Eglises d'Asie

L’appel à la libération du général Fonseka ne fait pas l’unanimité chez les leaders religieux

Publié le 18/10/2010




Depuis des semaines, les manifestations appelant à la libération du général Fonseka se succèdent à Colombo, à l’initiative de nombreux leaders religieux de toutes confessions et de groupes de défense des droits de l’homme. Un soutien qui cependant n’emporte pas l’adhésion de tous les chrétiens. Le 11 octobre dernier, des milliers de manifestants vêtus de noir, pour la plupart des moines bouddhistes…

… ou encore des membres de l’opposition comme l’United National Party (UNP), ainsi que des sympathisants de l’ancien chef des armées ont défilé dans les rues de la capitale sri-lankaise, demandant que soit relâché Sarath Fonseka sous peine de nouvelles protestations dans tout le pays les mois prochains. Le porte-parole du gouvernement a déclaré que le président Mahinda Rajapaksa était prêt « à reconsidérer son cas en échange de la demande de pardon du général ». Une offre refusée par l’intéressé qui a fait savoir qu’il refusait d’implorer pardon « pour un crime qu’il n’a[vait] pas commis ».

 

Le général Sarath Fonseka, commandant en chef de l’armée sri-lankaise et principal artisan de la victoire sur les Tigres tamouls en mai 2009 (1), avait été arrêté le 8 février 2010 et accusé de fomenter un coup d’Etat, alors qu’il venait de perdre les élections présidentielles face à son rival, l’actuel président Mahinda Rajapaksa. Cette arrestation, très médiatisée, présentant comme un traître à la patrie celui qui était jusqu’alors célébré comme un héros national, avait été suivie, le lendemain, de l’annonce de la dissolution du Parlement et de la convocation d’élections législatives anticipées pour le 8 avril 2010.

 

Des groupes de défense des droits de l’homme et la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka avaient alors protesté contre « une arrestation arbitraire », qui augurait mal de l’avenir démocratique du Sri Lanka. Mais, comme le craignait l’opposition, le président, fraîchement réélu et débarrassé de son principal rival, avait remporté les élections législatives et fait voter un amendement à la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat tout en renforçant davantage le pouvoir présidentiel (2).

 

Déféré une première fois en cour martiale, Sarath Fonseka a été l’objet d’un second jugement le 30 septembre dernier, où il a été reconnu coupable de malversations financières dans le cadre de ses fonctions militaires, condamné à 30 mois de prison ferme et privé de son siège au Parlement obtenu lors des dernières législatives.

 

C’est cette nouvelle qui, semble-t-il, a mis amené de nombreux Sri-Lankais à demander la remise en liberté du général. Pour certains manifestants, il s’agit cependant moins de défendre le militaire que de dénoncer une manœuvre politique du président Mahinda Rajapaksa visant à renforcer son pouvoir en étouffant l’opposition. C’est ce qu’exprime Vickramabahu Karunaratn, un leader du Left Front Alliance, qui dit lutter pour le respect des libertés. Le jugement de Fonseka s’est fait « de façon totalement irrégulière », a-t-il déclaré, ajoutant : « Je n’en ai rien à faire de la politique de Fonseka et de son héroïsme, mais je ne suis pas d’accord avec la façon dont il a été traité. »

 

Parmi les fidèles du général déchu, les bouddhistes, très largement majoritaires au Sri Lanka, fournissent le contingent le plus important. « Considérant les grands services qu’il a rendus à la nation, vous devriez passer outre les erreurs qu’il aurait pu faire et le relâcher », a déclaré à l’intention du président sri-lankais, le Vénérable Maduluwawe Sobitha Thero, lors d’une puja (rituel d’offrande) pour l’ancien chef des armées au temple de Nagaviharaya.

 

Même écho du côté des partisans catholiques du général, lesquels utilisent pratiquement les mêmes termes dans leurs communiqués. Dans une déclaration diffusée le 7 octobre dernier, la Conférence des évêques du Sri Lanka a ainsi appelé le gouvernement « à envisager la libération [du général Fonseka] en reconnaissance des inestimables services rendus à la nation, parfois même quasiment au mépris de sa vie » (3).

 

Mais certains groupes chrétiens ont exprimé leur désaccord concernant l’engagement des évêques catholiques en faveur de Sarath Fonseka. Ainsi, Ruki Fernando, du Christian Solidarity Movement (CSM), reconnaît certes que l’emprisonnement de Fonseka est un exemple « flagrant de la répression que mène le gouvernement à l’encontre des opposants et dissidents politiques », mais il critique la déclaration de la Conférence épiscopale, lui reprochant d’avoir passé sous silence le fait que Sarath Fonseka avait à son actif « le meurtre de dizaines de milliers de Tamouls, l’agression de journalistes et une immense tragédie humaine ».

 

C’est donc en pleine polémique que débute ce mois-ci l’enquête des experts nommés par les Nations Unies sur les violations présumées des droits de l’homme durant les derniers mois de la guerre civile. Le panel de conseillers onusiens n’a cependant qu’une fonction consultative, Mahinda Rajapaksa ayant refusé « l’immixtion de puissances étrangères dans les affaires intérieures du Sri Lanka » et, à ce titre, exigé de diligenter et contrôler l’enquête, dont la neutralité est déjà contestée par de nombreuses ONG qui ont refusé d’y participer tels The International Crisis Group (ICG), Human Rights Watch (HRW), ou encore Amnesty International.

 

En février dernier déjà, l’arrestation de Sarath Fonseka était intervenue alors que la question de la violation des droits de l’homme lors du conflit était pour la première fois présentée à l’ONU (4). Les alliés d’autrefois, unis pour écraser la rébellion tamoule, s’étaient alors accusés mutuellement de crimes de guerre, le général Fonseka menaçant de dénoncer à la communauté internationale les exactions contre les civils commises par son adversaire ainsi que la « fraude électorale massive » qui lui avait fait perdre les élections. En juin de cette année, l’ancien chef des armées a fait savoir aux Nations Unies qu’il était prêt à coopérer afin de faire toute la lumière sur la phase finale de la guerre civile, dont les observateurs internationaux et les ONG avaient dénoncé unanimement la violation des droits de l’homme et des principes humanitaires ainsi que le massacre de milliers de civils (5).