Eglises d'Asie

Les réactions de l’étranger fusent, après la publication de l’article du chercheur Liu Peng

Publié le 25/03/2010




A peine le chercheur Liu Peng avait-il fait paraître dans les colonnes du China Daily sa proposition de rénover la politique religieuse du gouvernement chinois dans le sens d’une plus grande séparation de l’Etat et des religions ainsi que de la mise en place d’un système régi par la loi (1), que des commentaires ont commencé à apparaître à l’étranger.

Parmi les premiers à réagir, on trouve les milieux protestants évangéliques dont les think tanks aux Etats-Unis suivent de près l’actualité chinoise. Chercheur au Global China Center, institution proche du pasteur Billy Graham, Carol Lee Hamrin a coordonné la rédaction d’un ouvrage publié en janvier de cette année, Salt and Light: Lives of Faith That Shaped Modern China (Studies in Chinese Christianity). Selon elle, le simple fait que le China Daily, quotidien à l’audience réduite du fait d’être écrit en anglais mais journal néanmoins très officiel, ait publié l’interview de Liu Peng indique que le débat est ouvert. « L’article est très détaillé et aborde des sujets sensibles », estime Carol Lee Hamrin.

A Los Angeles, Brent Fulton qui préside China Source, un institut proche des milieux évangéliques, pense que l’article de Liu Peng « indique que le gouvernement envisage vraiment de réformer sérieusement sa politique religieuse ; le sujet est à l’ordre du jour ». Brent Fulton se dit également surpris que le China Daily ait imprimé noir sur blanc l’estimation donnée par Liu Peng du nombre des Chinois qui pratiquent au sein des « églises domestiques ». Avec ce chiffre de 50 millions de fidèles, « ils disent très nettement que le Mouvement pour les trois autonomies est loin de fédérer tous les protestants de Chine. Il est clair désormais qu’il y a plus de protestants au-dehors qu’au sein même du Mouvement pour les trois autonomies. Ecrire cela dans un journal a quelque chose de remarquable », note-t-il encore.

En dehors des milieux proches des évangéliques, l’article du China Daily a aussi fait l’objet d’analyses. Selon Nina Shea, directrice du Center for Religious Freedom, du Hudson Institute, organisation promouvant la démocratie parlementaire, reconnaître ainsi l’importance du phénomène des « églises domestiques » est inédit et montre que le régime est plutôt prêt à l’accepter. Toutefois, appuie-t-elle, Liu Peng se trompe en proposant une loi-cadre sur la religion. « Dans les faits, l’esprit des lois faites pour encadrer l’existence légale des religions n’est jamais respecté ; ces lois sont enfreintes ou détournées, explique Nina Shea. Toutefois, il semble bien que la Chine se défasse peu à peu d’une attitude de suspicion très forte à l’égard des religions. Ce changement d’attitude, cette volonté d’accepter le fait religieux est très positif. »

Pour Carol Lee Hamrin, du Global China Center, la perspective d’une loi sur la religion est ce dont la Chine a besoin à aujourd’hui. « En Chine, les gens partent du principe qu’il est interdit de faire telle ou telle chose, à moins que le gouvernement ne vous dise explicitement que vous avez le droit de le faire. Que différentes églises voient leur existence reconnues par la loi représenterait la voie la plus commode pour introduire la liberté de religion – et une telle approche est celle qui paraît la plus adaptée à la culture chinoise », analyse-t-elle, ajoutant : « Pour que des changements positifs adviennent sans violence, il est nécessaire que des intellectuels comme Liu Peng participent au débat ; il faut aussi que les gens qui revendiquent l’exercice de leurs droits légitimes puissent agir. C’est l’interaction des deux qui permettra de progresser. »

Pour les observateurs, la parution de l’article de Liu Peng renvoie à une actualité vieille de quelques années : les 15 et 16 décembre 2001, Pan Yue, à l’époque directeur adjoint du Bureau du Conseil d’Etat pour la Restructuration des systèmes économiques, avait publié deux articles dans des journaux relativement périphériques mais néanmoins importants. Sous le titre : « Quelle perspective avoir sur la religion ? Le point de vue marxiste sur la religion doit évoluer avec le temps », le jeune et ambitieux haut fonctionnaire Pan Yue proposait que le Parti communiste chinois adopte une politique de plus grande tolérance en matière religieuse et allait jusqu’à préconiser l’entrée en son sein de croyants (2).

Face à une administration pour qui les religions doivent faire l’objet d’un étroit contrôle, on peut constater qu’une fraction au moins des intellectuels proches du pouvoir s’efforce avec patience d’introduire des réformes dans ce domaine sensible.