Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Chemins difficiles vers la réconciliation

Publié le 19/05/2010




Présents au Sri Lanka depuis 1847, les missionnaires Oblats de Marie Immaculée (OMI) ont marqué l’histoire de l’église catholique dans ce pays. Arrivés à Mannar, dans le nord de l’île, ils sont progressivement descendus vers le sud et le sud-ouest, contribuant à fonder les diocèses de Mannar, Jaffna, Colombo, Chilaw et Anuradhapura. Aujourd’hui encore, leur présence est forte, …

avec près de 250 religieux, répartis en deux provinces (Colombo et Jaffna). Dans l’article ci-dessous, paru dans le numéro du printemps 2010 de JPIC Report, le bulletin interne aux OMI, le P. Oswald Firth, Oblat sri-lankais *, expose le besoin de réconciliation que la société sri-lankaise connaît et les voies par lesquelles une telle réconciliation entre Cinghalais et Tamouls pourrait advenir. Si les Cinghalais sont majoritairement bouddhistes et les Tamouls majoritairement hindous, l’Église catholique présente la particularité de compter des fidèles au sein des deux communautés ethniques du Sri Lanka.

 

Les élections présidentielles de janvier 2010 au Sri Lanka, considérées par beaucoup comme un tournant pour un pays embourbé dans une guerre de trente ans, et comme signe avant-coureur d’une paix durable, ont laissé le pays toujours aussi divisé, au plan ethnique (1).

Depuis son indépendance du Royaume-Uni, en 1948, le Sri Lanka, une splendide île-nation, réputée pour la beauté de ses paysages et l’hospitalité de ses habitants, abrite plus 14 millions de Cinghalais et quatre millions de Tamouls, sur une population de 20 millions d’habitants. Le solde est constitué de différentes minorités qui vivent pacifiquement parmi les deux communautés principales.

Les Tamouls, majoritaires au nord et à l’est de l’île, ont toujours ressenti qu’ils n’étaient pas traités justement par les gouvernements postcoloniaux successifs, à prédominance cinghalaise. Les efforts politiques non violents, entrepris par les leaders tamouls, pour obtenir les mêmes droits que la majorité, en matière de langue et d’autogestion ont échoué. Ceci a conduit des portions de la jeunesse tamoule à avoir recours aux armes, afin d’obtenir un État séparé au Nord et à l’Est, considéré par les Tamouls comme leur « patrie traditionnelle ». Ces efforts séparatistes ont été écrasés en mai 2009, dans une défaite sanglante des Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) et la mort de la plupart de leurs leaders.

L’ élection présidentielle récente n’apporte aucune solution aux griefs de longue date des Tamouls. Le pays se trouve maintenant dans une ambiance d’après-guerre et d’après-élection. Seuls 20 % des inscrits ont voté dans le Nord, ce qui signifie, à l’évidence, que les Tamouls ne font pas confiance aux politiciens cinghalais du Sud, pour garantir leur autonomie régionale et leur autogestion. 63 % de ces votes sont allés au général Sarath Fonseka et 24 % à Mahinda Rajapaksa, l’actuel président, non pas parce qu’ils préféraient le chef des armées qui a mis en déroute les féroces Tigres de Libération, mais parce qu’ils détestent Mahinda Rajapaksa.

Les Tamouls n’ont donc pas oublié la « guerre sans témoins ». Le printemps dernier, plus de 350 000 civils innocents ont été parqués dans une « zone de non-guerre », où au moins 20 000 d’entre eux ont été fauchés et massacrés sans pitié. Ceux qui ont réussi à s’enfuir ont été traités comme des prisonniers de droit commun et entassés en des camps entourés de barbelés, d’où ils ne pouvaient fuir, jusqu’à ce que les camps soient finalement ouverts, au début décembre 2009. Ces événements sont encore très présents à l’esprit des Tamouls.

Les gens au nord souffrent de fatigue et d’apathie. Comme le gouvernement a refusé les secours médicaux essentiels aux internés dans les camps, et surtout la liberté de mouvement, il verra rejeté tout effort de sa part qui ne comporte pas de solution politique. Les Tamouls pensent que cet ultime épisode a scellé définitivement leur sort de communauté laissée à l’abandon.

Guérison et réconciliation supposent nécessairement de reconstruire la confiance. À l’évidence, ce sera un parcours qui prendra du temps. Pour qu’un jour cela arrive, il faut un effort de part et d’autre. Tamouls et Cinghalais ont vécu longtemps ensemble, quand n’intervenaient pas les figures politiques qui maintenant sèment les dissensions raciales et utilisent la division comme d’une arme politique. La réconciliation sera difficile, et les efforts devront commencer au niveau des communautés.

Les Oblats de Marie Immaculée ont montré le chemin dans l’indispensable travail pour réparer les dégâts, intervenus dans le tissu de ces relations. L’ an dernier, ils ont formé de petites équipes de religieuses – des Cinghalaises parlant le tamoul – pour visiter les camps et se mêler aux femmes tamoules et à leurs familles. Elles appelaient cela un « ministère de présence » et ce fut un succès. Les religieuses ont progressivement mis sur pied près de vingt écoles Montessori, pour les enfants dans les camps. Si l’on estime que 100 000 personnes environ vivent encore dans les camps, ces écoles sont très importantes (2). Elles scolarisent près de 750 enfants. Des coeurs endurcis ont commencé à s’attendrir. Les tensions et les peurs ont commencé à se dissiper. Des signes ténus de confiance apparaissent. En décembre dernier, les Oblats et les Soeurs ont amené les enfants La-Kri-Vi (« Coeurs Vaillants »), du Sud, passer Noël dans les camps. Les enfants des deux communautés ont échangé des cadeaux, ont chanté et joué des sketches. Quand le temps du départ est arrivé, regrets et larmes l’ont accompagné. Ainsi, des blessures commencent à se refermer un peu, grâce aux enfants.

Les Oblats montrent encore le chemin et font progresser la réconciliation de la manière suivante. Les conseils provinciaux et les provinciaux des deux Provinces – Colombo et Jaffna –, dans l’une de leurs sessions conjointes, ont décidé de rétablir le prénoviciat dans le Nord – où régnait, il y a peu, une guerre sans merci. Les candidats à la vie oblate vont vivre et apprendre ensemble à être missionnaires des pauvres, dans les deux communautés. Cette décision marquera une nouvelle étape dans la promo-tion d’un esprit d’harmonie et de dialogue, entre les deux communautés. Il s’en suit comme une obligation pour les candidats cinghalais de s’exprimer en tamoul et vice-versa ; les uns et les autres deviendront ainsi, comme le disait Jean Paul II, dans l’un des messages pour la Journée de la paix, « des artisans d’une nouvelle humanité ».

L’Église locale est présente au sein de toutes les communautés ethniques, avec leurs valeurs culturelles profondément enracinées et leurs traditions qui ont surmonté l’épreuve du temps ; elle fait partie du corps vivant du Christ et doit être en première ligne, pour répondre aux doléances légitimes de ces communautés, dans la recherche de la paix. Dans ce contexte, les Oblats, qui ont cent cinquante ans d’expérience à leur actif et sont la congrégation masculine la plus nombreuse de l’Église sur cette île, peuvent devenir un signe visible et comme une référence pour les autres congrégations religieuses qui s’engageraient sérieusement dans ce ministère de paix et de réconciliation au plan national.