Eglises d'Asie

Supplément EDA 3/2008 : L’Eglise catholique en Chine à l’heure des Jeux olympiques

Publié le 22/11/2010




La flamme olympique est chahutée en Occident tout au long du parcours qui doit la ramener vers Pékin, où, le 8 août 2008, elle brûlera durant quinze jours pour illuminer ce qui, selon l’idéal olympique, doit être une grande fête sportive au service de la paix dans le monde. Dénonçant la répression par les autorités chinoises des émeutes qui ont secoué les terres tibétaines au fil de ces dernières semaines, …

une partie de l’opinion publique occidentale appelle au boycott de la cérémonie d’ouverture de ces 39ème olympiades. En Chine, l’atmosphère est autre. Dans un univers où l’information est largement contrôlée par le gouvernement, la population ne comprend pas qu’une actualité tibétaine puisse venir gâcher ces JO, « ses » JO, fruit d’un labeur intense et symbole du retour de la Chine au premier rang de la scène internationale.

Dans l’avalanche d’articles et de livres qui paraissent en ce moment au sujet de la Chine, Eglises d’Asie souhaite donner un coup de projecteur sur un tout petit élément de cet immense ensemble chinois, sur cette minorité catholique si difficile à cerner qu’il n’existe pas d’estimation fiable de sa taille. Douze millions de fidèles ? le double ? Personne ne le sait avec précision. La seule certitude est que cette Eglise en Chine que les dirigeants communistes pensaient éradiquer en la coupant de ses liens avec l’Eglise universelle – à la manière d’un fruit coupé de sa branche se dessèche au soleil de la persécution –, cette Eglise est aujourd’hui bien vivante. Ayant retrouvé, à l’instar des autres religions, droit de cité, la religion catholique fleurit à nouveau de manière visible. En un quart de siècle, depuis les réformes lancées par Deng Xiaoping à la toute fin des années 1970, la renaissance de l’Eglise catholique est même spectaculaire. Le visiteur étranger qui se rend en Chine revient toujours frappé par la taille et le nombre des églises, par la ferveur des fidèles, par la vitalité des jeunes prêtres et des religieuses. Réalités qui ne cachent pas des faiblesses importantes, allant de la division entre communautés « officielles » et « clandestines » à l’insuffisance de la formation des jeunes prêtres, des jeunes religieuses ou encore de catéchumènes qui frappent nombreux à la porte de l’Eglise. Si, à la faveur des réformes, le régime communiste chinois a octroyé aux religions un certain degré de liberté de culte, il n’a pas – encore – indiqué qu’il était prêt à concéder aux religions et aux croyants une liberté pleine et entière.

Pour cerner les réalités complexes de l’Eglise en Chine, nous vous proposons deux textes : le premier présente un portrait de cette Eglise de Chine à la veille des Jeux olympiques, et l’autre offre une analyse de la lettre du pape Benoît XVI aux catholiques chinois ainsi que des réactions que celle-ci a suscitées.
 

La grande horloge nichée au flanc de la place Tiananmen égraine implacablement le nombre de jours, d’heures et de minutes qui restent avant le moment fatidique du déclenchement des Jeux olympiques le 8.8.2008 à 8 heures du soir. Le chiffre huit, prononcé en chinois, sonne comme le mot « fa » qui évoque développement, enrichissement, ouverture. Les athlètes chinois vont manifester par leurs prouesses qu’ils appartiennent à un pays riche et puissant. La Chine autrefois humiliée et traitée par les Occidentaux en pays malade bon à dépecer va enfin retrouver la place qui lui revient dans le monde contemporain. La Chine veut forcer le respect et l’admiration. Et la force de ses athlètes doit être signe de la santé physique et morale du grand corps chinois.

En fait, c’est l’ensemble de la population qui a été appelé à participer à la préparation des Jeux au prix de lourds sacrifices. Pour se donner un visage moderne et prestigieux, la Chine a intensifié sa réforme économique, son urbanisation, ses constructions d’autoroutes et de voies ferrées pour trains à grande vitesse. Le coût humain de cette transformation du pays est énorme. Les inégalités se sont creusées. Une minorité d’enrichis étale son luxe au sein d’une majorité de pauvres qui luttent pour leur survie. Un flot de migrants des campagnes vers les villes charrie des millions de familles en situation précaire. L’effort gouvernemental pour alléger le fardeau des plus démunis atteint difficilement les personnes concernées car les financements sont tamisés au passage par toute une hiérarchie de cadres corrompus.

Les remous locaux sont nombreux face à des injustices flagrantes telles que salaires non payés, déplacement forcés, compensations minimales, etc. Certains juristes ou journalistes indignés par des comportements inhumains tentent de faire valoir les droits des exploités. Ils paient souvent leur courage de séjours en prison. Pourtant, leur voix parvient à se faire entendre au plus haut niveau. Leur intervention force les gouvernants à donner plus de poids aux programmes de santé, d’éducation, de sécurité sociale. Les critiques venues de l’étranger sont également prises en compte, car la Chine veut se mettre au diapason du monde moderne développé. Mais les critiques malveillantes tendant à déstabiliser le régime ne sont pas tolérées. Elles entraînent au contraire un raidissement de la discipline intérieure.

Ces divers remous tendent à se précipiter autour des Jeux olympiques. Les gouvernants chinois veulent que les Jeux soient un grand succès. Mais les mouvements politiques hostiles au régime totalitaire actuel exercent une sorte de chantage en menaçant de ruiner les Jeux au nom du non-respect des droits de l’homme, au nom du manque de liberté religieuse ou encore au nom du droit à l’indépendance dans le cas des Tibétains ou des Ouighours. Le pouvoir chinois ne peut exercer une répression trop forte sous peine d’aggraver les choses, mais le maintien de l’ordre demeure nécessaire à la veille des Jeux olympiques.

La barque de Pierre en plein remous

Comment la petite minorité chrétienne se situe-t-elle dans cet ensemble instable ?

L’information sur l’Eglise en Chine diffusée par la presse ou certains programmes télévisés peut donner aux lecteurs européens une impression générale plutôt négative de la situation religieuse en ce pays. Les nouvelles d’arrestations d’évêques et de prêtres ou même de destruction d’églises sont encore relativement fréquentes et laissent le sentiment que les chrétiens de Chine sont toujours persécutés. L’intérêt de nombreux lecteurs pour tout ce qui est dissidence face à un régime totalitaire contribue en outre à forger l’image idéale d’une Eglise « clandestine » fidèle à Rome confrontée à une Eglise « officielle » « patriotique » inféodée au Parti communiste chinois. Ces images qui hantent l’esprit de nombreux Européens demandent à être plus finement interprétées. Contrairement aux stéréotypes communs, il n’y a pas « deux Eglises » en Chine. Il n’y a pas non plus d’« Eglise patriotique », mais seulement une Association patriotique des catholiques chinois chargée de faire le lien avec les organismes gouvernementaux et d’assurer le respect de la ligne politique officielle à l’intérieur de l’Eglise. La lettre récente du pape Benoît XVI à tous les catholiques de Chine fait la clarté sur ces divisions entre catholiques de Chine. Elle en dénonce leur origine politique. Elle appelle à une réconciliation entre les catholiques des deux bords car le témoignage de leur solidarité et de leur amour mutuel est indispensable face aux besoins spirituels de la société chinoise actuelle.

Le pape adopte une attitude positive et optimiste. Il prend en compte les progrès rapides de la Chine contemporaine et il souhaite que les catholiques apportent au pays leur force spirituelle. Il revendique en même temps l’autonomie interne de l’Eglise en matière religieuse et morale, car l’Eglise a besoin de cette liberté religieuse pour remplir sa mission. Ceci implique que les évêques doivent être nommés par le Saint-Siège dans le cadre d’un mode d’entente à préciser avec les gouvernants chinois. Confiant dans cet avenir, le pape va jusqu’à suggérer aux catholiques « clandestins » de normaliser leur situation dans la mesure où leur foi est respectée. Il les autorise en tous cas à recevoir les sacrements dans les églises officiellement ouvertes, pourvu que les évêques et les prêtres de ces églises soient en pleine communion avec Rome.

Les clandestins sont-ils trahis ?

C’est le rejet officiel de l’autorité du pape qui explique la permanence de communautés catholiques « clandestines » qui refusent de se soumettre aux exigences de l’Association patriotique des catholiques chinois. Ces clandestins dénoncent avec plus ou moins de rigueur les catholiques qui collaborent avec les autorités civiles et se soumettent aux directives de l’Association patriotique. En 1985, l’évêque « clandestin » de Baoding, Mgr Fan Xueyan, condamnait en 13 articles tout compromis avec les catholiques inféodés au pouvoir. En 1989, quelques évêques clandestins tentaient de former une Conférence épiscopale face à la Conférence épiscopale officiellement autorisée par le gouvernement depuis 1980. Rome a eu la sagesse de ne reconnaître ni l’une ni l’autre de ces conférences, limitant ainsi le danger d’une division radicale en deux Eglises antagonistes. La Conférence clandestine a été rapidement dispersée par l’arrestation de tous ses membres. Quant à la Conférence officielle, la lettre du pape, datée de la Pentecôte 2007, la déclare nettement illégale du point de vue canonique, car elle élimine les évêques clandestins et accueille certains évêques qui n’ont pas demandé l’accord de Rome.

Les conflits qui continuent à opposer « officiels » et « clandestins » varient en rigueur et en intensité suivant les régions. Ils sont évidemment regrettables s’ils vont jusqu’à une exclusion mutuelle. C’est alors un contre-témoignage, une négation de l’Evangile d’amour mutuel annoncé par le Christ. D’un autre côté, ce bouillonnement d’orientations diverses est significatif du message chrétien, qui demande à la fois présence au monde et retrait du monde. Les « clandestins » maintiennent le cap du primat de la foi et de la fidélité à l’Eglise. Les « officiels » font l’effort de s’intégrer à leur société et à sa culture. Ils ont la possibilité de rayonner les valeurs chrétiennes dans la masse des non-croyants.

La souffrance des « clandestins » n’est nullement ignorée du Souverain Pontife. Il a même confié au cardinal Zen Ze-kiun, de Hongkong, le soin de rédiger la prière du Chemin de croix pour le Vendredi Saint 2008 au Colisée, à Rome. C’était l’inviter à évoquer la souffrance de milliers de martyrs contemporains, mais le Saint-Père tient également compte de la ferveur et de la fidélité de l’immense majorité des catholiques de Chine.

L’activité pastorale de l’Eglise « officielle » doit être reconnue

Le contrôle de l’activité religieuse en Chine demeure sans doute très serré, mais il est clair que, compte tenu de nombreuses limites, un développement considérable de l’activité chrétienne a pris place depuis trois décennies.

La politique d’ouverture et de modernisation inaugurée par Deng Xiaoping au 3ème plénum du XIème congrès du Parti en décembre 1978 a permis cet essor. Les croyants des cinq grandes religions de la Chine ont été invités, au même titre que les citoyens non-croyants, à participer activement à la modernisation du pays. Cinq religions ont été officiellement reconnues : le bouddhisme, l’islam, le taoïsme, le protestantisme et le catholicisme. Ces religions ont été soigneusement distinguées des superstitions aveugles et des sectes subversives en tant qu’elles sont fondées sur des Ecritures canoniques et enseignent une discipline morale. Les chrétiens ont d’ailleurs pu offrir un apport apprécié, soit du fait de la compétence professionnelle et du dévouement de nombre d’entre eux, soit du fait de leurs liens avec les pays développés d’Amérique et d’Europe. Depuis 1985, ces liens internationaux ne sont plus condamnés. Ils sont au contraire exploités, non seulement chez les chrétiens, mais aussi dans les autres religions mondiales, bouddhisme et islam, pour encourager les investissements et provoquer l’afflux des devises dans le pays.

En revanche, l’indépendance du christianisme chinois a été jalousement préservée contre toute ingérence étrangère. L’article 36 de la Constitution met en garde les religions contre la soumission à toute autorité extérieure, ce qui vise en particulier les catholiques et leur allégeance à l’autorité pontificale. Leur lien spirituel avec le pape est pourtant admis. La primauté pontificale en tant qu’article de foi n’est pas niée, mais le Saint-Siège se voit dénier tout pouvoir d’intervention dans les affaires de l’Eglise de Chine. Pour des raisons politiques, le gouvernement chinois rejette jusqu’ici toute tentative de relation avec le Vatican. Deux conditions préalables à l’établissement de relations diplomatiques sont inlassablement répétées : le Saint-Siège doit d’abord rompre avec le gouvernement dissident de la République de Chine à Taïwan ; il doit renoncer à toute ingérence dans les affaires intérieures chinoises. Ce dernier point signifie que la nomination des évêques en Chine ne peut être laissée à une autorité étrangère.

Les réponses à la lettre du pape

La lettre de Benoît XVI étant d’abord un message pastoral adressé aux évêques, prêtres et catholiques de Chine, elle n’exige pas de réponse directe de la part des autorités politiques. Le gouvernement ne peut pourtant pas lui rester indifférent puisqu’elle contient des directives concernant des citoyens chinois. Bien plus, la lettre met en cause des organismes imposés par l’Etat, en les déclarant abusifs et illicites. L’Association patriotique des catholiques chinois n’est pas nommée explicitement, mais elle est clairement dénoncée comme responsable des divisions entre catholiques. Elle a forcé nombre de catholiques à entrer dans la clandestinité en leur interdisant les relations avec le Saint-Père au nom de l’indépendance de la Chine. De même la lettre du pape déclare illicite la Conférence épiscopale chinoise du fait quelle exclut les évêques « clandestins » et qu’elle admet des évêques non reconnus par le Saint-Siège. Ces critiques directes de l’ingérence gouvernementale dans les affaires religieuses n’ont pourtant pas entraîné de réaction violente de la part du gouvernement chinois. Le ton positif de l’ensemble de la lettre a sans doute été jugé correct et méritant une attitude polie dans le champ des relations internationales. A l’intérieur du pays par contre, la diffusion de la lettre a été rapidement interdite. Les documents internes du Parti ont recommandé la plus grande vigilance devant ces manœuvres du Vatican et rappelé les principes de base de l’indépendance chinoise.

Qu’en est-il des catholiques eux-mêmes ? La grande majorité des catholiques attendait des directives de Rome car il y avait grand besoin de clarifier des situations de plus en plus embrouillées. Beaucoup apprécient donc que la lettre du pape fasse la clarté. L’appel à la réconciliation entre tous les catholiques éveille déjà quelques échos. Des gestes amicaux sont initiés entre les deux partis, des prêtres des deux bords concélèbrent discrètement. Mais cette lettre du pape demande à tous un effort supplémentaire : les évêques « officiels » secrètement reconnus par Rome doivent le faire savoir publiquement et témoigner ouvertement de leur fidélité à l’Eglise universelle ; les évêques « clandestins » doivent autoriser leurs fidèles à recevoir les sacrements dans les églises ouvertes si elles sont gérées par des pasteurs fidèles. Bien plus, le pape déclare que la clandestinité ne s’impose pas si les autorités civiles accordent une liberté religieuse suffisante.

C’est ici que la démarche devient très difficile pour les « clandestins », car ils ont fait depuis longtemps l’expérience des tromperies du régime et ils sont enracinés dans la clandestinité depuis des décennies. Quelques-uns de leurs prêtres sont pourtant sensibles à l’invitation du pape qu’ils considèrent comme un ordre de la hiérarchie auquel il faut obéir. Dans le diocèse de Baoding, où la concentration des « clandestins » est la plus forte, au moins un évêque et six prêtres sont ainsi passés à l’Eglise ouverte. Ils sont malheureusement rejetés par les fidèles qui ne veulent plus participer à leur messe. Ces fidèles sont des paysans pauvres résolument attachés à la tradition catholique telle qu’elle s’impose dans les commandements de Dieu et de l’Eglise. Ils ne sont pas prêts à faire la part des choses. Ils s’abstiennent de toute relation avec ceux qui coopèrent avec l’Association patriotique. Ils pensent d’ailleurs que le pape ne connaît pas assez la Chine et qu’il a été trompé par son entourage. Leur lucidité face aux embrouilles politiques se mêle à des rancœurs et à des refus de pardon. Il faudra bien des années de petits gestes concrets de solidarité avant que des liens se renouent en Eglise.

Une voie médiane peut éventuellement être adoptée par certains prêtres ou évêques. Un prêtre du diocèse de Shanghai appartenant à une famille strictement « clandestine » a pourtant choisi de faire sa théologie au séminaire « officiel » de Shanghai. Sa démarche fut facilitée du fait que sa famille entretenait des liens de parenté avec l’évêque du lieu, Mgr Jin Luxian. Ce prêtre est aujourd’hui officiellement curé de paroisse, mais il s’abstient de toute relation avec l’Association patriotique, qui a fait le malheur de son père. Comment est-ce possible ? Le prêtre s’appuie sur un argument théologique. Il déclare que le rôle de l’Association patriotique appartient d’abord aux laïcs qui doivent remplir leur devoir dans la vie politique. Lui-même étant religieux, il se tient à l’écart de ce genre d’engagement. En retour, les autorités locales le considèrent sans doute comme « clandestin » puisqu’elles lui ont refusé de concélébrer lors de la consécration épiscopale de l’évêque auxiliaire, Mgr Joseph Xing. C’est là un signe que les autorités civiles prennent pour acquise la division entre catholiques « officiels » et « clandestins ». Faut-il y voir un obstacle supplémentaire à la réconciliation demandée par le pape ?

En certains diocèses, le clivage « officiel » / « clandestin » s’est largement estompé. C’est le cas du diocèse de Fengxiang, au nord-ouest de la Chine : l’évêque, Mgr Li Jinfeng, a obtenu un modus vivendi avec les autorités sans qu’on lui impose l’Association patriotique. Au Heilongjiang, dans le nord de la Mandchourie, l’évêque, Mgr Wei Jingyi, semble être officiellement « clandestin » car il déploie largement son activité pastorale sans être inquiété plus que de raison. L’évêque de Xianxian, Mgr Li Liangui, dans la province du Hebei, a suffisamment d’autorité pour entretenir de bonnes relations avec les autorités civiles et mener une grande activité pastorale, mais ses prêtres, d’après certains échos, ne sont pas jugés suffisamment patriotes pour être envoyés en mission dans le sud de la Chine. Ajoutons qu’en d’autres cas, certains prêtres ou évêques jouent le jeu de l’Association patriotique en s’en faisant élire secrétaire ou président, ce qui leur permet de mener plus librement leur activité pastorale. On pourrait encore imaginer, en reprenant l’argument du prêtre de Shanghai, une Association patriotique composée de laïcs dévoués à l’Eglise qui joueraient le rôle de conseil paroissial auprès du curé du lieu. C’est le cas en certains lieux.

L’immense effort d’une nouvelle génération de croyants

Les protestants de Chine ont aussi leurs problèmes, mais ils sont peut-être moins dépendants de leurs pasteurs et moins querelleurs autour de règlements canoniques. Ils centrent leur message sur l’acceptation de Jésus-Christ Sauveur plus que sur les lois de l’Eglise. Leurs chants sacrés sont plus simples et proches de la vie du peuple. Leurs Eglises traditionnelles sont aussi coiffées par un « Mouvement patriotique des Trois autonomies », mais les évangélistes soutenus par l’Amérique et Taiwan font preuve d’un élan extraordinaire, bien plus dynamique que le témoignage des catholiques « clandestins ». Ils sont d’ailleurs aussi victimes de descentes de police dans leurs nombreuses assemblées non déclarées officiellement et leurs dirigeants doivent payer des amendes ou faire de la prison. En 1950, le nombre des protestants était bien inférieur à celui des catholiques. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus nombreux et plus connus de la population. Certains évêques catholiques apprécient d’ailleurs ces progrès de l’Evangile et souhaitent que leurs fidèles puissent montrer autant de dynamisme. C’est le cas en nombre de régions où la nouvelle génération des jeunes prêtres et jeunes religieuses fait preuve d’un dynamisme audacieux en divers domaines de la vie d’Eglise.

Les jeunes prêtres pour leur part ont réussi à mettre en œuvre de façon remarquable la réforme liturgique lancée par Vatican II. Et pourtant, ce n’est qu’à partir de 1982, au séminaire de Shanghai, qu’ils ont commencé à découvrir les documents conciliaires. La messe et les sacrements étaient déjà célébrés en chinois à Taiwan, Hongkong et Singapour depuis 1965. En Chine, les célébrations étaient toujours en latin, le prêtre célébrant à voix basse, dos tourné à l’assemblée, les fidèles psalmodiant des prières en vieux chinois répétées par cœur depuis trois siècles. Le latin a d’ailleurs été maintenu officiellement jusqu’en 1992, par souci patriotique, face à une évolution extérieure imposée par Rome. Les évêques ont fini par faire admettre que le rejet de « la langue nationale » n’était pas particulièrement patriotique. Le P. Thomas Law, de Hongkong, a été invité à se faire le messager de la nouvelle liturgie dans les grands séminaires de Chine. Etant affaire intérieure de l’Eglise, le culte n’est pas soumis aux ingérences gouvernementales. Il suffit que le prêtre n’enfreigne pas de tabous politiques dans ses homélies. Autour du culte, il est également possible d’organiser des chorales, des équipes de servants de messe, des groupes d’étude bibliques. Ces groupes de jeunes aiment organiser des visites en d’autres diocèses, surtout sur les grands lieux de pèlerinage à Marie la Sainte Mère : en mai sur la colline de Sheshan, près de Shanghai, ou bien à Donglu, dans la plaine du Hebei (pèlerinage interdit par la police depuis une dizaine d’années) ; en août à Bansishan, sur une montagne du Shanxi, ou à Mozishan en Mongolie intérieure ; en septembre à la grotte de Lourdes de Jilin, en Mandchourie, ou encore à Notre-Dame de Liesse, à Guiyang, dans le sud du pays.

La ferveur de ces rassemblements attire de nombreuses conversions et les catéchuménats sont particulièrement florissants dans les grandes villes, à commencer par Pékin où de nombreux étudiants d’université se font instruire de la foi chrétienne. Craignant une discrimination qui demeure encore dans la bureaucratie officielle, ces convertis s’abstiennent de faire état de leur foi religieuse. Mais le christianisme est généralement bien vu et attire encore plus que les autres religions du pays. Pourquoi ? D’abord le christianisme n’est plus considéré comme une religion étrangère. Le régime communiste lui a offert un immense service en en faisant une des religions de la Chine avec un personnel entièrement chinois. Ensuite, le christianisme est considéré comme ayant partie lié à la modernité en faisant appel à la conscience individuelle et au respect de la personne humaine. Certains intellectuels comme le professeur You Xilin du Shanxi pensent même que le christianisme est l’antidote indispensable aux déviations morales causées par la modernisation. Certains théoriciens du marxisme ont d’ailleurs pu avancer une réinterprétation des vues de Marx et de Lénine en montrant que ces piliers du marxisme ne qualifièrent pas toujours la religion d’«opium du peuple » et que le Parti communiste chinois s’est fourvoyé en ignorant l’apport positif de la religion à la vie sociale, à la culture et à la morale. Mais la vieille garde du Parti est vigilante et interdit aux cadres de croire en une religion. L’idée demeure qu’une personne scientifiquement et politiquement bien éduquée ne doit pas se fourvoyer dans l’illusion religieuse. C’est là sans doute une conviction marxiste. Mais c’est peut-être aussi tout simplement la permanence du vieil humanisme confucéen dégagé des craintes superstitieuses : « Respecter les esprits mais s’en tenir éloigné » (jing er yuan zhi).

L’activité des jeunes prêtres s’est également déployée jusqu’à l’excès dans la construction d’églises et de sanctuaires divers, tels le « square des douze apôtres » dans le diocèse de Nanchong ou les multiples grottes de Lourdes qui rappellent parfois les rocailles ornées de pavillons des jardins traditionnels chinois. En dépit de la pauvreté de la population catholique des villages, les prêtres veulent bâtir beau, grand, avec des tours et des flèches les plus hautes possibles. Pour donner de la face à l’Eglise catholique, ils veulent faire au moins aussi beau que l’église protestante ou que le temple bouddhique. Ils ont pour argument que plus l’église est imposante, plus les catéchumènes affluent. Bâtir une église ou restaurer une vieille église est considéré par les évêques et les prêtres comme dépense prioritaire, car, disent-ils, dès qu’il y a une église, toute la vie catholique reprend et s’organise. Il est vrai que l’ensemble rituel de la religion fait bien partie de leur tradition culturelle. La cathédrale de Xianxian, consacrée en octobre 2003, est un vaste monument dressé dans la plaine du Hebei, avec des flèches de 46 m de haut et une grande nef sans colonnes où peuvent se presser plus de mille fidèles. La construction a coûté huit millions de yuans (725 000 euros), une somme considérable pour cette communauté de paysans pauvres. Des soutiens financiers ont dû affluer de l’étranger, car ce diocèse est l’un des plus connus et des plus fervents de Chine et des prêtres de ce diocèse ont migré dans les années 1950 en divers pays du monde. Xianxian fut autrefois la terre de mission des jésuites français de la province de Champagne. Ils y ont laissé le souvenir de grands connaisseurs de la culture chinoise, tels Léon Wieger, Séraphin Couvreur ou Henri Bernard-Maître. La région garde aussi le souvenir de saints martyrs massacrés par les Boxers en 1900.

Les jeunes religieuses sont encore plus nombreuses que les jeunes prêtres. Une quarantaine de noviciats sont dispersés dans le pays. Venant généralement de familles paysannes pauvres, elles n’ont souvent bénéficié que d’une éducation n’atteignant pas la fin du secondaire. Elles appartiennent à des congrégations locales fondées récemment par des évêques chinois ou bien à des communautés chinoises fondées autrefois par les congrégations internationales comme les franciscaines missionnaires de Marie (FFM), les auxiliatrices des âmes du purgatoire, les présentandines, les sœurs du Sacré Cœur, les sœurs du Saint Esprit, etc. Elles n’ont pas le droit officiellement d’appartenir à des congrégations internationales ayant une supérieure générale à l’étranger. Leur supérieur est en fait l’évêque de leur diocèse et souvent le curé local dans les paroisses où elles sont envoyées. L’autorité de leur supérieure religieuse s’en trouve de fait plutôt réduite et les tâches qui leur sont confiées sont souvent celles d’humbles servantes. Les évêques dépensent le gros de l’argent dont ils disposent pour la construction d’églises et fort peu pour le bien-être et la formation des religieuses. Pour les besoins des services sociaux, un certain nombre de religieuses ont pourtant été formées comme médecins ou infirmières. Des religieuses venues de Taiwan ou de Hongkong ont également aidé les communautés à mieux s’organiser et à mieux comprendre l’enjeu spirituel et les exigences de leur vocation. Les dirigeantes de la commission de catéchétique de Hongkong ont également circulé dans tout le pays pour initier les jeunes religieuses à des méthodes de catéchèse plus vivantes que la simple répétition des prières ou du catéchisme question-réponses.

A la différence de nombreux prêtres qui s’appuient encore largement sur des financements étrangers ou même les prennent pour acquis pour des constructions d’église ou des entreprises liées à l’Eglise, les religieuses sont d’esprit plus indépendant et moins influencées par l’étranger. Elles parviennent à se financer elles-mêmes grâce à leur gestion de jardins d’enfants ou de cliniques. Elles manifestent leur indépendance des modèles occidentaux, entre autres, par le port du pantalon plus adapté qu’une longue robe à leurs travaux quotidiens et à la coutume locale. Face au conflit « officiels » – « clandestins » autour duquel les prêtres gaspillent beaucoup d’énergie, les religieuses tendent à garder une position ouverte à tous. Etant reconnues officiellement au niveau du diocèse, elles regrettent qu’une certaine discrimination soit faite à l’égard de leurs communautés qui travaillent en milieu clandestin. Mais bien conscientes des contraintes politiques, elles évitent de confronter les autorités gouvernementales. N’ayant aucun pouvoir dans la hiérarchie ecclésiastique, elles échappent à l’attention du gouvernement. Elles y gagnent plus de liberté et de temps pour se livrer à des activités diverses qui font sortir l’Eglise de son monde clos et l’ouvre aussi aux non-chrétiens. Cette souplesse a pour effet de réduire l’ingérence politique dans les activités habituelles de l’Eglise et d’aider indirectement les prêtres à survivre sous la pression du régime. Proches des familles locales par l’intermédiaire des enfants, des malades ou des vieillards, les sœurs font de fréquentes visite à domicile et sont proches des gens. Elles reprennent ainsi avec courage et dévouement un rôle qu’ont su remplir pendant deux siècles les « Vierges chinoises », fondées au XVIIIème siècle. Leur service auprès des femmes et des enfants est indispensable à la vitalité de l’Eglise en Chine.

Le difficile affranchissement de contraintes politiques outrancières

Le dynamisme des religions n’est pas sans inquiéter la direction du Parti communiste chinois. Depuis l’an 2000, plusieurs événements ont marqué un raidissement dans l’attitude des gouvernants. Plus le pays s’ouvre grâce aux réformes économiques et à l’entrée sur le marché mondial du commerce, et plus la politique intérieure tend à se resserrer en vue de maintenir la stabilité et la cohésion sociale. La rigueur officielle s’est abattue en particulier sur le mouvement du Falungong, vaste exercice d’épanouissement physique et spirituel inspiré des gymnastiques du souffle (qigong) et de la dévotion populaire bouddhique. Ce mouvement, très organisé et très populaire, bien que sans but politique, pouvait faire craindre la montée d’une force morale capable de mettre en cause la mainmise idéologique du Parti.

En ce qui concerne les catholiques, un acte hostile à l’égard de Rome a été posé le 6 janvier 2000 avec l’ordination forcée de cinq évêques à Pékin, le jour même où le Saint-Père consacrait douze évêques à Rome. Cette ordination a d’ailleurs révélé la faiblesse de l’Association patriotique. Sur douze évêques pressentis, cinq seulement ont accepté après avoir été trompés ou forcés. Les séminaristes de Pékin ont refusé de participer à cette ordination sous contrôle policier. Est-ce une réponse innocente de Rome ? Le pape canonisait 120 martyrs de Chine le 1er octobre suivant, fête de sainte Thérèse de Lisieux, patronne des missions, mais aussi jour de la fête nationale chinoise. Les réactions ont été vives chez les gouvernants chinois. En avril 2003, trois documents concernant la gestion des diocèses et la participation des autorités civiles au côté des évêques officiels ont pu faire craindre un renforcement du contrôle gouvernemental et une ingérence accrue dans les affaires d’Eglise. C’était sans doute l’intention des cadres du Front uni. Mais les règles établies pour la gestion pastorale des diocèses reprenaient, avec quelques adaptations locales, les articles du droit canonique de l’Eglise universelle et ne pouvaient que favoriser une meilleure administration de l’Eglise. Quarante évêques ont approuvé ces documents, sachant que la présence à leurs côtés des dirigeants civils rendrait malheureusement inefficaces des directives pastorales par ailleurs excellentes.

La Conférence épiscopale officielle est trop compromise avec l’autorité civile pour obtenir l’écoute de l’ensemble des catholiques. Ses nominations d’évêques en tous cas ne suffisent pas à décider les candidats à l’épiscopat à accepter la tâche. Les jeunes prêtres élus par les confrères de leur diocèse et approuvés par le gouvernement local cherchent par tous les moyens à obtenir l’accord du Saint-Siège. Un pas de plus a été franchi en 2003 par trois jeunes évêques. Non seulement ils ont obtenu leur nomination par le Saint-Siège, mais ils ont encore voulu que cette nomination soit annoncée ouvertement, réduisant ainsi à peu de poids leur nomination par la Conférence épiscopale officielle, ce qui a entraîné une vive réaction des autorités civiles. Le 25 septembre 2003, dans la province de Canton, l’atmosphère était très lourde dans l’église de Meizhou, quand le nouvel évêque, Mgr Liao Hongqing, a été consacré sous la surveillance d’une centaine de policiers en civil ou en uniforme, avec interdiction de concélébrer pour les prêtres amis venus de Hongkong et autres lieux et obligation d’annoncer officiellement la nomination par la Conférence épiscopale chinoise. En dépit de tout cet appareil, le jeune évêque a eu l’audace à la fin de la cérémonie d’annoncer en langue locale hakka la bonne nouvelle de sa nomination par Rome. Dans la province du Hebei, au nord du pays, un autre évêque nommé par Rome, le P. Feng Xinmao, diplômé de l’Université de Louvain, avait tenu à en faire l’annonce officielle. Ce geste lui valut d’attendre environ deux ans l’autorisation d’être consacré. Troisième cas de transgression : la consécration d’un jeune évêque auxiliaire pour le diocèse de Shuozhou, dans le nord de la province du Shanxi. Le vieil évêque, Mgr Luo Jun, a fait plusieurs demandes aux autorités civiles pour que soit autorisée la consécration du P. Ma Cunguo, élu par les prêtres du diocèse. Pas de réponse. De guerre lasse, l’évêque a fixé la date de l’ordination au 8 février 2004. La consécration a pris place en présence des prêtres du diocèse et d’une foule de fidèles, mais, comme il n’y avait pas d’autorisation officielle, les évêques invités comme co-consécrateurs n’ont pu se rendre à la cérémonie.

Ces témoignages de prêtres « officiels » rejoignent un effort du côté « clandestin » pour briser la barrière qui empêchait toute communion avec les « officiels ». En juillet 2003, Mgr Han Zhihai, jeune évêque « clandestin » de Lanzhou, lointain diocèse situé sur le Fleuve jaune, au nord-ouest de la Chine, a écrit une lettre à ses amis évêques, leur demandant de « libérer les catholiques chinois de l’ambiguïté créée par la situation de division » qui est celle de la Chine aujourd’hui. Notant que la plupart des évêques « officiels » ont été légitimés par Rome et se trouvent ainsi en communion avec l’Eglise universelle, il invite à poser des gestes concrets de réconciliation, en particulier la participation à la même Eucharistie là où l’évêque et les prêtres ont donné des signes clairs de leur union à Rome.

En 2005, la consécration de l’évêque auxiliaire de Shanghai, Mgr Joseph Xing, par Mgr Jin Luxian s’est faite avec l’accord de Rome et une nomination parallèle par la Conférence épiscopale chinoise sans entente préalable. Cet événement heureux a malheureusement été suivi l’année suivante par la consécration de trois évêques sans accord de Rome, dans les provinces du Yunnan, de l’Anhui et du Jiangsu. La lettre du pape en 2007 déclare clairement que la nomination d’évêques ne peut se faire sans Rome. Depuis la lettre du pape, la consécration du nouvel évêque de Pékin s’est faite avec l’accord de Rome, un fait annoncé le soir même dans l’Osservatore Romano. Quatre autres évêques également approuvés par Rome ont été consacrés fin 2007 : Mgr Xiao Zejiang, évêque coadjuteur du Guizhou, à Guiyang, le 8 septembre, Mgr Lu Shouwang, évêque de Yichang, le 30 novembre, Mgr Gan Junqiu, évêque de Canton, le 4 décembre, et Mgr Li Jing, coadjuteur de Ningxia, le 21 décembre. Tout en sachant que ces évêques ont obtenu l’accord de Rome, le gouvernement chinois fait tout pour que seule soit annoncée officiellement leur nomination par la Conférence épiscopale chinoise.

La solidarité de l’Eglise universelle

L’ouverture de la Chine au monde ces trente dernières années a permis des rencontres et des échanges religieux qui ont certainement contribué à soutenir le moral d’une Eglise qui se sentait en situation fausse du fait de son isolement. Grâce à une initiative de l’évêque de Shanghai et à l’appui de quelques missionnaires familiers de la Chine, quelques centaines de prêtres, séminaristes et religieuses ont pu aller poursuivre, à partir de 1993, des études de théologie en Amérique, en Europe et aux Philippines. Ces séjours à l’étranger ne vont pas sans difficulté pour diverses raisons : retard accumulé dans les sciences religieuses dû à la pauvreté de la formation depuis la réouverture des séminaires en 1983, décalage entre la ferveur des communautés catholiques traditionnelles et une vie d’Eglise très sécularisée en Occident, conflit intellectuel entre une manière de penser chinoise soucieuse d’harmonie entre l’homme et son environnement naturel et social et une logique occidentale s’exprimant de façon abstraite et critique. D’un autre côté, quel que soit le succès de leurs études, les étudiants de théologie à l’étranger font l’expérience d’une foi plus réfléchie dans un milieu sécularisé et sans complaisance pour la religion. Ils peuvent ainsi apprendre à mieux comprendre l’apport de la foi chrétienne à la vie humaine et se préparer à en témoigner dans la société chinoise matérialiste qui se développe aujourd’hui.

Des professeurs de théologie, liturgie, Ecriture sainte, capables d’enseigner en chinois, ont également été invités de Taiwan, Hongkong et autres lieux à aller donner des cours dans les séminaires de Chine pour parer au manque de personnel enseignant et diffuser les réformes encouragées par le concile Vatican II. L’un d’eux, shanghaien d’origine, le salésien Chen Zhijun, a pu enseigner la philosophie au séminaire de Sheshan, à Shanghai. Devenu depuis l’évêque de Hongkong, Mgr Zen Ze-kiun, suivant la prononciation de Shanghai, continue à faire connaître les orientations catholiques en matière de morale personnelle et sociale. Soutenant les progrès de la vie démocratique à Hongkong depuis le retour de Hongkong sous souveraineté chinoise le 1er juillet 1997, il n’a pas été sans créer quelques inquiétudes à Pékin, qui ne souhaite pas voir se développer un foyer de démocratie à ses portes. Interdit de séjour sur le continent depuis plusieurs années, il a pourtant été autorisé à passer quelques jours à Shanghai fin avril 2004 pour y retrouver sa famille et faire un pèlerinage au sanctuaire marial de Sheshan. Nommé cardinal, il joue un rôle actif dans les tentatives de rapprochement entre Pékin et Rome.

A leur retour en Chine après un séjour en Amérique ou en Europe, les jeunes prêtres fraîchement diplômés souffrent d’un nouveau décalage entre ce qu’ils avaient découvert dans une ambiance de grande liberté et ce qui leur est pratiquement impossible d’accomplir sous l’autorité de vieillards d’esprit conservateur ou sous de multiples contraintes d’ordre politique. Leurs confrères restés dans le pays craignent aussi parfois de les voir s’emparer des postes les plus intéressants du diocèse. Certains n’ont pu soutenir le choc et ont quitté le ministère. La plupart des autres rendent de grands services, souvent comme professeurs ou même supérieurs de grands séminaires. Quelques-uns font preuve d’une grande énergie dans des initiatives prometteuses. A Pékin, le P. Pierre Zhao Jianmin, docteur de l’Université de Louvain, a lancé un cours d’initiation à la culture chrétienne pour une quarantaine d’universitaires possédant déjà la maîtrise d’une langue étrangère. La dizaine de professeurs qu’il emploie sont pour la plupart des jeunes prêtres diplômés en Amérique. A Shijiazhuang, capitale de la province du Hebei, le P. Zhang Shijiang, formé aux Philippines, dirige les presses catholiques de la foi, Xinde, diffuse son journal sur Internet et a mis sur pied un service Caritas (Jinde) analogue au Secours catholique français. Dans le sud-ouest du pays, à Kunming, le jeune prêtre Chen Kaihua, qui bénéficie d’études à Paris depuis septembre 2005, est connu des milieux académiques chinois. En 1998, lors d’un colloque à Hangzhou, il présentait son catalogue des bibliographies d’ouvrages catholiques chinois publiés depuis trois siècles. Tout en assurant son service pastoral à Kunming, il organisait en 2003 une exposition de photographies reflétant la vie du peuple dans la province du Yunnan, attirant ainsi l’attention sur les chrétiens des minorités ethniques de la province. A l’échelon national, à partir de 2003, une année de formation permanente pour une quarantaine de jeunes prêtres ayant dix ans de sacerdoce a été organisée de mars à décembre dans les vastes locaux du séminaire national de Daxing, au sud de Pékin. Les éléments les plus qualifiés de l’Eglise catholique en Chine s’acheminent ainsi vers un niveau de compétence qui leur permettra d’assurer une formation locale des prêtres, religieuses et dirigeants laïcs. Certains pourront aussi développer un dialogue avec les intellectuels non chrétiens de l’Académie des sciences ou des universités qui poursuivent des recherches très pointues sur la théologie chrétienne et l’histoire du christianisme.

La multiplication des échanges

Sur le plan des études académiques, des recherches et des publications, de multiples échanges prennent place, en particulier lors de colloques organisés soit en Chine, soit en Occident. L’histoire des relations culturelles Est-Ouest est un domaine privilégié de la rencontre. Les chercheurs chinois qui travaillent l’apport de missionnaires des XVIIème et XVIIIème siècles sont parfois gênés par leur manque de connaissance du latin, du français et des langues européennes autres que l’anglais. Ils aimeraient pouvoir placer quelques experts en stage dans des instituts européens pour une durée d’environ deux ans, de façon à leur permettre de consulter les archives des instituts missionnaires. Les Instituts catholiques de Belgique, d’Allemagne, d’Italie ont soutenu cet effort de la part des Chinois. La France pourrait faire davantage en ce domaine, vu l’ampleur de l’activité de ses missionnaires en Chine depuis plus de trois siècles. Jésuites, Missions Etrangères de Paris, lazaristes, en particulier, ont des archives que les Chinois aimeraient exploiter. Faute de disposer de chercheurs qualifiés, les Chinois œuvrent à la traduction de nombreux ouvrages déjà publiés en Occident.

Il est vrai que le développement considérable de l’activité missionnaire pendant la période coloniale tend à occulter la richesse des échanges avec la Chine en d’autres périodes plus sereines. L’histoire chrétienne en Chine aux XIXème et XXème siècles est d’ailleurs encore peu abordée par les chercheurs chinois. L’interprétation marxiste de l’histoire rend encore impossible l’étude objective de certains sujets. En revanche, les professeurs chinois de cultures ou de religions comparées se sont attelés à traduire quantité d’ouvrages de théologiens occidentaux contemporains. Ils découvrent dans la théologie européenne un sens du drame de l’histoire, de la misère de l’homme et de la tragédie de sa rédemption, de son affranchissement de l’esclavage du mal, autant d’éléments qui leur paraissent manquer dans la vision chinoise du monde. L’idée d’appartenir à une Eglise inquiète peu ces intellectuels qu’on a pu qualifier de « chrétiens culturels ».

Mais les échanges directs entre croyants étrangers et chinois se sont multipliés de diverses façons : ‘Service Chine’ de quelques instituts missionnaires, ‘Centre d’études du Saint Esprit’ de Hongkong, Zhonglian à Singapour, qui publie depuis 1986 un Guide to the Catholic Church in China en anglais et chinois. La sixième édition disponible depuis le 1er juin 2004 s’est enrichie de centaines d’adresses d’églises, de plus d’un millier de numéros de téléphone et de plusieurs adresses électroniques pour les centres catholiques les plus importants. Le Guide 2008 devrait paraître en mai prochain. L’Internet est en outre un lieu d’échanges qui s’est développé ces dernières années à une allure vertigineuse. Les sites catholiques chinois sont aujourd’hui en service soit à Shijiazhuang (Hebei), soit au centre d’études chrétien de Taofengshan, à Hongkong, soit bien sûr à l’agence catholique d’information Ucanews, etc. L’information d’actualité sur la vie de l’Eglise en Chine est diffusée en français par le bulletin bimensuel Eglises d’Asie, en allemand par la revue mensuelle China Heute, en anglais par la revue trimestrielle China Study Project, en italien et autres langues par l’agence Fides, AsiaNews et le bulletin Mondo e Missione.

Le proverbe chinois bai wen bu ru yi jian (‘entendre cent fois ne vaut pas voir une fois’) a incité de nombreux Occidentaux à faire le voyage en Chine. Les visiteurs chrétiens ont ainsi pu participer à la messe locale en chinois et rencontrer évêques, prêtres et fidèles du pays. Ces rencontres introduisent un aspect missionnaire dans des parcours touristiques ou commerciaux : même après trente années d’ouverture progressive, les chrétiens de Chine sont toujours réconfortés par la présence amicale et solidaire de chrétiens d’autres pays. Depuis janvier 2006, les directeurs de pèlerinages des diocèses de France organisent des pèlerinages en Chine.

Depuis quelques années, les communautés catholiques de Chine tendent à se développer dans les milieux professionnels urbains. Les jeunes venus des villages pour travailler en ville contribuent d’ailleurs à faire évoluer la mentalité et le style de vie de villages catholiques autrefois fermés. Les chrétiens qui ont les moyens de s’offrir un voyage en Europe sont avides de pèlerinages dans les grands sanctuaires de Lourdes, Lisieux, Rome, etc. A Paris, la cathédrale Notre-Dame, l’église de la Madeleine, le Sacré-Cœur reçoivent aussi la visite de touristes chinois, croyants ou non, de plus en plus nombreux. L’accueil des visiteurs chinois peut être amélioré grâce à des petits guides explicatifs en chinois.

Les milliers d’étudiants chinois sans religion particulière qui viennent étudier quelques années dans les universités d’Europe méritent également un accueil et un service d’information que les diocèses concernés sont amenés à prendre en compte. En France, quelques prêtres ont compris l’importance de cet enjeu, à Lyon, à Angers, à Brest, à Poitiers, à Pau, à Grenoble, et bien sûr à Paris. Même sans savoir parler chinois, ces prêtres peuvent faire appel à quelques volontaires chinois parlant le français et aussi se procurer des missels, bibles, catéchèses et ouvrages divers importés à Paris depuis Hongkong, Taiwan, Singapour, Shanghai, etc. Comme un certain nombre d’étudiants souhaitent être instruits de la foi chrétienne, il est important de mettre au point pour eux un programme de catéchuménat spécial, car leurs questions et leur intérêt diffèrent souvent des aspects abordés dans le catéchuménat local. Quoi qu’il en soit des motivations de chacun, l’approche chinoise de l’Evangile se fait sur fond d’amitié, de respect et de confiance mutuelle. La prière, la liturgie, les chants sacrés et la petite Voie spirituelle ouverte par sainte Thérèse sont des chemins privilégiés de conversion. La relation entre science et foi peut faire problème pour certains, peut-être sous l’effet de l’éducation reçue dans les écoles chinoises. Ils sont pourtant moins allergiques aux religions que bon nombre d’Européens. Leur vision esthétique du monde, leur sens de la poésie et des symboles sont des atouts psychologiques pour un approfondissement du sens de l’existence humaine.

Le jour vient où l’Eglise en Chine pourra mettre en avant ses athlètes. Les 120 martyrs canonisés le 1er octobre 2000 ont déjà reçu leur médaille d’or.

Le processus actuel de mondialisation aiguillonné par des impératifs économiques devrait en même temps comporter un aspect humain, moral, social et culturel. C’est précisément ce que fait remarquer le pape Benoît XVI dans sa Lettre aux catholiques de Chine. De ce point de vue, le dialogue de plus en plus riche entre le monde chinois et l’Occident peut avoir beaucoup de poids pour forger une base éthique reconnue mondialement. L’ouverture mutuelle et les moyens de communication n’ont jamais été aussi développés. Seules nos faiblesses humaines et notre peu de foi nous empêchent d’en tirer tous les fruits.