Eglises d'Asie – Malaisie
Supplément EDA 6/2009 : La société civile islamique en Malaisie
Publié le 07/10/2011
par Sophie Lemière *
* Version augmentée et mise à jour de l’article Apostasy and Islamic Civil Society in Malaysia de Sophie Lemière, paru dans la revue ISIM (International Institute for the Study of Islam in the Modern World) (Leiden, Pays-Bas), n° 20, automne 2007.
L’année 2006 fut l’apogée d’une véritable guerre des idées sur la liberté de religion et l’apostasie dans l’islam. Deux coalitions se distinguent alors : « Article 11 » , les défenseurs d’une liberté inconditionnelle de la religion, et ACCIN , condamnant l’apostasie. Les premiers défendent les apostats en s’appuyant sur la Constitution malaisienne, qui garantit la liberté de la religion (article 11), et militent en faveur de la liberté de culte, et donc de conversion, pour tous les citoyens ; les seconds arguent que la liberté de la religion est conditionnée et que celle-ci ne s’adresse pas aux musulmans, qui, selon eux, doivent respecter avant tout les lois islamiques, qui interdisent toute conversion.
Depuis les élections de mars 2008, ce débat est occulté par le contexte politique. Les leaders actifs de la société civile concentrent leurs efforts sur les électeurs et l’éveil de la conscience politique en espérant voir venir le changement tant attendu ou au contraire pérenniser le pouvoir en place. Dans un contexte où la religion est une monnaie politique tant pour le pouvoir en place que l’opposition, la compréhension des mécanismes d’une controverse morale telle que le débat sur l’apostasie présente des intérêts non négligeables pour l’appréhension de la société malaisienne et des enjeux sociopolitiques nationaux.
D’une ambiguïté sémantique à un conflit juridique
La société malaisienne a une longue histoire de pluralisme religieux et culturel. La population musulmane est majoritaire à 60 % et composée essentiellement de Malais mais aussi d’Indiens et de Chinois. Les appellations de l’Etat malaisien sont diverses et souvent erronées. Rappelons que bien que l’islam soit la religion officielle de l’Etat , la Malaisie ne peut être considérée comme un Etat islamique car cet Etat n’est pas régi pleinement par la charia. La loi inscrite dans la constitution fédérale est suprême et l’application de la loi islamique partielle.
Les Malaisiens, indifféremment de leur appartenance ethnique ou religieuse, sont unis sous la bannière universelle de leur citoyenneté. Pourtant la société est divisée en deux catégories distinctes : musulmans et non-musulmans. Les groupes musulmans les plus conservateurs qualifient fréquemment les non-musulmans de « Kafir » ou de non-croyants et les traitent comme des citoyens de seconde zone, les musulmans qui ont renoncés à l’islam sont perçus comme des traitres de la foi et de la communauté.
Les musulmans qui renoncent à l’islam demeurent une minorité, leur nombre reste cependant indéfinissable car ces derniers ne rendent pas officielle leur démarche. Aussi l’importance de cette controverse est inversement proportionnelle au nombre de cas connus. L’émergence de cette troisième catégorie de citoyens que constituent les Malais non musulmans a brouillé les lignes d’une distinction établit sur des bases ethno-religieuses. Dans le contexte malaisien, cette décision a des conséquences multiples au niveau politique et social et précipite ceux qui la prennent dans un abysse juridique.
Selon la Constitution de 1957, un « Malais est une personne qui pratique l’islam, habituellement parle le malais et suit les traditions malaises » . Cette définition constitutionnelle implique que le terme « musulman » est indissociable de la catégorie « malais ». En ce sens, la constitution a créé un lien artificiel entre la religion et l’appartenance ethnique : dans ce système, l’ethnicité est le déterminant de la confession religieuse. Les dérives entre l’usage du terme et sa signification réelle sont à la source d’une ambiguïté majeure : le terme « malais » désigne 1.) un membre du groupe ethnique malais aussi appelé fils du sol ou bumiputera, 2.) un musulman, 3.) ou les deux à la fois. Cette homogénéisation de la définition d’un « Malais » fusionnant religion, tradition et culture est centrale au débat.
Ces ambiguïtés sémantiques mènent à des incohérences juridiques et administratives. Le sens premier du terme « malais » définit un groupe ethnique. Néanmoins, la définition du Malais telle qu’elle est décrite dans la Constitution verrouille l’identité religieuse et culturelle des Malais et les conventions populaires considèrent le terme comme un synonyme de « musulmans ». Par conséquent, la catégorie des Malais, telle qu’elle est décrite au niveau social, politique et administratif, inclut tout individu de confession musulmane indifféremment de son groupe ethnique d’appartenance. En ce sens, un Chinois musulman est enregistré à l’état civil comme un « Malais » et se voit offrir les privilèges réservés à cette catégorie. Dans cette catégorie, où l’islam est l’attribut majeur, l’expression des différences ethnique est quasi nulle.
Le terme malais a dérivé de son sens premier et est certes inapproprié pour décrire la communauté musulmane dans son ensemble. Cependant, cette dérive sémantique ne constitue pas un véritable problème au sein de la communauté elle-même. Les différences ethniques ne constituent que rarement un motif de discrimination ou de tension au sein du groupe. Au contraire, l’islam représente un lien entre des individus de différentes origines ethniques et tend à minimiser les différences culturelles. Les tensions apparaissent là où commence le débat politique.
Liberté de religion et liberté de conversion
En Malaisie, la liberté de religion est garantit par l’article 11 de la Constitution de 1957. Chaque communauté a le droit d’administrer ses affaires religieuses, de posséder ses lieux de culte et de pratiquer ses rites selon ses propres codes. Les non-musulmans sont exempts de la Zakat , la taxe de charité imposable aux musulmans. Ils ne sont pas dans l’obligation de recevoir une éducation islamique, ni de respecter le jeûne durant le mois du ramadan ou toutes autres pratiques relevant de la tradition islamique. En outre, chaque communauté religieuse a le droit de créer des institutions éducatives pour ses propres enfants . Néanmoins, seul le financement des institutions éducatives islamiques doit entrer dans le budget de la Fédération ou de l’Etat.
En Malaisie, la pratique de l’islam est facilitée par de nombreuses initiatives, telles l’existence de salles de prière dans tous les lieux publics (y compris les stations services des bords d’autoroutes), une subvention pour le pèlerinage à La Mecque, des cours de religion gratuits dispensés par un ensemble d’associations publiques ou indépendantes. Les musulmans sont favorisés dans leur démarche spirituelle et confessionnelle, et tout est mis en œuvre pour un bon exercice des rites islamiques. Dans ce système, les musulmans ont un statut à part, une forme d’enclave sociale et légale à laquelle il cependant est difficile de renoncer.
Les non-musulmans possèdent le droit de professer et de propager leur religion mais seulement auprès des non-musulmans. La clause 4 de l’article 11 interdit toute forme de prosélytisme, autre qu’islamique, auprès des musulmans. Au milieu de l’année 2006, lors de la montée des hostilités dans le débat sur l’apostasie, et dans l’attente du jugement de la célèbre affaire Lina Joy, le Premier ministre Abdullah Badawi a fermement invité les Etats fédérés à renforcer leurs lois afin de préserver les musulmans de toutes influences religieuses extérieures à l’islam, et ce, afin de garantir l’harmonie entre les groupes ethniques (sic) : « Pourquoi persistent-ils [les mouvements prosélytes non musulmans] ? Les Etats qui n’ont pas encore passé de lois relatives à cette question devraient y penser et prendre toutes actions nécessaires . »
Le prosélytisme chez les musulmans est perçu comme une menace. Cette peur est générée par plusieurs facteurs : tout d’abord un facteur religieux évident, chaque communauté perdant l’un de ses membres se voit remise en question d’autant plus que la conversion d’un musulman au christianisme est vue comme une régression car cette religion révélée avant l’islam semble imparfaite. Ensuite, et dans le cas de la Malaisie, le facteur économique et démographique, consciemment ou non, entre en jeu. Le groupe ethnique malais représente de peu la majorité de la société et n’est économiquement pas le plus favorisé. Le pouvoir politique est aux mains des Malais mais le pouvoir économique semble leur échapper au profit des autres groupes (et plus particulièrement les Chinois), et ce malgré la politique économique mise en place dans les années 1970, la Nouvelle politique économique (NEP) . Plutôt qu’une politique visant à aider une classe défavorisée, les mesures de la NEP ne s’adressent qu’à un groupe ethno-religieux. Après plus de trente années de cette politique racialiste, les disparités économiques subsistent et seule l’élite malaise proche du pouvoir s’est enrichie. Il existe un véritable sentiment d’injustice : les Malais, « fils du sol » et musulmans, se définissent en opposition aux « Autres », émigrés de toutes générations, Indiens et Chinois, non-musulmans. Dans un tel contexte économique où, de surcroît, l’expression des divisions raciales est institutionnalisée, le reflexe identitaire prend le dessus et la préservation du groupe devient un enjeu qui s’articule dans un discours politiquo-religieux. Aussi, les musulmans qui renoncent à l’islam sont en quelques sortes des individus qui se désolidarisent de la communauté, et mettent en péril la majorité numérique des Malais en passant du côté des « Autres ».
Renoncer à l’islam en Malaisie
La distinction religieuse entre musulmans et non-musulmans a été institutionnalisée par le gouvernement : le terme « islam » apparait sur la carte nationale d’identité de chaque citoyen malaisien musulman. Le fait d’appartenir à cette catégorie implique que le citoyen est soumis aux lois islamiques telles qu’elles sont appliquées dans l’Etat dans lequel il réside. Chaque Malaisien qui pratique l’islam est officiellement enregistré en tant que musulman et de ce fait placé sous l’autorité du Département des Affaires religieuses et des tribunaux de la charia. Cela signifie que, tout au long de sa vie, le citoyen musulman sera guidé à la fois par la loi islamique et par la loi « civile » ou « séculière ». Les musulmans qui ont renoncé à l’islam, eux, se trouvent dans un vide juridique.
La Malaisie est une fédération de 14 Etats régie par un double système juridique : un système dit civil ou séculier , et un système islamique . Les citoyens musulmans sont assujettis, et eux seuls, aux lois islamiques. Le système de droit musulman est un système autonome de droit religieux proprement dit, dont l’assise principale est le Coran. La charia, loi islamique, est une institution vivante qui inclut chaque aspect de la vie du peuple (foi, rituel, éthique) ainsi que la perspective purement juridique . La charia consiste en un ensemble de principes moraux, ou dogmes, ainsi que des règles pratiques contenus dans le Coran et la Sunna , qui sont, dans la croyance musulmane, d’inspiration divine. Selon l’article 4 de la Constitution, la loi fédérale est suprême, et les deux systèmes juridiques doivent bien sûr s’y conformer.
Le système de gouvernance malaisien autorise chacun des Etats fédérés à introduire et mettre en place ses propres lois islamiques. En 2000, l’Etat du Perlis, dirigé par le parti au pouvoir , a mis en place une ordonnance pour la protection de la foi musulmane permettant l’envoi des apostats dans centre de réhabilitation de la foi .
Le fait d’être musulman comporte un corpus d’obligation rituelle comme le respect du jeûne durant le ramadan, l’abstention de consommation d’alcool ou de porc, etc. Dans les pays dits laïcs ou séculiers, le respect de ces principes est laissé à l’appréciation de l’individu. En revanche, dans l’Etat malaisien, qui n’est ni un véritable islamique ni véritablement séculier, il existe une brigade de fonctionnaires attachés au Département des Affaires religieuses, au niveau de chaque Etat fédérés, disposant de ressources juridiques et policières pour veiller aux respects de ces pratiques. Aussi, les contrôles d’identité par cette « police islamique » ne sont pas rares, notamment dans les établissements vendant de l’alcool ou les lieux publics. Les citoyens musulmans pris en flagrant délit de consommation d’alcool par exemple peuvent être rendus coupable d’une infraction et leur comportement sanctionné par une amende ou des poursuites des tribunaux islamiques. Dans certains cas, des non-musulmans sont également rendus coupable de comportement déviant, plus particulièrement en ce qui concerne les démonstrations d’affection en public, que ce soit dans le cas de couples religieusement mixtes ou de non-musulmans .
La renonciation à l’islam est considérée comme une stratégie pour échapper à la catégorie administrative et juridique. Les apostats sont vus comme des traitres de la communauté et des individus souhaitant se dérober de leurs obligations rituelles. Les affaires d’apostasie rendues publiques trouvent rarement une issue favorable au sens où le statut de l’individu qui a changé de religion n’est que très rarement accepté et reconnu de manière officielle. Azlina Jailani, convertie au christianisme en 1998, changea son nom en Lina Joy et décida de se marier à un catholique. Le bureau de l’état civil malaisien accepta le changement d’identité mais pas de catégorie, aussi la mention « islam » ne fut pas retirée de sa carte d’identité. En 1999, Lina Joy porta plainte une première fois contre le bureau de l’état civil et simultanément entrepris des démarches officielles auprès du Département des Affaires religieuses de son Etat, pour recevoir une attestation de sa renonciation à l’islam. Défendue par Haris Ibrahim, célèbre avocat et activiste, défenseur des droits de l’homme, Lina Joy entra dans un véritable labyrinthe juridique et administratif : le tribunal de droit séculier refusait de prendre toute décision tant que son nouveau statut religieux n’était pas reconnu par le Département des Affaires religieuses ou un tribunal islamique. Le verdict de la Cour fédérale en mai 2007, déboutant la demande de Lina Joy, a affirmé que l’affaire n’entrait pas dans ses compétences juridictionnelles. Aussi, l’affaire était alors laissée à la juridiction du tribunal islamique, bien que la plaignante ne se considère plus comme musulmane. Lina Joy a depuis quitté le pays.
Il semble que la liberté de la religion garantit en théorie par l’article 11 de la Constitution ne s’applique pas, dans les faits, aux citoyens musulmans, tandis que le tribunal islamique n’autorise que rarement les « sorties » de l’islam et le plus souvent les condamnent par une sentence pouvant aller de la simple amende à la détention en centre de réhabilitation de la foi ou le fouet . Par conséquent, la suprématie de la Constitution est remise en question et chacune des décisions juridiques émises par les tribunaux de justice séculiers ou religieux ont un impact sur l’ensemble du débat. D’un tabou social ou communautaire, l’apostasie devient un conflit juridique et une controverse politique.
La montée en puissance de la société civile islamique
En Malaisie, alors que des organisations non gouvernementales étaient déjà présentes au sein de la société malaisienne, connues pour leurs activités caritatives ou politique, le concept de « société civile » n’émergea que dans les années 1990, promu par Anwar Ibrahim, alors Vice-Premier ministre du gouvernement de Mahathir. Dans un contexte de développement économique rapide, alors que les groupes réformateurs musulmans réclamaient un maintien du caractère islamique de la société malaisienne, Anwar Ibrahim décida d’un politique d’islamisation. La société civile ou Masarakyat Madani était, selon Anwar Ibrahim, un moyen d’insuffler à cette croissance un air islamique. Ainsi, la société civile, dans sa première acception, était liée à la religion, en l’occurrence l’islam, et se voyait confier une tâche bien particulière, définie par le gouvernement.
La société civile est le reflet de la société malaisienne, une entité binaire divisée entre ses éléments islamiques et non islamiques. La société civile est intrinsèquement liée aux questions religieuses. Il existe un très large panel d’organisations non gouvernementales en Malaisie ; parmi elles, figurent des organisations caritatives, des centres de recherche d’intérêt public, des organisations militant pour les droits de l’homme, contre les violences domestiques, pour les droits des consommateurs, etc. Un grand nombre de ces organisations, quel que soit leur mandat, sont des organisations religieuses. Une majorité d’entre elles se présentent comme des ONG islamiques ou musulmanes (ONGI).
Les ONGI jouent un rôle clé dans la diffusion du message religieux et encouragent les conversions tout en se conformant à la seule interprétation de l’islam reconnue et autorisée par le gouvernement : le sunnisme shaféite. Par exemple, certaines des ONGI activent au sein de la coalition ACCIN offrent des enseignements gratuits à des familles musulmanes mais proposent également des cours de découverte aux étrangers, expatriés ou simples touristes, et aux Malaisiens non musulmans. Le premier gouvernement de Malaisie a créé son propre organe de conversion, l’organisation PERKIM , qu’il finance toujours aujourd’hui.
Ce concept de la société civile malaisienne ne correspond pas à celui qui est décrit en Occident, où l’indépendance politique des ONG est un facteur déterminant. Dans les faits, de nombreuses ONG, et plus particulièrement les ONGI, sont liées à des organismes politiques, qu’il s’agisse du gouvernement ou de l’opposition. Paradoxalement, bien que les membres des ONGI et leurs leaders soient souvent membres de partis, et/ou que leurs programmes reflètent les ambitions de ces mêmes partis, l’indépendance politique est une rhétorique majeure des ONGI. Par exemple, des leaders et des membres du PAS, parti islamiste, se sont retrouvés sur les lignes de front lors des manifestations contre les forums publics organisés par la coalition « Article 11 », notamment le 14 mai 2006 à Penang. Dans ce contexte où les membres et leaders de partis politiques et d’ONGI se confondent, il reste très difficile de mesurer l’importance de la société civile islamique, en terme de nombre d’adhérents. L’influence des ONGI doit alors être mesurée non pas en unité humaine mais en termes d’impacts sociopolitiques réels.
ACCIN : perception et action
La coalition ACCIN est constituée de 14 ONGI. Leurs membres appartiennent essentiellement aux classes moyennes urbaines, des étudiants ou des professionnels, mais les denses réseaux de ces organisations permettent de toucher un public très large et de toutes origines sociales ou géographiques. Les activités de ces organisations varient de l’éducation islamique et générale à l’aide sociale et au prosélytisme. Généralement, les financements proviennent directement des membres qui contribuent par une cotisation annuelle. Enfin celles-ci possèdent un réseau de communication développé par la création de lettre aux adhérents et de site Internet.
Les organisations de la coalition militent ensemble, en plus de leurs activités respectives, pour la défense de l’islam et des musulmans en Malaisie. L’apostasie est perçue comme une menace sur la communauté malaise. Les apostats sont considérés comme des déviants ou même des fous qui désavouent une communauté et tout son système de valeur. L’apostasie et les apostats sont un danger au même titre que les « séculiers » ou pro-laïcs. Pour le président de l’organisation TERAS , Azmi Abdullah Hamid (voir photo), l’apostasie tout comme la consommation d’alcool, de drogue ou la fréquentation de prostituées et le jeu sont le résultat d’une société malaisienne déviante subissant l’influence des sociétés occidentales. Ces déviances sont en quelques sortes une part de l’héritage colonial (sic). Par son organisation, il souhaite « ré-islamiser les musulmans » de Malaisie pour les ramener vers une pratique plus pure de l’islam, au plus près de ces fondements.
La coalition ACCIN a pour but d’enterrer le débat sur la liberté de la religion initié par la coalition « Article 11 ». Ce débat constitue pour eux une menace sur l’équilibre de la communauté et son droit de vivre selon ses principes et ses lois. La coalition est présidée par Yusri Mohammed, leader de la plus large ONGI de Malaisie, l’ABIM . Deux autres organisations soutiennent les activités militantes d’ACCIN sans en faire véritablement parties : Peguam Pembela Islam, plus connue sous le nom de Pembela ou PPI, et Badan IFC ou Badai.
Pembela a été créée en 2006 par un groupe d’une centaine d’avocat s’opposant directement à l’association du barreau de Malaisie , qui soutient « Article 11 » dans son combat. BADAI a été créée dans l’unique but d’annihiler le projet d’établissement d’un conseil interreligieux , dont l’ambition était de créer un espace de débat ouvert sur les questions religieuses. BADAI puis ACCIN se sont fermement opposées à cette initiative du fait que, selon elles, les questions de foi ou de rites doivent être débattues uniquement au sein de chaque communauté religieuse. Le projet a été abandonné en 2005.
La stratégie de « coup médiatique »
La scène médiatique malaisienne se décline dans toutes les langues parlées dans le pays, principalement le chinois, le malais, l’anglais et le tamoul. La liberté de la presse est largement contrôlée par un corpus juridique rassemblé sous le « Freedom of Information Act ». Néanmoins, la couverture du débat sur l’apostasie a été massive. Les médias offre un outil sans égal pour atteindre les masses et chacun des acteurs de la société civile les plus engagés dans les débats politisés les utilisent pour promouvoir leur message respectif. La règle du jeu consiste à organiser des événements suffisamment attractifs pour séduire les organes de presse. Ces « coups médiatiques » constituent une véritable stratégie pour atteindre une audience plus large et renverser les arguments et l’influence de la partie adverse.
« Article 11 » a commencé par organiser des forums itinérants dans tous les Etats de Malaisie, forums intitulés « Federal Constitution : Protection for all » , afin d’informer les citoyens sur leur liberté de culte et faire la publicité des parcours de ceux qui ont renoncé à l’islam tout en dénonçant les abus dont ils ont été victimes. A mesure que ce forum devenait populaire et relayé par les médias, la coalition ACCIN déclenchait des manifestations de plus en plus importantes devant les lieux où ils étaient tenus. Les forums de Penang et Johor durent être interrompus, à la demande de la police, pour des questions de sécurité, du fait des tensions grandissantes au sein des manifestants de la coalition ACCIN.
Suite à ces événements, le gouvernement appela à la cessation du débat et Badawi demanda officiellement à la coalition « Article 11 » d’arrêter les forums, considérés comme une menace pour l’ordre public et l’harmonie sociale. Quelques jours plus tard, ACCIN et ses co-alliés, dont la branche jeunesse de l’UMNO, organisaient un meeting public massif à Kuala Lumpur, devant la mosquée nationale. Le sujet du forum était : « La remise en question des droits des musulmans » . Cet événement marquait la fin des débats – pour un temps.
Bien que ce débat soit aujourd’hui moins présent dans la sphère médiatique et la société civile, concentrées sur l’actualité politique et électorale depuis les élections de mars 2008, la question de l’apostasie et de la liberté de la religion n’est qu’en suspend. Une fois les émois postélectoraux passés, la question va sans aucun doute ressurgir, que le gouvernement en place se maintienne ou qu’il soit renversé par l’opposition. Dans le cas d’une prise de pouvoir par Anwar Ibrahim et sa coalition, au sein de laquelle siège le parti islamiste, la question de l’apostasie et toutes les controverses de moralité vont, sans nul doute, venir perturber le fragile équilibre sur lequel s’est bâti la coalition de l’opposition.