Eglises d'Asie

A l’approche d’une prochaine décision de justice, les catholiques se mobilisent pour conserver le droit d’user du mot Allah dans leurs publications

Publié le 25/03/2010




Dans la nuit du 10 au 11 janvier puis dans celle du 17 au 18 janvier, les fidèles de la paroisse Saint-François-Xavier de Petaling Jaya, la capitale politique du pays située non loin de Kuala Lumpur, se sont relayés de 19 h 45 à 6 h du matin pour prier. Leur curé, le P. Simon Yong In, explique : « Nous prions Dieu de répondre favorablement à nos demandes.

Nous estimons que notre droit (constitutionnel) à pratiquer librement notre religion est en partie bafoué. Nous ne sommes pas contents et nous l’avons fait savoir, mais il semble que nos requêtes ne sont pas entendues. Seul Dieu peut changer les cœurs endurcis. Avant de choisir ses douze apôtres, Jésus a passé une nuit en prière. »

L’objet des prières des paroissiens de Saint-François-Xavier est ancien et revient chaque année à la même période. En Malaisie, les éditeurs sont tenus d’obtenir chaque année du ministère de la Sécurité intérieure une autorisation de publication – mesure vivement critiquée par les défenseurs de la liberté de la presse comme attentatoire à la liberté d’expression. Dans le cas de l’Eglise catholique, le point de tension avec le gouvernement concerne l’hebdomadaire de l’archidiocèse de Kuala Lumpur, édité au nom de tous les évêques de la Malaisie péninsulaire et diffusé dans tout le pays, y compris en Malaise orientale, dans les Etats de Sabah et Sarawak, où vivent les deux tiers des 900 000 catholiques de Malaisie.

Imprimé à 12 000 exemplaires, le Herald – The Catholic Weekly compte quatre sections, en anglais, en malais, en mandarin et en tamoul, reflet de la diversité des communautés catholiques de ce pays de 27,7 millions d’habitants, où, selon les chiffres gouvernementaux de 2008, les musulmans forment 60 % de la population, les bouddhistes, 19 %, les chrétiens 9 % et les hindous 6 %. Depuis quelques années, le Bureau de contrôle des publications – instance rattachée au ministère fédéral de la Sécurité intérieure – reproche au Herald de recourir, dans sa section en Bahasa Melayu (‘la langue nationale’), au terme « Allah » pour dire Dieu, en affirmant que le mot Allah fait uniquement référence au Dieu du Coran et des musulmans (1).

Dans son édition en date du 11 janvier, le Herald a informé ses lecteurs que l’éditeur du journal avait reçu, le 30 décembre 2008, une lettre du ministère l’informant que l’autorisation de publication des pages en malais de l’hebdomadaire était suspendue jusqu’au 27 février 2009, date à laquelle la Haute Cour de justice du pays devrait rendre son verdict sur le fond de cette affaire. En première page du journal, l’éditeur du titre, Mgr Murphy Pakiam, archevêque de Kuala Lumpur, expliquait que la décision administrative visant le Herald était « évidemment en contradiction avec la lettre et l’esprit de la loi de 1967 sur la langue nationale » et que l’Eglise se réservait la possibilité de poursuivre en justice. Une semaine plus tard, dans l’édition du 18 janvier, une lettre du secrétaire général du Bureau de contrôle des publications était reproduite en fac-similé ; adressé à Mgr Pakiam, le courrier expliquait que le ministère avait reconsidéré sa décision et qu’il autorisait le Herald à imprimer sa section en Bahasa Melayu, à la condition toutefois que le mot Allah n’y figure pas – et ce dans l’attente de la décision de justice à venir. Entretemps, Mgr Pakiam avait fait savoir qu’il avait saisi la justice en référé au sujet de la suspension de l’autorisation de publication.

Pour les responsables de l’Eglise catholique en Malaisie, l’usage du terme Allah, dans les publications catholiques comme dans la liturgie, est un point sensible et important.

Sensible car, avant même le gouvernement, ce sont des groupes musulmans qui ont les premiers objectés à voir les chrétiens utiliser ce terme et d’autres tels solat pour prière, Kaabah pour espace sacré ou encore baitullah pour la maison de Dieu. Dans un contexte où la place des milieux islamiques en politique fait débat, les responsables catholiques font valoir qu’il n’est pas dans leur intention de chercher à offenser – et encore moins à convertir – les musulmans de Malaisie en utilisant ces mots dans la Bible, leurs publications et la liturgie ; ils expliquent que le mot Allah est utilisé depuis des générations par les chrétiens en Malaisie.

Important car, quel que soit le contexte politique actuel, l’Eglise a le devoir d’indiquer au gouvernement, mais aussi à tous les catholiques du pays, que la Constitution garantit à tous, en Malaisie, la liberté d’user du mot Allah. A Sabah et à Sarawak, les chrétiens communiquent principalement en Bahasa Melayu et renoncer à utiliser le mot Allah « serait comme nous interdire d’appeler notre père ‘Papa’ », explique un paroissien de Saint-François-Xavier.