Eglises d'Asie

Quand le China Daily fait l’apologie des Eglises domestiques de Pékin

Publié le 08/04/2010




Que le christianisme en Chine, notamment dans les grandes villes, soit en expansion, le fait est connu. Que ce soit le protestantisme qui se développe le plus vigoureusement, les études disponibles l’indiquent. Que ce soit la presse officielle, sous la forme d’un article dans le China Daily, qui s’en fasse l’écho, voilà qui est plus inhabituel. C’est pourtant ce que l’on a pu lire dans l’édition du 17 mars dernier de ce quotidien anglophone.

Sous le titre « Les Eglises domestiques prospèrent à Pékin », le journal, dont l’audience est limitée auprès du public chinois du fait de son caractère anglophone, consacre, dans la section relative à la capitale, une pleine page à ce phénomène en plein essor où des protestants, souvent des convertis, choisissent de vivre leur foi au sein d’assemblées non enregistrées auprès de l’officiel Mouvement des trois autonomies (1). Celui-ci chapeaute les activités « officielles » des protestants en Chine et représente l’équivalent, pour les catholiques, de l’Association patriotique des catholiques chinois.

Le China Daily présente notamment le témoignage d’un jeune converti, Simon Zhang. Agé de 22 ans, celui-ci a choisi de ne s’identifier que par son prénom chrétien et son nom de famille. Il explique être devenu chrétien deux années plus tôt, lors d’un questionnement sur le sens de la vie. « Les gens se sont demandés pourquoi j’étais prêt à me remettre si totalement en question. Les jeunes de mon âge sont préoccupés par des choses plus terre-à-terre, comme les études, la recherche d’un travail ou encore les relations amoureuses », explique-t-il au journaliste du China Daily. A 20 ans, Zhang n’avait rien d’un déclassé ou d’un jeune adulte en difficulté : très bien noté, il obtient une bourse après chacun de ses examens ; bien dans sa peau, il développe une relation avec une jeune fille ; débrouillard, il décroche un stage dans une entreprise étrangère de la liste de Fortune 500. Mais il explique aujourd’hui qu’il cherchait quelque chose de plus, quelque chose de différent. « De bonnes études, une petite amie, la perspective d’une carrière brillante, tout cela voulait dire quelque chose pour mes pairs, mais je trouvais cela insignifiant et de peu d’attrait. Rien ne me passionnait », rapporte-t-il, avant qu’un ami ne lui prête une bible.

« En dépit du fait que j’étais plutôt un sceptique, je n’ai pas hésité longtemps quand j’ai commencé à croire en Jésus, poursuit-il. Tout à coup, toutes les questions que je me posais sur la vie ont trouvé une réponse. Qu’est-ce qui peut être plus extraordinaire que ça ? » A ce stade du récit de la conversion, le China Daily écrit que si la conversion de Simon Zhang semble être allé de soi, le choix d’une Eglise a été plus ardu. « Dans certaines Eglises, il est demandé de contribuer financièrement à chaque fois que l’on vient et le célébrant dit que ceux qui ne donnent pas rencontreront des difficultés au plan spirituel, explique le jeune Zhang. Je n’aime pas l’idée que je suis jugé en fonction du montant ou de la fréquence de mes dons. »

Le parcours semé d’embuches, à lire le China Daily, se poursuit : Simon Zhang apprend qu’au Jiangxi, sa province natale, des organisations criminelles se font passer pour des Eglises domestiques et organisent des assemblées où ont lieu des vols, des viols et des meurtres. « Depuis (que je sais cela), j’évite les réunions secrètes, quelle qu’elles soient. La clandestinité peut mener bien trop loin », affirme le jeune converti, qui a cessé de fréquenter une Eglise après que ses responsables eurent distribué des livrets dont le contenu n’avait pas trait à des questions spirituelles.

Aujourd’hui, apprend-on enfin, Simon Zhang a trouvé la paix depuis qu’il fréquente une Eglise domestique du district de Haidan, principal quartier étudiant de la capitale. Son Eglise compte quelque 700 membres et les réunions ont lieu le plus souvent au grand jour, sans que les autorités y fassent obstacle. En conclusion, le journaliste du China Daily écrit que Simon Zhang pose un regard neuf sur sa vie, ses études et sa petite amie.

Dans l’article principal du quotidien anglophone, les raisons invoquées pour expliquer l’essor des Eglises domestiques à Pékin sont avant tout d’ordre pratique. Avec 50 000 protestants enregistrés auprès du Mouvement des Trois autonomies et seulement 17 lieux de culte, on compte un temple protestant pour 3 000 fidèles à Pékin. Jacob Sun, 38 ans, professeur de philosophie dans une université pékinoise, est cité dans l’article. Il explique avoir fréquenté les temples « officiels » – au sens de « dûment enregistrés comme tels » – durant cinq ans après son baptême en 1999, mais que, depuis, il ne se rend plus que dans des Eglises domestiques. « Pour le service du dimanche, des milliers de personnes se pressent dans les églises des Trois autonomies et il arrive que vous puissiez à peine entendre ce qui se dit, témoigne-t-il. Avec autant de gens, on peut difficilement se recueillir et partager. »

Un autre converti, Abel Li, cadre dans une entreprise de Zhongguancun, secteur de la capitale qui concentre les activités de recherches et de productions high-tech, confirme l’attrait des petites assemblées que l’on trouve dans les Eglises domestiques. « L’Eglise dont je fais partie compte 300 personnes et c’est idéal comme cela. Je peux mieux entrer en relation avec les autres et nous avons de meilleurs contacts entre nous avant et après les services religieux. Nous avons aussi des cercles d’amitié qui réunissent les gens par affinités, professionnelle par exemple », explique-t-il.

La deuxième raison invoquée par le China Daily pour expliquer l’essor des Eglises domestiques est l’attitude de plus grande tolérance témoignée par les autorités vis-à-vis de ce phénomène. Cao Zhongjian, chercheur spécialisé sur les questions religieuses en Chine à l’Académie des Sciences sociales de Chine, précise qu’auparavant, les Eglises domestiques devaient continuellement changer de lieux pour se réunir, passant d’un bureau à un réfectoire ou à un appartement privé. Désormais, moins harcelées par la police, elles peuvent se permettre d’établir des lieux de culte permanents. Abel Li est à nouveau cité à ce propos, l’Eglise dont il est membre s’apprêtant à acquérir un vaste local dans un immeuble de bureau de Zhongguancun pour la somme de 22 millions de yuans (2,4 millions d’euros). « Nous n’aurons plus à errer d’un lieu à l’autre ou à nous entasser dans un petit appartement », affirme Abel Li.

Le journal continue en expliquant que nombreuses sont les Eglises à prendre des initiatives pour favoriser l’esprit de communion et d’entraide. Lily Zhou, 25 ans, étudiante en arts, est citée à ce titre. Membre d’une Eglise d’une cinquantaine de membres, elle y a été attirée notamment parce que le pasteur et ses proches mettaient en ligne, sur Internet, enseignements et prières. « Du fait de mes études, je suis souvent en-dehors de Pékin et il m’arrive de manquer le service du dimanche. Internet me permet de rester connectée avec mes coreligionnaires », précise-t-elle.

En conclusion, le China Daily estime que les Eglises domestiques ont de beaux jours devant elles et continueront d’évoluer dans « une zone grise », ni tout à fait interdites, ni tout à fait autorisées. S’exprimant sous le sceau de l’anonymat, un employé d’un des 17 temples de Pékin enregistrés auprès des Trois autonomies explique que les Eglises domestiques vont continuer à se développer, y compris de manière visible, avec des lieux de culte permanents, mais qu’elles ne parviendront pas à gagner une existence officielle. « Des Eglises domestiques ont bien demandé à être officiellement enregistrées par les autorités, mais leurs demandes ont été rejetées. La raison en est que leur clergé n’a pas été formé sous la tutelle des Trois autonomies », précise-t-il.