Eglises d'Asie

Dans les colonnes du China Daily, un chercheur appelle à un changement de politique religieuse

Publié le 25/03/2010




Dans son édition du 3 décembre dernier, le China Daily, principal quotidien en langue anglaise de Chine populaire, a publié un article intitulé : « L’Etat de droit, meilleur chemin vers la liberté religieuse ». L’auteur de l’article a interviewé Liu Peng, chercheur, membre de l’Académie chinoise des sciences sociales et juriste spécialisé dans les affaires religieuses.

Il explique de manière détaillée qu’« il est aujourd’hui temps que le système soit développé de telle manière que les affaires religieuses soient de plus en plus régies par la loi, au lieu de l’être par des mesures de nature administrative – comme c’est le cas actuellement – ; pour ce faire, tous les groupes religieux devraient avoir la possibilité, sur un même principe d’égalité et de normalité, d’être enregistrés légalement ».

Agé de 58 ans, Liu Peng a travaillé dans les années 1980 au Département de Travail du Front uni du Comité central du Parti communiste chinois, où il a contribué à la rédaction de nombreux documents relatifs à la politique du régime, notamment dans le domaine religieux. Ces dernières années, il a entamé avec succès une carrière d’entrepreneur privé, sans pour autant abandonner ses activités de chercheur et d’enseignant. A la jonction du monde des affaires et de l’université, il a fondé, en 1999, un « Institut universel pour les sciences sociales », structure à but non lucratif dont les recherches sont financées par les profits tirés de ses affaires.

Selon Liu Peng, le moment est favorable en Chine pour que les religions, quelles qu’elles soient, se voient désormais garantie, sur une base non discriminatoire, une existence légale. Une telle évolution est nécessaire, argumente le chercheur, car, dans le schéma actuel, les fonctionnaires, qui doivent s’appuyer sur un arsenal juridique peu adapté, se retrouvent à devoir gérer à la fois des groupes religieux dûment enregistrés (au titre des cinq religions reconnues officiellement par le système, à savoir le bouddhisme, le taoïsme, l’islam, le catholicisme et le protestantisme (1)) et des groupes religieux qui sont chaque jour plus nombreux à s’épanouir en-dehors de toute structure officielle. Appelant à lui le legs laissé par Deng Xiaoping (« rechercher la vérité à partir des faits »), Liu Peng explique : « Nous devons admettre que ce type de système administratif peut être amplement amélioré. »

Il poursuit en expliquant que si, en bonne orthodoxie marxiste, l’Etat n’a pas à entretenir de rapports avec les religions, l’ironie de la situation en Chine est que l’administration s’est vu amenée à rédiger des règlements concernant les finances, les activités ou la formation des différents groupes religieux, voire à les gérer directement pour mieux les inclure dans le plan de développement national. « Les croyants ont été encouragés à adhérer à des organes patriotiques contrôlés par le gouvernement » (2). Or, après trente années de réformes, la Chine « a changé », déclare encore Liu Peng. Il poursuit en expliquant que, depuis 2007, il a investi « des sommes substantielles », tirées de ses affaires, afin de mener des études sur des communautés religieuses à travers seize provinces du pays ; s’il est trop tôt pour tirer des conclusions de ces études, il ressort que les chrétiens protestants qui pratiquent leur foi dans des « églises domestiques » – c’est-à-dire des lieux de culte non enregistrés auprès de l’officiel Mouvement des trois autonomies –, sont au nombre de 50 millions. Bien que des universitaires chinois aient attribué le considérable essor des communautés protestantes à des « forces occidentales animées de desseins ‘diaboliques’ », Liu Peng rejette une telle explication. Selon lui, les religions, qu’il s’agisse du bouddhisme, du christianisme ou de l’islam, adoptent des formes d’organisation diverses. Il n’est donc pas « facile » de convaincre un fidèle d’adhérer à autre organisation que la sienne et, « en temps de paix », une telle démarche « n’a pas de sens ».

Mais, toujours selon Liu Peng, l’essor des « églises domestiques » protestantes n’est qu’une manifestation parmi d’autres des changements que connaît la société chinoise depuis trois décennies. Il évoque le problème du manque de rigueur dans la gestion financière de certains temples, la profusion de nouveaux groupes qui se fédèrent autour de croyances non reconnues par les autorités, voire même l’implication de groupes religieux dans des activités illégales. Face à ces évolutions protéiformes, « une nouvelle architecture légale est nécessaire, afin que toutes les organisations religieuses puissent rivaliser librement – à la manière de ce qui se produit dans une économie de marché –, le gouvernement n’intervenant que lorsque quelqu’un cherche à agir de manière contraire à la loi ».

La Constitution de la République populaire stipule que les citoyens « jouissent de la liberté de croyance religieuse (et que) l’Etat protège les activités religieuses normales ». Selon Liu Peng, il existe aujourd’hui un consensus parmi les juristes chinois pour dire que l’expression « activités religieuses normales » ne doit pas être interprétée comme l’autorisation donnée à l’Etat d’agir à la manière d’un tribunal religieux, en disant quelles sont les activités religieuses permises. « Les pratiques religieuses diffèrent trop entre elles pour que le gouvernement puisse fonder son jugement sur un critère spécifique », analyse Liu Peng.

En réalité, le mot « normal » devrait être remplacé par « légal », seule réalité qu’il appartienne à l’Etat de définir. De manière très pragmatique, Liu Peng suggère de repousser à plus tard cette correction sémantique, mais il plaide pour le vote d’une loi-cadre sur la religion. En 2004, le Conseil d’Etat, c’est-à-dire l’exécutif, a promulgué des « Règlements relatifs aux affaires religieuses ». Désormais, c’est à l’Assemblée nationale populaire de se prononcer afin de voter un texte conforme à l’Etat de droit qui clarifierait les relations entre, d’une part, les organisations religieuses et, d’autre part, l’Etat. A la manière dont les réformes ont été mises en place en Chine, Liu Peng suggère de lancer des projets expérimentaux dans cinq ou six régions, projets qui pourraient ensuite être étendus à l’ensemble du pays.

Selon le journaliste du China Daily, bien que le gouvernement n’ait pas réagi aux pistes de recherche avancées par Liu Peng, ce dernier se montre « optimiste ». L’équipe au pouvoir fait preuve de plus d’ouverture d’esprit qu’auparavant et « à tout le moins, personne ne m’a demandé de me taire. Ils doivent savoir que je cherche simplement à aider le gouvernement à identifier et à résoudre ses problèmes », conclut le chercheur.