L’auteur aborde un sujet cher aux Français qui entretiennent des liens avec la Chine. Pour certains, c’est le souvenir de membres de leur famille qui ont vécu là-bas, pour d’autres, c’est le souci de mieux comprendre l’arrière-plan historique de nos relations actuelles avec les Chinois. Le livre apporte un éclairage utile sur l’entreprise de tentative coloniale de la France en Chine et sur les compromis qu’elle entraîne, à l’époque, de la part de missionnaires français présents en Chine. Traiter ouvertement ces questions demande une certaine audace. Si l’on pense aux lecteurs chinois éventuels, les faits rapportés ne peuvent qu’alimenter leur dénonciation d’une collusion entre l’Eglise et l’impérialisme étranger. Mais il est vrai aussi que l’approche chinoise de cette période de l’histoire a évolué. L’indépendance du pays étant aujourd’hui bien assurée, on se tourne avec intérêt vers cette période d’échanges enrichissants avec divers pays du monde. La restauration de monuments et même d’églises dans les anciennes concessions étrangères ne choque plus. On y voit au contraire l’amorce de nouveaux échanges fructueux.
Les « aventuriers de Dieu » sont les missionnaires qui se sont lancés dans cet immense pays, parfois sans trop savoir où ils allaient ni comment parvenir à leur destination, avec le seul souci d’y porter la lumière de l’Evangile. Ils durent faire face aux énigmes de la langue locale, aux menaces des maladies, aux agressions de bandits, aux incompréhensions, voire au rejet total par la population. Leur don d’eux-mêmes témoignait pourtant de l’amour de Dieu et faisait croître autour d’eux une communauté fraternelle. Mais ils aimaient également leur pays d’origine et nombre d’entre eux accueillirent sans déplaisir la venue de forces françaises qui pouvaient protéger leurs œuvres et assurer leur sécurité. Aux yeux de la population locale, ils se rendaient ainsi solidaires des humiliations imposées à la Chine par les puissances étrangères.
Les aventuriers de la République sont les consuls de France et les hommes d’affaires qui ont veillé aux intérêts commerciaux de la France et à son rayonnement culturel à partir du milieu du XIXème siècle, c’est-à-dire pendant toute la période coloniale. Bien que liés par les consignes politiques de leur gouvernement, ils avaient souvent à faire des choix cruciaux. Leur relation aux activités missionnaires n’était pas la moindre de leurs préoccupations, qu’ils soient catholiques fervents ou anticléricaux. Dans les deux cas, ils devaient souvent faire appel aux missionnaires pour leur connaissance de la langue, des coutumes et des richesses du pays. En retour, ils devaient assurer leur protection et celle de leurs œuvres. Le gouvernement français, tout en cherchant à détruire le pouvoir de l’Eglise en France, adoptait une politique diamétralement différente vis-à-vis des missions en Chine. Les Traités de Huangpu (Wangpoa) en 1844, de Tianjin en 1858, puis la Convention de Pékin en 1860, renforcèrent progressivement le protectorat français sur l’ensemble des missions. Cette protection, assurée parfois grâce à la menace des canonnières sur le Yangzi, ne pouvait que provoquer la haine de la population locale et discréditer l’annonce même de l’Evangile. Les ravages perpétrés par les Boxers, en juillet 1900, contre les chrétiens chinois et étrangers marquent le point culminant de cette haine populaire. Le nombre des catholiques massacrés s’élève alors à quelque 30 000 (et non 300 000 comme pourrait le laisser croire une erreur typographique à la page 176).
La première partie de l’ouvrage est centrée sur le protectorat religieux dans le contexte historique de l’évolution de la Chine sur environ un siècle, de 1840 à 1940. Puis vient un chapitre charnière sous le titre « Un bilan contesté ». Les aspects négatifs et positifs de la présence française sont bien signalés en toute objectivité. En ce qui concerne les missionnaires, certaines de leurs méthodes sont mentionnées comme mal comprises dans la mentalité locale. C’est le cas en particulier des nombreux baptêmes de bébés. Leurs œuvres sociales par contre sont saluées comme apports utiles au progrès de la Chine dans les domaines de l’instruction, de la santé, de la production agricole.
Suit une dernière partie intitulée « Arrêts sur image » où sont présentés les personnages les plus marquants et les plus attachants de l’aventure française en Chine. Les illustrations, remarquables, permettent de contempler ces belles figures plus ou moins barbues. Parmi les plus connus, citons le consul Albert Bodard, popularisé par le livre de son fils, le consul et poète Paul Claudel, le P. Léon Robert, MEP, le P. Vincent Lebbe, CM, Mgr de Guébriant, MEP.
Quelles que soient les erreurs commises par ces aventuriers de Dieu et de la France, il faut reconnaître que leur entreprise ne manquait pas de souffle, y compris leur sens de la gloire qui leur faisait élever les trois couleurs à temps et à contretemps. Faisant irruption comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, ils soulevaient sans doute le ressentiment des braves gens qui devaient payer la casse. Mais leurs fanfares, leur drapeau et leur efficacité guerrière attiraient aussi le respect et une certaine sympathie. Quant aux missionnaires qui s’abritaient sous le drapeau français pour multiplier les œuvres de bienfaisance, ils sont restés incrustés dans les mémoires. Les fidèles chinois, privés de missionnaires depuis plus d’un demi-siècle, s’attachent aujourd’hui à retrouver leurs traces et à embellir leurs tombes. Lors de mes premières visites en Chine, au début des années 1980, j’ai été un jour fort surpris. C’était à Guiyang, dans le sud de la Chine. J’avais en tête la débâcle des années 1950, quand les missionnaires avaient été chassés comme exploiteurs du peuple et agents de l’impérialisme étranger. Nous avons pris le thé dans le salon de l’évêché. Les quelques vieux prêtres présents étaient accourus. Ces vieux prêtres se mirent alors à évoquer la mémoire de plusieurs missionnaires connus autrefois : le P. Cuenot, le P. Brygier, le P. Juigner, le P. Julien, etc. Puis, tout à coup, ils entonnèrent la Marseillaise… Il y eut sans doute dans les débats français d’antan un aspect théâtral qui ne pouvait manquer de frapper les esprits chinois.