Eglises d'Asie – Cambodge
POUR APPROFONDIR – « Donner un visage cambodgien à l’Eglise » interview Mgr Olivier Schmitthaeusler
Publié le 25/03/2010
Son ordination épiscopale aura lieu le 20 mars 2010 à Phnom Penh. Les propos ci-dessous ont été recueillis le 6 janvier 2010 à Phnom Penh par Etienne Loraillère, journaliste au Centre catholique des communications sociales du vicariat apostolique de Phnom Penh et volontaire MEP.
Pourriez-vous nous raconter la naissance de votre vocation missionnaire ?
Mgr Olivier Schmitthaeusler : Je suis issu d’une famille catholique pratiquante d’Alsace, en France. Mon père a été ordonné diacre permanent trois ans avant mon entrée au séminaire. Mais au fond, dès l’âge de 7 ans, je souhaitais déjà devenir prêtre. J’étais fasciné par le sacerdoce. Je comptais les années qu’il me restait avant de pouvoir entrer au grand séminaire de Strasbourg. J’y ai été admis juste après mon bac à 19 ans, après avoir participé au groupe des vocations du diocèse. A ce moment-là, je souhaitais devenir prêtre pour l’Alsace.
Vous avez été ordonné prêtre pour les Missions Etrangères en 1998. Pourquoi donc votre choix de devenir prêtre missionnaire en Asie ?
A l’époque en France, il y avait encore le service militaire. Je voulais faire ma coopération dans un pays pauvre d’Afrique pour sortir du certain confort de ma jeunesse et découvrir d’autres horizons. Mais le « recruteur » de la Délégation catholique pour la coopération (DCC) était alors un prêtre des Missions Etrangères de Paris, le P. Etienne Perrin, à qui je dois tant. Il a tout de suite remarqué sur mon CV que j’avais participé à un camp découverte-mission en Thaïlande. Il m’a dit : « Vous êtes fait pour l’Asie. » C’est la raison pour laquelle je me suis retrouvé… au Japon.
En quoi l’expérience de volontariat en Asie a été pour vous décisive ?
J’ai enseigné le français à l’université catholique Saint Thomas d’Aquin d’Osaka de 1991 à 1994. J’ai vite été saisi par l’exemple de deux Pères missionnaires MEP du XIXème siècle : Mgr Bernard Petitjean et le P. Marc de Rotz. Ce dernier a même laissé son nom à des pâtes japonaises devenues célèbres, les « Dorosomen » ! J’ai été heureux de découvrir les lieux où ils avaient vécus, rencontrer les communautés catholiques anciennes qui étaient nées grâce à eux. Comment ne pas être impressionné par le don de leur vie et l’annonce de la Parole… Ils ont eu une telle influence sur la vie de leurs contemporains !
Cette expérience a été décisive. J’ai prolongé d’un an ma coopération, et j’ai su, à ce moment-là, que j’étais appelé à servir la mission en Asie. J’étais encore coopérant lorsque j’ai demandé à rentrer aux Missions Etrangères de Paris, en 1994.
Et vous voilà vicaire apostolique coadjuteur de Phnom Penh…
Quand j’ai été ordonné prêtre, j’ai fait graver sous le pied de mon calice ces mots : « Par amour ». J’ai accepté d’être évêque « Par service » avec amour, à cause de Jésus. Je ne suis pas cambodgien mais, depuis douze ans mon cœur, ma vie, ma joie et mes peines, mes espoirs et mes rêves sont ici au Cambodge, avec les Cambodgiens et pour eux. Je n’ai qu’un désir, celui de servir l’Eglise au Cambodge et donner à l’Eglise son identité catholique et cambodgienne.
Seuls quelques-uns au Cambodge se sont laissés toucher par la Parole de Dieu et ont accepté de donner leur vie à Dieu. Mais Dieu est présent pour tous les hommes. On sait bien que, dans la société cambodgienne, il y a beaucoup de rejetés, beaucoup de pauvres, des personnes qui vivent dans la misère et la difficulté. L’Eglise doit être à leur côté. Parce que si l’Eglise ne les accueille pas, qui va les accueillir ? Il est essentiel que l’Eglise continue à déployer cette mission d’hospitalité et d’accueil, qu’elle devienne une Eglise servante où chacun puisse se sentir aimé et accueilli pour ce qu’il est.
L’Eglise catholique ne représente que 0,1 % de la population. Si minoritaire, est-elle donc bien connue de la société cambodgienne ?
Certainement pas encore suffisamment. Des clichés malheureux se sont installés. Les Cambodgiens parlent de « la religion de Jésus » comme d’une religion étrangère et pensent notamment que nous ne respectons pas les parents, après leur mort, en ne faisant pas suffisamment de prières. Et puis être cambodgien signifie être bouddhiste. Pour certains, se convertir au christianisme peut même constituer une trahison à son pays. Le bouddhisme est ici religion d’Etat.
Ceci dit, je pense en particulier à un jeune de Takéo ; il détestait la religion de Jésus, comme ses parents. Mais un jour il est venu à l’église, poussé par des amis. Il a trouvé la Parole de Dieu intéressante, l’attitude des chrétiens l’a intrigué, l’attention aux pauvres également. Peu à peu, il a rencontré Jésus. Il est allé voir ses parents et leur a expliqué. Et tous les clichés que les parents avaient, il les a détruits. Il a reçu le baptême à Pâques dernier. Lorsque les jeunes sont capables de rendre compte de leur foi, je n’ai jamais rencontré aucune opposition de la part des familles.
De nombreux jeunes demandent à entrer dans l’Eglise. Combien en avez-vous baptisés ?
J’ai eu la grâce de baptiser 97 catéchumènes à Chomkartieng et 25 à Kirivong depuis 2002… et marié huit couples !
Avant la guerre, Mgr Emile Destombes n’a baptisé que trois personnes… A quoi attribuez-vous cette évolution rapide des conversions ?
Pour beaucoup de garçons et filles de Takéo ou Kampot, où je fus curé, le catéchisme et la prière à l’église constituent quasiment leur réelle première expérience religieuse. Car, à la pagode, les bonzes ne proposent pas d’enseignement. Les jeunes n’y vont en général qu’une à deux fois par an pour y faire leurs dévotions.
Certains observateurs considèrent que la guerre civile et la cruauté particulière des crimes de masse sous Pol Pot ont engendré une cassure et une perte de confiance dans la capacité du bouddhisme à instaurer la paix et le bonheur dans le pays.
Comment expliquez-vous leur attirance pour le christianisme ?
Ce qui attire les jeunes, c’est l’attitude des chrétiens, la façon de s’aimer les uns les autres. Les Cambodgiens ont souvent cette petite phrase : « Je suis mon seul appui. » Avec les chrétiens, ils font la découverte de la charité, de l’ouverture à l’autre. Et la rencontre de Jésus, qui est un frère, un ami qui tient la main, le Sauveur.
La cérémonie d’entrée en catéchuménat est une très belle cérémonie qui marque ceux qui la font et ceux qui y participent. Devant la croix et la Bible, les catéchumènes, un bâton d’encens entre les mains jointes, sont assis les jambes repliées sur le côté, à la manière cambodgienne. Et ils déclarent publiquement qu’ils prennent l’Eglise, la Parole de Dieu et le Christ comme soutiens. C’est très fort, c’est une révolution, une conversion.
Quel regard portez-vous sur les 450 ans de mission au Cambodge. Pourquoi n’y a-t-il seulement que 20 000 catholiques aujourd’hui dans tout le Cambodge ?
L’Eglise au Cambodge est marquée par son histoire. Jusqu’en 1955, le vicariat apostolique de Phnom Penh incluait le territoire de Cochinchine, dont l’actuel diocèse vietnamien de Hô Chi Minh-Ville. Les 3 500 catholiques khmers d’alors étaient en quelque sorte perdus parmi les dizaines de milliers de fidèles vietnamiens. Seuls quelques pères missionnaires orientaient leurs forces vers les Cambodgiens. Mais, à partir des années du concile Vatican II, Mgr Yves Ramousse a inversé la tendance avec la traduction de la liturgie, rendue obligatoire en khmer. L’Eglise a fourni un travail considérable d’apprentissage de la langue et d’inculturation. Il y a encore un demi-siècle, le clergé missionnaire parlait vietnamien. Maintenant, il parle cambodgien.
Pourquoi l’évangélisation des Cambodgiens semble-t-elle malgré tout si lente ?
Savez-vous comment un Cambodgien perçoit le crucifix quand il passe devant une église ouverte ? D’abord par une réaction d’étonnement ou de rejet. Comment un dieu tout puissant peut-il être crucifié ? C’est inimaginable pour un Cambodgien, d’autant que les notions de Dieu et de personne ne sont pas des concepts présents dans la pensée cambodgienne… Ce n’est pas qu’une affaire de langue. Les difficultés à traduire les mots de la foi chrétienne révèlent la nouveauté du christianisme dans la culture. Ce n’est pas difficile de traduire Jésus… Et ensuite ? Il faut que ce nom prenne un sens.
Comment faire connaître le Christ ?
C’est l’expérience de la rencontre de Jésus qui est décisive. On peut apporter des connaissances sur le christianisme, sur la Bible. On le fait évidemment à travers diverses formations. Mais ce qui compte avant tout, c’est de leur permettre de faire l’expérience de Jésus mort et ressuscité, vivant dans notre vie. C’est cela le plus grand défi.
Dans la paroisse de Chomkar Tieng près de Takéo, quand je suis arrivé, nous avions organisé plusieurs activités le samedi soir. Mais, depuis trois ans, c’est fini. Tous les samedis soir, nous proposons désormais une heure d’adoration et de prière. Il y a des chants. Le Saint Sacrement est là. On écoute ensemble la Parole de Dieu. Si les jeunes ne font pas l’expérience de la présence de Jésus par eux-mêmes, cela ne restera pour eux que des mots vides.
C’est le cœur de notre travail missionnaire : faire connaître Jésus, et découvrir combien nous avons besoin de Jésus pour vivre. Quand on ne le connaît pas, on ne peut pas savoir que l’on a besoin de lui… Les missionnaires, et surtout les communautés chrétiennes, doivent dévoiler combien Jésus donne un sens à notre vie.
Comment renforcer cet élan missionnaire ?
Dans les villages, les petites communautés qui naissent sont très familiales, et la foi y est vive comme dans les Actes des apôtres. Mais à Phnom Penh avec ses 1,4 million d’habitants, c’est plus difficile. Il y a certes deux grandes paroisses. Mais beaucoup de nouveaux convertis ou de jeunes qui viennent travailler et poursuivre leurs études dans la capitale sont perdus. Il n’y a plus de chrétiens autour d’eux pour les pousser, les épauler.
Il nous faut être davantage inventifs pour les soutenir. C’est un appel pour nos communautés à être vraiment accueillantes et à aider les fidèles à oser être missionnaires eux-mêmes. Nous devons multiplier les expériences de rencontre de proximité, par quartier, comme cela est déjà expérimenté dans la paroisse Saint-Joseph, l’une des deux paroisses de la capitale, la plus ancienne. Et ne pas cacher notre identité chrétienne à nos voisins, nos collègues de travail. Déployer la mission en ville constitue un chantier important.
Au cours de ces dix dernières années, vous avez fondé des écoles, un collège, un lycée, et dernièrement un Institut universitaire au milieu de la rizière, loin de la ville. Pourquoi ce pari osé alors que le niveau de scolarisation est extrêmement faible ?
L’éducation est une priorité dans un pays en reconstruction. L’Eglise doit y apporter sa contribution. Elle le fait avec les écoles diocésaines, avec les salésiens et différentes ONG catholiques. Nous devons participer à cet objectif que le gouvernement a fixé pour 2015 : « L’éducation pour tous ».
Par rapport à mon expérience à Takéo et Kampot, je constate qu’en trois ans d’études, les élèves ont le temps d’éprouver la signification de la devise des établissements : responsabilité, solidarité et honnêteté. Dans nos écoles, nous avons essayé de développer un esprit de famille et un enseignement de qualité. Les rizières sont trop petites pour nourrir toute la famille. Il fallait leur permettre d’ouvrir leur regard sur le monde, sur leur culture, sur la société, pour envisager leur avenir et pour qu’« ils aient la vie en abondance ».
Depuis 2007, Mgr Emile Destombes vous a confié la charge de vicaire général. Vous connaissez déjà bien le vicariat apostolique de Phnom Penh. Quelles sont pour vous aujourd’hui les urgences ?
Une grande urgence à mes yeux, c’est de vivre toujours mieux la communion dans notre Eglise locale. Dans les villages, il y a des petites communautés cambodgiennes, nouvelles pour la plupart. Et le long du fleuve, il y a de nombreuses communautés vietnamiennes. Depuis 1970, le défi consiste à faire de ces deux groupes une seule communauté. On a longtemps parlé de « khmérisation » depuis la décision de ne plus célébrer en vietnamien. Je n’aime pas beaucoup ce terme. Comme si les Vietnamiens allaient devenir khmers ! Nous devons apprendre à vivre ensemble, nous apprécier tels que nous sommes, nous accueillir mutuellement, nous pardonner. Nous sommes appelés à nous reconnaître comme étant de l’Eglise du Cambodge en poursuivant les efforts pour que la langue cambodgienne soit la langue de la liturgie, des réunions, etc.
Par ailleurs, trente congrégations et instituts missionnaires de plus de vingt nationalités différentes sont présents dans le vicariat apostolique de Phnom Penh. Autant de sensibilités, de visions de l’Eglise, de cultures différentes. C’est une grâce pour la mission par la diversité des charismes. Mais nous devons construire ensemble l’Eglise du Christ. Car c’est cela notre but. Comment le faire ? Si nous sommes heureux ensemble dans un esprit de paix, heureux de travailler à la mission ensemble, heureux de se retrouver, de partager, alors cela transpirera.
Les Missions Etrangères de Paris ont pour objectif de former l’Eglise locale. Comment le mettrez-vous en pratique ?
Toute mon attention va aux prêtres cambodgiens. Non seulement aux prêtres, mais aussi aux religieuses, aux séminaristes, à l’éveil des vocations aussi bien sacerdotales, religieuses que laïques.
Pour l’Eglise, le grand défi pour le quart de siècle à venir consiste à donner un visage cambodgien à l’Eglise. Et cela ne passera que par les Cambodgiens. A quoi bon multiplier les activités, les écoles, les hôpitaux, les programmes sociaux si nous ne savons pas susciter des vocations au Cambodge ? C’est d’ailleurs aux communautés de relayer les appels du Seigneur. Le renforcement de la formation des laïcs doit permettre aux Cambodgiens de prendre davantage de responsabilités dans notre Eglise.
Dans le vicariat de Phnom Penh, il n’y a que deux prêtres cambodgiens, cinq dans l’ensemble du pays. Avec les cinq séminaristes au grand séminaire de Phnom Penh, ils ont une place toute particulière dans mon cœur.
Il faudra s’armer de patience pour voir l’éclosion de vocations plus nombreuses. La famille chrétienne n’est-elle pas le meilleur terreau pour les vocations sacerdotales ? Au Cambodge, la première génération de catholiques après la guerre commence tout juste à se marier… Il faut de la patience, beaucoup de prière et d’amour.
« N’aie pas peur, c’est moi », dit le Seigneur. Faisons-lui confiance et avançons à sa suite, unis, pour qu’ils aient la vie en abondance.