Eglises d'Asie

Les Eglises chrétiennes et les ONG dénoncent l’attitude du gouvernement après les attentats contre les Ahmadi, qui ont fait une centaine de morts

Publié le 07/06/2010




« Les responsables [de l’attentat du 28 mai] doivent être traduits en justice sans délai et le gouvernement doit indemniser les familles de ceux qui ont été tués ainsi que les blessés », ont déclaré dans un communiqué de presse datée du 31 mai, le P. Emmanuel Yousaf et Peter Jacob, à la tête de la Commission nationale ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan (NCJP).

Cinq jours après les attentats meurtriers de Lahore, dans la province du Pendjab, les Ahmadi (1) continuent d’enterrer leurs morts. Le bilan des attaques contre deux mosquées de cette minorité religieuse du Pakistan ne cesse de s’alourdir, avec, encore le mardi 1er juin, l’attaque meurtrière aux petites heures du jour d’un hôpital où était soigné l’un des terroristes, blessé dans l’attentat de vendredi (2). Et selon l’édition du 29 mai du Washington Post, la veille des attaques, des tireurs non identifiés auraient tué dans une embuscade trois hommes d’affaires ahmadi à Faisalabad, également dans la province du Pendjab.

 

Les attentats ont eu lieu le 28 mai dernier, lors de la prière du vendredi. Deux attaques simultanées visant la mosquée ahmadi de Model Town, une zone huppée et résidentielle, et celle de Garhi Shahu, un quartier populaire, près de la gare centrale de Lahore. Selon des sources locales, les lieux de culte étaient bondés et rassemblaient ce jour-là plus de 1 500 fidèles chacun. Les assaillants, âgés de 17 à 28 ans, étaient munis d’armes à feu et de grenades et comptaient parmi eux des kamikazes avec des ceintures bourrées d’explosifs. Après avoir pris d’assaut les mosquées et pris en otages les fidèles en se barricadant avec eux, les terroristes, qui étaient une dizaine, ont échangé des tirs nourris avec la police, qui avait encerclé les lieux, et certains se sont suicidés à l’explosif, entraînant avec eux des dizaines de victimes. Plusieurs heures ont été nécessaires pour que les forces de l’ordre (qui auraient, selon les témoignages des otages, mis très longtemps à intervenir malgré leurs appels à l’aide lancés depuis leurs portables) reprennent le contrôle des mosquées, révélant l’étendue du carnage : près d’une centaine de morts et le même nombre de blessés graves, selon un bilan qui n’est pas encore définitif.

 

La police a indiqué que les terroristes (dont certains sont décédés dans l’attentat) seraient venus du Nord-Waziristan, l’un des fiefs des talibans sunnites, considéré comme une des bases d’Al-Qaeda, et auraient bénéficié de l’aide de complices locaux. Il s’agit de l’opération commando contre des lieux de culte sur le territoire pakistanais, la mieux coordonnée et la plus sanglante de ces dernières années.

 

Les Eglises chrétiennes du Pakistan, les associations humanitaires, les organisations de défense des droits de l’homme et des minorités ont toutes fermement condamné cette action, qui, selon elles, sont essentiellement dues à l’inaction du gouvernement qui connaissait les menaces qui pesaient ces derniers temps sur la communauté ahmadi. Le 29 mai, au lendemain des attentats, Nazir S. Bhatti, président du Congrès chrétien du Pakistan (Pakistan Christian Congress, PCC), parti politique chrétien, a déclaré avoir fréquemment mis en garde les autorités, en vain, contre l’augmentation des actions djihadistes au Pendjab, faisant de la province « un volcan susceptible d’entrer en éruption à tout moment ». Depuis les attentats du 28 mai dernier, son parti réclame avec force la démission de Shahbaz Bhatti, ministre fédéral pour les Minorités, ainsi que celle de son homologue de la province du Pendjab, pour avoir failli à leur devoir de protection des minorités.

 

Quant à la communauté ahmadi elle-même, le 30 mai, ses leaders ont tenu pour la première fois une conférence de presse à Lahore, afin de dénoncer la discrimination grandissante dont les Ahmadi sont victimes depuis l’adoption d’un amendement à la Constitution en 1974 qui les a mis au ban de la communauté islamique. Une situation qui s’est encore durcie en 1984 lorsque le président Zia ul-Haq a encore restreint leurs libertés religieuses, leur interdisant tout prosélytisme, l’appel à la prière, la publication de versets coraniques et surtout la revendication de leur appartenance islamique, légitimant ainsi pour les extrémistes la nécessité de les tuer en tant que profanateurs de l’islam.

 

« Aucune forme de terrorisme n’a sa place en islam et ceux qui sont derrière ces attaques ne peuvent justifier celles-ci au nom de la religion (…). Les Ahmadi sont une communauté pacifique (…). Notre salut tient dans notre confiance en Allah et nous croyons qu’il nous aide et nous aidera toujours », ont-ils déclaré à la presse. Le chef de la communauté, Mirza Ghulam, a également rappelé que les Ahmadi avaient joué un rôle important lors la fondation du Pakistan et dans la défense du pays, sacrifiant leurs vies pour une patrie qui aujourd’hui ne les reconnaissait ni ne les protégeait.

 

Ce même dimanche 30 mai, de nombreuses ONG et organisations de défense des droits de l’homme manifestaient contre les attentats du 28 mai et dénonçaient la responsabilité de l’Etat. La manifestation, organisée par l’Institute for Peace and Secular Studies (IPPS), rassemblait des organismes comme l’Awami Jamhori Forum (AJF), un mouvement démocratique, le South Asia Partnership (SAP), une organisation internationale, la Women Workers Help Line (WWHL), ONG pour le développement et les droits de l’homme, ou encore le Labour Party Pakistan (LPP), un parti d’extrême gauche, ainsi que de différentes organisations humanitaires.

 

Rassemblés devant le club de la presse de Lahore, les manifestants brandissaient des écriteaux où l’on pouvait lire : « Le gouvernement doit protéger la communauté opprimée des Ahmadi. » Ils ont également demandé aux autorités qu’elles censurent les écrits incitant à la haine envers les minorités, comme elles l’avaient fait pour Facebook dans l’affaire des caricatures de Mahomet (5). Parallèlement, la All-Pakistan Minorities Alliance a tenu un meeting spécial mené par son président, Tahir Naveed Chaudhry (qui a pris la suite de Shahbaz Bhatti, aujourd’hui décrié en tant que ministre fédéral pour les Minorités). Le leader militant a demandé à ce que le gouvernement lance des opérations militaires contre les activistes talibans et s’engage à protéger réellement les minorités du Pakistan.

 

La plupart des associations chrétiennes et de défense des droits de l’homme n’ont pas manqué par ailleurs de faire remarquer que l’attitude du gouvernement vis-à-vis des victimes des attentats avait démontré le peu de cas qu’il faisait des Ahmadi. Mis à part le ministre de l’Intérieur Rehman Malik, aucun officiel ne s’est déplacé et aucune indemnisation des victimes n’a encore été annoncée, contrairement à ce qui s’était passé à la suite de précédentes attaques terroristes. Hina Jilani, directrice pour le Pendjab de la Commission pour les droits de l’homme au Pakistan, a elle aussi souligné, auprès du Daily Times, « le comportement honteux » du gouvernement envers les victimes tout en réitérant l’information selon laquelle le gouvernement du Pendjab avait été averti des menaces concernant les Ahmadi de Lahore mais n’avait pris aucune mesure.