Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Les vieux chrétiens chinois

Publié le 25/03/2010




Si, en Occident, les communautés chrétiennes mettent volontiers en avant les jeunes convertis, misant sur eux pour renouveler la vie de l’Eglise et y apporter un nouveau dynamisme, en Chine, au contraire, les communautés donnent plutôt de l’importance aux vieux chrétiens. Ils sont au cœur de la vie de l’Eglise de Chine, que ce soit dans les communautés « officielles »…

ou « clandestines ». Comment expliquer une telle différence ?

 

La culture chinoise

La première raison à cette différence vient de la culture traditionnelle chinoise. Contrairement au point de vue occidental, celle-ci tient en très haute estime l’époque de la vie qu’est la vieillesse. Durant celle-ci on perd sa beauté physique, la santé se détériore progressivement, le corps n’a plus l’agilité et l’endurance qu’il avait. Cela, les Occidentaux aussi bien que les Chinois peuvent le constater. Mais ces derniers considèrent que ce qui importe le plus dans la vie n’est pas là. L’essentiel est l’expérience que l’on acquière au fil des années. Et ce qui compte encore davantage, c’est la sagesse qu’engendre l’expérience de la vie. Elle s’accroît quand on résout les différents problèmes de la vie, quand on traverse des épreuves, des crises, des conflits. Les vieux sont les éléments stables de la société chinoise, ils savent ce qu’ils disent et agissent en conséquence. Ils ont de la suite dans les idées. Au contraire, la culture traditionnelle considère que la jeunesse est le temps des caprices, de l’enthousiasme d’un moment, des décisions sans lendemain, des amourettes passagères.

Dans ce contexte, on comprend que les paroisses chinoises donnent de l’importance aux personnes âgées, surtout les hommes d’ailleurs, car la société chinoise, malgré une évolution récente, continue de fonctionner sur une structure patriarcale. Ces hommes donnent à la communauté une réelle stabilité et apportent une expérience de vie incomparable qui permet de surmonter les difficultés et de résoudre les problèmes.

Ils ont reçu une formation très solide

Jusqu’au milieu des années 1950, la vie des paroisses, bien que bousculée par l’arrivée du nouveau gouvernement de Mao Zedong à Pékin, a pu se poursuivre à peu près normalement dans les campagnes et les villes moyennes. La formation des catéchumènes mais plus encore celle des enfants de familles chrétiennes a pu continuer. Elle était solide et bien structurée ; c’était un programme dense et riche qui englobait tous les aspects de la foi. Il préparait les fidèles à faire face à la persécution déjà menaçante. Les prêtres, les religieuses, les catéchistes avaient reçu une formation traditionnelle et sérieuse. Les jeunes qui ont été formés jusqu’à cette époque étaient relativement bien armés pour faire face à la tempête qui arrivait.

Puis l’emprise du nouveau gouvernement communiste de Pékin s’est resserrée. Beaucoup de parents chrétiens ont été obligés de renoncer à enseigner le catéchisme à leurs enfants, c’était trop dangereux pour ces derniers et pour eux-mêmes. Les paroisses ont cessé de fonctionner car les églises étaient fermées et les prêtres et les religieuses arrêtés et mis en prison. Les livres de catéchèse ont été brûlés par les autorités tout comme les bibles, livres de messe et autres imprimés à coloration religieuse.

A partir de 1978, à la faveur de l’ouverture prônée par Deng Xiaoping, progressivement, les prêtres sont sortis de prison, les paroisses ont repris vie et la catéchèse a pu redémarrer, d’abord timidement, puis à peu près normalement. Mais bien des choses avaient changé entretemps. Une nouvelle génération de jeunes s’étaient levée et beaucoup voulaient découvrir quel était le secret des croyants qui avaient réussi à garder la foi dans des conditions exécrables. Le concile Vatican II avait bouleversé bien des façons de voir et de comprendre la vie chrétienne. Ceux qui avaient souffert pour leur foi en prison le savaient mais avaient bien du mal à mesurer la portée des changements et les domaines qui étaient touchés.

De plus, il n’y avait plus aucun livre en chinois disponible pour l’enseignement des candidats au baptême. Or ils étaient nombreux et déterminés. Les prêtres, religieuses et catéchistes se tirèrent d’affaire de leur mieux en réunissant leurs souvenirs et en rédigeant des leçons de catéchèse à la va-vite. Le témoignage qu’ils donnaient était puissant et authentique mais le contenu doctrinal de leur enseignement laissait à désirer. Depuis, l’Eglise de Chine a pu améliorer la qualité de sa catéchèse grâce à des apports de l’étranger et à des recherches sur place. Mais sans conférence épiscopale libre de ses mouvements pour coordonner le travail, sans directives de gens autorisés, la catéchèse n’a pas pu atteindre le niveau où elle est à Taïwan, Hongkong et Macao. Les chrétiens qui ont été formés depuis la fin de la Révolution culturelle n’ont pas le niveau qu’ont les vieux chrétiens des années 1950.

Ils sont passés par la « grande épreuve » (Ap 7,14)

Les persécutions de l’Eglise ont commencé dès la prise du pouvoir par les communistes en 1949 et se sont progressivement étendues sur tout le pays : rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, procès populaires des principaux responsables des communautés, expulsion des missionnaires étrangers, confiscations des biens de l’Eglise (écoles, hôpitaux, orphelinats), fondation de l’Association patriotique des catholiques chinois, divisions du clergé chinois, ordinations d’évêques sans l’accord de Rome, fermeture de toutes les églises, emprisonnement de tous les catholiques influents dans les paroisses : évêques, prêtres, religieuses et laïcs. Les étapes ont été à peu près les mêmes dans les différentes provinces du pays. Elles ne laissaient peu de doutes sur les intentions profondes des dirigeants communistes : éradiquer complètement la foi catholique du territoire. Elle était plus visée que les autres groupes religieux parce que considérée comme plus dangereuse : elle est dirigée de l’étranger (de Rome), les évêques sont unis entre eux, les diocèses bien organisés, les catholiques obéissants à la hiérarchie.

Certains chrétiens acceptèrent de collaborer avec le pouvoir mais l’énorme majorité résista. Les hommes d’âge mur jouèrent un rôle important dans les paroisses laissées sans prêtre. Au début, ils ont pris la tête des communautés puis, plus tard, dans l’ombre, se sont efforcés de maintenir une certaine vie de prière. Les plus âgés d’entre eux étaient respectés par les communistes selon les codes de la culture chinoise. Les vieux chrétiens en profitèrent pour redoubler d’audace et pour faire ce que personne d’autre ne pourrait se permettre : célébrations clandestines de baptêmes et de mariages, récitation du chapelet en commun, prières lors des funérailles d’un catholique, etc.

Le paroxysme de la persécution est atteint pendant les premières années de la Révolution culturelle. Les Gardes rouges voulaient se débarrasser des « quatre vieilleries » et la religion était l’une d’elles. On peut imaginer la douleur des catholiques à la vue de la destruction, de la profanation des livres religieux, des ornements liturgiques, des églises. Impuissants, ils assistèrent à l’exécution sommaire de nombreux frères et sœurs dans la foi, à l’anéantissement de ce qui restait des communautés catholiques. Nombreux sont ceux qui, parmi eux, échappèrent de peu à la mort, virent leur famille dispersée, se firent dénoncer et accuser par leurs propres enfants, eurent leur maison fouillée et saccagée et firent des années de camp de rééducation.

Oui, parler de « grande épreuve » à leur sujet n’est pas exagéré (Ap 7,14). Ils ont souffert dans leur corps et dans leur cœur ; leur dignité a été piétinée et leur foi outragée. Mais la grande majorité d’entre eux est restée fidèle à la foi catholique, au pape – critiqué parce qu’impérialiste et étranger –, à la prière quotidienne et à la charité chrétienne. Cette dernière était d’autant plus appréciée qu’il y avait, à cette époque, beaucoup de gens dans la détresse et le désarroi le plus complet !

Au cœur de la vie paroissiale

Aujourd’hui, ces bons et fidèles serviteurs de l’Evangile (Mt 25,21) sont très discrets sur les souffrances qu’ils ont endurées. Ils ne se vantent pas d’avoir souffert pour le Christ ni d’avoir tenu bon jusqu’au bout. Ils continuent, imperturbables, à prier et participer à la vie des communautés. Ils leur donnent du temps et de l’énergie et leur apportent compétences et expérience. Leur passé n’est connu que par un petit nombre de témoins qui les admirent. Aujourd’hui, ces vieux chrétiens sont vénérés et aimés dans leurs paroisses. Les conseils de pastorale s’organisent autour d’eux, on leur confie la formation des catéchumènes, les jeunes prêtres mais aussi les évêques les consultent pour leur demander conseil. Le clergé formé avant les mauvais traitements a maintenant presque complètement disparu, ce sont eux qui assurent la continuité de la foi dans les paroisses et les diocèses.

Durant la politique d’ouverture de Deng Xiaoping, ce sont ces vieux chrétiens qui ont négocié avec les autorités locales la réouverture de leur église puis sa restauration, la reprise d’un culte régulier et le retour de la communauté dans ses anciens murs.

Selon la situation politique locale, ils ont décidé de rejoindre les communautés « officielles » ou « souterraines ». Avec prudence et sagesse, ils ont fait de leur mieux le discernement nécessaire, sans repère ni directives de la hiérarchie. Ils ont opté pour ce qui leur semblait le meilleur pour l’Eglise catholique. Leur choix a été décisif pour tous les autres chrétiens qui leur ont fait une confiance totale et les ont suivi paisiblement sachant, vu leur passé, qu’ils seraient fidèles jusqu’au bout.

Parmi les jeunes prêtres et religieuses d’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui viennent de ces vieilles familles catholiques qui ont connu l’épreuve du feu. Ils constituent un clergé, des congrégations pleins de foi et généreux mais tentés par des compromis avec le gouvernement, des postes plus prestigieux mais où l’on passe plus de temps en réunions politiques qu’à s’occuper des chrétiens.

Les vieux catholiques ne comprennent pas toujours les orientations pastorales des jeunes prêtres et réprouvent la nonchalance ou la tiédeur des nouveaux catholiques. Le fossé entre les générations est énorme dans l’Eglise de Chine. Les nouvelles générations de chrétiens sont plus étoffées que les précédentes mais moins motivées. La société a évolué très vite et l’époque n’est plus à essayer de survivre dans la folie révolutionnaire mais à la recherche de l’argent et d’une vie plus confortable. La télévision et Internet ont bouleversé les modes traditionnels de vie.

Dans de telles communautés, la présence des vieux chrétiens est toujours aussi précieuse. Ces derniers apportent à leur communauté de la stabilité, de la détermination et de la ferveur. Leur contribution est toujours irremplaçable.

Quant aux vieux chrétiens, ils s’interrogent sérieusement sur ce qu’ils vivent au présent. Ils se demandent légitimement si le désir de s’enrichir et la recherche de la facilité ne sont pas, finalement, plus dangereux pour la vie chrétienne que les terribles épreuves qu’ils ont vécues durant les années noires.