Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Dans l’Eglise catholique de Chine, l’important c’est l’intérieur et non ce qui paraît sur scène »

Publié le 25/03/2010




Nos lecteurs connaissent bien le P. Jeroom Heyndrickx, CICM, missionnaire belge actif auprès de l’Eglise catholique en Chine depuis de longues années. Nos colonnes ont régulièrement publié ses notes et remarques au sujet de l’Eglise de Chine et de ses relations avec l’Eglise universelle. On pourra ainsi se reporter à EDA 467 et au texte du P. Heyndrickx : …

« Une nouvelle étape dans l’histoire de l’Eglise de Chine – Réflexions sur la lettre du pape Benoît XVI à l’Eglise de Chine ». Plus récemment, le 4 janvier 2009, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque de Hongkong, a nommément fait état d’un désaccord de compréhension entre lui et le P. Heyndrickx à propos de cette lettre de Benoît XVI (voir EDA 499). On pourra lire ci-dessous un nouveau texte du missionnaire belge, précisant sa compréhension de l’Eglise de Chine d’aujourd’hui. La traduction du texte original (en anglais) est de François Dabin, membre de la Fraternité d’Eglise Liège-Chine.

 

Quand ils parlent de la Chine, les médias se limitent le plus souvent à relater les événements officiels et les désaccords entre les autorités gouvernementales et celles de l’Eglise. Ces nouvelles, malgré leur importance, n’aident pas à comprendre ce qui se vit réellement à l’intérieur de l’Eglise de Chine. Pour nous catholiques, ce qui compte ce n’est pas la façade extérieure, mais la réalité intérieure de l’Eglise de Chine.

Le 19 décembre 2008, les autorités chinoises ont organisé une célébration publique pour le cinquantième anniversaire des ordinations épiscopales sans l’approbation de Rome. Beaucoup d’évêques, de prêtres et de religieuses ont été contraints d’y participer et à lire des déclarations. Certains disent qu’en mars 2009, les évêques pourraient encore être convoqués pour élire un nouveau président à l’Association patriotique et un nouveau président à la Conférence épiscopale (qui n’a pas encore été reconnue par le Saint-Siège). Qui sait comment l’Eglise pourra être impliquée, plus tard cette année, dans la célébration du 60ème anniversaire de la République populaire de Chine ! Quel genre de déclarations les évêques chinois seront-ils tenus de lire en ces circonstances ? Tous ces événements officiels et ces célébrations se passent sur scène afin d’être vus et entendus au plan national et international. Les paroles prononcées lors de la célébration du 19 décembre apparaissent comme une évidente provocation contre le Saint-Siège. Cela choque les catholiques, mais nous nous le demandons : les textes lus par les évêques, les prêtres et les religieuses ont-ils été écrits par eux-mêmes ou bien leur ont-ils été imposés ? Y avait-il sur scène un représentant du Politburo ou d’un membre éminent du gouvernement ? Si ce n’est pas le cas, alors nous nous demandons : toute cette célébration n’était-elle pas un show, qui ne reflétait pas vraiment la politique des plus hautes autorités ?

Ces événements appartiennent au visage extérieur de l’Eglise catholique de Chine, et il est négatif. Les comptes-rendus de ces événements sont trompeurs parce que les gens pensent qu’après les avoir lus, ils connaissent l’Eglise de Chine – ce qui est absolument faux. Si nous souhaitons comprendre l’Eglise de Chine, nous devons apprendre à nous concentrer sur ce qui se passe réellement à l’intérieur des communautés catholiques de Chine. Si nous regardons la face intérieure de l’Eglise, nous obtenons une image totalement différente, et même tout à fait optimiste. J’en ai à nouveau fait l’expérience cette année lors d’un récent séjour en Chine. La face extérieure ne montre pas l’Esprit à l’œuvre. La face intérieure le montre.

Après avoir participé à la messe à la cathédrale de Pékin, dans l’église de Beitang, quelques catholiques de la capitale que je connais bien ont rejoint un groupe d’une cinquantaine de jeunes pour un voyage de quelque 400 km en un jour en vue de visiter des foyers catholiques pour personnes âgées et leur apporter des fauteuils roulants, ainsi que des orphelinats et des instituts pour handicapés tenus par des sœurs et leur apporter des vêtements. Ils font cela depuis plusieurs années. Pendant ces jours, j’ai rencontré des sœurs qui ont travaillé des mois dans la région du Sichuan frappée par le séisme du 12 mai 2008, et d’autres qui viennent en aide aux victimes du sida et de la lèpre. Dans son homélie, le curé de la paroisse de la cathédrale Beitang a dit aux catholiques: « A Noël, nous avons eu 306 baptêmes d’adultes. Maintenant, nous entamons notre 28ème session de catéchuménat et nous espérons avoir encore davantage de baptêmes à Pâques. » Plusieurs laïcs – bénévoles, retraités à 50 ans – se sont présentés comme catéchistes. Et ceci se passe dans les diocèses, partout en Chine.

J’ai eu des rencontres avec des évêques et des prêtres pour discuter de la coopération dans la formation des agents pastoraux de leurs paroisses et la création d’un centre pastoral. En un certain lieu, on nous a demandé de rédiger un programme complet de formation catéchétique pour prêtres, religieuses et laïcs. Il comprendra des cours d’introduction aux documents de l’Eglise tels que le Directoire pastoral, le Directoire de la catéchèse, les Rites pour l’initiation des adultes à l’entrée dans l’Eglise catholique. Tout ceci et beaucoup d’autres choses encore sont des exemples de ce qui se vit aujourd’hui dans l’Eglise de Chine.

J’ai connu la surprise de ma vie quand le curé de la paroisse de la cathédrale Beitang, à Pékin, m’a invité à présider et à prêcher à la grand-messe paroissiale du dimanche, le 11 janvier dernier. Depuis les années 1950, jamais un prêtre étranger n’avait reçu cette autorisation. Le dimanche suivant, il m’a invité à présider la messe des jeunes à 18 h et à y prêcher. Cette messe du soir était précédée par une assemblée de prière rassemblant environ deux cents jeunes, âgés pour la plupart de 30 à 40 ans. Il y avait là une atmosphère incroyable qu’on aurait de la peine à trouver aujourd’hui en Europe. En se servant de micros, ils chantaient des cantiques et priaient à voix haute pour le pape, pour l’Eglise universelle, pour leurs familles, pour la Chine. Ils rendaient témoignage de leurs expériences de foi et autres avec une conviction visible et un grand enthousiasme. Tout ceci se passe en Chine communiste. Cette communauté d’Eglise ne devrait évidemment pas être appelée « officielle » ou « clandestine », mais simplement l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique en Chine, et c’est cette Eglise que le pape Benoît XVI encourage à grandir par la réconciliation. Et c’est en marche. Une religieuse m’a dit : « Père, dans notre communauté religieuse il y a des sœurs de la communauté d’Eglise clandestine et de la communauté officielle. En réponse à la lettre du pape, nous faisons maintenant notre retraite toutes ensemble. » Celui qui ne regarde que l’aspect extérieur de l’Eglise de Chine ne voit pas l’Esprit. L’Esprit ne travaille pleinement qu’à l’intérieur, là où les chrétiens se rencontrent.

Mes expériences dans la cathédrale de Pékin m’ont profondément ému, spécialement quand j’ai eu conscience que nous étions en train de chanter et de prier à 500 mètres seulement de l’endroit où se trouvait l’ancienne prison où mon confrère CICM (Congrégation du Cœur Immaculé de Marie), le P. Dries Van Coillie, a été détenu plus de trois ans au début des années 1950. Nous avons célébré dans une cathédrale qui a été fermée au culte pendant trente années et qui a servi d’entrepôt pendant la Révolution culturelle. Elle n’a été rouverte qu’en 1985.

Mais l’« extérieur » – et ce qui se passe « sur la scène » – n’est pas sans importance. En entrant dans l’année du Buffle, nous souhaitons, selon le vieux dicton chinois « niuzhuan qiankun » (‘changer l’ordre des choses du monde’), que le buffle amène une toute nouvelle situation. Ce qui arriverait si la « face extérieure » de l’Eglise de Chine était le vrai reflet de sa « face intérieure ». Un jour cela arrivera. Telle est notre prière pour le Nouvel An chinois.