Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Entretien avec le nouvel évêque de Hongkong

Publié le 25/03/2010




Né en 1939, ordonné prêtre en 1966, Mgr John Tong Hon est devenu évêque auxiliaire du diocèse catholique de Hongkong en 1996, un an avant la rétrocession de Hongkong à la Chine populaire. Nommé coadjuteur du cardinal Zen Ze-kiun en janvier 2008, il a finalement été placé à la tête du diocèse le 15 avril 2009. Relativement peu connu en comparaison de la figure…

… que représente le cardinal Zen, Mgr John Tong Hon a récemment accordé une longue interview à la revue Tripod (n° 153, été 2009), publication du Centre d’études du Saint-Esprit. Nos lecteurs en trouveront ci-dessous une traduction en français, réalisée par la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Tripod : Monseigneur, tous nos meilleurs vœux pour le début de votre ministère à la tête du diocèse de Hongkong. Pouvez-nous dire quels seront les principaux objectifs de votre épiscopat ? Quelles seront vos priorités pastorales ?

Mgr John Tong Hong : Je suis très au fait des objectifs pastoraux du diocèse pour y avoir été l’un des vicaires généraux depuis 1992. Mon principal objectif, en tant qu’Ordinaire du diocèse, sera d’encourager tous les catholiques à mettre en œuvre les priorités fixées par le synode diocésain de 2002. Le diocèse a déjà décidé que sa priorité pastorale sera, cette année, les vocations sacerdotales – du 1er juillet 2009 au 31 décembre 2010. Nous consacrons beaucoup d’efforts pour la mise en œuvre des priorités fixées par le synode et nous avons eu quelques bons résultats. Mais nous devons continuer et fournir un effort encore plus grand dans l’avenir.

Que peut faire l’Eglise de Hongkong pour l’évangélisation de Hongkong, de la Chine, de l’Asie et du reste du monde ?

Nous reconnaissons tous que les baptisés devraient être des missionnaires et avoir le désir d’évangéliser, comme nous l’a demandé Notre Seigneur. Quand je parle d’évangélisation, j’aime me référer à deux images tout à fait symboliques, celle du réservoir d’eau et celle de se laver les mains. A Hongkong, nous avons plusieurs réservoirs qui nous sont très utiles. La fonction d’un réservoir est de recevoir et de donner de l’eau. Sinon, l’eau du réservoir perdra de sa fraîcheur. De la même façon, si nous voulons que notre foi demeure vivante et rafraîchissante, il nous faut recevoir des autres et en même temps donner aux autres. C’est pourquoi je pense vraiment que dans nos relations avec la Chine, nous ne faisons pas que donner ; nous recevons également. Les deux communautés tirent bénéfice l’une de l’autre. La deuxième image illustre le même concept. Quand nous nous lavons les mains, nous ne disons pas qu’une main lave l’autre, mais plutôt que les deux mains se lavent l’une l’autre, chacune tirant bénéfice de l’autre. De la même façon, il n’y a qu’une manière d’être un bon chrétien, c’est d’être un bon missionnaire. Etre chrétien et avoir le désir d’évangéliser est semblable au fait de se laver les mains ; une main ne peut rien faire sans l’autre.

Nous demandons à nos catholiques de faire des efforts toujours plus grands d’évangélisation. Chaque année, nous avons un bon nombre de nouveaux baptisés. Lors de la veillée pascale de 2008, nous avons baptisé environ 2 800 néophytes, des adultes en grande majorité. A la veillée pascale de cette année, nous avons eu aussi un bon nombre de nouveaux baptisés : 2 730. Nous avons aussi envoyé des missionnaires dans d’autres pays d’Asie et aussi du monde : des missionnaires laïcs au Cambodge et des prêtres en Tanzanie, au Canada et ailleurs. Bien que nous n’ayons pas nous-mêmes beaucoup de prêtres, nous continuons d’encourager notre communauté à avoir l’esprit missionnaire.

Les missionnaires étrangers ont-ils encore un rôle à Hongkong ? Si oui, lequel ?

Tout à fait. Hongkong est une Eglise jeune. Notre foi a encore besoin d’être confortée par le contact avec des catholiques venant de l’étranger, spécialement de pays qui ont une longue tradition chrétienne et une foi profonde. Nous aimons beaucoup les missionnaires des PIME (Institut pontifical des Missions étrangères) parce qu’ils viennent d’un pays catholique particulièrement ancien (NdT : l’Italie). Ils nous apportent de nombreux charismes et les trésors d’une culture qui n’est pas tellement différente de la nôtre, mais qui peut être pour nous un modèle enviable. Bien évidemment, on peut dire la même chose des missionnaires qui viennent d’autres pays. Personnellement, je suis très intéressé par les choses nouvelles que j’apprends d’autres pays et d’autres cultures. Nous avons, au milieu de nos fidèles, des missionnaires venant de 30 pays différents qui représentent environ 50 nationalités. Hongkong est une communauté internationale. C’est pour nous un réel bienfait, car notre foi et notre culture ont besoin d’être soutenues.

Hongkong continuera-t-il d’exercer son rôle d’Eglise sœur vis-à-vis de la Chine ? Et comment ?

Je n’emploie jamais qu’un seul mot pour décrire l’esprit de mon travail pour la Chine durant ces trente dernières années : SMART. C’est la ligne de conduite que nous avons tenue au Centre d’études du Saint-Esprit. Ce mot est une abréviation pour : Small – Mesurable – Articulate – Results – Time. Small (petit) : nos projets sont de petite taille. Mesurable (mesurable ou responsable) : il doit exister un système de contrôle des projets. Articulate (planifié) : tous les éléments et toutes les étapes des projets doivent être clairement définis. Results achieved (résultats obtenus) : les projets doivent aboutir à ce pourquoi ils ont été lancés. Time bound (limité dans le temps) : les projets doivent commencer et se terminer dans des délais raisonnables. Nous continuons de travailler selon cette politique. De cette façon, nous pouvons rendre notre rôle d’Eglise sœur plus effectif.

Je ne suis pas ambitieux. Si nous pouvons continuer notre travail en capitalisant sur la confiance que nous ont accordée d’autres peuples, nous aurons apporté notre contribution à l’Eglise de Chine et à l’Eglise universelle. J’ai fait des études de philosophie scolastique et de théologie : Contra factum, non valet argumentum (‘Il n’y a pas d’argument qui tienne devant un fait’). C’est de cette façon que s’est effectuée notre contribution. Notre travail a été apprécié jusqu’à maintenant dans de nombreux pays du monde et dans l’Eglise. Nous savons bien que notre contribution est encore limitée, mais nous pouvons apporter une certaine aide pour l’Eglise en Chine. Cela demande une vision juste des choses et cela demande ensuite beaucoup d’effort et de persévérance pour que cette vision des choses devienne réalité, de telle façon que, petit à petit, la réalité puisse être améliorée. C’est ma façon de penser et c’est aussi la façon dont j’agis et je sais que mes collègues sont de mon avis. Ces principes sont valables pour notre travail auprès de l’Eglise de Chine, mais ils le sont aussi pour notre vie spirituelle.

Des professeurs de Hongkong continueront-ils d’aller enseigner dans les séminaires de Chine ? Que peut faire l’Eglise de Hongkong pour ses Eglises sœurs de Chine ?

Actuellement, beaucoup de catholiques se rendent en Chine en visiteurs. Nombre d’entre eux peuvent avoir une influence certaine sur leurs frères et sœurs de Chine et leur apporter des idées neuves. La situation actuelle permet à quelques catholiques de Chine de venir à Hongkong. Nous nous efforçons donc de les recevoir chaleureusement. Le diocèse a créé un comité ad hoc pour leur accueil. Nous leur faisons visiter la ville, mais nous organisons également des exposés pastoraux à leur intention. Ils peuvent se rendre dans des églises intéressantes, participer à leurs activités et visiter des organisations diocésaines comme la Commission liturgique, le Centre catéchétique et les unités hospitalières. Ces visites guidées ont jusque là été toujours très appréciées. C’est une démarche interactive. Nos relations sont à double sens : nous allons en Chine et les catholiques de Chine viennent nous voir.

Quelques-uns de nos professeurs sont encore autorisés à enseigner dans les séminaires chinois, mais ils sont moins nombreux qu’auparavant. D’un autre côté, des prêtres et des sœurs de chez nous sont invités à diriger des retraites, à donner des conseils spirituels et à organiser des réunions en Chine. Et leur nombre est plus élevé qu’avant. Je pense que Dieu est toujours bon pour nous. Comme le dit un proverbe irlandais : « Quand Dieu ferme une porte, Il ouvre une fenêtre. »

Quelles sont les priorités pour l’Eglise de Chine ?

Je m’en tiens à la Lettre du Saint Père de 2007, adressée aux catholiques de Chine. Les priorités y sont : promouvoir la réconciliation et l’unité entre les différentes communautés en Chine, ainsi que leur communion profonde avec l’Eglise universelle et le Saint Père. La formation des prêtres, des sœurs, des séminaristes et des laïcs est aussi une priorité importante. J’insiste toujours beaucoup sur l’importance d’avoir le concept correct et la vision juste de ce qu’est une Eglise sœur.

Pensez-vous que vous puissiez jouer un quelconque rôle d’assistance à l’Eglise de Chine ?

Bien sûr que je peux jouer un rôle, en tant que catholique et en tant que responsable de l’Eglise catholique de Hongkong. Je peux inciter la curie diocésaine, le clergé et les fidèles à avancer dans la bonne direction. J’ai joué ce rôle pendant les trente dernières années et je continuerai de le faire. C’est la raison pour laquelle je continue de loger au séminaire (plutôt que déménager au Centre diocésain), où je continuerai d’être le directeur du Centre d’études du Saint-Esprit. C’est un peu hors norme, mais quand je l’ai dit aux gens, ils n’en ont pas été surpris, parce qu’ils savent combien je tiens au travail que nous faisons pour l’Eglise de Chine.

Iriez-vous en Chine, si vous y étiez invité ? Et à quelles conditions ?

Vous savez que l’année dernière j’ai été invité à assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Au cas où je serais de nouveau invité à aller en Chine, j’aurais les mêmes principes de conduite que ceux que j’ai énoncés dans mon article de L’Osservatore Romano d’août 2008. J’en réfèrerai d’abord à mes supérieurs. Et si je devais aller Chine, j’irai de façon très discrète, parce qu’il y a toujours dans ce pays des évêques qui y sont en prison, et que je ne peux pas les oublier. Ce sont mes frères et par conséquent je leur montrerai toujours ma compassion et mon respect. Je me rappelle que lorsque j’ai accompagné en Chine en 1985 le cardinal John B. Wu (à cette époque Mgr Wu) [NdT : évêque de Hongkong de 1975 à 2002], nous avons essayé de rencontrer l’évêque de Shanghai, Mgr Ignatius Kung, qui était toujours incarcéré. Durant le voyage, j’ai insisté à plusieurs reprises, lors de conversations avec des officiels, sur notre désir de le rencontrer. A cette époque, nous ignorions naturellement qu’il était cardinal in pectore. Ainsi, ils n’ignorent pas notre position. Nous n’allons pas en Chine en touristes, pour être reçus à la table des officiels ; ces choses ne nous intéressent pas. Nous somme préoccupés par le sort de tous nos frères et sœurs, dont les droits et la liberté religieuse sont très limités.

Que devrait faire le gouvernement chinois pour améliorer ses relations avec l’Eglise catholique ?

Je pense qu’il n’y aura pas de relations complètes entre les deux parties si les autorités chinoises n’accordent pas à nos frères et sœurs dans l’Eglise une complète liberté religieuse et la reconnaissance de leurs droits en tant qu’individus. Notre devoir est d’essayer d’éclairer de notre mieux le gouvernement chinois sur ces problèmes. C’est ce que nous pouvons faire pour aider l’Eglise catholique en Chine. Il est particulièrement important de savoir que le Saint-Siège maintient un dialogue informel avec le gouvernement chinois. Ainsi la porte n’est pas fermée. Nous sommes guidés par l’esprit de Vatican II : seuls le dialogue et la négociation peuvent résoudre les conflits. L’animosité et le combat ne sont d’aucune aide pour cela. C’est ce que j’ai appris quand j’étudiais la théologie à Rome. C’était exactement au moment où se déroulait le concile. J’ai donc été influencé par l’esprit de Vatican II.

Vous avez mentionné la lettre du pape à l’Eglise catholique en Chine. Comment les directives du pape ont-elles été mises en œuvre ? Que peut faire le Saint-Siège pour aider l’Eglise en Chine ?

D’abord, il nous faudrait donner à tous les fidèles une occasion de lire la lettre du Saint Père. Ensuite, nous devrions les aider à la comprendre correctement. Personne ne devrait en donner une interprétation partielle. La Lettre doit être acceptée dans son intégralité. Si nous la lisions correctement, nous apprendrions à pardonner et à nous sacrifier pour le plus grand bien de l’Eglise. Ainsi donc, je suis heureux d’apprendre que dans un futur proche le Saint-Siège publiera un compendium qui servira de guide et de commentaires à la Lettre [NdT : compendium qui a finalement été publié le 24 mai 2009, voir EDA 508, 510]. Le compendium aidera les catholiques – et spécialement ceux de Chine – à avoir une compréhension correcte de cette Lettre.

Vous prenez la suite du charismatique cardinal Zen, qui avait son franc-parler. Comment vous voyez-vous assurer la poursuite de sa direction ? Apporterez-vous un changement ?

Bien des gens ont pensé que j’allais perdre le sommeil en reprenant la charge du cardinal Joseph Zen. Et bien, je peux vous dire que je continue de très bien dormir six heures par nuit. Je connais mes limites. Mais j’ai foi en Dieu, je fais confiance à l’enseignement catholique et à la sagesse collective de la communauté catholique. Mes prédécesseurs ont bâti d’excellentes et de solides structures pour notre diocèse. Nous qui dirigeons, devons recueillir toutes les opinions avant de prendre une décision importante. Nous devons garder les yeux grands ouverts aux différentes situations et ouvrir nos cœurs pour entendre les différentes opinions. Le diocèse a un Conseil pastoral, un Conseil des prêtres et de nombreuses commissions. L’Eglise de Hongkong, bien qu’étant encore jeune, est solide et bien structurée. En tant que l’un de ses vicaires généraux, j’ai été responsable pendant dix-sept ans du secrétariat de l’évêque et du séminaire, où je donne encore quelques cours dans quelques classes. Je connais très bien mes confrères dans le diocèse et les personnes avec lesquelles je travaille ; je leur fais confiance. Donc je peux dire : jusque là, ça va. J’espère qu’avec leur aide, je pourrai assumer ma charge de travail et je prie pour cela. Je trouve encore le temps de jouer au basket. Aussi longtemps que mon âge me le permettra, je continuerai à faire de l’exercice physique. Ainsi donc, mon programme est plus ou moins le même qu’avant. J’ai apprécié le charisme extraordinaire du cardinal Zen, mais l’Eglise ne repose pas que sur un seul homme, aussi bon soit-il. L’Eglise est une communauté.

Parlez-nous un peu plus de vous. Où êtes-vous né ? Qu’en est-il de votre famille ?

Je suis né à Hongkong dans une famille non catholique. (Note de l’interviewer : Mgr Tong est né au n° 8 de Staunton Street, au deuxième étage d’une maison située dans ce qui est maintenant le quartier connu sous le nom de Soho, le long des escalators de mid-level. L’édifice, reconstruit depuis, abrite aujourd’hui un restaurant italien, le Pepperoni’s. )

Ainsi, vous êtes le premier évêque de Hongkong à être né à Hongkong !

C’est exact : je suis le premier évêque de Hongkong qui y soit né (rires). Mon père est né dans la province du Guangdong, je ne sais pas très bien dans quel village. Ma mère est née à Macao. Son grand-père fabriquait des manchons pour lampes à gaz à Hongkong. Quand elle était jeune, elle étudiait à l’école du Sacré Cœur des Sœurs canossiennes de Caine Road. Comme je l’ai déjà dit, elle n’était pas catholique. Un jour, Mgr Mario Zanin, qui était délégué apostolique pour la Chine, rendit visite à l’école. (Note de l’interviewer : C’était en avril 1934.) Les Sœurs mobilisèrent tous les élèves pour accueillir cet important visiteur de la manière la plus solennelle. La principale, Sœur Mabel Anderson, choisit ma mère pour offrir des fleurs à l’archevêque au nom de toute l’école. Peut-être avait-elle été choisie parce qu’elle était toujours bien habillée ? Elle nous raconta cette histoire de nombreuses fois et elle fut toujours très fière de ce privilège. Depuis lors, elle eut le plus grand respect pour les Sœurs et particulièrement pour Sœur Anderson. Cette bonne impression de l’Eglise resta dans son cœur, mais, à l’époque, elle ne reçut pas le baptême.

Que s’est-il passé ensuite ?

Quand j’ai eu deux ans, les Japonais ont envahi Hongkong. Ma famille a dû se réfugier à Macao et, très peu de temps après, à Canton. J’étais le seul garçon de la famille. Mon père avait un frère plus âgé, qui avait une fille. Dans les familles traditionnelles, les garçons sont préférés aux filles. Par conséquent, par prudence, je fus séparé de mes parents et envoyé chez ma grand-mère paternelle dans un village du district de Hua, dans la province du Guangdong. Plus tard, le district de Hua fut intégré à la municipalité de Canton (Guangzhou). Ma grand-mère m’aimait beaucoup et me protégeait quoiqu’il arrive. Un jour, il n’y avait plus rien à manger. Ma grand-mère envoya quelqu’un au village voisin pour emprunter un peu de riz. Il n’en trouva qu’un petit bol. Ma grand-mère, qui était très autoritaire, décida alors que je serais le seul qui aurait le riz. A l’époque, j’en ai été fier, mais, plus tard, j’ai été honteux d’avoir bénéficié de ce privilège. Cela montre bien l’injustice de la supériorité des hommes sur les femmes dans la société traditionnelle. Mais je me rappellerai toujours de cet épisode avec tendresse, car il montre combien ma grand-mère m’aimait et prenait soin de moi. Aussi, quand j’ai appris sa mort, alors que j’étais au séminaire de Macao, j’ai beaucoup pleuré.

Quand avez-vous retrouvé vos parents ?

Quand la guerre prit fin, le jour de la fête de l’Assomption, le 15 août 1945, je revins à Canton. J’avais été avec ma grand-mère plus de trois ans, de l’âge de deux ans et demi jusqu’à l’âge de six ans. Je retrouvai alors mes parents à Canton et je suis entré à l’école primaire. Puis, mon père a contracté la tuberculose et ma mère a dû travailler ; elle devint maîtresse d’école. Ce furent des temps très difficiles, pendant lesquels j’ai appris l’endurance et la tolérance.

Avant de tomber malade, mon père travaillait comme comptable dans une société, dans laquelle il avait toute la confiance du propriétaire. A cette époque, les propriétaires prenaient grand soin de leurs employés. Quand mon père tomba malade, son patron lui donna un petit appartement, où il pouvait vivre gratuitement. Il donna également à ma famille une petite indemnité mensuelle. Mais de toute façon, cet argent ne suffisait pas et ma mère dut travailler.

Ni votre famille ni vous n’étiez alors catholiques. Quand avez-vous rencontré la foi ?

Comme je l’ai déjà expliqué, ma mère était très favorable à l’Eglise. L’épisode avec Mgr Zanin avait été providentiel. Après la guerre, ayant à faire face à beaucoup de difficultés, ma mère se souvint de ces bons moments et de ce que l’Eglise avait fait pour elle. A ce point, je devrais remercier Dieu pour la vie difficile à Canton, car elle conduisit ma mère au baptême. Après elle, nous fûmes tous baptisés à Canton dans les années qui ont suivi la guerre. Nous habitions près d’une église et notre mère nous encourageait à nous y rendre souvent. La cathédrale est à Ho Bak (au nord de la Rivière des Perles) ; notre église était à Ho Nan (au sud de la rivière), dans une zone moins urbanisée. L’église était au bord de la rivière. Les missionnaires qui y travaillaient étaient des Pères américains de Maryknoll. Ils avaient acheté une maison et commencé une petite mission.

Dans ces années là, de furieux combats se déroulaient en Chine du nord et en Chine centrale entre les communistes et les nationalistes. Beaucoup de soldats blessés et sans ressources venaient chercher asile à Canton. J’ai été témoin de la façon dont les missionnaires étrangers et particulièrement le prêtre de ma paroisse, le P. Bernard Meyer, aidait les gens dans le besoin. Il avait réellement le même amour et la même compassion que le Christ envers ceux qui étaient la misère.

Le P. Meyer présenta ma mère à l’école pour qu’elle y donne des cours. A cette époque, une personne qui avait fait son lycée, comme c’était le cas de ma mère, était considérée comme ayant un bon niveau d’éducation. Ainsi, ma mère devint professeur, sans jamais avoir reçu la formation adéquate.

Qu’en est-il de votre vocation ?

Le curé de la paroisse me présenta à l’école primaire catholique à Canton. Je me suis présenté à l’examen, l’ai passé et ai été admis. L’école était proche de la cathédrale et s’appelait Ecole primaire Ming Dak. On m’accorda une bourse. De l’école primaire jusqu’au séminaire, quasiment toute ma scolarité s’est ainsi faite, de manière gratuite. J’ai été pris en charge par l’Eglise toute ma vie. Je suis un enfant élevé par l’Eglise. Quant à ma vocation, elle a pris un certain temps pour s’affirmer. A l’époque, j’étais encore à Canton et j’étais sous l’influence du bon exemple que donnait le curé de ma paroisse. Je pensais que devenir un prêtre était une bonne chose. Le P. Meyer rendait visite à mes parents et les entretenait de mon projet.

Après que les communistes eurent établi leur régime en Chine, nous avons remarqué que l’Eglise subissait une certaine pression. Le curé de ma paroisse et d’autres prêtres me demandèrent donc d’aller à Macao, où je pourrais poursuivre ma vocation. La situation était semblable à celle que nous avons connue ici à Hongkong avant 1997. Mes parents furent d’avis que ces prêtres étaient fiables et qu’il serait bon de quitter la Chine. Ils donnèrent donc leur accord et, en février 1951, je quittais la Chine et me rendis directement à Macao, où je rentrais au séminaire.

Que dire du reste de votre famille ?

Ma mère, ma plus jeune sœur et mon plus jeune frère vinrent à Hongkong l’un après l’autre à différentes époques. Ils furent autorisés à émigrer parce qu’ils avaient des parents à Hongkong. J’ai presque dix ans de plus que mon frère et sept ans de plus que ma sœur. Aussi, quand je suis entré au petit séminaire de Macao en 1951, mon frère et ma sœur étaient encore très jeunes. Mon père n’alla pas à Hongkong, il mourut en Chine en 1952, à l’âge encore très jeune de 42 ans.

Quelle a été votre formation théologique ?

Je suis resté six ans à Macao et quelques mois au séminaire Saint-Joseph, où j’ai terminé mes études supérieures. En 1957, je suis venu au séminaire du Saint Esprit à Hongkong, où j’ai étudié la philosophie et la théologie. En 1964, je suis allé à Rome où j’ai poursuivi mes études théologiques à l’Université pontificale Urbanienne. Je résidais au Collegio Urbano. J’ai été ordonné prêtre en janvier 1966 par le pape Paul VI, un mois après la cérémonie de clôture du concile Vatican II. J’avais alors obtenu ma licence et mon doctorat en théologie dogmatique.

Où sont maintenant les membres de votre famille ?

Mon plus jeune frère vit au Canada. Il est presque à la retraite. Il était moniteur d’auto-école. Ma belle-sœur travaille dans la fonction publique. Ils ont trois filles, dont l’une va bientôt se marier. Ma sœur, mon beau-frère et ma mère vivent ici à Hongkong. Ils sont tous à la retraite. Ma mère a 90 ans. Elle vit dans une maison de retraite tenue par les Petites Sœurs des Pauvres, ici, à Aberdeen.

Comment va votre mère ?

Elle va très bien grâce aux sœurs. Mais elle est presque aveugle, par suite de dégénérescence maculaire. Elle ne peut plus marcher, et elle est dans une chaise roulante depuis bien longtemps. Ce qui fait que sa santé se dégrade et qu’elle souffre des maux de la vieillesse. Parfois, elle a toute sa tête et parfois ses pensées se brouillent. Mais, je pense qu’elle a compris que j’avais été nommé évêque de Hongkong.

Quel était votre rôle au diocèse avant votre nomination ?

Depuis que je suis revenu à Hongkong, j’ai toujours vécu au séminaire, qui a été ma seule résidence. J’y enseignais la théologie et donnais quelques cours de philosophie chinoise. J’ai été le doyen des études en 1970. En 1979, j’ai été un de ceux qui ont été pressentis pour enseigner au Centre d’études du Saint Esprit (HSSC, Holy Spirit Study Center). J’ai alors demandé une demi-année sabbatique pour me remettre à niveau avant l’ouverture du HSSC. J’ai donc voyagé aux Etats-Unis et ailleurs pendant six mois, et je suis rentré à Hongkong prendre mon nouveau poste. Mais je n’étais pas seul, d’autres personnes travaillaient avec moi. J’ai toujours pensé qu’il était très important de travailler avec d’autres et de trouver ensemble la bonne direction pour son travail.

La création du Centre d’études du Saint Esprit était-elle une suggestion de votre part ?

Non, cela a été une décision diocésaine. La Chine commençait à s’ouvrir et tout le monde comprit que Hongkong devait faire quelque chose pour l’Eglise en Chine. Avant 1979, nous n’avions quasiment aucune information sur l’Eglise en Chine. Mais après l’ouverture, les gens ont commencé à traverser la frontière et à ramener des nouvelles. Les gens en Chine demandaient de l’aide. Il fallait donc faire quelque chose pour répondre à leurs besoins. Au Conseil des prêtres, nous sommes tombés accord pour créer une structure qui prenne en compte le problème de l’Eglise en Chine. Je présidais alors cette réunion, mais je ne savais pas que plus tard, je serai choisi pour la diriger.

Pourquoi Mgr Wu vous a-t-il choisi comme responsable du HSSC ?

Je ne sais pas pourquoi Mgr Wu m’a choisi. Il ne me l’a pas dit. Peut-être a-t-il pensé que j’avais été élevé en Chine, que j’avais étudié la philosophie chinoise à l’Université chinoise de Hongkong, dont j’ai été diplômé en philosophie dans les années 1970. A l’époque, la revue théologique Concilium m’a demandé de travailler avec eux et j’ai participé à quelques réunions internationales. J’ai été aussi occasionnellement invité à donner des conférences à l’extérieur de Hongkong. Dans le diocèse, j’étais le doyen de théologie, le président du Conseil des prêtres et le président de la Commission œcuménique. J’étais également président de l’Association des prêtres chinois diocésains. J’étais donc très actif dans le diocèse. Parfois, je rédigeais des documents pour le cardinal Wu. Ce sont peut-être les raisons pour lesquelles le cardinal m’a choisi, mais je ne peux pas l’assurer avec certitude. Beaucoup de visiteurs étrangers demandaient à Mgr Wu ce que le diocèse de Hongkong faisait pour l’Eglise de Chine. Je me souviens avec émotion qu’il était toujours ravi de me présenter à ces gens en disant : « Le Père Tong est maintenant en charge de ces problèmes. »

Ce choix par Mgr Wu a été un tournant dans votre vie, n’est-ce pas ?

Oui, vous avez raison. Cette nomination a été un tournant. Elle m’a permis de voyager et de participer à davantage de réunions internationales. J’ai commencé à être connu par beaucoup de gens qui s’intéressaient à la Chine. Beaucoup contactaient le HSSC avant d’effectuer un voyage en Chine. Nous avons donc dû apprendre à ordonner nos idées, de façon à faire comprendre ce que nous croyions. Et puis, nous avons dû veiller à vérifier en permanence que ce que nous pensions s’accordait bien à la réalité. Ainsi, pas à pas, nous avons accumulé un savoir et une expérience. Cela a été une grande satisfaction pour nous – la providence divine.

Vous souvenez-vous des grands moments dans la vie du Centre ?

Il y a eu beaucoup de moments importants dans la vie du Centre et beaucoup de visiteurs notables, comme le cardinal Agostino Casaroli, secrétaire d’Etat, et le cardinal Joseph Ratzinger, l’actuel Saint Père. Beaucoup d’évêques et de personnalités connues du monde entier venaient nous voir. Au début, nous manquions d’expérience et étions très naïfs. Il nous a fallu quelque temps pour rassembler nos connaissances et notre expérience.

Comment vous décririez-vous ? Comment qualifieriez-vous votre personnalité ?

Je pense que je suis un homme modéré. Je corresponds bien à la maxime chinoise, qui existe aussi en latin : In medio stat virtus (‘La vertu est éloignée des extrêmes’). Je pense qu’il est important de communiquer et de dialoguer. Un jour, on m’a donné la reproduction d’une peinture venant de Russie, que j’aime beaucoup. C’est une Annonciation. L’ange apporte un message à Marie, qui répond « oui » à Dieu par l’intermédiaire de l’ange. Alors, elle a donné Jésus au monde entier. Nous devons suivre les pas de l’ange et de Marie en étant des hommes qui communiquent. Quand je parle de communication, je ne parle pas de communication technique, mais de communication humaine. Je trouve que donner et recevoir sont essentiels. Je crois en définitive que je suis un homme ordinaire, une personne simple. Si c’est possible, j’aimerais faire du bien aux autres, comme il est dit au Psaume 23,6 : « Oui, grâce et bonheur me pressent tous les jours de ma vie. »