… des anniversaires célébrés en 2007, pour les 50 ans de la création de l’Association patriotique des catholiques chinois, et en 2008, pour les 50 ans des premières ordinations épiscopales menées en Chine sans mandat pontifical.
Le 22 décembre 2008, l’agence Eglises d’Asie rapportait les faits suivants : « A l’occasion du 50ème anniversaire des ordinations épiscopales illicites de 1958, le gouvernement (chinois) réaffirme son attachement au principe d’indépendance de l’Eglise catholique de Chine » (1). La dépêche poursuivait en ces termes : « Le 19 décembre dernier (2008), c’est dans le cadre solennel et très officiel de l’Assemblée nationale populaire, à Pékin, que, devant 45 évêques «officiels » et quelque 200 prêtres, religieuses et catholiques convoqués pour l’occasion par le gouvernement, les autorités chinoises ont rappelé les principes qui, selon elles, président à l’organisation de l’Eglise catholique de Chine. »
La participation de nombreux évêques et prêtres chinois peut donner l’impression d’une grande unanimité dans l’Eglise catholique de Chine en faveur de son indépendance par rapport au Saint-Siège. Ces ecclésiastiques venaient de tout le pays pour l’occasion : cela représente pour beaucoup un long voyage, coûteux et fatiguant. Mais essayons tout d’abord de mieux comprendre la portée de cette célébration.
Commémorer les premières ordinations épiscopales illicites n’est un acte ni banal ni neutre. En général, on commémore un événement heureux ou important que l’on ne veut pas laisser tomber dans l’oubli : une victoire, une naissance. On commémore aussi la mort de héros, de philanthropes et de sauveurs pour inciter les gens prendre conscience des bienfaits qu’ils ont apportés et à suivre leur exemple. Mais on laisse dans l’ombre les bévues, l’indignité, la hargne.
Or l’ordination épiscopale des PP. Bernardine Dong Guangqing et Yuan Wenhua sans mandat pontifical, pour les sièges épiscopaux de Hankou et Wuchang (province du Hubei), en 1958, n’a pas été un événement heureux pour l’Eglise catholique de Chine. Bien au contraire, elle a été considérée comme une insulte, un sacrilège, le contraire d’un exemple à suivre. L’événement a consommé la rupture avec le Saint-Siège entamée sept ans plus tôt par l’expulsion du nonce en Chine et confirmée en 1957 avec la création de l’Association patriotique des catholiques chinois. Cette association n’est pas un organe religieux voulu par les évêques de Chine mais une organisation de contrôle mise en place et imposée par le gouvernement communiste chinois. Elle était chargée, dans un premier temps, de mettre en œuvre la politique d’indépendance de l’Eglise de Chine vis-à-vis de l’Eglise universelle ; et ceci contre la volonté de l’immense majorité des catholiques chinois. Dans un second temps, le but était tout simplement de diviser l’Eglise catholique pour la détruire et l’anéantir dans tout le pays.
Non, ces ordinations épiscopales de 1958 n’ont pas été un événement heureux ! Elles ont été vécues douloureusement par les catholiques chinois qui ont considéré cette cérémonie comme un outrage à l’Eglise et les deux nouveaux évêques comme des traîtres !
Plusieurs fois, j’ai pu rencontrer personnellement Mgr Dong Guangqing dans son évêché, durant les années 1980. Il était toujours entouré de membres de l’Association patriotique qui contrôlaient toutes ses paroles et ses mouvements. Pourtant, une fois, il réussit à tromper leur vigilance et vint me trouver, un soir, dans ma chambre d’hôtel. Par crainte d’être espionné, il s’est approché de mon oreille et m’a raconté à voix basse ses malheurs. Quand on lui parlait de son ordination épiscopale, il en pleurait encore ! Il avait le sentiment non pas d’être un héros qui avait bravé l’autorité du pape mais une victime qui s’était fait prendre dans un piège diabolique. Voilà ce qu’il m’a confié : « Pendant deux semaines, le P. Yuan et moi-même avons été enfermés avec des soi-disant catholiques patriotes qui avaient pour mission de nous convaincre qu’il ne fallait pas laisser les chrétiens chinois sans évêque et, en conséquence, se passer du mandat du Saint Père ! Or ce dernier avait publié en 1954 une encyclique [Acta Apostolicae Sedis] qui, justement, voulait mettre en garde l’Eglise de Chine contre les intentions dangereuses de notre gouvernement communiste ! Du matin au soir, c’étaient des réunions, des sessions d’étude, des discours, etc. J’ai cru que j’allais en devenir fou, mais j’ai résisté de mon mieux. Au bout de deux semaines, voyant qu’aucun compromis n’était possible, j’ai proposé d’envoyer au Vatican un télégramme pour demander l’autorisation d’être ordonné évêque. Mais le message que le pape a reçu le mettait devant le fait accompli : ‘Veuillez approuver la décision que nous avons prise…’ C’était l’impasse totale ! »
Plus tard, j’ai revu Mgr Dong à Hongkong. Il venait de recevoir de Rome une lettre lui annonçant que sa situation était régularisée et qu’il était reconnu comme évêque de Hankou. C’était un autre homme : il était souriant et décontracté ; visiblement, sa conscience était libérée d’un lourd fardeau qu’il avait traîné plus de vingt ans.
Mais revenons à la cérémonie du 19 décembre 2008. Quarante-cinq évêques reconnus par Rome y ont participé. Ont-ils manqué de courage ? Il est difficile de l’affirmer. Concernant leur venue à Pékin Eglises d’Asie, très justement, n’utilise pas le verbe « inviter » mais « convoquer » qui signifie : « appeler de manière impérative ». Effectivement, la participation des évêques était obligatoire. Autrement dit, le Front uni, l’instance qui a organisé la cérémonie, les a traités comme des collégiens immatures, sans se préoccuper de leurs convictions profondes ni de leurs engagements pastoraux. On leur a fourni un billet d’avion sans parfois même leur dire quel était le but de la réunion. Et ils n’avaient pas le droit de s’y soustraire.
Demander à ces évêques d’approuver le divorce entre l’Eglise universelle et celle de Chine, c’est exiger d’eux qu’ils cessent d’être membres de l’Eglise catholique pour devenir les responsables d’une Eglise nationale, c’est leur demander de piétiner allégrement la nomination légitime qu’ils détiennent du Saint-Siège et de promouvoir l’asservissement de l’Eglise catholique au gouvernement !
La position de ces évêques est intenable. Le pouvoir politique exerce sur eux des pressions considérables : permissions données au compte-goutte, contrôle étroit de leurs activités, rentrées d’argent ponctionnées régulièrement, voire chantages de toute sorte ! Or, les diocèses ne peuvent fonctionner normalement sans l’accord des autorités en place. Les évêques paient cher la liberté qu’on leur concède. Ils sont souvent victimes d’abus de pouvoir ! En ce qui concerne leur participation à la cérémonie du 19 décembre, il n’est pas exagéré de parler de violation de conscience. Le mal qui enchaînait les bourreaux de Jésus est le même que celui qui motive ceux d’aujourd’hui : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23,34).
Oui, le gouvernement chinois ne sait pas ce qu’il fait ! Il ne respecte pas les objectifs, qu’il a lui-même fixés, de construire une société socialiste harmonieuse. L’idée fait référence à un ordre socio-économique où tous les Chinois coexisteraient dans la paix et l’harmonie. Elle implique l’élimination des conflits et contradictions au sein de la société et, pour cela, demande à la direction du Parti communiste chinois de jouer un rôle de médiateur et d’arbitre entre les intérêts et les aspirations des différents groupes socio-économiques. Or la commémoration du 19 décembre dernier est une véritable paire de gifles à l’Eglise catholique.
Pourtant, avant les Jeux olympiques, la Chine avait envoyé des signes encourageants aux catholiques chinois : les nominations d’évêques, depuis celles illégitimes de 2006, semblaient respecter un code non écrit mais bien réel qui consistait à trouver un candidat acceptable par les autorités civiles comme par le Saint-Siège. De plus, les réactions officielles à la « Lettre du pape aux catholiques chinois », diffusée le 30 juin 2007, avaient été très modérées. Les catholiques étrangers avaient pu utiliser les églises de Pékin pour leurs offices pendant les Jeux olympiques. De son côté, le Saint Père avait fait l’éloge des Jeux olympiques, le 4 août 2008, et s’était abstenu de recevoir le dalai lama. De plus, des catholiques chinois de tout le pays, y compris Hongkong et Macao, avaient apporté aux victimes du tremblement de terre du Sichuan, survenu le 12 mai 2008, une aide efficace et fraternelle.
« Les victoires durables sont celles où l’on n’a pas humilié son adversaire ! » (Sunzi (Sun Tzu), L’Art de la guerre). Il semble bien que c’était le chemin que prenaient Pékin et Rome ! C’était la voie de la sagesse qui pouvait conduire à une réconciliation à l’intérieur de l’Eglise de Chine d’abord et, ensuite, entre le gouvernement et les différentes religions.
Sunzi ajoute : « Porter les dépouilles de son adversaire après une victoire, c’est un péché d’orgueil. C’est vulgaire ! » C’est ce reproche que les membres des communautés « clandestines » font au gouvernement chinois ! Et comme pour mieux enfoncer le clou, elles ironisent sur la politique du Vatican de ces vingt dernières années : « Ah, Saint-Siège ! Saint-Siège ! Arrête-toi vite ! Est-ce là ta tactique politique ? Elle ressemble à celle des athées. Voici les évêques que tu as nommés ! Est-ce là ceux qui sont en communion avec le pape ? » (www.tianzhu.org/tw/tz_boardl). Un peu plus loin, on peut lire : « Vatican, pourquoi rester sourd et muet devant cette situation ? Est-ce que tu veux vraiment la voir ou pas ? Est-ce que tu veux écouter ou pas ? Pouvons-nous demander au Vatican en quoi il croit encore ? Prétend-il encore diriger notre foi ? »
Effectivement, un des effets pervers, et paradoxal, de la situation actuelle est qu’elle risque de renforcer la position des communautés catholiques « clandestines » qui refusent toute collaboration avec les autorités locales, qui rejettent l’Association patriotique et qui célèbrent le culte dans la clandestinité. Rome semblait vouloir, avec leur accord, normaliser progressivement leur situation en les encourageant à adopter une attitude plus positive envers le gouvernement. L’attitude cassante de ce dernier risque, au contraire, de favoriser les extrémistes. Est-ce là le résultat recherché ?
Il semble bien que les éléments modérés du gouvernement chinois, et ils sont nombreux, ont été abusés et débordés par des extrémistes du Bureau des Affaires religieuses et de l’Association patriotique. Ces derniers, pour préserver leur position et continuer d’exercer leur pouvoir, sont prêts à utiliser les manœuvres les plus basses pour parvenir à leurs fins ! Ils profitent du peu de culture religieuse des principaux leaders du pays pour envenimer délibérément la situation en mettant de l’huile sur le feu, en sabotant les relations Chine-Vatican !
Espérons qu’on ne les laissera pas faire et que le gouvernement poursuivra sa politique d’apaisement des conflits en continuant de construire une société socialiste harmonieuse et tolérante !