Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Ombres et lumière sur les Jeux olympiques

Publié le 18/03/2010




Les Jeux olympiques et paralympiques sont terminés. La grande Chine pousse un soupir de soulagement. Après avoir craint le pire, pendant le parcours mouvementé de la « flamme sacrée » à travers le monde, après le tremblement de terre du Sichuan, elle peut savourer son succès.

Les Jeux olympiques et paralympiques sont terminés. La grande Chine pousse un soupir de soulagement. Après avoir craint le pire, pendant le parcours mouvementé de la « flamme sacrée » à travers le monde, après le tremblement de terre du Sichuan, elle peut savourer son succès. Elle jubile maintenant car elle a tenu tous les paris qu’elle avait faits : celui de battre les Etats-Unis en nombre de médailles d’or obtenues ; celui, difficile à tenir, d’assainir l’air de Pékin et de contenir la pollution ; celui de la sécurité publique : aucun incident majeur n’est venu troubler la grande fête. De plus, tous les sportifs, entraîneurs, journalistes et spectateurs sont unanimes pour faire l’éloge d’une « organisation sans faille », de conditions de séjour et de transport idéales, d’un accueil chaleureux et d’une disponibilité permanente de la part des bénévoles chinois sur le terrain. Finalement, Pékin a su saisir cette occasion rêvée de communiquer avec le monde entier et de lui envoyer une image extrêmement positive du pays, et il a réussi ! Il voulait aussi prouver magistralement à la communauté internationale que l’ancien « Empire du Milieu » était devenu une superpuissance qui avait sa place dans la cour des grands.

 

Il convient tout d’abord de saluer cette performance remarquable de la Chine, qui a mobilisé tous les moyens dont elle disposait : ses sportifs, ses entraîneurs, ses stades, des volontaires, des citoyens à tous les niveaux et ses finances pour offrir à toute la planète une éblouissante fête du sport, merveilleusement bien orchestrée. Pourtant, notre joie n’est pas sans partage. Ces célébrations sportives qui n’auront duré qu’un temps ne peuvent pas nous faire oublier les graves problèmes, déficiences et injustices qui ont accompagné la préparation de la célébration.

 

Première constatation : les promesses faites en 2001 lors de l’attribution des Jeux olympiques sont pratiquement restées lettre morte. « En confiant à Pékin l’organisation des Jeux, vous contribuerez au développement des droits de l’homme », déclarait Lui Jingmin, lorsque le Comité international olympique décida que les Jeux de 2008 auraient lieu dans la capitale chinoise (1). Depuis, nombreuses sont les personnalités du gouvernement chinois qui ont, elles aussi, promis des améliorations sur le plan des libertés individuelles. Pourtant, depuis 2001, peu de choses ont changé en Chine. Plus grave encore, les gigantesques préparatifs de la grande fête du sport ont eu pour conséquence d’innombrables violations des droits de l’homme.

 

Seconde constatation : le gouvernement chinois n’a pas respecté les objectifs qu’il avait lui-même fixés. En 2006, la sixième session plénière du XVI° Comité central a adopté les « Décisions du Comité central du Parti communiste chinois concernant la construction d’une société socialiste harmonieuse ». L’idée avait été lancée en 2003. Elle fait référence à un ordre socio-économique où tous les Chinois coexisteraient dans la paix et l’harmonie. Elle implique l’élimination des conflits et contradictions au sein de la société et, pour cela, demande à la direction du Parti communiste chinois de jouer un rôle de médiateur et d’arbitre entre les intérêts et les aspirations des différents groupes socio-économiques (2). Par exemple : égalité de traitement entre les Han, 95% de la population, et les membres des 55 minorités ethniques du pays ; meilleure répartition des biens entre les habitants des villes et ceux des campagnes ; développement des provinces de l’Ouest, économiquement très en retard sur celles des côtes de l’Est, etc.

 

Or, pendant la préparation des Jeux olympiques, ces promesses et ces projets ont été vite balayés. Trois autres priorités se sont tout de suite imposées par rapport à toute autre considération : 1.) la détermination d’en finir avec un passé déshonorant ; 2.) la volonté d’éblouir le monde par des réalisations gigantesques ; 3.) le désir de se hisser au rang de superpuissance dans le monde. Ces objectifs ont été en grande partie atteints mais à quel prix !

 

Depuis toujours, le gouvernement communiste de Pékin rumine les humiliations que les pays occidentaux et le Japon ont fait subir à la Chine durant le XIX° siècle et au début du XX°, plus de cent ans de faillites et d’humiliations. Cela revient sans cesse dans ses déclarations et sa propagande.

 

Cette série noire entamée par les guerres de l’opium avec les Européens s’était poursuivie avec l’attribution de « concessions », territoires chinois cédés sous la contrainte à des puissances étrangères. Puis vint la semi-colonisation économique du pays et, finalement l’invasion japonaise. La guerre civile entre communistes et partisans du Kouomintang, les impasses du Grand Bond en avant et surtout celles des dix années noires de la Révolution culturelle, bien qu’étant des problèmes de politique intérieure dans lesquels les étrangers n’étaient pas impliqués, achevèrent de faire perdre la face aux Chinois, à leurs propres yeux et à ceux du monde entier.

 

L’organisation parfaite des Jeux olympiques, les performances étonnantes des athlètes chinois, le nouveau visage rutilant de la ville de Pékin ont, d’une certaine façon, permis à l’ancien « Empire du Milieu » de « retrouver la face ». Il a maintenant le sentiment que cette grande fête du sport, regardée par plusieurs milliards de téléspectateurs, a mis fin à la malédiction qui semblait poursuivre les Chinois. Ils peuvent maintenant avancer la tête haute.

 

La folie des grandeurs en Chine a une longue histoire. L’armée enterrée des soldats d’argile de Xi’an et la Grande Muraille en sont les exemples les plus anciens. Depuis, d’autres projets gigantesques ont été réalisés sur le sol chinois, tels le Bouddha géant de Leshan ou la Cité interdite. Puis, récemment la conquête de l’espace et le Barrage des Trois Gorges sur le Fleuve Bleu, la plus grande construction humaine jamais réalisée, sont venus confirmer la tendance. La Chine veut toujours être le pays des records et de la démesure. Elle a vu grand pour l’organisation des JO de Pékin 2008 : un parcours de la flamme olympique de 137 000 km passant par le sommet de l’Himalaya et nécessitant des milliers de relayeurs ; le coût total des Jeux olympiques : 43 milliards de dollars américains (3) ; les invitations : 70 000 personnalités, dont des chefs d’Etat de toute la planète ; 100 000 policiers mobilisés ; 300 000 volontaires pour sillonner les rues de la capitales ; des milliers de figurants pour les cérémonies d’ouverture et de clôture composant un spectacle éblouissant ; 70 millions de fleurs ; 29 000 fusées pour le feu d’artifice, etc. Mais trop d’empressement à vouloir convaincre provoque le soupçon et l’incrédulité. Le parcours chaotique de la flamme olympique a prouvé à la Chine qu’elle n’a pas encore gagné le cœur de beaucoup de gens, loin s’en faut.

 

Le dynamisme et les progrès rapides de l’économie chinoise étonnent et attirent des investisseurs du monde entier. Progressivement, la Chine a cessé d’être considérée comme une nation pauvre et malade. Elle est devenue, en trois décennies, un pays en pleine expansion qui joue un rôle de locomotive dans le développement économique de toute cette région d’Asie. Mais elle avait encore besoin d’un événement-phare capable d’enclencher un nouveau processus : prouver qu’elle pouvait rivaliser avec les grandes puissances.

 

Ces Jeux olympiques ont-ils joué ce rôle ? Le gouvernement chinois en est convaincu. Il a d’ailleurs constaté avec plaisir que plusieurs chefs d’Etat avaient renoncé à boycotter la cérémonie d’ouverture de crainte de froisser les hommes politiques et la classe d’affaires chinoise. Mais finalement, quelle est l’impression générale que beaucoup garderont ?

 

Le candidat républicain aux élections présidentielles des Etats-Unis, John McCain, a bien résumé ce qui restera dans l’esprit de beaucoup d’Occidentaux : « Les Américains et les Australiens ont été impressionnés par les images séduisantes de Pékin et se sont réjouis de l’hospitalité et de l’élégance du peuple chinois (…). Mais à Pékin, nos journalistes ont également vu de près à quel point la dignité humaine est mise à mal quand les droits fondamentaux tels que la liberté de parole ou de culte sont bafoués, a-t-il souligné. Notre défi commun est de convaincre les dirigeants chinois que le remarquable succès de leur pays repose sur leur capacité à traduire leur développement économique dans un processus politique intérieur faisant preuve de plus d’ouverture et de tolérance, et dans une diplomatie plus responsable » (4).

 

La détermination des dirigeants chinois de réussir leurs Jeux était extrême. Barricadés derrière leurs certitudes et leur autoritarisme, ils étaient prêts à tout faire pour éblouir le monde. C’est ainsi que l’appareil d’Etat a imposé à la capitale des mesures d’exception qui font frémir. Des quartiers entiers ont été rasés et leurs habitants envoyés dans les banlieues lointaines, avec des indemnités de misère. On a chassé les petits commerçants, les mendiants et éloigné les activistes et les dissidents. La ville s’est vidée de milliers de migrants grâce auxquels, pourtant, la construction des installations olympiques avait pu être menée à bien. Pour réduire la pollution, la municipalité a décrété la circulation alternée dans la ville, plombant ainsi le travail de nombre d’entreprises. Elle a également décidé la fermeture exceptionnelle des usines polluantes : des congés supplémentaires ? Oui, sauf qu’ils n’étaient pas payés ! 2 700 sites Internet ont été bloqués et la censure des médias s’est renforcée, tout particulièrement en ce qui concerne le Tibet. L’obtention de visas de séjour pour les hommes d’affaires et industriels étrangers s’est compliquée au point de devenir très difficile. Quel gouvernement en Occident pourrait se permettre de prendre de telles mesures sans avoir à faire face à une flambée de protestations ? Les Chinois, eux, ont fait le gros dos, en attendant que l’orage passe. Ils savaient qu’en la circonstance, ils étaient les derniers à avoir voix au chapitre.

 

Certains observateurs espéraient que ces Jeux olympiques auraient un effet comparable à celui qu’avaient eu ceux de Séoul en 1988. En effet, l’événement avait provoqué en Corée une vague de fond en faveur de la liberté et la dictature de Roh Tae-woo s’était finalement muée en démocratie. Vu les promesses faites par la Chine avant l’événement, on attendait, au moins, des gestes de bonne volonté tels que la libération de dissidents, une plus grande liberté des médias, des progrès sur le plan de la liberté religieuse. Il n’en a rien été. Au contraire, de façon à mieux assurer leur succès, les dirigeants ont durci leur politique autoritaire et augmenté leur contrôle sur l’ensemble du pays (5). Et le succès ostensible de l’organisation de ces Jeux ne sera pas de nature à inciter le gouvernement à changer quoi que ce soit dans sa façon de faire.

 

Pendant la période des Jeux olympiques et après, de graves problèmes de société ont fait surface : le soulèvement des Tibétains, la situation dramatique des victimes du tremblement de terre du Sichuan, l’agitation des musulmans au Xinjiang, le contrôle toujours aussi serré de l’Eglise catholique sur l’ensemble du territoire, le scandale du lait contaminé (6), etc. Il serait urgent d’établir le dialogue avec les différentes composantes de la société civile. Il faudrait rapidement se pencher sur ces problèmes graves qui risquent d’empoisonner la vie du pays dans les années à venir et d’entraver son développement économique.