Eglises d'Asie

Les enfants uniques divorcent

Publié le 04/11/2010




Les statistiques l’indiquent : le nombre des divorces augmente en Chine populaire. En 1980, ils étaient 341 000 à avoir rompu les liens du mariage, ils ont été 1,4 million à le faire en 2007 – un chiffre en hausse de 18,2 % par rapport à 2006, indique le ministère des Affaires sociales. Dans l’article ci-dessous, paru le 1er décembre 2007 dans les colonnes du quotidien de Hongkong The South China Morning Post, …

le journaliste Chen Aizhu s’intéresse aux divorces des jeunes professionnels, issus des générations de l’enfant unique et membres des classes favorisées montantes. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

Dix mois après avoir convolé en justes noces, Li Lei et Wang Yang, tous deux jeunes professionnels âgés d’une vingtaine d’années, ont décidé de se séparer afin de consacrer plus de temps à leurs amants respectifs. Ils ont expédié les formalités du divorce en moins de vingt minutes et, après avoir répondu par la négative à quelques questions du type : « Avez-vous des enfants ? » ou bien « Avez-vous des désaccords quant au partage de vos biens communs ? », ils ont été déclaré divorcés (1).

La croissance économique exponentielle de la Chine a permis l’avènement à l’âge adulte d’une génération d’enfants-roi, fruits de la politique de l’enfant unique, qui souvent n’en font qu’à leur tête et placent leur intérêt personnel avant toute autre chose. Les spécialistes considèrent que construire des relations durables est une réalité inconcevable pour une bonne partie de cette génération, formée d’enfants gâtés par des parents et des grands-parents aux petits soins. « Ils ont du mal à établir des liens avec leurs semblables, ceux de leur génération, explique Fucius Yunlan, psychiatre formé aux Etats-Unis et organisateur de sessions de soutien psychologique à Pékin. Ils ont tendance à adopter une approche verticale (inter-générationnelle) à leurs relations horizontales (intra-générationnelle). » Avec un sens aigu de leurs droits, certains de ces couples se séparent très rapidement. Des séparations peuvent intervenir après une semaine ou quelques mois de vie commune.

La politique de l’enfant unique remonte au tout début des années 1980, lorsque les dirigeants chinois ont estimé qu’il était impératif d’infléchir la croissance démographique d’une population, qui compte aujourd’hui plus de 1,3 milliard de personnes. Les mesures prises à cette fin, appliquées différemment en ville et dans les campagnes, ont créé à leur tour divers problèmes sociaux, tels qu’un vieillissement accéléré de la population et un bouleversement des valeurs familiales qui reposaient jusqu’alors sur l’idéal confucéen d’une famille nombreuse et unie.

La difficulté de ces enfants-roi devenus adultes à construire des relations durables est particulièrement prononcée au sein des classes moyennes et supérieures en voie d’enrichissement rapide. Les statistiques relatives au nombre des divorces indiquent que, dans certaines villes, environ un tiers des divorces concerne cette génération d’enfants uniques favorisés. Elevés au milieu de la tourmente économique et sociale des années 1950 et 1960, leurs parents se sont consacrés au travail dans le seul but de garantir un avenir meilleur à leurs enfants. Et c’est au cours des deux décennies qui viennent de s’écouler, alors que le pays connaissait cette stupéfiante mutation économique, que leurs enfants sont devenus adolescents. « Ils (les parents) sont passés à côté de l’éducation morale et affective de leurs enfants », analyse le professeur Fucius Yunlan.

Par ailleurs, dans de nombreux cas, ces parents n’ont pas seulement étouffé leurs enfants avec tout ce que l’argent leur permettait d’acheter, mais ils les ont écrasés sous le poids des espoirs considérables qu’ils mettaient en eux. Lu Qingyi, économiste de formation et spéculateur en bourse sur les marchés locaux en pleine explosion, explique ainsi qu’il a épargné suffisamment d’argent pour acheter une voiture et une entreprise pour son fils. Ce dernier, âgé de 21 ans, vit à Londres où il pense abandonner les études en finance pour lesquelles il a quitté son pays et projette de revenir à Pékin ouvrir un coffee shop. « En fait, j’ai investi un capital de secours, au cas où il se casserait la figure dans sa première tentative d’entrepreneur, explique son père. Mais, bien sûr, je garde cela secret. »

Se marier lorsque l’on appartient à une certaine élite chinoise est une affaire qui tient davantage à l’accroissement de son patrimoine qu’à la construction d’une relation amoureuse, remarquent les observateurs de la société chinoise. Si un parti plus prometteur surgit, certains couples, comme celui de Li Lei et de Wang Yang, n’ont aucun scrupule à rompre. C’est là une attitude qui contraste très nettement avec celle de leurs parents, pour qui le mariage était un devoir et le divorce une honte.

« Vous ne trouverez jamais dans cette génération les sentiments qui étaient les nôtres autrefois. Un garçon n’osait pas toucher le bout des doigts d’une fille avant le mariage », témoigne Gary Xu, 55 ans, un ex-Garde rouge du temps de la Révolution culturelle (1966-1976) qui a passé son adolescence à garder les vaches dans une campagne reculée du sud-ouest du pays. A cette époque, quand les jeunes étudiaient le marxisme et la pensée Mao, en rêvant de devenir un travailleur modèle, des relations sexuelles hors mariage pouvaient vous coûter votre place dans une entreprise d’Etat ou le renvoi de l’université, places alors très convoitées. Ce qui importait dans le mariage, c’était, pour un couple, de mettre en commun leur travail afin de s’offrir une télévision, un vélo ou bien encore un réfrigérateur. « Les jeunes d’aujourd’hui débutent leur relation directement au lit, poursuit Gary Xu. C’est une génération complètement différente. »

De nos jours, la cohabitation avant le mariage est chose courante et les relations extraconjugales sont de plus en plus communes. Une voiture neuve, de préférence de marque étrangère, un appartement de plusieurs pièces – ou, à tout le moins, un acompte pour un tel appartement – sont des éléments pré-requis pour conclure un mariage dans la bonne société. Les parents poussent également fortement pour que leur unique enfant se marie « dans la bonne famille », disposant d’une surface financière et d’un statut politique suffisants. « Si tu te maries dans une famille riche et puissante, tu n’as plus de souci à te faire. Tout ira bien pour toi, explique une jeune femme, secrétaire, qui demande l’anonymat. Ce sera une vie confortable. Pourquoi chercher une vie difficile ? »

Les dizaines de millions de Chinois qui vivent dans des campagnes reculées et pauvres sont trop occupés à essayer de gagner leur vie et à générer un revenu qui ne dépassera pas les 80 dollars par an pour être tentés d’imiter le mode de vie des classes aisées. Mais, dans les grandes villes, les spécialistes observent une évolution rapide des valeurs sociales au sein de la génération des jeunes adultes de la classe montante. « Ils sont très centrés sur eux-mêmes, ne se sentent pas concernés par le bien commun ou par les autres, affirme le professeur Fucius Yunlan. Leurs parents sont à l’écoute de ce que leurs supérieurs, la tradition ou ceux qui les entourent ont à dire. Eux n’écoutent qu’eux-mêmes. »