Eglises d'Asie

Supplément EDA 3/2008 : Lettre de Benoit XVI aux catholiques de Chine – Grille de lecture

Publié le 22/11/2010




Le 30 juin 2007, le pape Benoît XVI rendait publique une longue lettre « aux évêques, aux prêtres aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs de l’Eglise catholique en République populaire de Chine ». Immédiatement diffusée en Chine continentale, ce document donne une feuille de route aux catholiques chinois. Près de douze mois plus tard, un missionnaire au contact des réalités de l’Eglise en Chine propose une analyse du texte pontifical, de ses points saillants et de leur réception par l’Eglise de Chine.

1.) Historique de la lettre

De la réunion confidentielle sur l’Eglise en Chine qui s’est tenue au Vatican les 19-20 janvier 2007, deux informations ont filtré : la création d’une commission inter-dicastères pour l’Eglise catholique en Chine, dont la première session plénière s’est tenue les 10-12 mars 2008, et la publication d’une lettre du Saint-Père adressée aux catholiques de Chine. Cette deuxième information a suscité une forte attente au sein de l’Eglise en Chine, impatiente de recevoir cette lettre en provenance du Souverain Pontife, très respecté en Chine. Cela a aussi déclenché une certaine anxiété du côté des instances gouvernementales, qui, en craignant une attaque en règle, se demandaient ce que le pape allait déclarer. En attendant de découvrir les intentions du pape, le gouvernement bloqua nombre de projets en attente, dont des ordinations épiscopales, pour préparer sa riposte.

Annoncée pour « après Pâques », cette fameuse lettre s’est fait attendre longtemps, avec une montée en puissance de l’impatience et de l’anxiété. Ce n’est finalement que le 30 juin 2007 que cette lettre, signée par le Saint-Père en la fête de la Pentecôte (27 mai), a été publiée, avec une longue note explicative issue de la curie. Pour ménager les autorités chinoises, le Saint-Siège leur en avait remis un exemplaire plus d’une semaine avant sa publication. Dans un souci de prévention, le gouvernement chinois a convoqué la grande majorité des évêques officiels à Pékin les 27-29 juin, pour discuter des célébrations du 50ème anniversaire de l’Association patriotique, mais surtout pour leur donner des consignes sur la réception de cette lettre (que les évêques n’avaient pas encore en main). Dès le 30 juin en fin d’après-midi, la version chinoise de la lettre était disponible, d’abord sur le site officiel du Vatican puis sur la plupart des sites Internet catholiques en Chine. Ce n’est que le lendemain matin que les autorités civiles en ont exigé le retrait des sites en question. Ce laps de temps, qui n’a pas pu être laissé au hasard de négligences de la bureaucratie, préparée depuis longtemps sur la conduite à suivre lors de la publication de la lettre du pape, a donc permis à plusieurs milliers de personnes en Chine de télécharger le texte, pour ensuite le diffuser largement autour d’eux. Par ailleurs, les nombreux catholiques chinois résidant à l’étranger se sont aussi empressés d’envoyer le texte à leurs proches. Par la suite, des versions papier ont été expédiées depuis Taiwan, Hongkong ou Macao. Certaines communautés en Chine l’ont elles-mêmes imprimée. A Xi’an, la lettre est même restée affichée sur un mur plusieurs semaines. En conséquence, la lettre du pape a été largement diffusée en Chine, y compris dans les communautés catholiques dites « clandestines » et parmi les observateurs non catholiques – ce dont témoignent des commentaires sur des blogs locaux.

A l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine, la lettre du Saint-Père a été saluée avec beaucoup d’éloges, la présentant comme un texte de référence qui fera date pour l’Eglise en Chine. Quelques erreurs de traduction dans le texte chinois, portant à conséquence, ont suscité une réaction rapide du cardinal Zen Ze-kiun, évêque de Hongkong, qui, avec l’aide de quelques experts, a immédiatement entrepris un travail de correction : une nouvelle traduction en chinois était diffusée à Hongkong dès la mi-juillet, ce qui a entraîné un discret retrait de la version romaine des rayons de la librairie du Vatican. Depuis, une version corrigée est désormais disponible sur le site Internet du Vatican, où elle est présente dès la page d’accueil du site. De son côté, le gouvernement chinois n’a pas fait de commentaires officiels : l’absence de critiques de la part du gouvernement a été comprise comme un acte de bonne volonté, prouvant que le gouvernement avait été sensible au ton respectueux et amical du Saint-Père. A l’échelon local, le gouvernement a organisé de petites sessions de formation pour expliquer aux responsables de l’Eglise ce qu’il fallait penser de cette lettre, présentée comme une nouvelle ingérence du Vatican dans les affaires internes de la Chine. Certains diocèses, surtout du côté clandestin, ont eux-mêmes organisé des sessions d’étude de la lettre, pour mieux comprendre son contenu et prévoir ses conséquences possibles sur la vie de l’Eglise locale. Mais, de façon générale, on peut dire que cette lettre n’a pas suscité de fortes réactions ou débats en Chine. Les retombées seront progressives, car les directives exprimées demandent du temps, de la patience et du courage pour être mises en œuvre. De plus, l’influence de cette lettre du Saint-Père est à envisager sur le long terme dans la vie de l’Eglise en Chine. A l’extérieur du pays, de nombreux commentateurs et experts se sont exprimés sur la valeur historique de cette lettre. Selon le communiqué publié par le Saint-Siège le 13 mars 2008, la première réunion de la Commission pour l’Eglise catholique en Chine (10-12 mars) s’est concentrée sur l’étude des réactions en Chine et hors de Chine au document pontifical, en réfléchissant sur les principes théologiques qui ont inspiré cette lettre, de façon à envisager les développements futurs pour la communauté catholique en Chine (1).

Pourquoi une telle lettre du pape ?

Après la Révolution culturelle et la réouverture progressive des églises au début des années 1980, l’Eglise en Chine a été confrontée à bien des problèmes épineux, en particulier dans ses relations avec le gouvernement, qui nécessitaient des directives venant du Saint-Siège. En réponse, celui-ci a attribué, dès 1978, des facultés spéciales aux évêques de Chine, en particulier le droit d’ordonner des successeurs sans l’accord préalable du pape. Le fameux « document en huit points » sur les questions de l’Eglise en Chine, publié en 1988 par le cardinal Tomko, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a longtemps servi de référence sur la conduite à tenir face au gouvernement et à l’Association patriotique. Mais, depuis les années 1980, la situation ayant beaucoup évolué, il devenait urgent que le Saint-Siège clarifie un certain nombre de points importants. Dès la fin du pontificat de Jean Paul II, l’idée d’une lettre pontificale adressée à l’Eglise en Chine avait vu le jour. Un long travail de préparation et de consultation d’experts et de responsables de l’Eglise, y compris en Chine, a donné le jour à un document de travail que Benoit XVI a décidé de reprendre à son compte en janvier 2007, ce qui a abouti à une lettre signée par la plus haute autorité de l’Eglise, adressée « aux évêques, aux prêtres, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs de l’Eglise catholique en République populaire de Chine ». Ce titre est important puisqu’il situe la lettre à un niveau interne de l’Eglise (2) : il ne s’agit pas d’un document adressé au gouvernement chinois. En même temps, en précisant « en République populaire de Chine », le pape reconnait implicitement la République populaire de Chine.

Il faut se rappeler que les dernières lettres du Saint-Père adressées à la Chine remontaient aux textes sévères adressés par Pie XII dans les années 1950 (3), au début de la prise de contrôle de l’Eglise locale par les autorités communistes chinoises. Le ton de Benoit XVI est particulièrement respectueux et fraternel, exprimant son amour pour la Chine et faisant l’éloge de la « Noble Nation » chinoise. Dans le même temps, il n’hésite pas à exprimer clairement les principes fondamentaux de l’Eglise et à dénoncer des situations contraires à la foi catholique, mais toujours avec beaucoup de délicatesse, à la chinoise en somme, sans nommer directement les personnes ou institutions visées.

La première partie de la lettre, plus théologique, aborde les défis de l’évangélisation ; l’importance de la communion dans l’Eglise, affirmant l’unité de l’Eglise en Chine et la nécessité de s’engager dans la voie du pardon et de la réconciliation entre les différentes communautés clandestines et officielles ; la primauté du ministère des évêques dans la vie de l’Eglise et leur nomination par le successeur de saint Pierre ; l’incompatibilité avec la foi de certaines institutions imposées par le gouvernement pour diriger l’Eglise. Le Saint-Père exprime sa volonté d’engager un dialogue respectueux et constructif avec les autorités civiles chinoises. Par ailleurs, en plusieurs endroits, il mentionne avec compassion les souffrances de l’Eglise en Chine. Dans la deuxième partie, le Saint-Père donne des orientations pour la vie pastorale, en abordant huit domaines particuliers, touchant à des problèmes cruciaux de la vie de l’Eglise en Chine, tels que les questions de la formation, de gouvernement, du rôle des laïcs et des familles, etc. Dans une importante conclusion, le Saint-Père révoque toutes les facultés spéciales préalablement concédées et institue pour l’Eglise universelle le 24 mai, comme « journée de prière pour l’Eglise en Chine ».

Si les éloges ont été unanimes sur cette lettre en général, certains lui ont reproché d’être trop longue et trop théologique, difficile à comprendre pour ceux qui n’ont pas un bon bagage en ecclésiologie (à commencer par les fonctionnaires du gouvernement chinois). D’autres lui reprochent d’être parfois trop vague dans ses condamnations (puisque le pape a fait le choix de ne pas nommer explicitement les institutions ou personnes qu’ils dénoncent). Bien des clandestins ont le sentiment amer d’être « lâchés par Rome », suite à des interprétations erronées de la pensée du pape sur la notion de clandestinité qui « ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Eglise » (n° 8). Ce qui est certain, c’est que cette lettre du pape représente un tournant dans l’histoire de l’Eglise en Chine et constitue un document de référence précieux, qui nécessitera du temps pour être compris, accepté et mis en œuvre.

2.) Contenu de la lettre

Composée de vingt articles plus ou moins longs, la lettre commence par exprimer l’attachement du pape aux catholiques chinois : « Vous savez combien vous êtes présents dans mon cœur et dans ma prière quotidienne, et combien le lien de communion qui nous unit spirituellement est profond. » (n° 1), se réjouissant avec eux de leur fidélité dans les épreuves. Face à certains aspects préoccupants de la vie ecclésiale en Chine, le pape souhaite donner quelques orientations concernant la vie de l’Eglise et l’œuvre d’évangélisation en Chine.

Première Partie : Situation de l’Eglise – Aspects théologiques

La préoccupation essentielle qui doit guider l’Eglise est sa mission évangélisatrice. Dans l’article 3, Benoit XVI s’étend longuement sur le contexte de la société chinoise : à la fois « la splendeur de sa civilisation millénaire, avec toute son expérience de sagesse, de philosophie, ainsi que dans les sciences et dans les arts », mais aussi les progrès significatifs « dans les domaines économique et social, suscitant l’intérêt du monde entier ». Le pape reconnait que ces progrès et la recherche de modernité posent de nouveaux défis ambivalents : d’une part, une augmentation de la quête spirituelle, en particulier parmi les jeunes ; d’autre part, un développement de la tendance au matérialisme et à l’hédonisme. Au travers de citations de la Parole de Dieu et de Jean Paul II (souvent cité dans l’ensemble de la lettre), Benoit XVI encourage l’Eglise en Chine, dans les souffrances et face aux aspects incompréhensibles de l’histoire, à annoncer avec espérance l’Evangile de Jésus-Christ, crucifié et ressuscité. Cette dimension pascale de l’évangélisation n’est pas séparable des signes d’amour et d’unité au sein de l’Eglise, auxquels le pape appelle spécialement les catholiques en Chine.

Dans l’article 4, exprimant sa disponibilité pour un dialogue respectueux et constructif avec les autorités chinoises, le pape exprime son intérêt pour la vie de tout le peuple chinois, « Peuple que j’apprécie profondément et pour lequel j’ai des sentiments d’amitié, au point de formuler le souhait de voir rapidement instaurées des voies concrètes de communication et de collaboration entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine », tout en étant conscient « que la normalisation des relations avec la République populaire de Chine demande du temps et qu’elle présuppose la bonne volonté des deux Parties. Pour sa part, le Saint-Siège demeure toujours ouvert aux négociations, qui sont nécessaires pour dépasser le difficile moment présent ». « L’Église catholique d’aujourd’hui ne demande aucun privilège à la Chine et à ses Autorités politiques, mais uniquement de pouvoir reprendre le dialogue, afin de parvenir à une relation empreinte de respect réciproque et de connaissance approfondie. Que la Chine le sache: l’Église catholique a le vif désir d’offrir, une nouvelle fois, un service humble et désintéressé, en ce qui relève de sa compétence, pour le bien des catholiques chinois et de tous les habitants du Pays. » S’appuyant sur le concile Vatican II (Gaudium et Spes 76), le pape rappelle que « la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre, et autonomes dans le domaine qui est le leur », tout en étant au service de la promotion de la justice. Mais cette autonomie, sur laquelle insiste le pape, et qui implique une authentique liberté religieuse, n’entre pas dans les schémas de la dialectique du Parti communiste chinois, où tout est considéré comme politique et doit s’inscrire dans le mouvement du Front Uni, dont la mission est de rassembler toutes les forces de la société derrière la bannière et sous le contrôle du Parti. Cette dictature du Parti (terme employé par le Parti lui-même) est une clé de compréhension indispensable pour aborder les relations avec les Autorités chinoises et comprendre les contraintes imposées à l’Eglise en Chine.

Dans les articles 5 & 6, le pape aborde la difficile et fondamentale question de l’unité de l’Eglise. Il est notable que le Saint-Père ne parle jamais de « deux Eglises » en Chine (ce que font souvent les journalistes) et invite à dépasser les divisions entre les communautés clandestines et officielles (qui ne sont pas nommées comme telles). Reprenant les acquis du concile Vatican II en matière de communion entre les Eglises particulières dans l’Eglise universelle (Lumen Gentium 23 & 26), le pape insiste sur l’unique foi qui unit l’Eglise à travers le monde, dont l’unité repose sur l’évêque qui est « le principe et le fondement visible de l’unité dans l’Eglise particulière confiée à son ministère pastoral » (Lumen Gentium 26), en communion avec l’ensemble du collège épiscopal et son chef, le successeur de Pierre. Ce dernier appelle toute l’Eglise qui est en Chine « à vivre et à manifester cette unité dans une spiritualité de communion plus riche », tout en sauvegardant la doctrine et la tradition de l’Eglise. Reprenant l’appel de Jean Paul II à s’engager résolument en faveur de la communion (Novo millennio ineunte n° 42), Benoit XVI insiste sur l’urgence pour l’Eglise qui est en Chine de cet engagement fondé sur l’amour mutuel, qui permet de dépasser les tensions et de trouver le courage du pardon. « En effet, la purification de la mémoire, le pardon de ceux qui ont fait le mal, l’oubli des torts subis et la pacification des cœurs dans l’amour, qui sont à réaliser au nom de Jésus crucifié et ressuscité, peuvent exiger le dépassement de positions ou de visions personnelles issues d’expériences douloureuses ou difficiles, mais ce sont des pas qu’il est urgent d’accomplir pour accroître et manifester les liens de communion entre les fidèles et les Pasteurs de l’Église en Chine. » Conscient que ce travail de réconciliation au sein de l’Eglise en Chine prendra du temps, le pape appelle à regarder vers les « nombreux « témoins de la foi », qui ont souffert et qui ont pardonné, offrant leur vie pour l’avenir de l’Eglise catholique en Chine ». Cette évocation des « témoins de la foi » est très large, mais elle peut être considérée comme une référence discrète aux 120 martyrs de Chine canonisés en l’an 2000, dont la mention risque de froisser le gouvernement chinois qui s’est vivement opposé à ces canonisations. On les retrouve pourtant évoqués de façon explicite dans le salut final (n° 20).

Le long article 7 aborde l’épineuse question des relations entre les communautés ecclésiales et les organismes d’Etat. Le pape invite à vivre ces relations selon le double principe de la vérité et de la charité. Dans l’esprit de ce principe, le Saint-Père n’hésite pas à déclarer clairement que « la prétention de certains organismes, voulus par l’État et étrangers à la structure de l’Église, de se placer au-dessus des Évêques eux-mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale ne correspond pas à la doctrine catholique selon laquelle l’Église est apostolique », par son origine, par son enseignement, et par sa structure. « Même la finalité déclarée desdits organismes de mettre en œuvre « les principes d’indépendance et d’autonomie, d’autogestion et d’administration démocratique de l’Église » est inconciliable avec la doctrine catholique qui, depuis les antiques Symboles de foi, professe que l’Église est « une, sainte, catholique et apostolique » ». Si, par charité, l’Association patriotique des catholiques chinois n’est pas nommée explicitement, elle est bien visée par ce paragraphe, puisque ce sont ses statuts qui sont cités. Le pape dit donc très clairement que la dite Association patriotique est une entité voulue par l’Etat et étrangère à la structure de l’Eglise, et dont les principes sont inconciliables avec la doctrine catholique. La Conférence nationale des Représentants des catholiques chinois, organe suprême de décision dans la structure officielle imposée à l’Eglise par l’Etat, n’est pas clairement visée, mais elle s’inscrit dans la même catégorie des « organismes voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise », et son rôle, qui comprend l’élection du président de la Conférence épiscopale, ne correspond pas à la doctrine catholique. Le pape rappelle que la mission de l’Eglise, sa vie et ses choix pastoraux sont uniquement de la compétence des évêques, « et qu’ils ne peuvent donc être sujets à aucune interférence extérieure ».

Une fois posé ce principe, comment envisager la reconnaissance de la part des autorités civiles et qui est nécessaire pour agir publiquement ? Le pape affirme que dans l’absolu, il n’y a pas opposition entre la sauvegarde des fondements de l’Eglise et le dialogue avec les autorités civiles, y compris dans l’acceptation de la reconnaissance concédée par ces autorités. « Cependant, dans de nombreux cas concrets, sinon presque toujours (4), dans la procédure de reconnaissance, interviennent des organismes qui obligent les personnes engagées à avoir des attitudes, à poser des gestes et à prendre des engagements qui sont contraires aux préceptes de leur conscience de catholiques. » Le pape comprend que la décision à prendre est très complexe et dépend de chaque situation locale. En effet, selon les lieux, les exigences des autorités civiles varient fortement. Dans certains cas, l’évêque qui sort de la clandestinité n’est pas tenu de joindre l’Association patriotique ; dans d’autres cas, il lui est demandé de signer une déclaration qui inclue le principe d’indépendance, dénoncé plus haut par le pape. « Pour cette raison, le Saint-Siège, après avoir affirmé de nouveau les principes, laisse les décisions à chaque Évêque, qui, ayant écouté son presbyterium, est mieux en mesure de connaître la situation locale, d’évaluer les possibilités concrètes de choix et d’envisager les éventuelles conséquences au sein de la communauté diocésaine. » Si ce choix est dicté par la complexité des diverses situations, il fait reposer sur les épaules des évêques concernés une responsabilité particulièrement lourde et difficile à exercer. L’exemple douloureux du diocèse de Baoding en est la triste preuve. Mgr. François An Shuxin, à sa sortie de prison (août 2006), a fait le choix d’accepter la reconnaissance officielle du gouvernement, mais il n’a été suivi que par quelques prêtres du diocèse et les fidèles ne veulent plus participer aux messes que ces derniers célèbrent. Une autre difficulté est de discerner quelles sont les « attitudes, les gestes et les engagements contraires aux préceptes de leur conscience de catholiques ». Chacun peut l’interpréter différemment, mais le critère donné par le Saint-Siège, à savoir « après avoir écouté son presbyterium », permet à l’évêque local de prendre une décision finale qui ne perturbera pas la communion ecclésiale, même si elle n’obtient pas l’accord de tous. En terminant cet article, le pape invite à la « compréhension fraternelle, évitant des jugements et des condamnations réciproques ».

Les articles 8 & 9 abordent la question de l’épiscopat chinois et de la nomination des évêques, « un des problèmes les plus délicats dans les relations du Saint-Siège et avec les Autorités (chinoises) ». C’est pourquoi le Saint-Père commence par rappeler la fonction essentielle des ministres ordonnés dans l’Eglise et les difficultés rencontrées, « parce que des personnes non « ordonnées » et parfois même non baptisées contrôlent et prennent des décisions concernant d’importantes questions ecclésiales, y compris la nomination des Évêques, au nom de divers organismes d’État ». Anthony Liu Bainian, actuel vice-président de l’Association patriotique – et son réel dirigeant depuis 1980 –, est directement visé par cette allusion, car il influence et contrôle la vie de l’Eglise à de très nombreux niveaux : le choix des dirigeants de l’Eglise et des candidats à l’épiscopat, l’envoi à l’étranger pour faire des études, l’invitation de professeurs ou de prédicateurs étrangers, etc. En rappelant la « structure sacramentelle de l’Église », par sa nature, don de Dieu, le pape met en lumière la dimension apostolique de l’Eglise, fondée sur les apôtres et leurs successeurs, dans une communion universelle qui exclue le principe d’indépendance d’une Eglise locale. Après avoir développé la charge des évêques et leur ministère, Benoit XVI insiste sur le fait que « comme cela se produit dans le reste du monde, en Chine aussi, l’Eglise est gouvernée par des évêques qui, par l’ordination épiscopale qui leur est conférée par d’autres Evêques validement ordonnés, ont reçu, avec la charge de sanctifier, également les charges d’enseigner et de gouverner le peuple qui leur est confié dans les différentes Églises particulières, avec un pouvoir qui est conféré par Dieu, par la grâce du sacrement de l’Ordre ». En notant qu’actuellement « tous les Évêques de l’Église catholique en Chine sont fils du Peuple chinois », signe d’un réel enracinement de l’Eglise dans le peuple chinois, le pape précise que, « malgré de nombreuses et graves difficultés, l’Église catholique en Chine, par une grâce particulière de l’Esprit Saint, n’a jamais été privée du ministère de Pasteurs légitimes, qui ont conservé intacte la succession apostolique ». Cette précision exprime clairement qu’il n’y a pas eu schisme dans l’Eglise en Chine et que les évêques sont ordonnés validement.

Le pape décrit ensuite la situation complexe des évêques, qu’il répartit en trois catégories. Certains évêques, ne voulant pas être soumis à un contrôle indu exercé par le gouvernement, ont été contraints à se faire consacrer clandestinement. A ce sujet vient une phrase qui a fait couler beaucoup d’encre : « La clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Église, et l’histoire montre que Pasteurs et fidèles y ont recours uniquement avec le désir tourmenté de maintenir intègre leur propre foi et de ne pas accepter l’ingérence d’organismes d’État dans ce qui touche l’intime de la vie de l’Église. » En s’exprimant ainsi, le pape montre que ces évêques ont été contraints à la clandestinité, ce qui n’est pas la forme normale de la vie de l’Eglise, et c’est pour cela qu’il poursuit en exprimant le souhait « que ces Pasteurs légitimes puissent être reconnus comme tels par les Autorités gouvernementales ». Il s’agit bien d’un souhait adressé au gouvernement de reconnaître les évêques clandestins et leurs communautés, et non d’abord un appel aux dits évêques de sortir de la clandestinité. Cette phrase, sortie de son contexte, a été largement utilisée pour affirmer que, selon le pape, « la clandestinité n’était pas normale », et, en poussant plus loin, que les communautés qui demeuraient dans la clandestinité étaient finalement dans l’erreur ou menaient un combat d’arrière-garde. De telles affirmations ont jeté beaucoup de troubles dans les communautés clandestines, qui se sont senties jugées et critiquées dans leurs choix, de la voix du pape lui-même. Il est clair que tel n’est pas le sens du texte cité et que le pape n’exige pas de sortir de la clandestinité. Pour mieux comprendre cette difficile question, il faut aussi mettre ce passage en perspective avec l’article 6 sur le pardon et la réconciliation au sein de l’Eglise et l’article 7 invitant au dialogue avec les autorités civiles, dans le respect des principes fondamentaux de la foi.

Une deuxième catégorie d’évêques comprend la majorité des évêques officiels qui ont été ordonnés sans mandat pontifical (fruit d’une élection locale plus ou moins libre et surtout d’une nomination par les organismes d’Etat) mais qui ont ensuite demandé discrètement d’être reconnu par le pape, ce qui a été possible dans la très grande majorité des cas, « considérant la sincérité de leurs sentiments et la complexité de la situation, et tenant compte de l’avis des Évêques les plus proches ». Mais le pape rappelle que ces évêques doivent « poser des gestes qui prouvent clairement la légitimation obtenue », mais que, « malheureusement, dans la majorité des cas, les prêtres et les fidèles n’ont pas été convenablement informés de la légitimation obtenue par leur évêque, et cela a donné lieu à de nombreux et graves problèmes de conscience ». C’est souvent ce dernier élément qui est mis en avant par les clandestins (prêtres ou laïcs) pour garder leurs distances avec l’évêque officiel du lieu, malgré sa légitimation.

La dernière catégorie d’évêques correspond à la très faible minorité de ceux qui ont été ordonnés sans mandat pontifical et qui n’ont pas demandé leur légitimation par le Saint-Père (ou ne l’ont pas encore obtenue). Dans cette catégorie entre le fameux Mgr Ma Yinglin, ordonné illégitimement (mais validement) le 30 avril 2006 pour le diocèse de Kunming et qui est poussé par l’Association patriotique pour être le futur président de la Conférence épiscopale.

Enfin, il est étonnant que le pape ne mentionne pas une autre catégorie, qui comprend les candidats choisis localement mais qui attendent leur nomination par le pape avant d’accepter l’ordination épiscopale. Les évêques ordonnés ces dernières années entrent presque tous dans cette catégorie, certains ayant même pu faire connaître leur nomination par Rome avant ou au moment de l’ordination. Cette formule correspond à une forme de modus vivendi selon lequel Pékin garde en apparence la responsabilité de la nomination des évêques, mais dont le mandat vient du Saint-Père. A titre indicatif, sur plus de 110 évêques (clandestins ou officiels), on estime que près de 80 % sont aujourd’hui en pleine communion avec le Saint-Père.

En terminant l’article 8, la lettre traite de la Conférence épiscopale de l’Eglise en Chine. Le pape rappelle les principes généraux d’une Conférence épiscopale et de ses liens avec les autorités civiles du lieu, « mais il est clair qu’une Conférence épiscopale ne peut être soumise à aucune Autorité civile en matière de foi et de vie selon la foi (fides et mores, vie sacramentelle), qui sont de la compétence exclusive de l’Église ». Le pape en conclut que « l’actuel Collège des Évêques catholiques de Chine ne peut être reconnu comme Conférence épiscopale par le Siège Apostolique : n’en font pas partie les Évêques « clandestins », à savoir ceux qui ne sont pas reconnus par le Gouvernement, qui sont en communion avec le pape ; y participent des Prélats qui sont encore illégitimes ; et elle est régie par des Statuts qui contiennent des éléments inconciliables avec la doctrine catholique ». Une conséquence de cette affirmation, mise en parallèle avec les déclarations sur les « organismes voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise » (n° 7), est qu’aucun des trois organes officiels de l’Eglise en Chine (la Conférence nationale des Représentants des catholiques, l’Association patriotique et la Conférence épiscopale) n’est reconnu par le Saint-Siège comme pouvant représenter l’Eglise en Chine dans son ensemble.

Dans l’article 9 sur la question de la nomination des évêques, le pape commence par présenter les préoccupations des deux parties. « D’un côté, on peut comprendre que les Autorités gouvernementales soient attentives au choix de ceux qui accompliront le rôle important de guides et de pasteurs des communautés catholiques locales, vu les changements sociaux que – en Chine comme dans le reste du monde – une telle fonction a aussi dans le domaine civil. D’un autre côté, le Saint-Siège suit avec un soin particulier la nomination des Évêques, étant donné que cela touche le cœur même de la vie de l’Église, du fait que la nomination des Évêques de la part du pape est la garantie de l’unité de l’Église et de la communion hiérarchique. » Le pape rappelle les graves sanctions prévues par le Code de droit canonique (canon n° 1382) pour ceux qui confèrent ou reçoivent l’ordination épiscopale sans mandat pontifical, ce qui constitue « une douloureuse blessure à la communion ecclésiale et une grave violation de la discipline canonique ». Puis il précise que lorsque le pape nomme des évêques, il « exerce sa suprême autorité spirituelle : autorité et intervention qui demeurent dans le strict domaine religieux. Il ne s’agit donc pas d’une autorité politique qui s’introduirait de manière indue dans les affaires intérieures d’un État et qui en léserait la souveraineté ».

Le document touche là au reproche « d’ingérence dans les affaires intérieures de la Chine », toujours mis en avant par le gouvernement chinois pour refuser l’intervention du Saint-Siège dans la nomination des évêques. Au nom de la liberté religieuse, « le Saint-Siège aimerait être entièrement libre de la nomination des Évêques », tout en étant ouvert au dialogue avec le gouvernement chinois pour trouver une solution satisfaisante pour les deux parties, qui peut porter sur le choix des candidats, sur la publication de leur nomination ou sur leur reconnaissance par les autorités civiles. Pour terminer, le Saint-Père rappelle les qualités requises pour un candidat à l’épiscopat et, qu’en cas d’impossibilité à trouver de candidats idoines dans le diocèse en question, il est possible de choisir un candidat dans un autre diocèse. Cette dernière remarque fait référence à l’habitude en Chine de choisir le futur évêque au sein des prêtres du diocèse. Or dans beaucoup de diocèses, le nombre de prêtres est très réduit et il n’est donc pas toujours possible de trouver un bon candidat.

Seconde Partie : Orientations de vie pastorale

Les huit articles, de longueur inégale, de cette seconde partie, visent à donner des orientations en matière pastorale. Beaucoup des questions abordées concernent les problèmes essentiels de la vie concrète de l’Eglise en Chine.

L’article 10, le plus long, traite de l’administration des sacrements et du gouvernement de l’Eglise, et touche à beaucoup de situations d’incompréhensions et de souffrances. Le pape rappelle les limites territoriales du ministère de chaque évêque et du fait que son autorité ne s’étant pas sur les autres diocèses. Si un prêtre doit travailler dans un autre diocèse, cela doit se faire en accord avec l’évêque légitime du lieu. Par ailleurs, tout prêtre doit être incardiné dans une Eglise particulière ou dans un institut de vie consacrée. L’insistance du pape sur ces deux aspects fait écho à une double situation en Chine. D’une part, dans les milieux clandestins, certains prêtres vont administrer « leurs » fidèles en dehors des limites de leur propre diocèse, partant du principe que l’évêque du lieu n’est pas légitime (ou qu’il est membre de l’Association patriotique) et/ou qu’il n’y a pas de prêtres clandestins pour prendre soin d’eux. Dans d’autres situations, des jeunes prêtres, souvent suite à un désaccord avec leur diocèse d’origine, parfois avec beaucoup de souffrances, exercent leur ministère en dehors de tout lien de communion avec un évêque, sans forcément comprendre l’incompatibilité entre leur situation de « vagus » et leur identité de prêtre diocésain, coopérateur de l’évêque. Il est vrai que l’absence d’évêques dans beaucoup de diocèses (plus d’une quarantaine de sièges seraient vacants) rend plus complexe encore cette situation.

Le pape aborde ensuite la question de la concélébration eucharistique et de la validité des sacrements. Dans nombre de communautés clandestines, ce point est particulièrement sensible, voire même il n’est pas rare que la réception des sacrements des mains d’un prêtre officiel soit menacée d’excommunication par le clergé clandestin (5). C’est pourquoi le pape affirme clairement qu’il « est donc licite de concélébrer avec des Évêques et des prêtres qui sont en communion avec le pape, même s’ils sont reconnus par les Autorités civiles et s’ils maintiennent des relations avec des organismes voulus par l’État et étrangers à la structure de l’Église, pourvu que – comme cela a été dit plus haut (cf. n° 7 alinéa 8) – la reconnaissance et les relations ne comportent pas la négation de principes de foi et de communion ecclésiastique, auxquels on ne peut renoncer. De même, les fidèles laïcs qui sont animés par un sincère amour pour le Christ et pour l’Église ne doivent pas non plus hésiter à participer à l’Eucharistie célébrée par des Évêques et par des prêtres qui sont en pleine communion avec le Successeur de Pierre, et qui sont reconnus par les Autorités civiles. La même chose vaut pour tous les autres sacrements ». Cette affirmation devrait libérer la conscience d’un certain nombre de fidèles clandestins qui n’osent pas participer aux sacrements dans une communauté officielle, persuadés de commettre un péché grave. Elle réduit les cas où la concélébration n’est pas licite à la seule situation des évêques dont l’ordination est illégitime (mais valide). Dans le même esprit, les fidèles sont invités, tant que c’est possible, à recevoir les sacrements d’évêques et de prêtres en communion avec le pape ; mais, dans le cas où cela entraîne de « graves difficultés », ils peuvent, « pour ce que leur bien spirituel exige, s’adresser à ceux qui ne sont pas en communion avec le pape ».

Le pape invite les évêques « à se servir des instruments indispensables de communion et de collaboration au sein de la communauté catholique diocésaine ». En effet, dans beaucoup de diocèses, les différents conseils prévus par le droit canon soit n’existent pas, soit ne fonctionnent pas. Ceci est lié à la relative jeunesse des diocèses « ressuscités » après la Révolution culturelle, mais peut-être plus encore à une ecclésiologie peu marquée par le concile Vatican II et qui n’a pas intégré l’exercice de l’autorité dans l’Eglise comme service de la communion. La même situation se retrouve dans les paroisses, où le prêtre peut imposer son autorité sans impliquer les laïcs dans les processus de décision. A cette question, le pape lie le problème des biens temporels « qui devront être enregistrés légalement dans le cadre civil sous le nom du diocèse ou de la paroisse, et jamais sous le nom d’une personne privée ». En effet, dans beaucoup de cas, pour éviter le contrôle du gouvernement ou par absence de reconnaissance légale, les responsables de l’Eglise gardent les fonds de l’Eglise sur des comptes privés, achètent des propriétés sous leur nom ou celui d’un fidèle, etc. Mais cette situation présente le risque de manque de transparence, de détournement de fonds ou de conflits avec les familles suite au décès du prête-nom. Pourtant, la sage recommandation du Saint-Père ne prend pas en compte le difficile problème de l’existence légale de l’Eglise locale, qui est souvent limitée à celle de l’Association patriotique. Dans beaucoup de communautés officielles, tous les bâtiments sont enregistrés sous son seul vocable.

Pour conclure sur toutes ces questions épineuses et douloureuses, le pape rappelle que la véritable solution a sa racine dans la promotion de la communion, et que la charité doit être la force et le critère du travail pastoral.

Le bref article 11 mentionne la question du découpage des provinces ecclésiastiques. Le découpage reconnu par le Saint-Siège date d’avant 1949. Les changements administratifs intervenus depuis, l’évolution des situations locales ont touchés les circonscriptions ecclésiastiques. Le Saint-Père, en exprimant sa disponibilité pour traiter ces questions avec l’épiscopat chinois « et – dans la mesure où cela est opportun et utile – avec les Autorités gouvernementales », affirme ainsi discrètement que de telles modifications sont du ressort final du Saint-Siège. Cette question fait écho à la complexité de situations, comme dans le Hebei, où certains regroupements ou créations de diocèses se superposent sur d’anciennes divisions, voire sur une carte non similaire des diocèses officiels et clandestins. Cet article répond aussi à une politique du gouvernement, à la fin des années 1990, de fusionner nombre de diocèses, dans un but plus ou moins avoué de limiter le nombre des évêques, et, partant, de faciliter le contrôle de l’Eglise. Il est sûr que dans un certain nombre de cas, la division en plusieurs circonscriptions ecclésiastiques est le fruit de circonstances historiques aujourd’hui dépassées (liées à la répartition des territoires entre les différents instituts missionnaires) et que le faible nombre des prêtres et religieuses dans ces diocèses appellent à des regroupements profitables.

Dans l’article 12, le pape fait l’éloge des communautés catholiques « disséminées dans le vaste territoire chinois et qui font preuve d’une vie chrétienne particulièrement vivante ». Le pape admire leur témoignage de foi et leur attachement à l’Eglise universelle, malgré les difficultés : « Dans leur cœur, ils savent ce que veut dire être catholiques. » A partir de cette conviction, le pape les invite à s’engager pour la communion entre les différentes communautés, dans la compréhension mutuelle et le pardon. Il reconnaît par ailleurs que, même s’il « est vrai que, ces dernières années, l’Eglise jouit, en regard du passé, d’une plus grande liberté religieuse, toutefois, on ne peut nier que demeurent de graves limitations qui touchent le cœur de la foi et qui, dans une certaine mesure, étouffent l’activité pastorale ». Le pape espère qu’un « dialogue respectueux et ouvert » entre le Saint-Siège, les évêques chinois et les autorités gouvernementales, pourra surmonter ces difficultés.

Dans l’article 13 sur les prêtres, le pape prend en compte les difficultés internes et externes auxquelles ils sont confrontés et les encourage à « puiser lumière et force aux sources de la spiritualité sacerdotale » (amour de Dieu, suite inconditionnelle du Christ, passion pour l’annonce de l’Evangile, fidélité à l’Eglise et service du prochain) et à s’inspirer du témoignage d’amour indéfectible des évêques et des prêtres qui les ont précédés. Il les invite aussi à méditer sur l’attente angoissée des fidèles qui espèrent un prêtre à leur service. Face aux confrères qui ont fait des choix les éloignant de la communion ecclésiale, le pape invite à une attitude de compassion et à trouver des voies pour les réintégrer dans la pleine communion, par exemple lors de la célébration du Jeudi Saint. Le pape appelle les évêques à prendre soin de la formation permanente, particulièrement importante pour les jeunes prêtres soumis aux nouveaux défis pastoraux qu’entraînent à la fois les rapides mutations sociales et culturelles et les exigences de la « nouvelle évangélisation ». On remarquera que rien n’est dit dans l’ensemble de la lettre sur la nécessité de formation des évêques. Ces derniers, souvent très jeunes et n’ayant pour la plupart bénéficié que d’une formation de base limitée, ont des besoins encore plus urgents de formation continue, pour faire face à tous les défis auxquels leur ministère et la situation particulière de la Chine les exposent.

L’article 14 enchaîne naturellement sur les vocations et la formation religieuses. Le pape commence par se réjouir de l’abondance des vocations, « signe de vitalité et motif d’espérance ». Il insiste sur l’importance des religieuses et de leur contribution dans les différents domaines de la catéchèse, de la vie paroissiale, du souci des plus nécessiteux : cette expression de la charité et du service du prochain est « le témoignage le plus crédible de la force et de la vitalité de l’Évangile de Jésus ». Cette insistance du pape sur la richesse de la vocation religieuse féminine, répond à des situations où les religieuses sont souvent considérées par les prêtres comme des servantes et peu valorisées dans leur vocation spécifique. Dans la suite de l’article, le pape développe les différents points d’attention pour la formation des candidats : la qualité du discernement, une formation plus solide, couvrant tous les aspects de la personne, une attention particulière à la formation au célibat, et, pour les religieuses, la double dimension de la consécration totale au Christ et de l’exigence de l’annonce de l’Evangile. Les quelques points soulevés par le Saint-Père font allusion à un problème crucial pour l’avenir de l’Eglise en Chine. Dans beaucoup de cas, le discernement des vocations est très succinct, voire inexistant, et le manque d’accompagnateurs spirituels bien formés contribue largement à cette situation. Dans bien des séminaires, les professeurs compétents font cruellement défaut. Dans ces conditions, la formation au célibat est abordée que de façon superficielle. Récemment, les vocations considérées comme florissantes (tout en étant bien insuffisante rapportées au nombre des diocèses et à l’ampleur de la tâche) accusent une chute brutale, en particulier chez les religieuses.

Les articles 15 & 16 traitent de la formation des laïcs. Le pape commence par les encourager dans leur fidélité au Christ et dans leur engagement au service de l’Eglise et de la société, en étant des témoins courageux de l’Evangile. Reprenant les conclusions du synode Ecclesia in Asia (1999), le pape met en valeur le rôle fondamental des familles dans l’éducation des jeunes générations et dans la transmission des valeurs si chères à la culture asiatique. L’attention portée par cette lettre aux familles correspond à un souci particulièrement urgent. Aujourd’hui en Chine, les familles sont menacées par l’exode rural, la dispersion entraînée par les exigences du travail dans les grands centres industriels des zones côtières, la course à l’argent, la libéralisation brutale des mœurs, etc. Le pape rappelle donc la mission de l’Eglise de « proclamer à tous le dessein de Dieu sur le mariage et sur la famille ». L’article 16 traite plus spécifiquement de l’initiation chrétienne des adultes, qui requiert un soin particulier de la part des pasteurs, avec une période sérieuse et appropriée de catéchuménat, qui ne doit pas se limiter à un apport de connaissances, mais doit aussi conduire ces nouveaux convertis à une réelle expérience de transformation de l’existence toute entière. Notant la faiblesse de l’initiation chrétienne dans le passé, le pape invite à mettre en place une « formation chrétienne solide et approfondie, également sous la forme d’un catéchuménat post-baptismal ». Cet article sur l’initiation chrétienne devrait aider à modifier la pratique de nombreuses paroisses, qui limitent le catéchuménat à une période relativement courte (excédant rarement quelques mois), orientée essentiellement sur l’acquisition de connaissances.

Le court article 17 sur la vocation missionnaire veut rappeler à l’Eglise en Chine qu’elle doit porter le souci de la Mission universelle, ce qui est l’essence même de la vocation de l’Eglise, « toujours et partout missionnaire ». Ce point fait écho au début de la lettre qui présentait la mission évangélisatrice de l’Eglise comme sa préoccupation essentielle. Cela remet l’ensemble des problèmes auxquels est confrontée l’Eglise en Chine dans la dynamique fondamentale de la Mission.

La conclusion de la lettre exprime deux décisions pontificales importantes.

Dans l’article 18, le pape révoque toutes les facultés spéciales « qui avaient été concédées pour faire face à des exigences pastorales particulières, nées en des temps spécialement difficiles ». Cette décision est motivée par certains développements positifs de la situation de l’Eglise en Chine, par l’amélioration importante des communications, et par les requêtes de différents membres du clergé chinois. Les conséquences de cette révocation sont grandes. On ne peut plus invoquer « l’exception chinoise » pour ne pas appliquer les règles habituelles de la vie de l’Eglise, et mettre en place les réformes qui s’imposent. Ces facultés étaient variées et allaient de la capacité à bénir les saintes huiles, en passant par l’absence de forme canonique pour les mariages, la possibilité de garder le Saint-Sacrement dans une résidence privée, le renouvellement des vœux des religieuses en l’absence de l’évêque local, jusqu’à la capacité pour les évêques âgés de choisir et d’ordonner leur successeur. Cette révocation générale a immédiatement provoqué des réactions dans les milieux clandestins, dont la vie ecclésiale s’en est trouvée affectée. A titre d’exemple, la situation de clandestinité empêche de pouvoir rassembler de grandes communautés dans un même lieu et oblige les prêtres à multiplier les lieux de culte et le nombre de messes célébrées, ce qui est en contradiction avec l’interdiction de célébrer plus de trois messes par jour et la nécessité de célébrer l’eucharistie dans un lieu digne. « Fusionner » les honoraires de messe permettait au petit nombre des prêtres de répondre à la demande des nombreux fidèles en matière d’intentions de messe, tout en contribuant pour une part importante aux ressources financières de l’Eglise. Toutes ces facultés ayant été révoquées en bloc par la présente lettre, chaque responsable de diocèse doit désormais présenter des demandes au Saint-Siège, faculté par faculté, en les justifiant. Une période de flou et de désarroi a suivi cette décision.

Dans l’article 19, le pape instaure une journée de prière pour l’Eglise en Chine, le 24 mai de chaque année, en mémoire de Marie, Auxiliaire des chrétiens, qui est particulièrement vénérée au sanctuaire de Sheshan, à Shanghai. Le pape invite les catholiques du monde entier, en particulier ceux qui sont d’origine chinoise, à s’unir avec l’Eglise en Chine dans la prière. Le pape exhorte les catholiques de Chine, à l’occasion cette journée, à renouveler la communion de foi en Jésus-Christ et de fidélité au pape, en priant pour l’unité au sein de l’Eglise, tout en priant pour les persécuteurs et les gouvernants, dans l’esprit de saint Paul (1 Tm 2,1-4). Si la lettre du Saint-Père n’a pas précisé quelle forme ces célébrations pouvaient prendre, le fait d’associer la date du 24 mai au sanctuaire de Sheshan, haut lieu de pèlerinage marial en Chine, a naturellement évoqué la forme de pèlerinage dans l’esprit de beaucoup. Le diocèse de Shanghai se prépare à accueillir un supplément important de pèlerins, y compris venant de l’étranger, pendant tout le mois de mai, qui totalise habituellement jusqu’à 200.000 pèlerins sur l’ensemble du mois. Les autorités civiles, inquiètes de tels rassemblements et des risques de débordement, surtout à la veille des Jeux olympiques, découragent les diocèses de Chine d’organiser des pèlerinages à Sheshan. Par ailleurs, le pèlerinage envisagé par le diocèse de Hongkong n’a pas reçu l’aval des autorités chinoises et a dû être annulé.

Dans son salut final, le pape souhaite aux membres de l’Eglise en Chine d’être remplis de joie, malgré les épreuves, et d’être accompagnés par la tendresse maternelle de la Vierge Marie, « Mère de l’Eglise et Reine de la Chine, qui, à l’heure de la Croix, a su, dans le silence de l’espérance, attendre le matin de la Résurrection », et qui intercède pour l’Eglise de Chine, « avec saint Joseph et les nombreux saints martyrs chinois ».

Conclusion

Un parcours rapide de l’ensemble de la lettre de Benoit XVI aux catholiques en Chine permet de mesurer la richesse de son enseignement et l’importance de sa réception par l’ensemble de l’Eglise qui est en Chine (y compris les étrangers qui travaillent en lien avec cette Eglise locale). Tout cela prendra du temps et nécessitera des outils de travail, tel un compendium en chinois pour aider à comprendre ce document dans toute sa richesse, ou une forme simplifiée pour permettre à l’ensemble des chrétiens d’en assimiler l’enseignement. Beaucoup d’éléments d’une normalisation progressive de la vie de l’Eglise en Chine sont rassemblés dans ce document pontifical. Il devra être étudié dans les séminaires ou au cours de sessions de formation du clergé, pour en comprendre les fondements ecclésiologiques, pour en analyser les conséquences pastorales et pour mettre en œuvre les réformes qui s’imposent (en particulier en écho aux problèmes soulevés dans la deuxième partie).

Beaucoup de commentateurs ont retenu de cette lettre, un appel pressent à la réconciliation, comprise de manière générale, avec le risque d’être appliqué sans les distinctions faites par le Saint-Père. Pour plus de clarté, plusieurs niveaux de réconciliation peuvent être distingués : le niveau diplomatique, qui concerne les relations entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine ; le niveau ecclésial, qui concerne les différentes communautés et les personnes à l’intérieur de l’Eglise ; le niveau officiel qui concerne les relations entre l’Eglise en Chine et l’Etat. Si les trois niveaux s’influencent mutuellement, il est clair que le niveau ecclésial est le plus fondamental et celui sur lequel l’appel du Saint-Père à la réconciliation porte le plus. C’est aussi celui sur lequel l’Eglise en Chine a le plus de prises et dont les conséquences en matière de témoignage évangélique sont les plus grandes. Ce long travail de conversion requiert, d’une part, la patience du Semeur, confiant dans le processus de la semence qui grandit discrètement, et, d’autre part, le zèle de saint Paul, pour proclamer l’Evangile jusqu’aux extrémités de la terre.