Eglises d'Asie

Dans les trois provinces à majorité musulmane du sud du pays, la violence persiste

Publié le 13/09/2010




Le 7 septembre dernier, un couple d’enseignants, tous deux bouddhistes et instituteurs dans une école publique de la province de Narathiwat, dans le sud du pays, ont été tués alors qu’ils se rendaient à mobylette, tôt le matin, à leur travail. Le tueur les a criblés de balles à l’arme automatique en les dépassant sur un autre deux-roues. Le lendemain, en signe de protestation, la Fédération des enseignants de Narathiwat a appelé…

… les quelque trois cents établissements scolaires de la province à fermer leurs portes, tandis qu’à Bangkok, le Premier ministre Abhisit Vejjajiva promettait qu’il se rendrait dans le sud thaïlandais « dès que possible ».

Depuis le 4 janvier 2004, les trois provinces les plus méridionales de la Thaïlande, Pattani, Yala et Narathiwat, sont la proie d’une insurrection larvée, les rebelles demandant le rattachement de cette région majoritairement musulmane à la Malaisie toute proche (1). Au-delà de la revendication politique, qui s’appuie sur le fait que, jusqu’en 1909, les trois provinces faisaient partie d’un sultanat de Malaisie, le conflit, particulièrement meurtrier, a des causes multiples et complexes. Un récent rapport de police recense 4 137 morts et 7 135 blessés en l’espace de six ans. Les attentats, attaques à l’arme automatique ou à la bombe, se succèdent dans ces provinces où les populations majoritairement malaises et de religion musulmane sunnite, offrent un contraste marqué avec le reste de la Thaïlande, essentiellement bouddhiste. Les insurgés prennent généralement pour cibles des personnes qu’ils considèrent comme étant des « collaborateurs » du régime thaïlandais : soldats, policiers, membres de l’administration ou enseignants (on dénombre 135 morts parmi ces derniers). Le mode opératoire est souvent le même : les personnes visées sont abattues alors qu’elles se rendent à leur travail en mobylette. L’insécurité n’est toutefois pas du seul fait des insurgés musulmans, la population locale se plaignant amèrement de l’attitude des forces armées et des nombreuses exactions commises par elles ou les milices qui leur sont liées. De plus, la région est connue pour abriter d’importants réseaux de trafiquants de drogue (2).

Le climat de peur qui pèse sur la vie des populations locales a forcé nombre de non-musulmans à refluer plus au nord. Les catholiques, qui constituent une toute petite minorité, ne sont que 400 fidèles à peine pour l’ensemble des trois provinces. L’Eglise est toutefois relativement présente dans la région, notamment par le biais d’établissements scolaires.
Dans la province de Yala, Veerawat Buakaew enseigne à l’école Mana Suksa, une école primaire et secondaire de plus de 800 élèves. L’action meurtrière du 7 septembre l’inquiète, mais il se déclare prêt à rester sur place. « Lorsque j’ai commencé à enseigner ici, il n’y avait pas autant d’attaques. Mais j’ai créé des liens avec mes élèves et c’est aussi pour cela que je ne veux pas les quitter », témoigne-t-il à l’agence Ucanews (3). Lucide, il ne cache pas que chaque jour est vécu dans la crainte d’une action terroriste. Chaque aller-et-retour entre son domicile et l’établissement scolaire peut être le dernier. « Je ne sais pas ce qui va se passer au tournant de la rue. Parfois, on trouve des grenades. J’ai peur », explique-t-il encore.

Pour la directrice de l’école Mana Suksa, Sœur Jenta Rattanasakchaichan, « l’attaque qui vient d’être commise a eu un fort impact sur le moral des enseignants ». Pour prévenir le danger, un réseau de 16 caméras de surveillance a été installé tout autour de l’école il y a deux mois et les enseignants ont pour consigne de retourner chez eux immédiatement après le travail, sans attendre la tombée du jour. Si le conflit oppose les insurgés, issus de la population locale malaise et musulmane, aux représentants du pouvoir central, thaïs et bouddhistes, les chrétiens sont assimilés à ces derniers. Le 1er septembre dernier, la directrice d’une autre école catholique, Sœur Lawan Kokkruo, de l’école Charoensi Suksa, dans la province de Pattani, a échappé de peu à la mort lorsqu’une bombe a sauté à un checkpoint situé juste à l’extérieur de son établissement. Lorsque l’engin a explosé, personne ne se trouvait à proximité et les dégâts n’ont été que matériels.

En dépit de ce contexte tendu, l’Eglise locale veut croire que la cohabitation entre les communautés ethniques et religieuses est possible. En janvier dernier, le diocèse de Surat Thani a ainsi lancé un programme de formation pour 3 500 musulmanes, dont le mari était mort ou handicapé à la suite d’actes de violence. Financé par l’Union européenne, le programme, qui durera trois ans, vise à leur faire acquérir un savoir-faire professionnel leur permettant de nourrir leur foyer. Il vise également à améliorer les relations entre la population locale et les autorités, relations le plus souvent empreintes de défiance. Le P. Suwat Luang-sa-ard, directeur du Centre diocésain de développement social, précise que le gouvernement mène des programmes similaires mais que, contrairement à ceux mis en place par le diocèse, ceux-ci ne touchent pas les villages des régions rurales, notamment celles des « zones rouges » où les représentants des autorités ne se risquent pas à pénétrer.

Enfin, une autre initiative de l’Eglise catholique a été récemment lancée pour désamorcer la méfiance entre les communautés. Directeur du Centre de recherche pour la paix au sein de la prestigieuse université Mahidol à Bangkok, Kothom Areeya, laïc catholique, a initié avec six de ses pairs une marche pour la paix de 1 100 km pour relier la capitale du royaume aux trois provinces du sud. Les marcheurs sont arrivés début septembre à la Grande Mosquée de Pattani, en ayant passé chaque nuit dans des temples bouddhistes ou des mosquées. En cours de route, ils ont été rejoints par plusieurs centaines de personnes, dont des moines bouddhistes. Les médias nationaux ont rapporté leur initiative, indiquant que, sur la route, les habitants offraient eau et nourriture aux marcheurs, ainsi que des messages écrits en faveur de la paix dans le sud thaïlandais.