Eglises d'Asie

Des chrétiens joignent leur voix aux opposants à l’instauration de tribunaux islamiques dans trois districts de la Province de la Frontière du Nord-Ouest

Publié le 18/03/2010




Les réactions ont été nombreuses après que le gouvernement intérimaire du Pakistan a déclaré, le 23 janvier dernier, qu’il allait mettre en application un projet intitulé « Shar’i Nizam-e-Adl Regulation 2008 », consistant à remplacer les institutions judicaires civiles par des tribunaux islamiques dans trois districts de la Province de la Frontière du Nord-Ouest. Des chrétiens ont joint leur voix aux partis politiques, aux associations du barreau et aux ONG mobilisés contre ce projet, qui reviendrait, selon eux, à priver les gens de leurs droits fondamentaux.

La mesure, présentée par le gouvernement comme nécessaire pour mettre fin à l’état de rébellion qui prévaut dans cette région, notamment dans le district de Swat, prendrait effet immédiatement. Elle n’attend plus que la signature du président de la République. Ce texte de loi prévoit de faire de la charia, la loi islamique, l’unique source du droit dans les districts de Chitral, de Dir et de Swat. A l’issue d’une formation accélérée en droit islamique, les juges ordinaires deviendront des qazi, des juges islamiques, et se verront flanqués d’« assistants », choisis parmi les chefs tribaux locaux. Ces tribunaux islamiques auront à entendre toutes les affaires, que les parties concernées soient musulmanes ou non, et l’unique possibilité d’appel sera la Cour fédérale de la charia, où avocats et juges sont exclusivement de religion musulmane. Il est toutefois précisé que, pour certaines affaires civiles impliquant des membres de communautés religieuses non musulmanes, notamment les affaires relevant du droit de la famille ou de la pratique religieuse, les jugements seront rendus sur la base des lois spécifiques à ces communautés, plutôt que sur la charia.

 

Pour le P. Bonnie Mendes, directeur du Centre pour le développement humain à Toba Tek Singh (Pendjab), il est évident que l’introduction d’une telle mesure est avant tout de nature électoraliste, la date des élections législatives ayant été fixée au 18 février prochain. Le pouvoir en place cherche à donner des gages à la frange islamiste de l’opinion, mais, ce faisant, il agit contre l’esprit des institutions, « un projet de loi de cette nature n’appartenant pas à l’exécutif, mais au Parlement », a-t-il déclaré à l’agence Ucanews.

 

A Rawalpindi, ville jouxtant la capitale, Islamabad, Mehboob Sada, directeur du Centre d’études chrétiennes de Rawalpindi, voit dans la mise en œuvre d’une telle mesure « la création d’un Etat dans l’Etat ». « Il n’est aucunement nécessaire de créer un système judiciaire parallèle, qui ne fera que renforcer les bastions talibans », a-t-il précisé, en référence aux zones tribales contrôlées par des islamistes qui veulent imposer un Etat islamique semblable à celui qui était au pouvoir en Afghanistan avant l’intervention américaine dans ce pays, en 2001.

 

Du côté des politiques, l’opposition au général Pervez Musharraf s’est également prononcée contre le projet. Pour le Parti du peuple pakistanais (PPP), c’est une concession aux islamistes, qui avaient fait de cette mesure « une de leurs principales revendications dans cette région du pays ». Sherry Rehman, porte-parole du parti de feue Benazir Bhutto, a ajouté, le 24 janvier, que la priorité du gouvernement devrait plutôt être de « regagner le contrôle des territoires dans les zones tribales et d’y faire respecter la Constitution et les lois du Pakistan ».

 

Le 22 janvier, la Commission des droits de l’homme du Pakistan, organisme officiel mais indépendant du pouvoir, avait, elle aussi, mis le gouvernement en garde, estimant que la mesure controversée ne ferait qu’« enhardir les militants à rechercher de nouvelles conquêtes dans des territoires situés au-delà de la zone de leurs récentes opérations ».

 

Fin 2007, les opérations de l’armée et de troupes paramilitaires dans les zones tribales et dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest ont été sanglantes. Dans la vallée de Swat, connue jusqu’à il y a peu comme un haut lieu touristique, plus d’une centaine de membres des forces de l’ordre ont péri dans les combats contre les forces pro-talibans. Dans le Sud-Waziristan, région frontalière de l’Afghanistan et sous contrôle des talibans, cinq chrétiens ont été kidnappés au début du mois de janvier dernier. Relâchés après trois jours de détention, durant lesquels ils ont été torturés, ils auraient été enlevés parce que confondus avec des vendeurs d’alcool. Selon le Rév. Yousaf Patras, responsable de la chapelle du Mission Hospital, géré par l’Eglise du Pakistan (anglicane) à Taank, localité proche du Sud-Waziristan, les cinq chrétiens ont été remis en liberté lorsque leurs ravisseurs ont réalisé qu’ils n’étaient que des balayeurs. Le pasteur a ajouté que, du fait des troubles créés par les combats, bien des musulmans de la région, y compris à Swat, soutiennent désormais l’armée : « Ils renseignent à présent les officiers sur l’identité des talibans qui se cachent parmi la population. »