Eglises d'Asie

A la veille des élections législatives, les évêques catholiques ont dénoncé un Etat « sans loi » qui fait taire les médias

Publié le 08/04/2010




Les évêques catholiques du Sri Lanka, qui n’ont de cesse depuis plusieurs mois de dénoncer la violence et la répression qui sévit dans le cadre des élections – présidentielles comme législatives, en janvier et avril dernier – ont condamné la récente attaque de l’un des plus importants médias indépendants du pays.Le lundi 22 mars dernier, un groupe d’environ 200 personnes, …

… dont certaines étaient armées, a caillassé les bureaux de Sirasa Media (MBC/MTV) (1) à Colombo, blessant quatre personnes, endommageant les locaux et les voitures garées devant l’immeuble. Les assaillants, qui, selon certaines sources locales, comprenaient des militants à la solde du gouvernement, protestaient contre le sponsoring par le groupe média d’un concert du chanteur de R&B américain Akon. Les manifestants brandissaient des pancartes où il était écrit : « Ne laissons pas Akon venir au Sri Lanka » ou encore « Chassons Sirasa FM ». Par ailleurs, plus de 15 000 internautes s’étaient inscrits sur la page appelant au boycott du chanteur, créée pour l’occasion sur Facebook.

A l’origine de la colère des manifestants : le clip-vidéo du chanteur intitulé Sexy Chick, montrant des femmes en bikini en train de se déhancher lascivement devant une statue du Bouddha. Une profanation de leur religion, pour les bouddhistes sri-lankais (2). « Jusqu’à ce jour, je n’étais absolument pas au courant que cette statue paraissait sur le clip, s’est défendu le chanteur. Je n’ai jamais voulu blesser les sentiments religieux de qui que ce soit, ni porter atteinte à aucune croyance. Je suis moi-même croyant et je peux donc comprendre pourquoi ils sont en colère, mais la violence n’est jamais une bonne réaction et je suis très choqué de [ce qui s’est passé au Sri lanka]. » Deux jours plus tard, le gouvernement sri-lankais faisait part de sa décision d’annuler le concert d’Akon prévu fin avril ainsi que du retrait de son visa d’entrée, en raison de son manque de respect de « le patrimoine culturel du pays ».

Pour bon nombre d’observateurs, l’intervention de Colombo dans l’affaire Akon porte la marque du clergé bouddhiste conservateur, auquel le président Mahinda Rajapaksa doit sa récente réélection (3), et n’est qu’un prétexte pour censurer davantage un média qui était devenu gênant à la veille des législatives. « Le motif ne nous semble pas encore très clair, mais nous pensons que cette attaque était politique, notamment en raison des élections parlementaires », avait alors déclaré le 23 mars à Reporters sans frontières (RSF), un responsable de MTV.

Dans sa déclaration parue le 26 mars dernier, la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka (CBCSL) qualifie l’attaque de MBC/MTV, un média considéré comme l’une des rares voix de l’opposition, d’« acte voyou qui a pour conséquence de détruire le bien commun », et de « triste exemple » pour les jeunes générations. « Nous appelons tous les responsables du maintien de l’ordre et de la loi à faire leur devoir indépendamment de toute influence politique ou autre, afin que les coupables soient arrêtés », demandent les évêques, qui insistent sur le fait que l’agression s’est produite juste avant le vote du 8 avril et qu’aucune violence ne devrait être exercée à l’encontre des citoyens « avant, pendant et après » les élections.

« Nous réaffirmons que les conditions nécessaires à l’exercice du droit de vote, à savoir le respect de la liberté de conscience, la non-violence et la justice, doivent être maintenues à tout prix afin que les élections générales à venir puissent se faire en toute liberté et transparence », déclaraient encore les évêques.

Comme les Eglises chrétiennes du Sri Lanka, de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme, ainsi qu’Amnesty International, RSF ou encore le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) ont à maintes reprises alerté la communauté internationale sur les graves atteintes à la liberté de la presse dans le pays, en particulier au plus fort de la guerre entre Colombo et les forces séparatistes tamoules en 2009, et plus récemment depuis la réélection de Mahinda Rajapaksa début 2010 (4).

Selon les rapports de RSF des 12 et 23 mars derniers, le contrôle de l’information par le gouvernement s’était encore renforcé à la veille des élections législatives. La censure sur Internet (blocage des sites lors des élections), l’arrestation le 15 mars d’un journaliste proche du général Fonseka, ex-rival du président, et la disparition du caricaturiste politique Prageeth Eknaligoda depuis le 24 janvier sont quelques-uns des exemples cités par l’ONG pour définir l’oppression dont les médias sont victimes au Sri Lanka, pays qu’elle classe dans la liste des dix Etats où la liberté de la presse est la plus bafouée. Tout en condamnant l’agression du 22 mars contre MTV, l’organisation a rappelé que le même média avait déjà subi l’attaque d’un groupe armé en janvier 2009, quelques jours avant l’assassinat du journaliste Lasantha Wickramatunga, de religion chrétienne (5). La Conférence des évêques du Sri Lanka et toutes les confessions chrétiennes avaient fait part à l’époque de leur profonde inquiétude quant à « une stratégie globale qui s’intensifi[ait], visant à réduire les médias au silence ».

Le 30 mars dernier, devant l’une des gares de Colombo, s’est tenue une manifestation de protestation silencieuse contre la censure et la répression envers les journalistes. Les manifestants, des baillons sur la bouche, tenaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Laissez-nous dire la vérité ! »