Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – L’Assemblée nationale populaire apportera-t-elle des bonnes nouvelles pour l’Eglise de Chine ?

Publié le 18/03/2010




L’Assemblée nationale populaire (ANP) se réunit ces jours-ci à Pékin. La Conférence consultative politique du peuple chinois (CPPCC) se tient en même temps. On espère que leurs décisions feront naître pour le peuple un nouvel espoir dans le domaine de la religion. En octobre 2007, le XVIIème congrès du Parti a déjà déclaré que la religion était une force importante pour la promotion de l’harmonie dans la société. Jia Qingling, le président de la CPPCC, l’a confirmé au cours de la présente session de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Que les communistes disent cela est un fait nouveau. En plus, au cours du XVIIème congrès du Parti, le président Hu Jintao a réussi à faire nommer ses propres candidats dans le nouveau Politburo. Il a donc les cartes en main pour entamer son nouveau mandat. On peut s’attendre à ce que maintenant aussi soient nommées à des niveaux inférieurs des personnes prêtes et capables de mettre en œuvre sa politique de « société harmonieuse ».

Les dirigeants chinois répètent depuis cinq ans que « le Parti doit progresser avec le temps » (Yu shi ju jin). Cela veut dire que les membres du Parti doivent contribuer à développer cette « société harmonieuse ». Ceci sous-entend beaucoup plus qu’on ne le pense au premier abord. Cela signifie que les communistes chinois se démarquent de la lutte des classes. Or la lutte des classes a toujours été un principe de base du communisme ! Il s’agit donc là d’un changement historique ! Des communistes conservateurs en Chine, malgré tous les progrès économiques, tiennent toujours à ce principe de base traditionnel. On veut espérer que les responsables des échelons supérieurs suivront la politique du président Hu. Mais plus on observe au niveau des provinces et des districts, plus on remarque qu’en bien des endroits les fonctionnaires continuent fidèlement à appliquer les directives communistes traditionnelles. Certains le font par conviction, beaucoup d’autres simplement parce qu’ils pensent que leurs supérieurs immédiats attendent cela d’eux. De plus, ils désirent éviter les problèmes et gagner quelque mérite en montrant leur dévouement au travail. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la religion. Telle est l’explication de la contradiction entre les arrestations et les mauvais traitements qui se passent en différents endroits et la nouvelle direction que les autorités supérieures semblent indiquer en préconisant l’édification d’une société harmonieuse.

 

Déjà, lors de sa deuxième réunion (en décembre 2007), le nouveau Politburo avait choisi la discussion de la religion comme thème principal. C’est remarquable ! A partir de tels signaux venant du Parti et du Politburo, on peut bien espérer que le président Hu veillera à ce que ceux qui ne marchent pas vers la société harmonieuse cèdent leur place à d’autres qui en veulent et qui en sont capables. On a l’impression qu’un signal pourrait enfin venir du sommet indiquant qu’une nouvelle phase va bientôt commencer aussi pour la religion en Chine.

 

Ces dernières semaines d’autres événements s’orientent dans la même direction. Ye Xiaowen, directeur de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses (SARA), s’est rendu à Georgetown University (Washington DC), aux Etats-Unis, et a signé un accord de coopération pour la recherche entre SARA et l’université. Promouvoir la recherche académique dans le domaine de la politique religieuse est excellent en soi, pour autant que la recherche soit vraiment scientifique et ne soit pas guidée par l’idéologie. Il devrait y avoir davantage d’accords de ce genre entre les institutions académiques de Chine et d’Occident. Les hauts responsables tant de l’Eglise que de la Chine en ont grand besoin. Les deux parties ont de si nombreux sujets à discuter et à clarifier entre eux, alors qu’elles se connaissent à peine l’une l’autre. Les déclarations officielles sont souvent mal perçues à cause des vieux préjugés historiques ou idéologiques.

 

Autre chose sont évidemment les déclarations faites aux Etats-Unis par Ye Xiaowen après sa rencontre avec le nonce du Saint-Siège à l’ONU. Il s’est exprimé comme si le rapprochement entre la République populaire et le Vatican avait fait des progrès et qu’une percée était possible dans un proche avenir. Cette déclaration doit être accueillie avec la même réserve que celle faite à peu près au même moment par Liu Bainian, vice-président de l’Association patriotique des catholiques chinois. Il exprimait l’espoir que le pape visiterait prochainement la Chine. Pékin a toujours excellé en matière de propagande, et c’est son droit. C’est à nous de séparer le grain de la balle et de discerner si, oui ou non, après toutes ces belles paroles, de vrais progrès ont été réalisés dans la discussion de fond des problèmes de l’Eglise catholique en Chine. Pour le moment, cela n’est pas encore évident. Il y a cependant des signes d’un certain progrès, par exemple les ordinations d’évêques ces cinq derniers mois à Pékin, Canton, Yichang (Hubei) et Yinchuan (Ningxia), qui ont eu lieu avec l’agrément de Rome et de Pékin, même si cela n’a pas été affirmé officiellement. C’est un bon signe parce que la nomination des évêques par le pape a toujours été un principe non négociable pour le Saint-Siège.

 

Très remarquable – et par ailleurs sujette dans les médias à beaucoup de spéculation sur son interprétation (1) – est la photo du président Hu serrant la main de Liu Bainian lors de la réception du Nouvel An le 1er janvier 2008. La photo est parue à la Une du Quotidien du peuple du 2 janvier. Il ne s’agit pas d’un hasard. Cette poignée de main signifiait-elle le remerciement de Liu après ses nombreuses années (vingt-cinq ans) de loyaux services dans l’Association patriotique ? C’est possible. Mais on pourrait aussi y voir la confirmation de Liu dans les fonctions qu’il remplit en tant que laïc catholique et vice-directeur de l’Association patriotique des catholiques chinois. Mais alors se poserait bien sûr la question : pourquoi cette confirmation de la part des autorités chinoises ? Serait-ce la confirmation de la ligne habituelle de l’Association patriotique, un encouragement à poursuivre ses efforts en vue de la création d’une Eglise catholique indépendante ? La nouvelle serait très mauvaise et conduirait inévitablement à un affrontement tant avec les catholiques en Chine qu’avec l’Eglise universelle. Il me semble très invraisemblable que les responsables de la République populaire de Chine veuillent opter pour cette politique, car elle irait à l’encontre de leurs efforts pour une société harmonieuse. Dans la logique des signes positifs que nous avons évoqués plus haut, on pourrait plutôt penser que les autorités de la République veulent confirmer l’Association patriotique dans son rôle de pont entre l’Eglise et l’Etat en Chine, tout en révisant sa mission par l’amendement de ses statuts et la suppression du paragraphe indiquant qu’elle a pour but d’instaurer une Eglise catholique chinoise indépendante. Ce serait une vraie percée. Les évêques chinois seraient alors autorisés à conduire librement leur Eglise. L’Association patriotique devrait faire le sacrifice de son rôle dirigeant, mais elle continuerait d’exister et pourrait même remplir la fonction très utile de pont entre l’Eglise et l’Etat, veillant à ce qu’ils rendent à Dieu et à l’empereur ce qui appartient à chacun. Personne ne perdrait la face et les catholiques de Chine obtiendraient un surcroît de liberté religieuse. La Chine sait que, tôt ou tard, elle devra faire évoluer la situation dans ce sens. Tout ceci signifie qu’un second point non négociable pour Rome serait résolu de manière positive, c’est-à-dire que les évêques ne seraient pas empêchés de remplir leur mission de pasteurs de leur troupeau.

 

A lire entre les lignes de tous ces récents événements en Chine, nous observons que, sauf quelques remarques critiques isolées, la République populaire de Chine n’a jamais réagi officiellement à la lettre pastorale du pape Benoît XVI. Mais, en même temps, nous comprenons qu’en fait la Chine répond en donnant différents signaux. Peut-être que davantage de signaux et de lumière suivront à l’occasion de la session de l’ANP qui se tient actuellement. Des amis pensent que certains changements pourraient même survenir dans les structures du gouvernement et ceci est encore plus important parce que de nouvelles possibilités seraient ainsi créées pour la révision des lignes politiques anciennes qui avaient été introduites par certains départements. C’est ainsi que la Chine change et évolue avec le temps, de même que tous les autres pays. C’est à nous d’observer et de bien interpréter ce qui se passe. Sinon nous n’évoluons pas avec le temps, imitant ainsi certains responsables chinois.