Eglises d'Asie

Supplément EDA 6/2009 : De la dakwa’h à l’engagement politique : les organisations non gouvernementales islamiques en Malaisie

Publié le 07/10/2011




 * Sophie Lemière est en deuxième année de doctorat à Sciences-Po et poursuit actuellement des recherches sur « l’apostasie et la société civile islamique » en Malaisie (article publié dans ISIM Review, automne 2007) Son cursus universitaire autant que ces choix personnels ont depuis toujours été tournés vers l’Asie.

 Ile de Penang, Georgetown, le 27 novembre 2008. Un groupe d’une cinquantaine de musulmans, « malais » , crient avec ferveur et colère « Ketuanan Malayu » , brandissant des bannières au nom de leur organisation et des slogans pour la sauvegarde des privilèges de leur communauté. Le cortège de tête est composé de membres de la Fédération des jeunes malais diplômés (GGMM) , une organisation créée quelques jours auparavant et engagée dans la lutte en faveur des droits des Malais. Tous sont réunis ce jour-là pour dénoncer l’initiative du gouvernement local d’ajouter d’autres langues aux plaques de rues et d’avenues, jusqu’alors uniquement libellées en malais et en anglais. Les organisations ont porté plainte contre ceux qu’ils considèrent comme « des infidèles portant atteinte à la culture malaise » (sic).

« Ketuanan Malayu ! », la suprématie malaise, constitue le leitmotiv de certaines organisations non gouvernementales islamiques (ONGI) actives sur le front de la société civile malaisienne. Ce slogan n’est pas sans rappeler les rengaines suprématistes d’organisation nazis, pro-apartheid ou défendant la supériorité de tel ou tel peuple. Simple coup médiatique ? Stratégie de pouvoir ou véritables groupuscules extrémistes ?

L’activisme politique fait partie intégrante de la vocation de la société civile islamique en Malaisie. Les ONGI sont traditionnellement connues pour leur engagement dans des œuvres de charité, d’enseignement ou de prosélytisme. Les motivations de leur implication en politique résident largement dans la conjoncture politique et sociale malaisienne et dans l’histoire de la société civile du pays. La politique racialiste menée par le parti au pouvoir depuis cinquante ans, conjuguée à un discours politique jouant des divisions entre les groupes, telles « musulmans versus non musulmans », attisent les feux des tensions communautaires. Dans un contexte où la religion est devenue une monnaie politique, les ONGI jouent un rôle considérable.

De la dakwa’h…

Dans la Fédération de Malaisie d’aujourd’hui, on compte plus d’une centaine d’ONGI dans les seuls Territoire fédéral de Kuala Lumpur et l’Etat de Selangor . Il est difficile d’obtenir des chiffres exacts étant donné que les ONGI sont répertoriées au registre des sociétés où elles sont difficilement identifiables en tant que telles. Les ONGI possèdent, pour la plupart d’entre elles, les mêmes vocations que toute autre organisation religieuse : charité, éducation religieuse et générale, conseil aux familles, développement rural et social, etc. Autant de projets développés à l’échelle locale, nationale ou internationale en fonction de l’importance de l’organisation en termes de financement et de réseau. La plupart de ces entités revendiquent un caractère universel et s’adressent à toutes les populations de la Fédération, sans distinction ethnique ou religieuse, en accord avec les préceptes de l’islam. Cependant, la méfiance à l’égard de ces organisations, souvent très prosélytes, reste forte de la part des non-musulmans.

Si la liberté de religion est garantie par l’article 11 de la Constitution de la Malaisie, ce même article interdit toute forme de prosélytisme à l’adresse des musulmans. Par conséquent, la renonciation à l’islam est un sujet hautement controversé en Malaisie. En revanche, le prosélytisme islamique à l’adresse de l’ensemble des citoyens est largement répandu et constitue une activité importante si ce n’est majeure des ONGI. Toutes les communautés ethniques sont visées et le discours est adapté en fonction du groupe à qui il est adressé.

La Muslim Welfare Organisation of Malaysia (PERKIM) a été fondée en 1960 par Tunku Adbul Rahman, le premier Premier ministre de Malaisie, qui en fut le président jusqu’en 1989. L’organisation possède une branche dans chaque Etat de la Fédération, excepté Sabah, et trois principales activités : la dakwa’h, l’éducation religieuse (via Internet ou dans ses centres) et les publications (dans toutes les langues pratiquées en Malaisie). Dans le cadre de sa mission de dakwa’h, PERKIM détient un véritable monopole et est un partenaire direct du département des Affaires religieuses de chaque Etat. Saïd Moussa, un des directeurs de l’organisation, confie lors d’un entretien que l’organisation effectue six à sept conversions par jour , soit près de 200 conversions par mois. Les Orang Asli, aborigènes de la Malaisie insulaire, sont un objectif prioritaire de l’organisation, qui offre à cette population des facilités d’inscription aux programmes éducatifs des instituts . En outre, des missions spécifiques d’islamisation sont régulièrement organisées dans les Etats de Sabah et du Sarawak.

L’Angkatan Belia Islam Malaysia (ABIM) , établi en 1971, est l’organisation islamique la plus importante de Malaisie en termes de nombre d’adhérents, environ 150 000 , et de réseau. L’organisation dirige plus de 400 jardins d’enfants, des écoles primaires et secondaires et est responsable de l’éducation de 30 000 enfants. Au niveau local, l’organisation fait partie de la coalition ACCIN qui s’est révélée très active en 2006 dans le contexte du débat sur l’apostasie. Au plan international, l’ABIM entretient des relations suivies avec la Young Muslim Association of Thailand (YMAT), le Dewan Dakwa’h, la Nahdlatul Ulema et la Muhammadiya en Indonésie, l’Islamic Sudan Relief (Grande-Bretagne), le Jaamat e Islami (Pakistan), l’Islamic Chhattra Shibir (Bangladesh), le Center for Muslim Ethnic Studies (CMES) et l’Association des Malais-KOSLAM (Sri lanka) et enfin le Front moro de libération islamique-MILF (Phillipines) . La stratégie de l’ABIM pour atteindre un public étranger non musulman est parfaitement adaptée. Ainsi, l’organisation s’adresse à des non-musulmans qu’elle reçoit, forme et accompagne dans la démarche vers une conversion. Sur l’un des prospectus de l’organisation disponible dans une auberge de jeunesse du centre-ville on peut lire : « All are welcome, including non Muslims ! ».

La Malaysian Chinese Muslim Association (MACMA) , créée en septembre 1994, compte près de 1 266 membres, tous Chinois et musulmans . La MACMA est basée à Kuala Lumpur et possède six branches en Malaisie, dans les Etats de Selangor, Johor, Pahang, Perak, Kelantan et Sarawak. Le prosélytisme effectué par l’organisation s’adresse à la communauté chinoise, qui compte de nombreux catholiques, bouddhistes et taoïstes. Le président de la MACMA, Mustapha Ma, explique que le processus de conversion à l’islam rencontre de nombreuses réticences de la part des Chinois, notamment face à la prohibition du porc, qui constitue un plat de base de la gastronomie chinoise, et face à la peur de l’abandon de l’identité culturelle.

La conversion à l’islam est perçue comme une renonciation à son héritage culturel et constitue souvent un obstacle pour les organisations prosélytes islamiques. Ce sentiment provient de la confusion sémantique faite entre les termes « malais » et « musulman ». Dans le cas de l’individu malais, le terme ethnique peut se substituer au terme religieux « musulman », et inversement, tout en définissant une même catégorie. En ce sens, un Indien musulman est désigné comme un « malais » et un Malais se doit, de par la définition constitutionnelle , de pratiquer l’islam. De même, l’expression populaire en langue malaise désignant la conversion à l’islam : masuk malayu, signifie littéralement « entrer en malayité » ou « devenir malais ». Ainsi, il apparaît que l’islam est présenté comme un élément majeur de l’identité malaise. Dans le contexte sociologique malaisien, l’islam constitue un marqueur d’appartenance ethnique, un élément qui unit dans une même catégorie « les Malais » des individus pourtant de groupes ethniques différents. Mustapha Ma déplore cette confusion ; pour lui, les valeurs de l’islam n’appartiennent pas à la culture malaise mais sont universelles.

Dans le contexte malaisien, la conversion représente un moyen de préserver voire d’élargir la majorité musulmane en terme numérique. Le prosélytisme, au-delà d’un devoir religieux, constitue alors un outil d’achèvement politique.

… à l’islamisme

Les tensions entre groupes communautaires sont les conséquences d’un lourd héritage colonial auquel s’ajoutent cinquante ans de politique ethno-nationaliste. Durant ces années, le gouvernement a visé à pérenniser un système politique où les discriminations religieuses sont institutionnalisées. En Malaisie, l’islam est la religion de la Fédération et les autres religions peuvent être pratiquées librement. 60 % des citoyens sont musulmans et considèrent leur foi comme un attribut majeur de leur identité. En outre, le « registre national » comptabilise tout citoyen musulman comme Malais ou Bumiputera indifféremment de son origine ethnique , une catégorie qui ouvre des droits et des avantages particuliers , notamment en termes d’emploi et d’éducation : une discrimination positive en faveur de la majorité. Les Malais appartiennent à une communauté majoritaire dont les dirigeants conditionnent et verrouillent l’identité ethnique et religieuse, tout en lui offrant un ensemble de privilèges au détriment des populations pauvres non musulmanes. Par conséquent, la société malaisienne est un ensemble binaire où l’islam, au-delà d’un ciment communautaire, constitue un outil de différenciation et d’affirmation de la majorité et enfin un outil politique.

La majorité des membres et dirigeants des organisations islamiques professe des ambitions islamistes , qu’elles soient clairement affichées ou non. Cependant, la vision de ces organisations demeure modérée au sens où celles-ci inscrivent leur lutte dans une logique démocratique. La vocation politique des organisations tel qu’ABIM et JIM s’articulent dans des discours au sein desquels le projet d’établissement d’un Etat islamique moderne et d’une mise en place de la charia est récurrent. L’ancrage de ces organisations dans toutes les branches de la société malaisienne en fait des acteurs non négligeables de la scène politique, et ce depuis l’origine de leur établissement.

Genèse de la société civile islamique

Les ONGI sont des acteurs de la société civile. L’acception la plus courante de la société civile est celle d’un espace social actif entre Etat et individus, composé d’organisations non gouvernementales, à vocations multiples (recherche, aide sociale, éducation, etc.) et politiquement indépendantes. En Malaisie, les ONGI se disent apolitiques mais constituent un relais des messages politiques du gouvernement en place ou de l’opposition, et parfois en alternance. Cette vocation trouve son origine dans l’influence de mouvements islamiques des années 1970 et dans la façon dont la société civile a été modelée dans les années 1990.

L’engagement politique s’inscrit dès l’origine des ONGI malaisiennes et découle de l’influence reçue par ceux qui constituent encore aujourd’hui les leaders de la société civile islamique. L’organisation Pertubuhan Jamaah Islah Malaysia (JIM), qui compte près de 10 000 membres, a été érigée en 1989 sur les bases d’un mouvement d’islamisation par des étudiants malaisiens engagés dans des mouvements de réformes islamistes en Grande-Bretagne au milieu des années 1970. Quelques années après son retour de Grande-Bretagne et après s’être investi au sein de l’ABIM puis du Parti islamiste malaisien (PAS), le groupe des anciens étudiants malaisiens des universités anglaises décident de se réunir au sein d’une organisation islamique aux ambitions politiques claires. Saari Sungip , fondateur et premier président de l’organisation, nous explique que les enseignements reçus par des mouvements comme Al Ikhwan, connu sous le nom des « frères musulmans », ou Jamaat-e-Islami, mouvement de revivalisme islamique pakistanais, lui ont permis de se forger sa propre idée du type de combat idéologique et politique à mener en Malaisie.

Selon Saari Sungip, dès sa création, JIM se différencie d’un parti politique dans la mesure où l’organisation initie des programmes d’éducation et des actions caritatives en plus de son action militante. Aujourd’hui, JIM possède pas moins de quinze branches en Malaisie, couvrant toute la Fédération, ainsi qu’une aile féminine, Wanita JIM. Par ses activités diverses, de l’enseignement au militantisme, l’organisation souhaite la mise en place d’une véritable société islamique. Pour Zaid Kamaruddin, l’actuel président, l’islam ne doit pas seulement définir les interdits de la société, mais constituer un mode de vie.

Les ONGI telles ABIM et JIM ou encore Darul Arqam (bannie en 1994) sont devenues des acteurs actifs de l’opposition au gouvernement dirigé par l’UMNO . Ces ONGI ont joué un rôle considérable dans l’émergence d’une société civile islamique forte et influente qui a amené le gouvernement à adopter une politique d’islamisation. Anwar Ibrahim fut l’un des leaders charismatiques du mouvement de résurgence islamique emmenée par l’ABIM. Face à la montée en puissance de ce leader étudiant, ce dernier fut coopté par le gouvernement de Mahathir afin de mettre en place une politique satisfaisant les revendications de la société civile islamique.

Dans la plupart de ses discours de l’année 1994, Anwar Ibrahim popularise le concept de société civile « masyarakat madani », soulignant l’importance de son rôle pour l’achèvement de son projet d’une civilisation malaisienne islamique et moderne. Son ambition était celle d’une conceptualisation de la modernité dans la société malaisienne contemporaine accommodant les valeurs religieuses et le développement économique. Cette politique influença la perception des leaders malaisiens de la société civile comme un support des objectifs gouvernementaux plutôt qu’une plate-forme politiquement autonome et œuvrant pour le bénéfice de la société.

Zaid Kamaruddin, président de JIM, nous explique qu’il n’existe pas de véritable tradition de société civile en Malaisie et que la société civile est un concept relativement nouveau qui demeure vague : « Il n’y a pas de tradition de société civile. Les organisations [ONG] n’occupent pas le même espace qu’en Occident. Au sein des ONGI, nous commençons à prendre conscience du potentiel de changement par l’action directe, et que ce changement ne viendra peut-être pas des partis politiques. »

Entre instrumentalisation et répression

Meredith Weiss qualifie le régime malaisien de démocratie non libérale. En ce sens et dans le cadre de la société civile, le gouvernement malaisien consent un espace d’expression et de débat au sein duquel évoluent les ONG, mais la liberté de ces organisations s’arrête là où commencent les intérêts gouvernementaux. La liberté d’expression de la société civile constitue un indicateur du seuil de démocratisation atteint par un pays et, dans un même temps, un outil de démocratisation. Dans le cas de la Malaisie, la répression de l’expression publique corrobore l’autoritarisme du pouvoir en place. La nature du régime malaisien joue un rôle majeur dans l’organisation de la société civile et de son combat politique.

Le gouvernement détient un véritable arsenal juridique qu’il n’hésite pas à employer contre les organisations non conformes avec son discours ou ses valeurs. Des lois draconiennes, de l’Internal Security Act (ISA) au code pénal en passant par la législation sur les publications, les ONGI se meuvent dans un espace restreint consenti par le gouvernement. Ainsi toute activité, comme les manifestations et les forums, peut être stoppée et tout activiste arrêté et emprisonné, pour sédition ou acte menaçant la stabilité publique. Dans le cas des publications, la distribution de tracts est interdite, et les lettres de nouvelles ne peuvent être adressées qu’aux membres des organisations concernées. Internet offre une plus grande liberté aux organisations, qui, par le biais de leur site, atteignent un large public.

En outre, les ONGI possèdent une autonomie toute relative et doivent s’aligner sur l’unique message religieux admis par le gouvernement, le sunnisme shaféite. Le gouvernement diffuse la seule interprétation de l’islam qu’il reconnaît et autorise sur son territoire l’islam sunnite shaféite via ses propres institutions ou les organisations qui lui sont subordonnées comme PERKIM. Aussi, l’interdiction de l’enseignement soufi de Darul Arqam, jugé par le gouvernement d’Anwar Ibrahim et du Dr. Mahathir comme une secte religieuse rétrograde, s’inscrit dans la continuité de l’établissement d’un autoritarisme politico-religieux. Par ses institutions, le gouvernement détermine les codes et pratiques des musulmans : l’étroite surveillance du ministère des Affaires religieuses (JAKIM) sur les programmes d’éducation islamique, les organisations musulmanes et les mosquées. Chaque année, le JAKIM établit une liste des organisations bannies de Malaisie, parmi lesquelles comptent des organisations soufies ou chiites, des organisations de culte ou des individus (chercheurs, prophètes autoproclamés, activistes) mais aussi des ONGI, dont l’influence déplaît au gouvernement.

Darul Arqam, fondée en 1968 par Ashaari Muhammad, avait pour raison d’existence l’établissement d’une société islamique et était critique du manque d’engagement du gouvernement dans les domaines publics. L’organisation a réussi à implanter une véritable entreprise islamique développant des projets éducatifs, sociaux et économiques. L’organisation est devenue très populaire parmi les fonctionnaires et le corps enseignant, jusqu’à atteindre près de 7 000 membres au sein des institutions publiques. L’organisation possédait alors un véritable empire commercial, estimé à 300 millions de ringgits, soit 65 millions d’euros, incluant des chaînes de supermarché, d’épiceries et d’informatique ou de production cosmétique et vidéo. L’organisation a été interdite en 1994 et ses dirigeants extradés de Thaïlande, où ils pensaient avoir trouvé refuge, et emprisonnés en vertu de l’ISA. Plus tard, ils firent une annonce télévisée et Darul Arqam a été dissoute.

Rôle sur l’échiquier politique malaisien

Les membres des organisations islamiques les plus influentes se répartissent au sein des partis politiques. Les membres de JIM, de l’ABIM sont principalement dans les rangs du PAS et dans une moindre mesure ceux du Parti Keadilan , au sein de la coalition d’opposition appelée Pakatan Rakyat . Leur objectif est essentiellement de mener un combat idéologique sur plusieurs fronts de la scène politique et par l’influence que ces derniers ont sur les masses citoyennes. L’éducation islamique, selon Saari Sungip, est un outil permettant de développer non seulement des connaissances religieuses pures mais aussi celles du modèle social et politique islamique. Aussi, cela invite à une prise de conscience morale et politique, qui se traduit par un vote juste, à savoir anti-gouvernemental.

JIM a pour ambition claire la mise en place de la loi islamique d’ici à 2020. Selon Saari Sungip, ce projet est en harmonie avec la ligne politique de la coalition Pakatan Rakyat, qui milite pour plus de justice. Les élections de mars 2008 ont révélé la possibilité d’un changement politique et corroboré l’influence de l’opposition sur la société malaisienne. Selon Tian Chua , « un consensus a été trouvé entre tous les acteurs du parti et toutes les influences ». En effet, les questions religieuses pures et les controverses morales comme la consommation d’alcool, la liberté religieuse ou l’homosexualité sont mises en suspens tout autant que la rhétorique de la mise en place d’un Etat islamique et de la charia. Néanmoins, en cas de victoire de la coalition d’opposition, il n’est pas évident que le consensus sera maintenu. Pour l’heure, l’objectif commun reste le renversement du pouvoir et les ONGI ont un rôle à jouer.

Les ONGI qui soutiennent officiellement le Parti islamiste ou Anwar Ibrahim offrent des structures stratégiques pour le parti. En effet, les ONGI, de par leurs activités, sont ancrées dans toutes les couches de la société malaisienne, du kampong à la capitale, des masses rurales aux élites urbaines. En outre, quand les citoyens sont dépourvus d’accès direct à l’activisme, qui demeure une activité très urbaine, la facilité d’un engagement dans des activités associatives rend l’idée d’une participation politique possible, même si celle-ci demeure informelle. Aussi ces organisations offrent un capital de coalition et de militants très important et, de par leur accès tant aux masses populaires qu’aux médias et aux leaders politiques, elles constituent un relais politique efficace.

Ce rôle est valable également pour des ONGI qui soutiennent le gouvernement en place. Certaines ONGI surgissent d’une controverse à l’autre et semblent avoir été créées pour un dessein unique de contrepoids de l’opposition. La récente affaire des panneaux de signalisation a projeté au premier plan des organisations inconnues jusqu’alors : GGMM et Pewaris. Cette dernière n’est pas officiellement enregistrée et possède un blog sur Internet. Les animateurs de ce blog demeurent anonymes et la structure de l’organisation plus ou moins établie. Des professeurs en religion sont cités en tant que conseillers de l’organisation et des membres du parti au pouvoir. Les ambitions des leaders et membres de GGMM et Pewaris sont clairement politiques. Ils encouragent le gouvernement à une prise de mesure ferme et une utilisation plus importante de l’ISA contre des ONG qualifiées de féministes ou de libérales ainsi que toutes les organisations influencées par l’Occident. Le discours tenu est celui d’un combat idéologique (« Islam versus Occident ») décliné dans une version malaise et teinté d’une rhétorique suprématiste. L’influence réelle de ce type d’ONGI est difficile à déterminer. Nombre de membres et de dirigeants sont fréquemment membres d’autres organisations ou de l’UMNO.

La société civile islamique malaisienne est vaste et hétérogène. Les activités caritatives demeurent similaires d’une organisation à l’autre, tout comme leur vision politique à long terme. Certaines de ses organisations choisissent un engagement politique clair en soutenant de manière officielle un parti, engagement renforcé par la présence de leurs membres au sein de celui-ci. Tandis qu’un nombre non négligeable d’ONGI constituées en réseaux plutôt qu’en véritables structures reste dans l’ombre et leurs membres sont difficiles à rencontrer. C’est le cas du mouvement de dakwah tablighi, des organisation chiites dont le culte est interdit en Malaisie, de PEKIDA, qui revêt autant les formes d’une organisation politique que celles d’un réseau de petits mafieux opportunistes, ou la reformation de Darul Arqam, Alaqam, qui regrouperait près de 20 000 membres ou encore les organisations de pencak silat, l’art martial malaisien regroupant des jeunes Malais dans des structures politisées à la discipline quasi paramilitaire. D’autres préfèrent rester en dehors de l’action politique directe pour mener un combat au sein de la société par la diffusion de leurs idéaux au moyen de programme éducatifs et d’actions de charité.

Enfin, quelques soient les moyens choisis, l’influence des ONGI sur la société musulmane et non musulmane est extrêmement importante et doit être considérée comme un des facteurs de l’évolution politique et sociologique de la Malaisie.