Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Respect des droits de la personne en Chine – suite et fin –

Publié le 25/03/2010




Certaines personnalités chinoises le disent sans détour : « La loi est faite pour les gens ordinaires mais pas pour les riches ou les cadres du Parti communiste ! » Autrement dit, avec de l’argent et des relations dans le gouvernement, on peut être au-dessus des lois et ne plus les respecter ! C’est un drame dans un pays quand les citoyens ne sont pas égaux devant la loi. Or, c’est le cas en Chine.

Nous poursuivons ici la publication de l’article dont le premier chapitre est paru dans EDA 506 (1er mai 2009).

 

Respecter la loi chinoise et l’ajuster au monde moderne

Certaines personnalités chinoises le disent sans détour : « La loi est faite pour les gens ordinaires mais pas pour les riches ou les cadres du Parti communiste ! » Autrement dit, avec de l’argent et des relations dans le gouvernement, on peut être au-dessus des lois et ne plus les respecter ! C’est un drame dans un pays quand les citoyens ne sont pas égaux devant la loi. Or, c’est le cas en Chine.

Des injustices flagrantes

Rien n’est plus décourageant quand on tire le diable par la queue pour payer ses impôts que de constater que d’autres contribuables, plus riches ou mieux placés dans l’administration, n’en paient pas du tout ou ne sont pas imposés en fonction de leur fortune mais selon des règles arbitraires fixées par leurs complices. Dans ce cas, la loi semble plus insupportable encore !

Certaines lois, il est vrai, posent beaucoup de problèmes. Elles entravent le développement économique et handicapent la vie de beaucoup de ruraux et de leur famille. C’est le cas du système du hukou (état civil), profondément injuste. Quand un enfant naît, il est enregistré dans la ville, la commune, l’unité territoriale (xian) de ses parents pour la vie. Ceux dont le père et la mère viennent d’une région rurale sont condamnés à la pauvreté de bien des façons : offre médicale insuffisante, enseignement primaire de mauvaise qualité et, souvent, pas d’enseignement secondaire disponible, pas d’autre travail possible que celui des champs, etc. Les jeunes de ces régions partent travailler en ville pour gagner plus d’argent. Ils s’y font embaucher comme simples ouvriers d’usine (mingong) ; ce n’est pas légal mais c’est toléré. Cependant, ils sont séparés de leur conjoint et de leur enfant toute l’année durant. Quand, pendant des années, des foyers vivent sont ainsi dispersés, l’équilibre des familles s’en ressent ainsi que l’éducation des enfants.

Les citoyens qui veulent changer d’état-civil, c’est-à-dire de port d’attache, peuvent le faire contre de grosses sommes d’argent. Dans les grandes villes comme Pékin, Shanghai et Canton, ces sommes peuvent atteindre le salaire de toute une vie. Peu de familles peuvent se le permettre !

Une autre injustice que beaucoup ont du mal à accepter concerne le nombre d’enfants qu’une famille peut avoir. La règle est un seul enfant par couple. Des sanctions financières sont prévues pour ceux qui enfreignent la loi. Mais ces contraventions ne découragent pas les riches qui peuvent les payer facilement, quand les plus pauvres ne peuvent même pas en rêver.

Bureaux des impôts

Il faut faire la distinction entre les impôts nationaux, provinciaux et locaux. Ces derniers dépendent beaucoup de quelques personnages influents sur place qui décident et fixent arbitrairement de nouvelles taxes pour la région sans se préoccuper de leurs conséquences concrètes sur le terrain, ou des interférences qu’il pouvait y avoir avec le paiement des autres impôts. Or, il arrive que les percepteurs (préposés à la collecte des impôts) soient chassés de villages où les contribuables, excédés par les abus et les combines, s’unissent pour empêcher ces préposés de faire leur travail ingrat. D’où les questions importantes que l’on peut se poser : à partir de quel moment un impôt est-il légitime ? Qui a autorité pour décider d’augmenter les impôts ? Y a-t-il coordination entre les décisions des différents bureaux des impôts ? Comment l’argent des impôts locaux doit-il être utilisé ? Ce qui est dit ici des impôts locaux pourrait l’être aussi des impôts provinciaux et nationaux mais cela nous mènerait trop loin. Et, de plus, l’enquête est à peu près impossible à mener pour le citoyen ordinaire. En effet, il n’y a aucune règle de transparence dans la gestion des finances publiques en Chine.

Une saine laïcité est impossible actuellement

Un autre problème important frappe les observateurs qui vivent en Chine : les croyants, de quelque religion que ce soit, sont traités comme des citoyens de seconde zone. Une discrimination s’exerce contre eux car ils rejettent l’athéisme, idéologie officielle du gouvernement, et, bien souvent, n’adhèrent pas au marxisme-léninisme, enseignés dans tous les établissements scolaires, sans souci des convictions personnelles des étudiants et de celles de leur famille. De plus, les croyants ne peuvent pas avoir accès à des postes importants dans l’administration et dans le gouvernement, car on considère que leurs liens avec des croyants d’autres pays peuvent affaiblir leur patriotisme, voire le détruire. En conséquence, on ne peut pas leur faire confiance. C’est là une accusation grave ! Les activités des grandes religions sont étroitement contrôlées par des « associations patriotiques » et, sous des prétextes divers, les adeptes des différents groupes religieux sont persécutés ; et personne ne peut prendre leur défense. (AFP, 22 mars 2009 : « 90 moines tibétains arrêtés en Chine »).

Le droit et la culture chinoise

Comme on peut le voir, la Constitution chinoise présente beaucoup de lacunes et aurait besoin d’être modernisée. Pourtant, même avec ses défauts actuels, elle n’est pas sans valeur et, si elle était réellement mise en application aujourd’hui, cela constituerait un progrès énorme, d’abord pour la bonne marche du pays et ensuite pour le respect des droits de la personne. Mais là aussi, le problème n’est pas simple.

Il n’y a pas en Chine de tradition d’étude du droit, de la légalité, de l’Etat de droit, ni même de la société civile. Beaucoup de gens ne se sentent pas concernés par la loi. Cela ne signifie pas, bien-sûr, que la culture chinoise soit hermétique à ces notions mais, tout simplement, que peu de gens, jusqu’ici, ont pu être sensibilisés à ces domaines en Chine, les étudier et se faire entendre. Par exemple, Hongkong ne manque pas de légistes et de juristes intègres, formés au droit britannique, qui pourraient apporter en Chine continentale un précieux savoir, une riche expérience et une plus grande rigueur dans le travail. Mais on ne fait pas appel à eux parce que le système légal chinois est très différent de celui de Hongkong. De plus, ces commis zélés risqueraient, sur le continent, de gêner les affaires louches et de bloquer les revenus juteux de hauts responsables !

La tradition chinoise, c’est d’abord celle des clans : ceux de famille, de villages et de relations humaines fortes et très entremêlées. Les intérêts du groupe passent avant ceux du pays : la solidarité entre les différentes personnes s’exerce sans se préoccuper de légalité ni de justice. Dans un tel contexte, le népotisme est monnaie courante ! De plus, on ne compte pas les combines et les astuces qui consistent à contourner les lois ou à ne pas les appliquer quand on n’est pas d’accord avec leur principe.

Un recteur d’université reçoit une circulaire du gouvernement lui ordonnant de mieux contrôler ceux de ses professeurs qui, en douce, exercent un second métier pour arrondir leurs fins de mois. Or, celui-ci n’apprécie pas du tout cette mesure qui risque de mécontenter bon nombre d’enseignants. Il téléphone à d’autres recteurs d’université qui voient, eux aussi, les choses de la même façon. Ils décident ensemble de ne pas bouger : « Si l’on me pose des questions, explique le recteur, je répondrai que j’attends que les autres universités obéissent pour voir le résultat. Et ensuite, et seulement ensuite, j’obéirai aux ordres. »

Un chef d’entreprise donne des ordres à ses auxiliaires avant de partir en voyage d’affaires. Or parmi ses directives, il y en a qui enfreignent les lois du pays. Il le sait mais veut tester les réactions du gouvernement. « Si celui-ci réagit, dit-il, je dirai que ce sont mes collaborateurs qui ont mal compris mes ordres. Et si personne ne réagit, je considérerai que les autorités supérieures ont accepté cet état de fait. »

La victoire du mercantilisme

La tradition chinoise c’est aussi le commerce. Combien de Chinois se sont enrichis, dans le monde entier, en lançant ce qui n’était, au tout début, qu’un petit magasin mais qui est devenu, au fil des ans, une grande entreprise ? Les propriétaires de ces établissements sont travailleurs et intelligents, les membres de la famille bien organisés et solidaires entre eux, ils ont le sens du négoce et flairent rapidement les affaires lucratives qui se présentent à eux. Très vite, l’entreprise prospère et les capitaux investis portent des fruits juteux ! Mais les tentations, dans la libre entreprise, sont nombreuses : l’argent n’a pas d’odeur. Personne dans l’entourage de ces entrepreneurs ne semble se préoccuper de l’honnêteté des moyens mis en œuvre pour faire fortune. Quand les barrières légales n’existent pas, tous les abus sont possibles : fraude sur la qualité de la marchandise, exploitation des employés, contrebande, dégradation de l’environnement, prostitution, corruption, etc. Les Chinois, souvent étrangers à une culture moderne qui inclut la légalité, ne se privent pas d’utiliser ces subterfuges. Les résultats économiques sont alors stupéfiants, mais à quel prix !

Paradoxalement, la Chine communiste, après avoir pourchassé et puni les capitalistes qui s’enrichissaient sur son sol, non seulement leur laisse maintenant les mains libres mais, de plus, les encourage en vantant leur patriotisme et leur contribution au développement du pays. Or, beaucoup de fortunes se sont constituées si rapidement qu’on a du mal à croire qu’elles sont le fruit du travail honnête des membres d’une famille. Souvent la complicité des autorités locales favorise ce genre d’entreprises mais ternit la réputation du Parti communiste et jette le soupçon sur l’intégrité des autorités en place. Différents scandales ont éclaté ces dernières années mettant gravement en péril l’environnement et la santé des citoyens (AFP, 26 février 2009 : « Le ministre de l’environnement chinois pas optimiste face à la pollution »). N’a-t-on pas découvert dans la province du Shanxi, il y a deux ans, des enfants esclaves, dont l’exploitation était organisée par les dirigeants de la région…

Le plus grave reste que l’exemple que donne le gouvernement est lui-même blâmable : il exproprie les gens sans leur donner de justes compensations et, parfois, recourt à des voyous pour chasser de chez eux des gens expropriés. Il y aurait, dans certains cas, collusion entre des cadres du Parti communiste et la mafia chinoise (les triades). Selon certains rapports, le gouvernement irait aussi jusqu’à mettre en vente les organes des condamnés à mort pour des greffes. Le bruit court que certains sont exécutés non parce qu’ils sont plus coupables que d’autres mais parce qu’on a besoin de leurs organes.

Le Premier ministre Wen Jiabao a annoncé que la Chine rendrait obligatoire la déclaration de patrimoine pour tout agent de l’Etat : « J’ai profondément réfléchi aux raisons pour lesquelles la population accordait tant d’importance à la lutte contre la corruption, en cette période cruciale où nous devons faire face à la crise financière, a-t-il déclaré. Je pense que le développement économique, l’équité et l’intégrité de l’Etat sont les trois poutres maîtresses de la stabilité sociale, et parmi ces trois éléments, l’intégrité de l’Etat est primordiale. » (Courrier International, 18 mars 2009) Bravo, il a bien compris ce qu’il fallait faire ! Mais, si c’est le cas, pourquoi n’apporte-t-il pas son soutien aux « avocats aux pieds nus » ?

Les « avocats aux pieds nus »

Les « avocats aux pieds nus », à peine une soixantaine sur les 15 000 avocats inscrits au barreau de Pékin, indisposent et tourmentent bien des personnalités du gouvernement chinois, à quelque niveau qu’elles soient. Pourtant, ce ne sont pas des dissidents, ils ne sont pas anti-communistes, ils ne cherchent pas à mettre en difficulté les autorités du pays. Ce sont seulement des juristes qui veulent qu’on applique strictement la loi chinoise. Les dirigeants, au niveau national comme à celui de la circonscription (xian), devraient, non pas se plaindre de ces avocats, mais se réjouir de les voir prendre à cœur le respect de la loi. Or, c’est tout le contraire qui se passe : ces « avocats aux pieds nus » subissent une véritable persécution : la police les intimide, les fait taire, les arrête, les emprisonne. Pourtant, ce ne sont pas des délinquants, ni des malfaiteurs, ni des opposants au régime ! On les accuse de « troubler l’ordre public » mais, en fait, ils ne font qu’empêcher le désordre établi de se perpétuer. Ils entravent la corruption et s’attaquent aux privilèges des grands. C’est bien pour cela que des cadres haut placés veulent les réduire au silence ! (voir l’article de Libération du 2 mars 2009 : « Les avocats, une menace muselée par Pékin »).

Appliquer la loi et la faire appliquer devrait être une priorité en Chine populaire. Faire respecter la liberté d’expression de ceux qui travaillent dans ce sens devrait également venir en premier dans les préoccupations du gouvernement. Ce qui est en jeu est la justice, le respect des citoyens les plus humbles, la conception moderne du gouvernement d’un pays. Or, en Chine populaire, aujourd’hui, on en est encore loin.

Les problèmes engendrés par l’état-civil, le prix des soins médicaux, de l’instruction publique, la coordination des différents impôts et la discrimination qui s’exerce contre les croyants des différentes religions doivent être considérés et analysés avec beaucoup de soin. Ils concernent les citoyens les plus défavorisés et engendrent un mécontentement permanent. Il faudrait trouver pour eux des solutions justes pour que tous les Chinois se retrouvent à égalité devant la loi et aient les mêmes possibilités de réussir dans la vie.

Certaines lois chinoises ont besoin d’être révisées et réformées, pour le plus grand bien du pays et de sa réputation internationale. Par exemple, une saine laïcité en Chine consisterait à séparer le gouvernement national et celui des provinces de l’idéologie marxiste-léniniste : elle est très minoritaire en Chine et, de plus, n’est plus vraiment crédible. Ce serait un acte courageux à accomplir dans la campagne de modernisation du pays.

Des cours d’instruction civique feraient le plus grand bien à tous les citoyens en général. Ils seraient particulièrement bénéfiques aux fonctionnaires du gouvernement. Chaque individu pourrait ainsi se former et devenir un membre digne et honnête de la communauté nationale. Cela permettrait aussi de développer la solidarité, le respect des lois, et le sens des responsabilités collectives.

Malheureusement, les citoyens ont déjà participé à tant de réunions politiques qui n’étaient que des séances de propagande et d’embrigadement, qu’ils se méfient désormais de ce genre d’initiatives et adoptent systématiquement une attitude passive quand on fait appel à leur participation.

Les autorités politiques entretiennent savamment la confusion entre amour de la patrie, du gouvernement et du Parti communiste. En effet, cela leur convient parfaitement. Mais une telle confusion a un coût car elle engendre des effets pervers : elle risque de stériliser les efforts qui seront faits pour mieux former le sens civique de la population. Pour le moment, le gouvernement chinois ne dirige pas ses efforts dans ce sens.

En finir avec le parti politique unique ?

La Constitution chinoise est très claire. Elle commence par quatre principes cardinaux auxquels la Chine ne peut pas se soustraire. La République populaire et démocratique de Chine ne peut, premièrement, qu’accepter la dictature du prolétariat, deuxièmement, suivre la route socialiste, troisièmement, être dirigée par le Parti communiste, et quatrièmement, adopter les principes du marxisme-léninisme.

De ces quatre grands piliers inamovibles du régime, les partisans du Parti communiste chinois se félicitent, car ils attribuent à ce dernier bien des mérites : il a mené la Chine sur la route de l’indépendance nationale, de la reconnaissance internationale et du progrès économique. Grâce à la stabilité interne et à la très stricte discipline à laquelle sont soumis les membres du Parti, celui-ci donne au pays une armature solide et l’empêche de sombrer dans le désordre et la guerre civile. Le Parti communiste permet aux différentes provinces de cet immense pays qu’est la Chine de rester unies et solidaires dans les difficultés, malgré une population composée de tant d’ethnies différentes. Finalement, et ce n’est pas rien, il a rendu sa fierté au peuple chinois.

Au contraire, les accusateurs du Parti ne mâchent pas leurs mots : contrôle idéologique sévère, musèlement de la liberté d’expression, des libertés syndicales, restrictions nombreuses de l’usage d’Internet, encadrement sourcilleux des médias, quasi-interdiction pour des étrangers de participer à l’information ou même de s’exprimer publiquement, répression au quotidien des religions et des minorités ethniques, volonté ferme des plus hauts dirigeants chinois de maintenir à tout prix le monopole du pouvoir au Parti communiste. Celui-ci est toujours et partout présent, d’une présence étouffante et accaparante. Tout doit passer par ses fourches caudines et rien ne peut se faire sans lui. Il est l’incarnation de l’unique légitimité possible. Sa domination sans partage depuis soixante ans engendre de la corruption, des abus de pouvoir et d’innombrables violations des droits de la personne. Il a commencé par être l’expression des classes sociales les plus pauvres de Chine mais, au fil des ans, s’est transformé pour devenir, aujourd’hui, l’instrument de la classe dominante.

Un parti politique unique et dominateur est-il un avantage ou un inconvénient pour un pays, dans notre monde moderne ? Est-ce un frein ou un accélérateur de la modernisation de ses infrastructures et des progrès sociaux ? Soucieux de monopoliser le pouvoir, il est inévitable qu’un parti unique contrecarre l’expression populaire et les initiatives locales. Et que faire des opposants au régime ou de ceux qui n’adhèrent pas totalement à la ligne politique officielle du gouvernement ? Sont-ils pour cela de mauvais citoyens ?

Accepter qu’un unique parti politique gouverne un pays, c’est renoncer à la séparation des pouvoirs, c’est donner aux membres du parti une puissance presque sans limite, c’est les mettre au-dessus de la loi que doivent observer les autres citoyens, c’est créer une classe de privilégiés jouissant d’une impunité à peu près totale, c’est ouvrir la porte à la violence et, finalement, à la tyrannie.

Une maladie incurable : la corruption

D’après les chiffres officiels de Pékin, plus de cinq millions de cadres ont été condamnés pour corruption entre 1978 et 2007, c’est-à-dire pendant les années qui ont suivi l’ouverture du pays. Beaucoup d’observateurs pensent que la cause de ce fléau est l’absence de tout contre-pouvoir en Chine. Or, s’il y avait un parti d’opposition, ceux qui tiennent les rênes du pouvoir tiendraient compte de ses critiques et accusations, dans la crainte de perdre leur poste. D’une façon quasi-automatique, chaque parti politique aurait à cœur de faire du nettoyage dans ses propres rangs de façon à rester populaire parmi les électeurs et à gagner les élections suivantes.

Comment éradiquer le fléau de la corruption tout en maintenant au pouvoir le Parti communiste ? Tel est le gigantesque défi auquel le gouvernement, l’Etat-parti, doit faire face aujourd’hui. En effet, des enquêtes réalisées par des sites officiels attestent que la lutte contre la corruption et pour l’intégrité reste le sujet qui tient le plus à cœur à la population chinoise. Pourtant, selon une enquête effectuée par le parlementaire Wang Jie, 97 % des fonctionnaires sont opposés à la publication de leur patrimoine. Cette réaction, qui n’a rien d’étonnant, est révélatrice de l’attitude des agents de l’Etat-parti qui s’accrochent à leur position. La corruption de hauts fonctionnaires du gouvernement est un cercle vicieux qu’il est bien difficile de briser. Cette opposition des commis de l’Etat met également en évidence toute la gravité du phénomène et l’urgence qu’il y aurait à prendre des mesures radicales.

Depuis 1978, malgré de nombreuses campagnes périodiques, la corruption s’aggrave et s’étend toujours davantage. Des gens accusés de détournements de fonds et de concussion ont été punis mais cela n’a pas freiné le nombre et la gravité des malversations. En effet, les membres du Parti, c’est compréhensible, sachant que leur position est liée à la stabilité du régime, à sa survie, se soutiennent, se protègent et se disculpent les uns les autres. Et tant pis pour la paix sociale et la justice ! Dans une démocratie, de tels faits se produisent aussi mais finissent, tôt ou tard, par remonter à la surface et par être connus du grand public. En Chine, cela se perpétue, telle une fatalité, depuis 60 ans.

D’ailleurs, bien des citoyens n’ont pas confiance en leur système judiciaire. Ils se demandent si ceux qui sont sanctionnés pour corruption ne sont pas plutôt des boucs émissaires ou, encore, si les procès ne sont pas souvent des occasions de régler ses comptes avec ses rivaux politiques.

Le débat public est impossible

Sur de nombreux sujets, il est inévitable que les avis soient différents. Il est toujours bénéfique de les comparer, de façon à pouvoir choisir la meilleure façon de résoudre les problèmes. Souvent, les solutions ne s’imposent pas tout de suite, ce n’est qu’après des tâtonnements et des hésitations que, peu à peu, une voie praticable se dégage et que les problèmes peuvent se résorber. Le débat s’enrichit des apports de chacun. La délibération prend du temps mais celui-ci n’est pas perdu. Il permet une maturation : d’abord prendre conscience de la situation dans toute sa complexité et, ensuite, trouver des solutions acceptables et compatibles avec les moyens dont on dispose.

Or, en Chine, il n’y a jamais débat public. C’est le Parti, avec sa grille d’analyse si particulière et ses ressources, qui décide et impose ses solutions, bonnes ou mauvaises. La population, aussi bien au niveau provincial que national, n’a jamais l’occasion de sanctionner ses dirigeants. Il y a là une des clés qui permet de comprendre l’ampleur des désastres de la Révolution culturelle (1966-1976). La lutte au sommet pour le pouvoir a eu des répercutions catastrophiques dans tout le pays. Le petit peuple, qui n’avait pas la parole, ne pouvait pas arrêter la folie collective et contagieuse qui s’était emparée des Gardes rouges, favorables au président Mao Zedong. La population ne pouvait que, par ses initiatives, ajouter encore à la confusion générale. Toutes les générations de citoyens ont souffert pour rien et ont perdu une période importante de leur vie. Et le pays s’est considérablement appauvri en une décennie.

Lors des massacres de Tian an men en mai 1989, les étudiants contestataires étaient certainement naïfs et inexpérimentés. Mais leur malaise était réel et leur demande de syndicats indépendants raisonnable. Ils ont demandé le dialogue et le seul dirigeant chinois qui l’a accepté, Zhao Ziyang, a été désavoué par les autres membres du gouvernement, et immédiatement destitué. Il a terminé sa vie en résidence surveillée, sans jamais avoir pu s’expliquer. Puis l’armée est intervenue et a « résolu » le problème par la violence. Et il n’y a jamais plus eu dialogue entre le pouvoir et les étudiants depuis (Le Monde, 28 février 2009 : « Les mères de Tian’an men demandent aux autorités de juger les responsables des massacres »).

A la question « Quelles sont les priorités des dirigeants chinois ? », nombreux sont les Chinois qui répondent : « Garder le pouvoir et gagner un maximum d’argent pendant leur carrière ! » Malheureusement, on ne peut que constater que les droits de la personne et le bien-être du peuple viennent loin derrière. Sont-ils incompatibles avec les quatre principes cardinaux de la Constitution chinoise ? La réponse à cette question est évidente mais les supprimer ne suffirait pas à faire de la Chine un oasis respectant les droits de la personne.

Gestes de bonne volonté

Avant la tenue des Jeux olympiques de 2008, à Pékin, le gouvernement chinois a accompli des gestes de bonne volonté destinés à améliorer son image sur la scène internationale. Le parcours mouvementé de la flamme olympique à travers le monde lui avait montré qu’il était urgent de redorer son blason aux yeux de la communauté internationale. C’est probablement dans ce but que Pékin a repris, timidement il est vrai, le dialogue avec les Tibétains, a suspendu les exécutions capitales et a évité les heurts avec les diverses autorités religieuses. Mais ces gestes prouvaient seulement que Pékin voulait réussir « ses » Jeux et non qu’il était convaincu qu’il fallait davantage respecter ses citoyens et œuvrer pour la justice.

Sincères ou pas, ces gestes montrent clairement que des progrès bien concrets sont possibles s’il y avait une ferme volonté politique derrière. Alors pourquoi donc la Chine, qui souffre d’une réputation détestable quant au respect des droits de la personne, n’essaie-t-elle pas de redresser la barre ?

Au niveau de l’opinion publique, à l’intérieur du pays, la société civile ne s’est pas encore constituée, ni, bien sûr, organisée. Les dirigeants chinois disposent encore d’un bon sursis avant d’avoir à se faire du souci de ce côté-là. Ils savent que, tôt ou tard, il leur faudra prendre en compte les pressions venant de l’ensemble de sa population mais ils essaient de retarder ce jour en contrôlant strictement les informations. Les aveux d’un ancien espion chinois, passé aux Etats-Unis, sont accablants. Voici ce que rapporte les journaux : « Visiblement nerveux, M. Li Fengzhi a raconté au cours d’une conférence de presse qu’il avait travaillé pendant longtemps au sein du ministère chinois de la Sécurité publique… qui dépense beaucoup d’argent pour “supprimer des citoyens ordinaires”…. Son travail l’avait rendu “furieux” car il consistait notamment à espionner des dissidents et des groupes religieux. “Le gouvernement chinois n’a pas seulement recours au mensonge et à la violence pour supprimer les gens favorables à une modeste amélioration des droits de l’homme, il fait aussi tout son possible pour cacher la vérité à la communauté internationale.” » (AFP, 20 mars 2009 : « Confession d’un espion chinois ayant fait défection aux Etats-Unis »).

Au niveau international, les dirigeants chinois pensent que l’énorme réussite économique de leur pays suffit à le rendre attractif à l’étranger : n’est-ce pas le plus grand marché du monde ? Cela permet de se faire pardonner bien des manquements et délits, voire de faire du chantage. De plus, Pékin se rend compte que l’Occident, dans sa marche en faveur des droits de la personne, ne se contentera pas de demi-mesures ou de semblants de réforme. Il faudra faire concession sur concession et, finalement, en arriver à remettre en question le principe cardinal concernant le Parti communiste. Or, c’est justement ce que les dirigeants chinois refusent catégoriquement d’envisager. Les droits de la personne seront donc encore longtemps dans une impasse en Chine ! La boussole qu’utilise Pékin n’indique pas la bonne direction.