Eglises d'Asie

L’Eglise catholique et les ONG demandent l’éradication de l’eve-teasing (harcèlement sexuel) et des violences faites aux femmes

Publié le 05/11/2010




Le 3 novembre dernier, des milliers de collégiens, lycéens et étudiants se sont répandus dans les rues de Dacca, protestant contre la pratique de l’eve-teasing et les violences faites aux femmes au Bangladesh. Ce rassemblement marquait la fin d’une série de manifestations qui se sont succédé ces derniers jours afin de demander au gouvernement de prendre des mesures plus sévères pour stopper le phénomène et offrir une meilleure protection aux femmes.

La veille, le 2 novembre, alors que se poursuivaient les manifestations dans les grandes villes du pays, la Haute Cour de justice publiait un arrêt, mettant en demeure le gouvernement de mettre en place d’ici un mois un dispositif permettant de réprimer l’eve-teasing. La Cour, qui avait été saisie par l’association nationale des femmes avocats du Bangladesh (BNWLA), a également chargé le ministère de l’Intérieur, la police et les administrations locales de prendre des mesures préventives et coercitives à l’encontre de cette pratique.

Les responsables des écoles catholiques, qui luttent depuis de nombreuses années avec les ONG de défense des droits de l’homme pour l’éradication de ce fléau, se sont félicités de la décision de la Haute Cour. « L’eve-teasing est un fléau majeur dans le pays. Une loi réprimant ce délit le fera diminuer quelque peu mais ne pourra complètement le faire disparaître », a cependant nuancé Victor Bikash Rozario, Frère de Sainte-Croix (1) et directeur de l’établissement secondaire de Biroidakuni. Cette pratique « ne pourra être éradiquée que par une forte prise de conscience de la société elle-même, et par un travail d’éducation et de formation morale », a-t-il ajouté.

Dans le sous-continent indien, en Inde, au Bangladesh et au Pakistan, l’eve-teasing (« taquiner Eve ») désigne le harcèlement sexuel dans des lieux publics, harcèlement qui peut aller de l’agression verbale et physique au viol, voire au meurtre (attaques à l’acide, immolation par le feu). Ces dernières années, la pratique de l’eve-teasing n’a cessé d’augmenter, particulièrement dans les établissements scolaires, et ce, malgré la présence de policiers en civil patrouillant dans les collèges, la fermeture d’écoles ou encore l’annulation d’examens pour les cas les plus flagrants. Selon la BNWLA, 90 % des filles entre 10 et 18 ans subissent un harcèlement sexuel.

C’est un fait divers tragique qui, il y a quelques mois, a révélé l’ampleur et la gravité du phénomène : pour échapper à ceux qui les harcelaient, une vingtaine d’écolières se sont suicidées collectivement. « Ce terme ‘eve-teasing’ cache la gravité du délit. (…) Elora, Runa et les autres n’ont pas été ‘ taquinées’. Elles ont été torturées et terrorisées jusqu’à en mourir, écrivait le 19 juin Irene Khan, éditorialiste au Daily Star. C’est du terrorisme sexuel (…). [Celui-ci] se développe à partir de comportements patriarcaux, de préjugés, de diktats culturels et de lois discriminatoires qui dévalorisent la femme et lui dénient ses droits. »

Le harcèlement sexuel « dans les établissements scolaires et sur les lieux de travail » est pourtant interdit depuis une décision de la Haute Cour rendue en mai 2009. Mais cet arrêt, s’il a comblé un vide juridique du droit pénal en rendant le harcèlement sexuel juridiquement condamnable, n’a cependant prévu aucune sanction, évoquant le règlement « au cas par cas ». Les coupables continuent donc de ne pas être poursuivis, les victimes n’osant généralement pas porter plainte. Au Bangladesh, la victime d’agression sexuelle, loin d’être encouragée à chercher justice, est stigmatisée et exclue de la communauté. Il lui est souvent reproché d’avoir provoqué l’agression par son attitude ou une tenue vestimentaire « indécente », bien que les associations de défense des droits de l’homme aient largement démontré que les femmes qui portaient le voile intégral étaient aussi agressées que les autres.

Face à l’inaction du gouvernement, de nombreuses écoles catholiques du Bangladesh ont déjà pris des mesures afin de prévenir le harcèlement sexuel des écolières. « Nous avons chargé un enseignant de faire comprendre aux coupables qu’ils ont eux aussi des sœurs (qui pourraient être victimes) », explique le P. Noren Joseph Baidya, directeur du lycée Saint-Louis à Jessore, dans le diocèse de Khulna. Quant à Sr Mary Dipti, de la congrégation Marie Reine des Apôtres, directrice de foyers pour jeunes filles du secondaire à Dacca, elle a demandé aux parents d’emmener et de raccompagner leurs filles à l’école tous les jours.

Dans certains districts du Bangladesh, sont proposés, comme en Inde, des cours d’auto-défense pour les femmes (arts martiaux, karaté, etc.). Ces dernières années, le Bangladesh a été classé, aussi bien par les Nations Unies que par différentes ONG de défense des droits de l’homme, parmi les pays où les femmes subissaient le plus de violences (2).