. Au début du XXe siècle, la Bible n’était pas inconnue des cercles littéraires, ni de l’intelligentsia du pays. L’influence de la Bible et de la pensée chrétienne sur le Mouvement du 4 Mai (1919) et sur la littérature chinoise de la première moitié du XXe siècle a déjà fait l’objet de recherches approfondies. Durant la seconde moitié du XXe siècle, sous le régime communiste, alors que les religions étaient soumises à l’athéisme officiel, le pouvoir de la Parole de Dieu a continué de se propager silencieusement. Il a attiré des intellectuels en recherche de nourriture spirituelle et ceux qu’on a appelés des « chrétiens culturels ». Dans les années 1980, le gouvernement chinois a promu « la civilisation spirituelle » et plusieurs universités ont ouvert des instituts de recherche sur la religion. Leur objet était d’étudier la religion chrétienne et ses écrits, qui ont eu une influence si profonde et si longue sur la culture occidentale. Ils ont publié des livres présentant la Bible et les méthodes pour l’expliquer. Ils ont aussi traduit des œuvres herméneutiques anciennes et modernes. Ces travaux de recherche académique, tout en étant fragmentaires et secs, c’est-à-dire coupés de la fraîcheur de la tradition ecclésiale et de la réflexion théologique – ce qui leur interdit de se mêler harmonieusement à la foi –, n’en constituent pas moins un travail admirable, digne de soutien et d’encouragement. Des échanges avec ces savants non chrétiens pourraient être du plus grand intérêt pour les spécialistes catholiques des Ecritures. Ils pourraient en retirer d’utiles leçons, particulièrement dans le domaine de l’introduction de la Bible dans la culture chinoise. De plus en plus de savants non chrétiens étudient sincèrement et sérieusement la Bible. Ce sont les signes du « déplacement » et de la « croissance » de la Bible en Chine.

2.) Lire la Bible dans une atmosphère culturelle chinoise

Après le concile Vatican II, les catholiques ont non seulement lu la Bible plus directement et plus complètement, mais la qualité et la fréquence de leurs lectures se sont accrues. Les catholiques ont maintenant une meilleure connaissance du contexte historique, des langues et des structures du texte biblique. Ils peuvent ainsi mieux en apprécier les richesses. Un grand pas en avant a été fait lorsqu’ils ont compris la relation étroite existant entre la Bible et la culture. La Bible est le résultat d’un long processus culturel. Elle est le point de rencontre entre les coutumes et les modes de pensée de nombreuses cultures différentes, juive, mésopotamienne, grecque et romaine. Après avoir été mise en livre, la Bible a continué à s’étendre aux cultures de beaucoup d’autres pays et a connu un développement illimité. Depuis Vatican II, la théorie et la pratique de l’inculturation sont devenues prédominantes. Pour cette introduction de la Bible dans des cultures différentes, la Commission biblique pontificale a publié, en 1993, un document intitulé l’« Interprétation de la Bible dans l’Eglise », qui indique clairement : « L’interprétation d’un essai dépend toujours de l’attention et des intentions du lecteur. » Le travail d’inculturation ne doit donc pas être interrompu. Quant aux débuts de l’évangélisation dans les différents pays, ce document souligne : « Les missionnaires ne peuvent pas s’empêcher d’apporter la Parole de Dieu sous la forme dans laquelle elle leur a été donnée dans leur pays. Les nouvelles Eglises doivent donc faire un effort particulier pour transformer cette inculturation de forme étrangère en une autre forme correspondant davantage à la culture de leur propre pays. »

Dans beaucoup d’endroits en Asie, l’inculturation a provoqué une nouvelle manière de voir le développement de la Bible. Les chrétiens d’Asie ont commencé à découvrir les merveilles de la Bible à partir d’une nouvelle perspective. Ils ont découvert que ce livre était très proche de leur façon de penser. Ils ont compris que sa façon d’enseigner – la technique des paraboles, la variété des mots et des images, la richesse du vocabulaire, les mises en garde des prophètes, les admonestations de sagesse – était mise en œuvre de la même manière que dans leur sagesse séculaire et leur expérience traditionnelle. La découverte de cette nouvelle sensation d’affinité reçut une confirmation supplémentaire lors du Synode des évêques pour l’Asie, qui s’est tenu à Rome en 1998. Les évêques y ont souligné que Jésus était né et avait vécu en Asie, que l’Evangile avait d’abord été annoncé en Asie, que l’Eglise, aussi, était née en Asie et qu’elle y avait commencé son développement. Les 73 livres de la Bible – à l’exception de quelques écrits de Paul en Europe – ont vu le jour en Asie. Les structures de pensée de la Bible, son style et son écriture, sont fondamentalement orientales.

La contradiction demeure que, dans cette Asie où Jésus est né, les chrétiens ne représentent que 3 % de la population, une infime minorité. Pourquoi en est-il ainsi ? Les raisons politiques sociales et culturelles en sont très complexes. Il n’est pas possible de faire de généralisations. Toutefois, les théologiens asiatiques pensent qu’un facteur prédominant a été le fait que les missionnaires, lorsqu’ils ont prêché la religion catholique en Asie, ont insisté sur les points de doctrine et ont fait appel à la raison. C’était beaucoup trop éloigné de l’esprit d’un peuple oriental et de ce qu’il attendait de la révélation de Dieu. Ainsi donc, l’Evangile n’a jamais été capable, y compris jusqu’à ce jour, de susciter une réponse rapide et directe de la part du cœur de ces hommes. Mais avec les nouvelles découvertes d’aujourd’hui et la familiarité qu’elles ont créée avec la Bible, on peut espérer, comme l’a dit le pape Jean-Paul II, que l’Evangile du Christ « produira des fruits abondants en Asie au troisième millénaire ».

Les catholiques en Chine ne sont pas différents des autres catholiques en Asie. Ils espèrent que, par l’écoute attentive de la Parole de Dieu et son passage dans la vie de chacun, l’Eglise puisse s’enraciner en Chine et s’y renforcer afin que la Bonne Nouvelle du salut apporte une abondance de vie aux millions d’êtres qui y vivent. Pour arriver à cet objectif, l’Eglise doit accroître son effort pour l’inculturation de la Parole sacrée. Les pasteurs et les étudiants en théologie doivent développer leur connaissance de la culture chinoise, en même temps qu’ils étudient la Bible et les sujets théologiques qui s’y rapportent. Par la même, ils pourront devenir des relais qui aideront Dieu à parler au peuple chinois d’une manière chinoise.

En ce qui concerne une recherche académique d’une lecture des Ecritures qui soit propre à la Chine, aucune réflexion profonde n’a encore été entreprise. Quelques conseils valables ont néanmoins été publiés dans les Theologica Collectanea de l’université Fujen, à Taiwan. Plusieurs informations sur la Bible ont été données, qui illustrent la façon différente des Chinois de lire et d’expliquer la Bible. Des écrivains ont également pris certains passages des Ecritures, avec leur signification et leur contexte, pour les mettre en résonnance avec des passages des classiques chinois. La réaction est très intéressante et ouvre des voies de réflexion.

Tout à fait significatives ont été, par ailleurs, les comparaisons faites par les PP. Mark Fang et Hu Guozhen entre certains styles littéraires de la Bible et leurs équivalents dans les classiques chinois. Rapprocher la culture biblique de la culture chinoise amène les Chinois à comprendre qu’elles sont très proches l’une de l’autre. Les PP. Mark Fang et Hu Guozhen estiment que les peuples asiatiques, et particulièrement les Chinois, ont une manière particulière d’expliquer les Ecritures. Par exemple, ils ont l’habitude de penser que « quand la parole est dite, sa signification n’a plus de frontières ». Quand ils regardent des aquarelles, ils aiment contempler « les blancs ». Les lecteurs chinois sont facilement sous le charme des mots et de leur symbolisme. Lorsqu’ils lisent la Bible, ils ne font pas que comprendre les mots, « ils en sont conscients ». Les Chinois insistent beaucoup sur l’expérience des générations précédentes. Comme dit Confucius : « Je ne suis pas né avec la connaissance, mais, étant amateur d’antiquités, je ne mets que peu de temps à la chercher » (Les Analectes 7,19). Les lecteurs chinois de la Bible retrouvent leurs ancêtres dans la foi. Comme le dit le Livre de l’Ecclésiastique (Si 39,1) : « Il scrute la sagesse de tous les anciens. » Par conséquent, quand ils lisent la Bible, leur aptitude à faire des rapprochements est très grande. Ils sont capables d’utiliser la Bible pour expliquer la Bible, d’y trouver de la consistance et d’y rencontrer les vieux, mais toujours nouveaux, mystères. Ils sont comme les disciples que Jésus décrit dans les Evangiles : « semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes » (Mt 13,52). Les lecteurs chinois aiment aussi apprendre par cœur les Saintes Ecritures, « gardant toutes ces choses, et les repassant dans son cœur » (Lc 2,19-51). En temps voulu, ils les ressortent de leurs resserres pour qu’ils soient « une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route » (Ps. 119,105). C’est juste une petite remarque, mais cela suffit à leur rendre heureux. Dieu dit un jour au peuple d’Israël : « La Parole est très proche de vous … » (Dt 30,14). De la même façon, il nous redit ces Paroles Sacrées, à nous les Chinois. A première vue, elles sont très loin de nous. Mais ce n’est pas du tout cela, elles sont proches, vraiment très proches.

Dans le domaine des recherches académiques, une initiative mérite d’être soulignée. En 2004, s’est tenue la première assemblée de spécialistes chinois sur les Ecritures à l’Université chinoise de Hongkong. Elle rassemblait des Chinois du monde entier et de confessions chrétiennes différentes. Le sujet de cette assemblée était : « Recherche biblique, aujourd’hui et demain ». Une cinquantaine de spécialistes des Ecritures étaient ainsi réunis pour échanger des idées. La conférence était internationale et universelle. La seule caractéristique des participants était d’être des spécialistes des Ecritures, d’origine chinoise, de culture chinoise et tous désireux de propager la connaissance de la Bible en Chine. Au cours de cette assemblée, tous les participants ont été d’accord pour mettre en place le moyen de communiquer entre eux et de prévoir à l’avenir des conférences en différents lieux.

De tels échanges et une telle recherche peuvent aider la Bible et la culture chinoise à s’interpénétrer. Par ailleurs, sur le plan académique, ces échanges sont bénéfiques pour le travail pastoral, la spiritualité, l’enseignement de la doctrine, le partage et l’enseignement de la Bible. Les Chinois qui aiment profondément la Bible et en ont une grande connaissance feront naturellement les recherches nécessaires et emploieront les méthodes appropriées pour répandre la Bonne Nouvelle du salut dans leur peuple.

3.) Une image biblique

Comme chacun sait, la langue et le style de la Bible n’ont pas comme facteur dominant de relever d’une théorie. Des paraboles, des images et des symboles sont utilisés pour exhorter, prêcher, encourager et communiquer des préoccupations ou l’Amour. C’est pourquoi, j’aimerais citer un passage de la Bible pour le comprendre comme une image morale, et le présenter à mes lecteurs dans l’espoir qu’ils y trouvent quelque inspiration.

Très tôt le matin du jour où Jésus s’est levé d’entre les morts, un groupe de femmes se pressait sur la route. Elles portaient avec soin une jarre d’huile parfumée qu’elles avaient préparée pour en oindre le corps de Jésus. Quand Jésus était mort, le sabbat allait commencer. Son enterrement avait donc été fait à la hâte. Son corps avait simplement été enveloppé dans un linceul et placé dans une tombe creusée dans le roc, fermée par un rocher. Ces femmes étaient très attentionnées et aimaient beaucoup Jésus. Elles ne voulaient pas laisser ainsi son corps dans un endroit froid et désolé. Aussi, après le sabbat, avaient-elles apporté l’huile qui aurait dû être utilisée lors de son enterrement.

Sur la route, ces femmes étaient préoccupées. Elles étaient aussi dans la peur et la tristesse. Et puis, elles avaient un gros problème : l’entrée de la tombe était fermée par un rocher qu’elles ne pouvaient pas déplacer seules. Qui les aiderait ? Alors qu’elles avançaient, elles devenaient de plus en plus anxieuses et se demandaient l’une l’autre : « Qui roulera pour nous la pierre pour ouvrir la tombe ? » (Mc 16,13). Elles étaient séparées du corps de Jésus par un rocher. Comment allaient-elles pouvoir faire ?

Mais la situation avait changé au-delà de ce qu’elles avaient pu imaginer. En s’approchant de la tombe, elles virent que le rocher avait déjà été déplacé. Leurs craintes étaient donc vaines. Mais l’huile qu’elles avaient préparée pour l’onction ne servirait plus : un ange, à l’entrée de la tombe, leur annonça que Jésus était ressuscité. Plus tard, Jésus leur apparût.

« Qui roulera pour nous la pierre à l’entrée de la tombe ? » Cette question embarrassante peut être posée pour notre étude de la Bible. Parfois, nous pouvons penser qu’il y a un rocher entre Jésus et nous. Nous sommes séparés de lui par vingt siècles d’histoire. Les modes de pensée sont différents. Le contexte culturel et les habitudes de vie ont créé toutes sortes de différences. Ils nous amènent à croire que nous ne pourrons jamais être proche de Lui, ni entrer en contact avec Lui. Nous pensons que nous ne pourrons jamais que regarder de loin ce Jésus de Nazareth. Nous pouvons adorer le Dieu qu’il nous a révélé, nous ne pourrons pas L’approcher. Nous pouvons connaître la vie de Jésus en lisant l’Evangile. Nous pouvons écouter ses sermons et partager ses pensées et ses sentiments. Mais ce gros livre épais qu’est la Bible est comme une lourde pierre. Il y a beaucoup de paroles, de versets et de chapitres qui sont difficiles à comprendre. Il est difficile de saisir le sens de certaines tournures. Dans certains passages, nous reconnaissons les mots, mais leur sens nous échappe. Certains écrits sont mystérieux. Nous n’avons pas une image claire de ce qui est raconté, non plus que du contexte. Tout cela fait que nous avons la tentation de nous arrêter d’étudier la Bible. Qui roulera la pierre pour nous ?

Nous décidons alors de trouver de l’aide pour surmonter cet obstacle. Nous nous inscrivons à des cours de théologie ou d’étude de la Bible. Nous faisons de gros efforts pour consulter les commentaires et chercher des repères d’étude. Ce genre d’efforts est louable et très nécessaire. Mais n’aurions-nous pas oublié que ce que nous cherchons est Jésus ressuscité et non pas un corps à embaumer ? Le Jésus des Ecritures n’est pas seulement un grand personnage qui a vécu il y a 2 000 ans. Il est toujours avec nous. Le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu qui a aidé le peuple d’Israël dans les temps anciens. Il est toujours le maître de l’histoire de tous les peuples sur la face de la Terre. Il est le Seigneur de l’univers qui fait toujours des merveilles. Nous ne faisons pas seulement que Le chercher quand nous lisons la Bible, Lui aussi nous recherche. Nous ne voulons pas que L’écouter, Lui veut nous parler, nous montrer Son amour pour nous. Et c’est le cas, quels que soient la culture, la race, la langue ou le pays auxquels nous appartenons. Ne nous soucions pas trop de déplacer la pierre. Il le fera et fera disparaître tous les problèmes de langue pour nous parler et nous retrouver.