Eglises d'Asie

Emeutes au Pendjab après la mort suspecte d’un jeune catholique emprisonné pour blasphème

Publié le 25/03/2010




Lors des funérailles mercredi 16 septembre, de Fanish Masih (alias Robert Danish), arrêté pour blasphème et décédé le 15 septembre dans la prison de Sialkot, au Pendjab, la foule qui suivait le cortège funèbre s’est heurtée violemment aux forces de l’ordre. Des chrétiens et des membres d’associations pour la défense des droits de l’homme ont également manifesté à Sialkot…

… mais aussi à Lahore, capitale du Pendjab, demandant l’ouverture d’une enquête pour meurtre et la suppression des lois anti-blasphèmes, au nom desquelles des violences sont commises régulièrement contre les chrétiens qui représentent un peu plus de 1 % de la population (1).

Au matin du mardi 15 septembre, Fanish Masih, âgé d’une vingtaine d’années, a été retrouvé mort dans sa cellule du quartier de haute sécurité de la prison centrale de Sialkot. Bien que le directeur de la prison, Farooq Lodhi, ait affirmé que le jeune homme s’était pendu avec le cordon de son pantalon, conclusions reprises par la police locale, la communauté chrétienne a immédiatement accusé les autorités policières d’avoir camouflé en suicide une « exécution extrajudiciaire ». Directement mis en cause, le directeur a nié toute tentative de meurtre : « Ceux qui prétendent qu’il a été tué dans la prison, essayent seulement de créer des troubles entre les musulmans et les chrétiens. »

Fanish Masih avait été accusé d’avoir profané le Coran, sur le témoignage d’un barbier musulman de son village de Jatekhe, Mohammad Asghar Ali, lequel avait affirmé l’avoir vu arracher des mains de sa fille Hina, des pages du livre sacré pour les jeter dans le caniveau. A la suite de cette dénonciation, un groupe d’islamistes avait incendié en représailles l’église du Calvaire et deux autres maisons chrétiennes. Le jour suivant, Fanish Masih était arrêté au nom des lois anti-blasphèmes et conduit à la prison de Sialkot. Selon les proches du jeune homme et les chrétiens de Jatekhe, cela faisait des mois que Fanish Masih était menacé de mort par les islamistes qui lui reprochaient d’entretenir une relation avec Hina. Les lois anti-blasphèmes, disent-ils, ont été utilisées par les parents de la jeune musulmane afin de régler une affaire privée.

Le mercredi 16 septembre après-midi, le corps du jeune homme était enterré au cimetière chrétien de Sialkot, les autorités s’étant opposés à son inhumation à Jatekhe, arguant vouloir prévenir tout nouvel incident. Les funérailles de Fanish Masih ont été célébrées à Sialkot, sous haute surveillance policière, en présence seulement des proches du jeune homme, de représentants des minorités, d’officiels musulmans et de quelques responsables chrétiens et hommes politiques, comme Kamran Michal, un ministre chrétien de la province du Pendjab.

En signe de deuil, de nombreux commerces de Sialkot et du village de Jatekhe étaient fermés. Les forces de sécurité avaient bloqué les routes, ce qui n’avait pas empêché une foule de plus de 3 000 personnes selon les sources locales, de suivre le cortège funèbre. Celui-ci s’étant transformé rapidement en manifestation, la police a alors dispersé la foule et blessé de nombreuses personnes, usant de matraques et de gaz lacrymogène. Plusieurs arrestations ont eu lieu, dont le nombre n’a pas encore été confirmé.

La veille, 15 septembre, des émeutes s’étaient déjà produites à l’annonce de la mort de Fanish Masih, également réprimées avec violence par les forces de l’ordre. Des milliers de personnes avait participé à un ‘sit-in’ avec la famille de la victime qui avait déposé le corps du jeune homme sur la route principale de Sialkot, bloquant la circulation et réclamant justice. Plus de 2000 manifestants, selon les représentants des Eglises locales, avaient défilé dans les rues de Sialkot, réclamant l’ouverture d’une enquête pour meurtre et scandant : « Stop à l’extrémisme religieux et au massacre des chrétiens ». La marche de protestation avait alors dégénéré, les manifestants jetant des pierres aux forces de l’ordre, pendant que la police chargeait la foule avec des matraques et des bombes lacrymogènes, faisant de nombreux blessés. Selon des sources officielles, des manifestants auraient également commis des déprédations sur des magasins et des voitures, et l’émeute n’aurait cessé que lorsque les autorités policières auraient assuré à la foule que des investigations seraient menées sur la mort suspecte du jeune catholique.

Parallèlement aux manifestations et affrontements à Sialkot, ce même 15 septembre, plusieurs centaines de chrétiens ainsi que des militants d’organisations de défense des droits de l’homme s’étaient rassemblés à Lahore, capitale du Pendjab. Les manifestants réunis devant le club de la presse de Lahore avaient scandé des slogans demandant le retrait des lois anti-blasphèmes et la vérité sur le décès de Fanish Masih. Les responsables des mouvements chrétiens et de défense des droits de l’homme avaient unanimement condamné « ce meurtre en détention », comme le Pakistan Christian Congress (PCC), le Joint Action Committee for People’s Rights (JAC) ou encore la Commission pakistanaise pour les droits de l’homme (HRCP).

La commission Justice et Paix de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan (NCJP) a réagi de son côté par une déclaration ferme et sans équivoque, adressée au président pakistanais et au chef du gouvernement de la province du Pendjab, Shahbaz Sharif. « Nous demandons une investigation objective et menée sur accusation de meurtre (…). Les personnes responsables de la mort d’un jeune innocent (…) doivent être jugées par la justice », ont écrit conjointement le 15 septembre, Mgr Lawrence John Saldanha, archevêque de Lahore et directeur du NCJP, ainsi que Peter Jacob, son secrétaire exécutif.

Le 16 septembre, le Rev. Timoteus Nasir, de l’Eglise protestante Siloam Biblical Christian Churches of Pakistan (2), s’est adressé à son tour au président du Pakistan, Asif Ali Zardari, dans une lettre ouverte dans laquelle il énumérait tous les « crimes haineux » commis contre les chrétiens pour la seule année 2009. En demandant au gouvernement d’assurer la protection de tous les citoyens du pays, l’ancien prélat concluait : « Puis-je très humblement vous demander, Excellence, combien de villages devront être encore brûlés (…), d’églises détruites, (…) et combien d’hommes, de femmes et d’enfants innocents devront encore mourir avant que le gouvernement de la république islamique du Pakistan envisage de trouver une solution au problème des chrétiens du Pakistan ? ».

Bien que les autorités aient accepté d’ouvrir officiellement une enquête, seule l’accusation de « négligence professionnelle » à l’encontre des responsables de la prison est à l’heure actuelle retenue, et non celle de torture à mort d’un prisonnier. Mais dans l’attente du rapport d’autopsie, les médias officiels rapportent déjà que les médecins légistes n’ont remarqué aucune blessure suspecte sur le corps de Fanish, alors que les proches du jeune homme affirment avoir vu de nombreuses marques de torture et constaté que « les côtes avaient été brisées ». Parmi ces témoins à avoir vu le corps avant son inhumation, le ministre fédéral pour les Minorités, Shahbaz Bhatti, également président de l’Alliance des minorités du Pakistan (APMA) a fustigé les autorités locales et a exigé un nouveau rapport, ainsi que la diffusion au public du rapport d’autopsie (3).