Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Soutien à Mgr Francis An Shuxin, évêque coadjuteur du diocèse de Baoding

Publié le 25/03/2010




Les remous que l’on constate actuellement dans le diocèse de Baoding, bastion catholiques de la province du Hebei (voir la dépêche à ce sujet dans le corps du présent Bulletin), témoignent de la difficulté pour les communautés catholiques « clandestine » et « officielle » à œuvrer à l’unité de l’Eglise en Chine, dans un contexte marqué par une emprise gouvernementale certaine.

Dans le texte ci-dessous, le P. Jeroom Heyndrickx, CICM, missionnaire belge actif de longue date auprès de l’Eglise de Chine, expose son point de vue. La traduction française du texte du P. Heyndrickx est du P. François Dabin, de la Fraternité d’Eglise Liège-Chine.

 

Des informations contradictoires ont été largement diffusées ces derniers temps à propos de la situation de Mgr An Shuxin, évêque coadjuteur du diocèse de Baoding, dans la province du Hebei, en République populaire de Chine. Que l’on soit d’accord ou non avec le geste prétendument posé par Mgr An Shuxin, qui viendrait d’accepter de devenir membre de l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC), Mgr An Shuxin, pasteur plein de zèle qui a depuis longtemps témoigné de sa fidélité au Saint-Siège, ne mérite pas seulement notre soutien dans la prière, mais aussi le plein respect pour son courage et ses décisions pastorales. Je doute que ceux qui le critiquent de l’extérieur de la Chine l’aient jamais rencontré. Je connais bien l’évêque personnellement ; à plusieurs reprises, ces dernières années, j’ai eu de longs entretiens avec lui. J’ai appris à le respecter et à comprendre à quel point sa situation était complexe. En tout cas, avant d’émettre toute critique publique, il faudrait être mieux informé. Mgr An Shuxin a-t-il vraiment signé un quelconque document ? Et s’il l’a fait, quelle est la teneur de ce document et, dans ce cas, comment faut-il comprendre l’expression « devenir membre » ? En Chine, l’interprétation de cette expression est souvent bien différente de ce qui est donnée en Italie ou en d’autres pays hors de la Chine. Nous sommes tous très éloignés des dures réalités dans lesquelles bien des responsables de l’Eglise vivent en Chine depuis des décennies. Pour le moins, nous qui sommes dans les Eglises-sœurs de l’extérieur, nous devons nous garder d’utiliser nos propres termes et d’émettre des jugements péremptoires au sujet de leur ministère, ajoutant ainsi au lourd fardeau qu’ils portent déjà.

Depuis le temps de Pie XII, en 1958 et, plus récemment, depuis l’enseignement du pape Benoît XVI, tous les catholiques chinois savent très bien qu’être membre de l’Association patriotique est « inconciliable avec la doctrine catholique ». Ils savent que cette Association cherche à séparer l’Eglise catholique de Chine du pape et à établir de facto une Eglise catholique de Chine complètement indépendante du Saint-Siège. C’est pourquoi, nous tous dans les Eglises-sœurs partout dans le monde, nous admirons le courage des catholiques de Chine parmi lesquels certains, à cause de cette incompatibilité évoquée par le Saint Père, ont choisi il y a longtemps de devenir des « communautés souterraines » avec l’opprobre et les épreuves qui l’accompagnent. C’est la grande contribution, méritoire aux yeux de l’Histoire, apportée à l’Eglise de Chine par ceux qu’on appelle « évêques non officiels » et leurs fidèles. C’est aussi la route que Mgr An Shuxin a longtemps suivie.

A la même époque, également à partir de 1958, les catholiques de Chine ont longuement cherché une autre voie pour assurer la viabilité et l’avenir de leur Eglise. Certains évêques ont choisi une troisième voie et ont très bien réussi. Ils ont accepté pour la forme de devenir membres de l’APCC, non pas par libre choix, mais parce qu’ils y étaient contraints. Tout le monde savait que leur adhésion à l’Association était peu sincère et avait pour but de créer un espace pour l’Eglise, non seulement pour qu’elle réapparaisse au grand jour, mais pour s’étendre, croître et se développer dans tous les sens – comme communauté de foi et comme institution ecclésiale. Sans la courageuse attitude de la « communauté d’Eglise non officielle » d’une part et celle de la « communauté d’Eglise officielle » de l’autre, l’Eglise de Chine ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui et elle n’aurait pas pu offrir aux catholiques du monde un témoignage aussi fort de sacrifice et de fidélité à l’Eglise universelle. Quand on parle de l’Eglise de Chine, il faut toujours avoir en considération cette double réalité, évitant ainsi ces grossières erreurs de jugement qui reposent sur des vues préconçues et partiales.

Dans la plupart des cas, après avoir été nommés évêques par le gouvernement chinois, beaucoup de ces prêtres, étiquetés « évêques officiels », ont, avant leur ordination épiscopale, secrètement réussi à obtenir du pape la validation et l’approbation de leur nomination. Parmi ceux qu’on appelle « évêques officiels », tous membres obligés de l’APCC, il y a eu quelques pasteurs hautement respectés et très célèbres que nous connaissons tous. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici leurs noms : nous nous souvenons tous de « l’évêque X, de l’évêque Y, de l’évêque Z… » et nous nous souvenons d’eux avec respect. Ils étaient aimés par des dizaines de milliers de catholiques, par des évêques et par de nombreux prêtres et religieuses. Il n’y a qu’à nous rappeler ces milliers de fidèles catholiques qui ont rempli les cathédrales et même les cimetières dans les campagnes pour prendre part à chacune de leurs funérailles ! Ces pasteurs ont donné un splendide témoignage de service à leur Eglise ! Il est aussi bien connu que les derniers papes ainsi que les membres anciens et actuels de la Curie au Saint-Siège ont admiré, au cours de ces décennies, les témoignages donnés par les communautés tant « non officielles » qu’« officielles » en Chine. Il est évidemment inconcevable que le Saint-Siège ait jamais encouragé ces évêques officiels à devenir de leur plein gré membres de l’Association patriotique. De même, en dépit de récentes informations contestables, il est également inconcevable que le Saint-Siège ait encouragé Mgr An Shuxin de Baoding à accepter de devenir membre de l’APCC. Il est injuste et c’est un manque grave de charité de répandre de telles accusations dans les médias, causant un sérieux tort à l’Eglise catholique de Chine, avec pour effet d’exacerber sa souffrance et ses divisions internes.

La plupart des catholiques chinois – et même les responsables du gouvernement chinois ! – savent très bien que ces soi-disant « évêques officiels » sont restés fidèles au Saint-Siège. Comme ils y ont été invités par le pape Jean-Paul II et le pape Benoît XVI, ils veulent être de bons citoyens chinois et servir leur pays en bons patriotes. Ceux qui, hors de Chine, portent vraiment dans leur cœur la cause de l’Eglise catholique de Chine, devraient se mettre à la place de leurs frères et sœurs dans la foi, pour écouter avec leur cœur, pour voir avec leurs yeux, de manière à comprendre à partir de leur point de vue, les raisons pour lesquelles ces évêques ont pris le chemin qui est le leur.

De même que tous nous respectons et admirons les « évêques officiels » bien connus qui l’ont précédé, de même Mgr An Shuxin mérite notre respect et notre admiration. Naturellement, de même que nous n’avons jamais accepté que les « évêques X, Y et Z » devaient être membres de l’Association patriotique, de même aussi, en cette circonstance, nous ne pouvons en principe pas accepter – si l’information est vraie – que Mgr An Shuxin ait rejoint l’Association. Par la même occasion, nous nous interrogeons sur l’à-propos de certains articles de presse présentés comme émanant de « sources vaticanes » sans autre précision. Quoi qu’il en soit, quiconque se risquerait à parler publiquement de l’Eglise de Chine doit tenir compte des mérites des deux communautés d’Eglise (« clandestine » et « officielle ») et de la dure réalité dans laquelle les deux parties ont été forcées de vivre pendant de très, très nombreuses années. Quiconque affirme suivre les instructions du pape Benoît XVI – cherchant à favoriser la réconciliation et l’unité dans l’Eglise catholique de Chine – doit comprendre l’extrême ambiguïté dans laquelle vit cette Eglise.

En solidarité et en union de prière, nous devons tous respecter les jugements et les décisions ecclésiales de ces courageux pasteurs en Chine « qui portent la chaleur du jour ». Par-dessus tout, nous devons nous garder d’imposer nos propres jugements sur des situations et des personnes à propos desquelles nous ne pouvons pas avoir de connaissance de première main. Une fois de plus, c’est la lettre du pape Benoît XVI qui nous montre le chemin quand il traite de ces situations (voir para. 7) : « (…) Tout sera vécu dans la communion et dans la compréhension fraternelle, évitant des jugements et des condamnations réciproques… » et « (…) il convient, pour évaluer la moralité d’un acte, de connaître avec un soin particulier les réelles intentions de la personne intéressée, et non seulement les manques objectifs. Chaque cas devra donc être évalué individuellement, en tenant compte des circonstances. »

« Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » Tel est l’esprit de la lettre du pape Benoît XVI. Cette lettre et le « Compendium » qui l’accompagne donnent la ligne de conduite que nous voulons tous suivre.