Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Réflexions à propos du martyre de saint Etienne »

Publié le 25/03/2010




Le 4 janvier 2009, le Kung Kao Po, hebdomadaire en langue chinoise du diocèse catholique de Hongkong, a publié un long texte du cardinal Joseph Zen Ze-kiun. L’évêque de Hongkong y lance un vigoureux appel aux évêques « officiels » de l’Eglise catholique en Chine à se montrer courageux, notamment en refusant de se compromettre avec les initiatives des autorités chinoises…

dès lors qu’elles sont contraires à la doctrine catholique. La traduction française est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

2006 : au lendemain du jour de Noël, juste avant de dire l’angélus avec les fidèles place Saint-Pierre à Rome, le pape Benoît XVI a expliqué que, pour un martyr, le jour de son martyre sur terre est célébré au Ciel comme le jour de son anniversaire ; par conséquent, il est tout à fait indiqué de célébrer la fête de saint Etienne, premier martyr chrétien, le 26 décembre, au lendemain de la naissance du Christ. Jésus a pris sur lui le fardeau de l’humanité pécheresse en s’offrant en sacrifice sur la croix pour notre salut. Il n’y a que par ce sacrifice que nous avons l’espoir d’une nouvelle naissance dans l’éternité à la lumière de la grâce divine.

A cette occasion, le Saint Père a prononcé quelques mots pour réconforter nos frères de l’Eglise « clandestine » de Chine. Il a dit : « En union spirituelle profonde avec eux, je pense à ces catholiques qui conservent leur fidélité au Siège de Pierre sans céder aux compromis, parfois au prix de grandes souffrances. L’Eglise tout entière admire leur exemple et prie pour qu’ils gardent la force de persévérer, sachant que leurs peines sont source de victoire, même si en ce moment tout parait échouer. » Ces mots ont plus tard été repris dans la note n° 1 de la Lettre du pape à l’Eglise de Chine.

Cette année 2006 fut ponctuée d’échecs pour l’Eglise de Chine. En avril, mai et novembre, trois consécrations épiscopales eurent lieu sans mandat pontifical. Plus d’une dizaine d’évêques « en communion avec le Saint-Siège » y ont pris part. Pour notre part, nous étions purement et simplement stupéfaits.

2007 : le début de l’année a paru apporter quelque espoir. Une réunion s’est tenue au Vatican du 19 au 20 janvier pour évaluer la situation de l’Eglise en Chine. Le communiqué final fut qualifié par certains de « prudent et mesuré ». Je dirais plutôt qu’il était bien trop optimiste, en ne parlant que d’« incompréhensions » à propos de l’histoire longue et contrastée des relations entre le gouvernement chinois et le Saint-Siège. A la fin du communiqué, il était annoncé que le pape écrirait une lettre aux catholiques de Chine. Alors que beaucoup attendaient ce document pour Pâques, il fut en fait publié à la fin juin. Ce fut néanmoins un événement historique.

A propos d’une controverse menée avant la publication de la lettre du pape

Alors que tout le monde attendait la lettre, un membre du clergé de Chine, qui a préféré rester anonyme, publia un article diffusé par l’agence Ucanews (édition en anglais du 20 mars 2007). Son idée principale était simple : puisque le problème entre la Chine et le Saint-Siège est fait d’incompréhensions, alors la solution doit être de rechercher le compromis et non de camper sur ses positions. J’ai jugé nécessaire d’apporter une réponse, le 8 avril, à cet article par trop plein de sophismes, pour parer aux attentes erronées des lecteurs vis-à-vis de la lettre du pape à venir. J’étais en fait sûr que le pape parlerait de la constitution divine de l’Eglise et de la liberté religieuse, étant donné qu’il s’agissait là des principaux sujets abordés lors des deux jours de réunion en janvier 2008. En fait, dans la section n° 5 de sa lettre, le pape Benoît XVI a réaffirmé que l’Eglise est une, sainte, catholique et apostolique, établie par Jésus Christ sur saint Pierre et les apôtres, et qu’elle doit par conséquent être aujourd’hui encore dirigée par le pape et les évêques. Dans la section n° 7, le Saint Père notait que la raison la plus évidente des problèmes touchant l’Eglise de Chine réside dans le fait que certaines entités, établies par des autorités civiles, se sont mises au-dessus des évêques et ont pris sur elles de gouverner l’Eglise, privant l’Eglise de sa liberté. Dans cette lettre, le pape, en éminent théologien et bon père, a réussi à maintenir un équilibre précieux entre l’exposition claire des principes et le souci de se faire comprendre du plus grand nombre. Equilibre qui caractérise l’ensemble de la lettre – un équilibre délicat, qui peut aisément basculer à droite ou à gauche, selon que l’on se montre optimiste ou pessimiste.

A propos d’une controverse menée après la publication de la lettre du pape

Il y eut, entre moi-même et le P. Jeroom Heyndrickx, CICM, un désaccord sur un point de compréhension de la Lettre du pape à l’Eglise de Chine. Le P. Jeroom a affirmé qu’il n’y avait pas aujourd’hui de raison pour les membres de l’Eglise clandestine d’y rester et que le Saint Père encourageait chacun à obtenir la reconnaissance des autorités civiles (1). Je soutiens fermement qu’il s’agit là d’une interprétation erronée, qui pèche par trop d’optimisme. A cet égard, il est nécessaire de distinguer les efforts de réconciliation spirituelle et l’objectif d’une réunification en une seule structure (Kung Pao Po, 22 juillet 2007).

Une personne exerçant de hautes responsabilités m’informe que le P. Heyndrickx a depuis abandonné son interprétation, mais je n’ai vu aucune déclaration de sa part à ce sujet. Je me demande pourquoi il n’y a pas eu de déclarations officielles à ce sujet. Non seulement bon nombre d’évêques et de prêtres, à la suite de l’interprétation du P. Heyndrickx, ont essayé d’obtenir la reconnaissance des autorités civiles, mais ils ont échoué lamentablement et, de surcroît, le clergé « clandestin » s’en est trouvé divisé.

A propos du message central de la Lettre du pape

Les mots prononcés par le Saint Père le 26 décembre 2006 auraient dû nous permettre de comprendre sa pensée. Le Saint Père admire « leur fidélité qui ne cède pas au compromis ». Il les encourage à « persévérer ». Il sait qu’« en ce moment, tout semble échouer », mais il croit fermement que « leurs peines sont source de victoire ».

Vers la fin de la Lettre, dans la section n° 19, le Saint Père dit encore : « Les catholiques du monde entier vont […] demander au Seigneur, maître de l’Histoire, les dons de persévérance dans le témoignage, dans la certitude que vos souffrance passées et présentes pour le Saint Nom de Jésus et votre intrépide loyauté à ses vicaires sur terre seront récompensées, même si en ce moment, tout semble échouer. »

En rapprochant la note n° 1 et ces derniers mots de la Lettre, on remarque un leitmotiv : échec actuel, mais victoire finale. N’est-ce pas, après tout, ce à quoi font écho la foi et l’espérance ? Mère Teresa avait coutume de dire : « Dieu n’attend pas de nous que nous réussissions, mais que nous croyions. »

Un appel à mes frères de Chine

Chers frères évêques et prêtres, méditez l’exemple de saint Etienne et levez les yeux vers les martyrs. Ne prenez pas les succès d’aujourd’hui pour la véritable victoire.

On a dit aux frères de la communauté « clandestine » : « Comme nous sommes intelligents d’accepter le compromis ! Nous sommes en communion avec le Saint Père et nous sommes reconnus par le gouvernement. Ils nous donnent de l’argent. Nous pouvons prendre soin des fidèles. Mais vous, vous préférez aller en prison. Vous préférez mourir. Et ensuite… vos fidèles sont abandonnés sans personne pour s’occuper d’eux. » Ainsi, le martyre est devenu stupide. Mais quelle absurdité ! Quel manque de perspicacité !

Le compromis peut être une stratégie provisoire, mais cette situation ne saurait durer éternellement. Etre parfaitement uni au Saint Père en son for intérieur et en même temps faire partie d’une Eglise qui se dit autonome présente une contradiction dans les termes. Dans des circonstances spéciales, vous avez accepté une telle humiliation. Plus tard, vous avez demandé au Saint Père d’être absous et il a montré beaucoup de compréhension à votre égard. « Le roseau froissé, il ne le brisera pas, et la mèche fumante, il ne l’éteindra pas. » Mais, aujourd’hui, la Lettre du pape est là ! L’Eglise de Chine doit prendre un nouveau départ. La vérité et ses droits doivent être respectés. L’anormal doit céder la place au normal !

Lorsque le pape reconnaissait des évêques consacrés sans mandat pontifical, ou approuvait des candidats « élus », il ne leur demandait pas de s’éloigner de l’Eglise « officielle », bien que tout ceci se passât sous le contrôle injustifié d’organisations n’appartenant pas à l’Eglise. Nos frères de la communauté « clandestine » ont du mal à comprendre cela. Nous en comprenons la raison historique : si, au commencement des processus de légitimation, l’Eglise avait demandé aux évêques qu’elle allait reconnaître de se séparer de ces organisations, le gouvernement aurait réagi fortement, rendant impossible la poursuite du processus. Se tournant maintenant vers le passé, on peut constater avec satisfaction comment, alors que l’Eglise a accepté le compromis, le gouvernement a lui aussi adouci ses positions et permis un changement progressif des choses.

Mais, désormais, nous avons la Lettre du pape. Aujourd’hui, la situation dans son ensemble a changé. Il est grand temps de clarifier les principes ! On ne peut plus admettre de sacrifier la vérité afin de « proclamer l’Evangile » !

Le pape Benoît XVI a écrit dans sa lettre : « […] Des évêques légitimés n’ont pas su montrer qu’ils avaient été reconnus […]. Il est indispensable […] que les évêques reconnus fournissent sans équivoque des signes de plus en plus forts de leur pleine communion avec le successeur de Pierre (8,11). »

Le Saint Père dit (aux prêtres) : « Comment puis-je ne pas vous rappeler…, comme un encouragement pour tous, les exemples lumineux d’évêques et de prêtres qui, dans les années difficiles d’un passé récent, ont témoigné d’un amour infaillible pour l’Eglise, jusqu’à donner leur vie entière au Christ et à son Eglise ? » (13,1) (voir aussi 8,4, 8,5). Le pape sait certainement ce qu’il vous demande. Le comprenez-vous ?

Le pape Benoît XVI a écrit : « […] Il est clair que les revendications de certaines organisations, voulues par l’Etat et extérieures à la structure de l’Eglise, pour se placer au-dessus des évêques et guider la vie de la communauté ecclésiale, ne correspondent pas à la doctrine catholique […]. De même, les intentions déclarées des entités susdites d’exécuter ‘les principe d’indépendance et d’autonomie et d’administration démocratique de l’Eglise’ sont incompatibles avec la doctrine catholique (7.5, 7.6). » Mais le 25 juillet 2007, environ 300 représentants de l’Eglise catholique, dont 37 évêques, participaient aux commémorations du 50ème anniversaire de l’Association patriotique des catholiques chinois.

Le pape Benoît XVI a écrit : « la nomination des évêques par le pape est garante de l’unité de l’Eglise et de la communion hiérarchique (9.1). Quand il délivre le mandat apostolique pour l’ordination d’un évêque, le pape exerce son autorité spirituelle suprême (9.2). » Il a dit aussi : « […] Les évêques qui confèrent la consécration épiscopale sans mandat apostolique et ceux qui la reçoivent […] (doivent savoir) qu’une telle consécration inflige une blessure douloureuse à la communion de l’Eglise et constitue une grave violation du droit canonique » (9.1). Mais le 19 décembre 2008, 45 évêques et 200 personnes, dont des prêtres, des religieuses, des séminaristes et des fidèles, ont pris part aux événements organisés pour le 50ème anniversaire des deux premières ordinations épiscopales menées sans mandat pontifical.

2008 : ce qui s’est passé en juillet 2007 pourrait toujours être vu comme une prolongation de la période qui a précédé la publication de la lettre. Mais il est de plus en plus difficile de comprendre ce qui se passe maintenant, aujourd’hui. Nous supposons que tous devraient avoir assimilé la Lettre du pape. Le 22 avril 2008, le Saint Siège a envoyé une autre lettre aux évêques, les encourageant à se tenir plus courageusement aux côtés du Saint Père. Le 50ème anniversaire des premières consécrations illicites méritait-il d’être célébré ? Presque tous les évêques consacrés illégitimement ont ensuite demandé au Saint Père de leur pardonner ; le pape leur a généreusement manifesté sa compréhension et leur a accordé la légitimation. En demandant à être légitimé, ces évêques ont reconnu qu’il n’y avait pas d’Eglise catholique sans communion hiérarchique.

Il y a cinquante ans, sous l’influence de l’extrême gauche, des gens ont cru que le pape représentait l’impérialisme, et donc, pour en éradiquer toute trace, qu’il était nécessaire de séparer de Rome l’Eglise de Chine. Un tel mode de pensée, après trente années d’ouverture et de réforme, ne peut qu’apparaître dépassé. En fait, forcer les fidèles à agir contre leur conscience est une offense sérieuse faite à la dignité des citoyens et personne ne peut s’en montrer fier ; pas plus que ceci ne doit être célébré. Le fait que cet anniversaire a été célébré ne fait qu’indiquer que ceux qui sont parvenus à des positions de pouvoir rechignent à renoncer à leurs postes et aux avantages qui vont avec. Ils persistent dans la voie qui consiste à ce que notre pays agisse de manière injuste et se couvre de honte en étant très en retard en matière de politique religieuse.

Projet pour 2009 : en 2007, ils célébraient les 50 ans de l’Association patriotique ; en 2008, les 50 ans des premières ordinations épiscopales illicites. Ce qui va suivre est probablement la soi-disant « Assemblée des représentants des catholiques chinois ». Etes-vous prêts à participer à « l’élection » du président de l’Association patriotique et à celui de la « Conférence des évêques » ? Les nombreuses sessions d’endoctrinement (organisées pour les évêques et les prêtres) ont apparemment été menées dans le but de préparer les évêques et les prêtres à cette réunion, destinée à avoir lieu dans un avenir proche. Mais prendre part à une telle assemblée ne revient-il pas à poser un acte qui fait mine d’ignorer totalement la Lettre du pape ? N’est-ce pas équivalent à gifler le pape ? Votre conscience vous permet-elle cela ? Le peuple de Dieu acceptera-t-il cela ? Notre pays peut-il en être fier ? Y aura-t-il encore de l’espoir pour que nous puissions revenir bientôt à une situation normale, vivre librement notre foi ?

Je suis un serviteur inutile. Mon seul privilège a été de vivre longtemps dans un monde libre. J’ai été honoré de la pourpre cardinalice par le Saint Père, mais le jour où je l’ai reçue, j’ai dit au monde entier que le sang symbolisé par la couleur rouge était le sang de mes nombreux et héroïques frères et sœurs de Chine. A travers ma voix, ce sont eux qui vous implorent aujourd’hui : « N’ayez pas peur, prenez sur vous la croix que l’Histoire vous confie. A ce moment critique, le choix que vous ferez peut revitaliser l’Eglise ou bien la condamner à une longue agonie. Vous devrez répondre de cela devant l’Histoire et vous devez vous préparer à vous présenter debout, sans avoir à rougir, devant le jugement de Dieu. »

« Levez-vous, vous qui n’êtes plus esclaves. » La Chine nouvelle n’est pas encore terminée. Il y a des gens qui œuvrent pour sa prospérité, il y a des gens qui travaillent pour la modernisation de sa défense militaire. Votre contribution sera de construire une communauté catholique digne de ce nom, qui mérite le respect du monde entier ; une Eglise une, sainte, catholique et apostolique, en communion avec tous les évêques du monde, guidée par le Successeur de Saint Pierre.

Dites aux dirigeants suprêmes de notre nation que certaines personnes de l’Association patriotique ne représentent pas l’Eglise catholique de Chine. J’espère que la voix du peuple de Dieu, à travers vous, atteindra nos dirigeants. Puissent-ils savoir que notre seul désir est de pouvoir vivre notre foi dans la paix et être fidèle à notre pays, comme de loyaux citoyens.

Chers frères évêques et prêtres, levez les yeux vers saint Etienne, vers tous les martyrs de notre Histoire ! Si vous vous redressez, perdrez-vous quelque chose ? Souvenez-vous : vos souffrances endurées à cause de votre foi sont la source de la victoire, même si en ce moment tout semble échouer !

L’hiver vient, mais le printemps suivra et il durera !

Jésus est dans la crèche, mais près de lui la pauvreté est richesse, le froid cède à la chaleur.

Marie, Secours des chrétiens, priez pour nous.
Marie, Mère de la Grâce divine, priez pour nous.
Reine de Chine dans les cieux, priez pour nous.

Joseph Zen
Décembre 2008