Eglises d'Asie

Les réfugiés tamouls ont célébré la messe des défunts derrière des barbelés

Publié le 25/03/2010




Le 2 novembre dernier, jour des morts pour les catholiques, qui est à la fois une journée de commémoration et une journée d’intercession, plusieurs milliers de fidèles ont assisté aux messes organisées à l’intérieur des camps, où, depuis la défaite militaire des Tigres tamouls, croupissent plusieurs centaines de milliers de Tamouls.Selon le témoignage des huit prêtres catholiques du diocèse de Mannar…

… qui ont été autorisés à pénétrer dans les camps pour célébrer la messe ce jour-là, l’état d’esprit des personnes déplacées était partagé. Pour une part, les fidèles manifestaient leur tristesse d’être tenus éloignés des tombes de leurs proches, en ce jour où il est de tradition d’aller prier dans les cimetières. Pour une autre part, ils étaient soulagés de pouvoir prier pour ceux qui ont trouvé la mort dans la guerre civile qui a opposé durant un quart de siècle les forces armées de Colombo à la rébellion tamoule.

En 2008 et 2009, l’aggravation du conflit avait eu pour effet de prendre au piège 250 000 personnes sur un territoire de 250 kilomètres carrés. Après la mort du chef des Tigres tamouls, Velupillai Prabhakaran, le 18 mai 2009 et la fin des hostilités, l’armée sri-lankaise n’avait pas autorisé ces personnes déplacées à regagner leurs villages. Au contraire, celles-ci avaient été parquées dans 41 camps pour y être soumises à une procédure de « filtrage » mise en place par les forces de sécurité afin de séparer les combattants du LTTE des Tamouls civils. Les conditions de vie dans ces camps, déjà très difficiles, se sont aggravées en août avec l’arrivée de la mousson. Lorsque le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a visité certains de ces camps en mai dernier, il a déclaré : « J’ai voyagé dans le monde entier et visité des endroits similaires, mais je n’ai jamais vu de scènes aussi effroyables. »

Dans le camp d’Arunachalam, installé sur une parcelle de jungle récemment défrichée, le P. Ruban Fernando, du diocèse de Mannar, a célébré la messe du 2 novembre devant plusieurs milliers de personnes. Dans ce camp de 20 000 personnes – dont 2 000 catholiques –, un espace relativement vaste avait été dégagé pour l’occasion, une simple table recouverte d’un linge blanc faisant office d’autel. Conformément à la tradition, les personnes ayant connu un deuil pendant l’année ont été invitées par le prêtre à inscrire le nom du défunt sur un livre ; pas moins de 1 500 noms ont été inscrits. Le P. Fernando a lu le nom des morts, dont certains n’étaient pas de religion chrétienne, et invité l’assistance à prier pour eux. Certains « n’ont pas de certitude quant à leurs proches, ils ne savent pas s’ils sont vivants ou morts », a rapporté le prêtre à l’agence Ucanews (1), ajoutant qu’il avait fait de son mieux pour consoler ceux qui avaient pleuré durant l’office.

Une fois sorti du camp d’Arunachalam, un autre prêtre, le P. Celestine Mascringe, a évoqué le terrible sentiment de frustration qui anime les catholiques dans les camps. Dans un pays où il est de coutume de passer toute la journée du 2 novembre dans les cimetières, pour nettoyer les tombes, les fleurir, prier et brûler de l’encens, « une tradition catholique a été brisée ». Le prêtre témoigne du « sentiment de peur et de tristesse » éprouvé par les déplacés dans les camps, mais aussi de « leur espérance en l’avenir ». A travers les barbelés ceinturant le camp, un catholique a glissé au journaliste de l’agence Ucanews : « Dieu ne nous abandonnera pas. Il nous redonne espoir et courage. Il adoucira notre peine. »

Après Arunachalam, le P. Celestine Mascringe a été autorisé à entrer dans le camp de Kadirgamar, situé en face d’Arunachalam, pour célébrer la messe devant quelque 800 catholiques réunis sous une structure en tôle ondulée. Au total, les huit prêtres du diocèse de Mannar ont pu célébrer l’Eucharistie dans une vingtaine de camps.

A ce jour, sur les 270 000 personnes retenues dans les camps, seules 50 000 ont été autorisées à retourner chez elles. « Nous devons attendre la fin des opérations de déminage [dans les zones autrefois contrôlées par les Tigres et où se sont déroulées les opérations de guerre]. D’ici là, le gouvernement ne peut rien faire », a déclaré le président Rajapaksa devant des parlementaires indiens, à la mi-octobre 2009, assurant toutefois qu’il espérait que les camps pourront être vidés d’ici la fin janvier 2010. Pour les ONG présentes sur le terrain, la situation devient de plus en plus inquiétante. « Il est temps de libérer la population civile détenue dans les camps. La communauté internationale doit refuser de nouvelles promesses qui ne seront pas tenues », estime Brad Adams, directeur de la section Asie de Human Rights Watch.