Eglises d'Asie

L’enlèvement de 16 chrétiens témoigne du sort toujours très incertain des minorités religieuses dans la Province de la frontière du Nord-Ouest

Publié le 18/03/2010




Même s’il a connu un dénouement à peu près heureux, le récent enlèvement de 16 chrétiens, dont deux pasteurs protestants ainsi que d’un musulman dans la Province de la frontière du Nord-Ouest inquiète les responsables des Eglises chrétiennes. En dépit de la défaite des partis islamistes lors des élections législatives du 18 février dernier (1), la situation des minorités religieuses dans cette province demeure précaire, soulignent-ils.

Dans le district de Khyber Agency, le 21 juin dernier, à la nuit tombée, un groupe d’hommes en armes a fait irruption au sein d’une communauté chrétienne appartenant à la New Apostolic Church, culte protestant revendiquant un millier de fidèles dans la région. Une cinquantaine de chrétiens, hommes, femmes et enfants, étaient réunis dans un local, autrefois utilisé comme une madrasa (école coranique), pour célébrer la venue au monde d’un nouveau-né. « Soudainement, des hommes masqués sont entrés dans la propriété, exigeant des hommes qu’ils montent dans cinq pick-up garés devant le local », rapporte Saleem Masih, 45 ans, qui figurait parmi les 17 personnes kidnappées. Quelques coups ont été portés sur des chrétiens et, « durant les neuf heures qu’a duré notre captivité, il nous a été interdit de nous parler ou d’utiliser nos téléphones portables, poursuit le chrétien. Ils nous ont ensuite bandé les yeux et enfermés dans une cave, nous confisquant nos portables, nos portefeuilles et nos montres. »

 

Le lendemain, c’est la milice islamique Lashkar-e-Islam qui a remis aux autorités locales les 16 chrétiens, le musulman, Haji Siraj, étant quant à lui gardé en captivité. Cette milice est active à Khyber Agency, division administrative appartenant aux Zones tribales administrées au plan fédéral, ainsi qu’est désignée cette région située entre la frontière afghane et la partie sud-ouest de la Province de la frontière du Nord-Ouest. Dans cette partie du Pakistan qui échappe presque totalement au contrôle du pouvoir fédéral, les tribus pachtounes prédominent de part et d’autre de la frontière avec l’Afghanistan ; talibans et membres d’Al-Qaida y opèrent (2). Le 23 juin, dans les colonnes du quotidien anglophone The News, Haji Abdul Karim, dirigeant d’une organisation islamiste, a assuré que l’enlèvement des chrétiens était dû à « une incompréhension ». « Nous ne savions pas qu’il s’agissait de non-musulmans », a déclaré Haji Abdul Karim, ajoutant que le Lashkar-e-Islam ne s’en était jamais pris aux quelques centaines de sikhs, hindous et chrétiens vivant sur le territoire dépendant de Khyber Agency.

 

Selon un catholique de Peshawar, l’enlèvement des chrétiens serait lié au refus de certains islamistes de voir des non-musulmans vivre sur ce qu’ils considèrent être une terre musulmane. Haji Siraj, le propriétaire musulman des locaux où a eu lieu le kidnapping, a loué son bien il y a un an à huit familles chrétiennes pauvres, celles-ci utilisant régulièrement ce lieu pour des assemblées de prière et de louange. « Les talibans locaux les ont menacés à plusieurs reprises, leur intimant l’ordre de mettre fin à leurs activités », explique ce catholique qui ajoute que des musulmans des environs se seraient plaints aux talibans d’un trafic d’alcool auquel les chrétiens auraient pris part. Dix jours plus tôt, dans un quartier de Peshawar, chef-lieu de la Province de la frontière du Nord-Ouest, un chrétien avait été enlevé par des talibans qui l’accusaient de se livrer à des actes de sorcellerie. « Ces incidents montrent clairement que les minorités ne peuvent pas vivre en sécurité dans la province et peuvent à tout moment être prises pour cible. »

 

Pour Mgr Mano Rumal Shah, évêque anglican de Peshawar, la libération des otages « en moins de 12 heures » est « un miracle ». Les chrétiens de ce pays ne demandent pas à bénéficier d’une protection particulière ; ils souhaitent seulement vivre en citoyens comme les citoyens musulmans, à jouir de la liberté religieuse et à mener leur vie comme bon leur semble, a-t-il affirmé. Selon Shahbaz Bhatti, catholique, président de la All Pakistan Minorities Alliance et député à l’Assemblée nationale, « l’enlèvement de membres économiquement défavorisés d’une minorité religieuse trahit la montée de l’extrémisme dans la province ». En dépit de la défaite des partis islamistes lors des élections du 18 février, aucune mesure dans cette région n’a été prise pour freiner l’islamisation de la vie sociale et la paralysie du pouvoir politique à Islamabad, capitale fédérale du Pakistan, ne contribue pas à faire évoluer cette situation, selon les observateurs.