Eglises d'Asie

Les autorités de l’Eglise catholique dénoncent la lenteur des poursuites engagées contre les responsables des émeutes meurtrières du 1er août 2009

Publié le 25/03/2010




« Nous sommes très déçus de la lenteur de la procédure judiciaire. Un mois a passé depuis les massacres [commis à Gojra] et aucune des personnes interpellées n’a été déférée devant la justice. Je crains que les coupables s’en tirent à bon compte et que l’affaire soit doucement enterrée », a affirmé, le 1er septembre dernier, Mgr Lawrence J. Saldanha, président de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan.

Depuis un mois, les chrétiens du Pakistan multiplient les manifestations et les conférences de presse afin de dénoncer le massacre commis le 1er août 2009 à Gojra, une ville située à 160 km à l’ouest de Lahore, chef-lieu de la province du Pendjab. Le 30 juillet, une foule de musulmans en colère avait investi le village de Korian, situé non loin de Gojra, et détruit les maisons de la centaine de familles chrétiennes qui vivaient là. Selon les musulmans, les chrétiens auraient profané le Coran à l’issue d’un mariage en placardant des feuilles portant des versets du livre saint de l’islam sur la porte de l’une de leurs maisons. Le surlendemain, 1er août, plusieurs centaines de musulmans s’en prenaient au quartier chrétien de Gojra, semant la terreur et la destruction. Brûlés vifs, dix chrétiens ont péri, dont trois femmes et trois enfants. Plus d’une centaine de maisons de chrétiens ont été totalement saccagées ou détruites, ainsi que quatre temples protestants.

Ce nouvel accès de violences antichrétiennes a soulevé une vive émotion au Pakistan et la police a rapidement interpellé 103 musulmans impliqués dans les deux attaques. A Faisalabad, la grande ville la plus proche de Gojra, des auditions ont été menées devant une cour de justice anti-terroriste et les demandes de libération sous caution des musulmans ont toutes été rejetées. Cependant, les responsables chrétiens du Pakistan, s’ils appellent au calme et à la concorde, ne cachent pas leur impatience, voire leur impuissance, à ce que justice soit rendue.

Le 29 août, dans la grande ville de Hyderabad, les responsables des Eglises catholique et protestantes ont organisé un iftar, repas de rupture du jeûne durant le mois du ramadan, dans les locaux attenants à la cathédrale catholique Saint-Thomas. Deux cents personnes, des chrétiens, mais aussi des religieux musulmans, des hindous et des bahaïs, y ont pris part. Réunis sous la bannière « Partenaires dans la paix », musulmans et chrétiens ont condamné le récent massacre et dénoncé les abus commis au nom des lois anti-blasphème. Au-delà de ces paroles réconfortantes, a expliqué le P. John Murad, vicaire général du diocèse de Hyderabad, l’Eglise attend que justice soit rendue. « Les procédures traînent en longueur et aucun terroriste n’a été condamné. Ce n’est pas bon signe et il est clair que la lutte contre les lois anti-blasphème sera longue », a-t-il déclaré.

Les lois anti-blasphème, qui punissent de la prison à perpétuité quiconque est reconnu coupable de profanation envers le Coran et de la peine capitale toute insulte envers le Prophète, sont régulièrement critiquées au Pakistan, mais n’ont jamais été sérieusement remises en cause depuis leur promulgation, sous la dictature du général Zia ul-Haq (au pouvoir de 1977 à 1988). Selon des données collectées par la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques, un minimum de 964 personnes ont été inculpées au titre des lois anti-blasphème entre 1986 et aujourd’hui. Ces 964 personnes se répartissent ainsi : 479 musulmans, 119 chrétiens, 340 ahmadis (mouvement issu de l’islam et considéré comme hérétique par la majorité des musulmans) et 14 hindous. De manière évidente, les minorités religieuses sont surreprésentées parmi ces inculpés, dans un pays à 95 % musulman où les chrétiens représentent 1,6 % de la population. De longue date, les responsables des Eglises chrétiens dénoncent ces lois comme iniques et détournées de leur objet premier par des individus poursuivant un profit personnel ou cherchant à harceler les non-musulmans.

Le 7 août dernier, le Premier ministre Yousuf Raza Gilani s’est rendu à Gojra où il a visité le quartier chrétien détruit. « Une commission (…) sera mise en place pour discuter des lois défavorables à l’harmonie religieuse et étudier la manière de les améliorer », a-t-il déclaré. Pour Mgr Saldanha, « les mots seuls » ne peuvent garantir la sécurité de la minorité chrétienne au Pakistan. « L’Eglise a lancé une pétition pour réclamer le retrait des lois anti-blasphème. Nous espérons réunir 200 000 signatures. Nous continuerons d’interpeller les autorités. Toutefois, il semble que le gouvernement subisse la pression des religieux conservateurs. La situation est difficile et seul Dieu peut venir à notre aide », a-t-il conclu.