Eglises d'Asie

Pour approfondir – Malédiction sur la Chine ?

Publié le 18/03/2010




Après le terrible tremblement de terre qui a secoué la province du Sichuan le 12 mai 2008 et qui a fait probablement plus de 50 000 morts, on entend souvent des Chinois du continent se plaindre en disant qu’« une malédiction divine poursuit la Chine ».

Une telle affirmation pourrait faire sourire en d’autres circonstances : le pays n’a-t-il pas été soumis à une propagande athée pendant presque soixante années, et ne cherche-t-il pas à prouver qu’il est devenu, désormais, une nation moderne et puissante ? Or, ce type de conception, selon laquelle il y aurait une fatalité dans le destin du pays, paraît aujourd’hui terriblement moyenâgeux.

 En fait, cette réflexion n’a rien d’étonnant. Les traditions et les croyances anciennes tiennent toujours une place considérable dans la vie des Chinois, y compris dans celle des membres du Parti communiste. La majorité des gens attache toujours une grande importance à la géomancie (fengshui), la divination, l’astrologie, la physiognomonie, etc. ; des notions que l’on associe souvent à de la superstition (1). Or, dans ce pays qui interprète en permanence les signes prémonitoires pour sonder l’avenir, ce séisme en rappelle un autre, celui de Tangshan, qui a été porteur de grands changements en 1976.

 

En 1975, dix mois avant sa mort, Mao Zedong faisait à Henry Kissinger, le secrétaire d’Etat américain de l’époque, une confidence étonnante : « Je sais pourquoi Dieu ne nous aime pas, parce que nous sommes des communistes belliqueux ! » La suite est éloquente : le 8 janvier Zhou Enlai, Premier ministre, meurt ; d’avril à septembre, c’est la campagne antirévisionniste ; Deng Xiaoping est destitué et critiqué à l’unisson par toute la presse du pays ; le 6 juillet, c’est la mort du maréchal Zhu De, vieux chef de l’Armée rouge et président de l’Assemblée nationale ; le 28 juillet survient un tremblement de terre à Tangshan. La ville est sinistrée mais aussi Pékin et Tianjin. On estime que le nombre de morts a pu atteindre le million. Le 9 septembre : décès du président Mao Zedong, grand timonier et arbitre suprême du pays. D’octobre à décembre : une campagne anti-radicaux est lancée. Jiang Jing (madame Mao), Wang Hongwen, Zhang Chunqiao, Yao Wenyuan, qui forme la Bande des Quatre, sont arrêtés. Et, brusquement, un véritable flot de critiques contre eux surgit de partout et déferle sur tout le pays.

 

On le comprend aisément, le pouvoir a tout intérêt à prendre très au sérieux les rumeurs et ces croyances, car il sait qu’une partie de sa légitimité se joue dans ces catastrophes naturelles dont la Chine est coutumière. Wen Jiabao, l’actuel Premier ministre, s’est précité sur les lieux du drame pour apporter son soutien aux victimes et organiser les secours. Mais cela n’empêche pas nombre de Chinois de se demander si l’année 2008 ne sera pas, elle aussi, une annus horribilis. Elle a déjà vraiment mal commencé. Jugez-en par vous-même :

1.) En janvier et février 2008, une vague de froid inhabituelle, avec les pires tempêtes de neige depuis un demi-siècle, frappe le sud et le centre du pays. Elle cause la mort de 130 personnes et perturbe gravement les célébrations du Nouvel An chinois. Plusieurs millions de mingong (paysans travaillant en ville) sont bloqués dans les gares et les embarcadères.

2.) En février éclatent de nouveaux scandales liés à des produits chinois dangereux. Des raviolis chinois contaminés par des insecticides rendent malades plusieurs centaines de consommateurs japonais. Des jouets fabriqués en Chine sont recouverts d’une peinture toxique, dangereuse pour les enfants.

3.) Le 10 mars 2008, débutent des émeutes antichinoises au Tibet. C’est la contestation la plus véhémente de la domination chinoise sur la région himalayenne depuis près de vingt ans. La répression, qui aurait causé la mort de centaines de personnes, a provoqué de vives critiques internationales sur la situation des droits de l’homme en Chine et notamment au Tibet.

4.) La crise tibétaine a des répercussions sur le relais international de la flamme olympique, qui s’est déroulé sous haute surveillance mais a néanmoins été perturbé par des manifestations pro-Tibet à Londres, Paris et San Francisco. De nombreux chefs d’Etat étrangers envisagent de limiter leur participation aux cérémonies des JO.

5.) En avril, la Chine subit son pire accident ferroviaire depuis une décennie. Un train de voyageurs en percute un autre dans le Shandong, faisant 72 morts et plus de 400 blessés.

6.) Depuis le début de l’année, une épidémie de la maladie dite « pieds-mains-bouche » sévit en Chine. Près de 25 000 enfants sont infectés et une trentaine d’entre eux ont déjà perdu la vie.

7.) Le 12 mai 2008, un séisme de magnitude 7,9 frappe durement la province du Sichuan.

 

En fait, cette année 2008, celle des Jeux olympiques de Pékin, devait être, au contraire, bénie : c’était l’occasion pour les dirigeants communistes de faire une démonstration magistrale à la face du monde : la Chine est un grand pays moderne qui a rattrapé son retard. Elle a d’ores et déjà le rang de superpuissance. Ses citoyens sont épanouis, heureux et fiers des réalisations de leur patrie.

 

Sitôt l’attribution des Jeux olympiques à la Chine en 2001, les différents responsables chinois avaient fait de grandioses projets et n’avaient pas lésiné sur la dépense. Pour l’occasion, des quartiers entiers de Pékin ont été rasés pour être rebâtis. Tous les travaux, pourtant énormes, se sont déroulés sans accrocs. Les sites des différentes épreuves, magnifiques et de conception avant-gardiste, ont été terminés bien avant la date prévue. Tout allait pour le mieux.

 

La géomancie (fengshui, ‘vent et eau’) avait guidé le choix des lieux où se tiendraient les différentes épreuves : au nord de la ville, dans l’axe du Temple du Ciel et de la Cité interdite ; la meilleure position possible d’après les géomanciens les plus réputés du pays. Et quand on demandait aux responsables s’ils croyaient aux critères du fengshui, ils répondaient avec habileté : « L’important n’est pas ce que nous croyons mais que les athlètes se surpassent. Le choix d’un bon emplacement ne peut pas leur nuire ! Quant aux appartements du village olympique, grâce à leur bon fengshui, nous pourrons les revendre plus cher après les Jeux » (2).

 

La date elle-même de la cérémonie d’ouverture des JO n’a pas été choisie au hasard. Pourquoi le 8 août 2008 ? C’est parce que le chiffre 8, ba en chinois, est étroitement lié à la prospérité et à la chance car proche de fa, qui signifie ‘riche’ ou ‘se développer’. En arrêtant la date du 08.08.08, les Chinois mettaient ainsi toutes les chances de leur côté (3).

 

On l’a compris, l’athéisme des communistes chinois, et du peuple dans son ensemble, s’accommode volontiers des traditions et croyances chinoises et, ceci, au plus haut niveau du gouvernement. Non seulement le dépérissement des religions n’a pas eu lieu depuis 1949, date de la prise de pouvoir du président Mao à Pékin, mais on a l’impression qu’après une période de recul, les diverses croyances et traditions, que les communistes qualifiaient de féodales après la libération, ont refleuri de plus belle. D’abord tolérées, elles sont maintenant généralement admises sans que ceux qui s’y adonnent n’y voient d’incohérence.

 

Il est trop tôt pour dire si les Jeux olympiques de Pékin seront un succès ou non, mais, d’ores et déjà, bien de Chinois doutent et s’attendent à d’autres catastrophes en 2008.