Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Les bouddhistes de Thaïlande face à la répression des manifestations en Birmanie

Publié le 18/03/2010




Les manifestations non violentes des moines birmans auxquelles le gouvernement du Myanmar a répondu par la violence, entraînant la mort de nombreuses personnes, ont poussé les dirigeants bouddhistes du monde entier, quelle que soit leur obédience, à sortir de leur inertie. Ils ont tous condamné le gouvernement birman et demandé que cette violence cesse. Ils ont également déclaré très clairement qu’ils soutenaient le mouvement des bonzes. Le dalai lama fut le premier à soutenir la revendication de liberté et de démocratie des bonzes birmans et à demander au gouvernement militaire d’agir avec clémence et de manière pacifique envers les manifestants.

Phra Rachasumethacharn ou Acharn Sumeto, de la pagode Amarawadi et supérieur du bouddhisme d’obédience Theravada en Angleterre – un ancien disciple du regretté Luang Pho Cha Suphatho –, a publié une déclaration soutenant « le courage des bonzes, des bonzesses, des étudiants et de la population birmane qui protestaient dans le calme contre l’oppression du gouvernement birman ». Il a également fait part de sa déception quant à l’utilisation par le gouvernement birman de violence et de cruauté envers les manifestants. Il a de plus demandé que le gouvernement écoute attentivement la demande des bonzes et recherche une solution honnête et juste pour créer les conditions de la réconciliation.

 

Le Vénérable Tich Cuang Ba a publié – au nom de la Conférence des bonzes australiens – une déclaration commune avec Phra Visuthisangvornthera ou Phra Acarn Phromvangso – lui aussi, ancien disciple de Luang Pho Cha, soutenant totalement le mouvement des bonzes et de la population birmane. « Ils ont risqué leur vie, pouvait-on lire dans le communiqué, en protestant pacifiquement pour la justice, la liberté, la démocratie et le progrès de leur pays. » Ils ont loué les bonzes birmans qui ont démontré « leur courage, leur hauteur de vue et leur action fondée sur la non-violence pour le bien-être de la population ».

Au Japon, le Vénérable Fuji Etoku, président de conseil d’administration de l’obédience Soto Zen, a remis une lettre au représentant du Premier ministre. Il y déclarait, entre autres : « Nous protestons fermement contre la façon regrettable d’agir (des militaires) qui bafouent et suppriment sauvagement des vies humaines. » Au même moment, le Vénérable Kojun Hinaoka, secrétaire général de l’obédience Yokosu, manifestait son désaccord quant à « la résolution du problème par la force armée ou par des moyens qui s’apparentent à la guerre, et ce, quelles qu’en soient les raisons ».

Au nom de la Conférence des bonzes australiens, le Vénérable Tich Cuang To a écrit une lettre au secrétaire général des Nations Unies, exigeant « une action urgente pour que le gouvernement militaire arrête la répression contre les manifestants et utilise des moyens pacifiques ».

On peut dire qu’il n’y a pas eu une seule fois dans l’histoire du bouddhisme où les dirigeants des bonzes, toutes obédiences confondues et partout dans le monde, aient été aussi unanimes à dénoncer une action brutale contre des frères bouddhistes dans un pays autre que le leur. La plupart de ces dirigeants n’avaient jamais auparavant exprimé en public leur point de vue, ni protesté contre quelque gouvernement que ce soit. On peut dire que c’est la première fois qu’ils se sont dressés contre l’intervention du gouvernement birman, à la fois violente et tellement contraire aux principes du Dharma qu’il leur étaient impossible de rester les bras croisés.

 

Mais dans ce concert de protestations provenant des dirigeants bouddhistes du monde entier, il est profondément navrant de constater que les instances dirigeantes des bonzes de Thaïlande sont restées silencieuses. Il n’y a pas eu la moindre prise de position de leur part, notamment du Conseil des Anciens. Et cela, bien que des organisations bouddhistes en beaucoup d’endroits aient écrit au Conseil des Anciens pour lui demander de faire des démarches afin que cesse la violence en Birmanie.

 

Au cours des deux ou trois dernières années, nous avons bien des fois entendu les instances dirigeantes du bouddhisme en Thaïlande se féliciter du fait que ce pays soit le centre mondial du bouddhisme. Il semble que bon nombre de Thaïlandais le pensent également et estiment que beaucoup de pays partagent cette opinion. Ce genre de proclamation se fait entendre à chaque fois qu’il est possible d’inviter les dirigeants du bouddhisme à travers le monde à se réunir en Thaïlande.

 

Mais les événements qui se sont déroulés durant le mois qui vient de s’écouler nous permettent-ils encore de nous glorifier du fait que la Thaïlande soit le centre mondial du bouddhisme alors que les dirigeants des bonzes thaïlandais sont restés silencieux quand les dirigeants du bouddhisme de part le monde entier ont pris la défense de leurs coreligionnaires qui se faisaient tuer sauvagement en Birmanie? Comment pourrions-nous nous considérer dirigeants alors que nous nous montrons insensibles aux souffrances de nos voisins qui subissent des violences uniquement parce qu’ils demandent justice ?

 

Assurer le leadership ou être le centre mondial du bouddhisme ne deviendra pas effectif simplement parce que nous sommes capables d’organiser une réunion de bouddhistes à l’échelle mondiale. Ce sera uniquement le cas si nous sommes des exemples dans le domaine de la justice. Ce qui inclut aussi que nous ayons le courage d’indiquer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas ainsi que de protester quand nous voyons des injustices se produire. Prêcher la justice aux autres a-t-il un sens quand celui qui prêche n’a pas le moindre courage de se porter à la défense de cette même justice et de ceux qui la mettent en pratique ?

 

Il se peut que nous ayons de nombreuses raisons de rester sans réaction devant la violence et l’injustice dont sont victimes nos frères humains dans d’autres parties du monde. Mais si nous restons silencieux quand nos confrères bonzes se font tuer sauvagement, comment pourrions-nous encore espérer le respect de la part des autres communautés bouddhistes du monde qui ont encore quelque conscience, et ce, sans parler du respect de la part des autres pays qui regardent avec inquiétude les événements de Birmanie ?

 

C’est vrai, il se peut que nous considérions que les manifestations des bonzes birmans enfreignent la discipline bouddhiste. Ce n’est pas un comportement conforme à l’enseignement des Anciens, ce n’est pas ce que l’on attend des bonzes d’obédience Theravada. Mais leur intention et leurs exigences ne sont-elles pas de faire en sorte que le gouvernement militaire rende la liberté et la démocratie au peuple et qu’il s’excuse d’avoir maltraité les bonzes ? Ne sont-elles pas des réalités conformes à la morale que nous promouvons nous-mêmes ?

 

Mais s’il nous est difficile de soutenir ces bonzes parce que nous pensons qu’ils « font de la politique », il ne convient cependant pas que nous restions sans bouger alors que nous savons qu’ils sont tués par des soldats. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils manifestaient dans le calme et de manière pacifique. Et ne critiquez pas le caractère pacifique de ces manifestations ! Même si les manifestants ont jeté des pierres aux autorités, le fait que celles-ci ripostent en faisant feu sur la foule n’en n’est pas moins une réaction d’une violence exagérée.

 

Le fait de tuer est un acte contraire aux préceptes du bouddhisme et le fait de tuer des bonzes qui manifestaient pacifiquement enfreint encore plus et la loi et les principes moraux. Est-ce parce qu’il s’agit de bonzes birmans que l’on se tait ? Quand il s’est agit de bonzes thaïlandais – et il ne s’agissait pas de les tuer –, quand quelques bonzes se sont faits critiquer et traiter de « bonzes à la nature de corbeaux » (1), le ressentiment a été tel que nous n’avons pu rester sans réaction.

 

Il est vraisemblable que les raisons qui ont poussé les responsables des bonzes thaïlandais à rester silencieux devant les cas de violence en Birmanie, soient les suivants : 1.) ils n’ont pas été attentifs aux informations diffusées par les moyens de communications locaux ou, à la fois, 2.) ils détestent et ont peur de la politique… Mais la politique, telle qu’ils la comprennent consiste seulement à s’opposer au gouvernement en place. Cependant, à leurs yeux, soutenir le gouvernement n’est pas se mêler de « politique ». Si quelqu’un s’oppose au gouvernement, il se mêle de politique, ce qui veut dire que c’est une personne mauvaise. Ces deux raisons expliquent très clairement ce qui se passe quand des organisations bouddhistes adressent des lettres au Conseil des Anciens pour lui demander d’entreprendre des démarches afin de diminuer la violence en Birmanie.

 

Cette question n’est pas uniquement le problème des dirigeants des bonzes thaïlandais, c’est aussi une des limites de la plupart des bouddhistes thaïlandais. Nous ne sommes donc pas capables de comprendre à quel point les manifestations des bonzes birmans sont justes et légitimes et, qui plus est, nécessaires. Nous ne comprenons pas parce que nous ne savons pas à quel point le gouvernement birman est un gouvernement injuste, à quel point sa politique appauvrit la population. De plus, c’est un gouvernement qui réquisitionne par dizaines de milliers la population pour travailler comme main-d’œuvre esclave dans la construction de routes et d’oléoducs. Il permet aux militaires de spolier les minorités ethniques, d’enlever leurs femmes pour les violer et les tuer sans être poursuivis en justice. Et ne parlons pas de l’emprisonnement des opposants, de la torture des prisonniers, des exécutions sommaires, de la corruption généralisée, au point que 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

 

Nous n’arrivons pas à réaliser combien le mouvement des bonzes birmans est légitime au plan de la justice parce que nous considérons la morale de façon trop étroite : nous ne l’envisageons que comme morale des relations de personne à personne – ce qui ne peut échapper aux cinq préceptes fondamentaux du bouddhisme –, mais nous sommes incapables de voir que la morale inclut également les actes des personnes vis-à-vis de la société, tout comme ce que la société (ou l’Etat) fait aux personnes. Que des gens essaient de défendre la liberté, essaient de promouvoir les droits de l’homme et se battent pour que le pays connaisse la démocratie et vive heureux, c’est aussi de morale qu’il s’agit. De même, l’Etat a une obligation morale de respecter la liberté et les droits fondamentaux de la population. Les obligations des citoyens ne sont pas seulement de payer ses impôts ou de défendre le pays, mais encore de faire en sorte que l’Etat respecte la justice et le droit à la liberté de ses citoyens. Agir de cette manière doit être considéré comme une obligation morale digne de louange ; ce n’est pas, comme beaucoup le comprennent, se conduire à la manière des communistes ou faire de la politique.

 

Le bouddhisme aura un sens dans le monde contemporain et sera capable d’être une source d’inspiration dans la construction d’une société de paix et de bonheur, quand il élargira les limites de sa morale pour y inclure les principes et les valeurs contemporaines – telles que la liberté, les droits de l’homme et la justice – au point que ceux-ci deviennent partie intégrante de sa morale. Dans le même temps, l’ensemble des bonzes devra soutenir et protéger ceux qui se consacrent à faire en sorte que ces principes soient reconnus. Si les bouddhistes thaïlandais sont incapables de le faire, il est inutile d’espérer que la Thaïlande soit le centre mondial du bouddhisme. Ne serait-ce que le fait de recevoir la reconnaissance et le respect des bouddhistes du monde entier est déjà une tâche bien difficile !