Eglises d'Asie

Pour la première fois au Pakistan, un tribunal condamne une chrétienne à mort pour blasphème

Publié le 13/11/2010




Lundi 8 novembre, une cour de justice pakistanaise a condamné à la mort par pendaison, Asia Bibi, chrétienne âgée d’une quarantaine d’années et mère de famille, sous l’accusation de blasphème envers Mahomet.L’affaire remonte à plus d’un an et s’est déroulée dans le village d’Ittanwalli, au Pendjab, où la famille de la jeune femme vit depuis des générations.

Le 19 juin 2009, alors qu’elle travaille dans les champs, Asia Bibi est priée d’aller chercher de l’eau pour désaltérer le groupe. Mais les autres ouvrières, musulmanes, refusent de boire une eau « impure » apportée par une chrétienne. Les différentes versions des événements font état de menaces de la part du groupe de femmes sur Asia Bibi pour qu’elle renonce à sa foi. Celle-ci aurait ensuite été frappée avant d’être emmenée par une foule en colère et menée devant les responsables religieux. Release International, un groupe protestant de défense des chrétiens persécutés, qui recueilli des témoignages sur place, relate qu’Asia a été battue et ses deux filles molestées. La jeune femme aurait également été violée par un groupe de musulmans dont des religieux. Alors que la foule avait décidé de la lyncher, des chrétiens du village ont appelé la police qui a alors arrêté Asia Bibi pour blasphème selon l’article 295 C du Code pénal.

La loi anti-blasphème punit de la prison à perpétuité les auteurs d’une profanation envers le Coran, et de la peine capitale toute insulte envers le Prophète (1). Ces derniers mois, les violences antichrétiennes commises au nom de cette loi se sont multipliées, en particulier au Pendjab.

Asia Bibi, qui attendait son jugement depuis 2009, a été entendue en octobre dernier et condamnée à la peine capitale lundi 8 novembre par le tribunal de Sheikhupura. Le juge Naveed Iqbal, qui a prononcé le verdict, a déclaré avoir condamné la chrétienne en écartant « totalement » toute « circonstance atténuante ». Pour être exécutée, la condamnation doit encore être validée par la Haute Cour de Lahore. Le mari d’Asia, Ashiq Masih, 51 ans, a déjà déclaré qu’il ferait appel de la sentence.

Selon Release International et d’autres associations de défense des droits de l’homme, il s’agirait de la première condamnation à mort pour blasphème visant une femme prononcée par une cour de justice au Pakistan. Jusqu’à présent, bien qu’elle soit potentiellement applicable, la peine capitale pouvait être commuée en emprisonnement à vie, mais il arrivait aussi fréquemment que la foule décide de « faire justice » elle-même – une exécution extrajudiciaire sur laquelle les forces de l’ordre fermaient habituellement les yeux – ou encore que le condamné meure en prison dans des circonstances troubles (2).

A l’annonce de la sentence, plusieurs associations chrétiennes ont appelé les différentes instances du Pakistan ainsi que la communauté internationale à réagir. « Il s’agit d’un véritable outrage à la dignité humaine et à la vérité. Nous ferons tout pour que le jugement soit cassé en appel », a déclaré à l’agence Fides, Peter Jacob, secrétaire exécutif de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan.

Le 12 novembre, le Pakistan Christian Congress a demandé à l’Union Européenne de faire pression sur le gouvernement pakistanais pour qu’Asia Bibi soit libérée et que les lois anti-blasphèmes soient abrogées. (Le Parlement européen a adopté il y a quelques mois une résolution « sur la liberté religieuse au Pakistan » dans laquelle il dénonce les lois anti-blasphème qui « peuvent entraîner la peine de mort » (3)).

L’Eglise catholique de l’Inde n’a pas tardé à réagir, par l’intermédiaire du P. Babu Joseph, porte-parole de la Conférence épiscopale indienne (CBCI), lequel déclaré qu’il fallait « purger nos sociétés de ces lois barbares ». L’Eglise de l’Inde du Nord et le All India Christian Council (4) ont, de leur côté, prié le gouvernement indien d’intervenir rapidement auprès du Pakistan et des Nations Unies afin d’empêcher l’exécution.

La sentence du tribunal a également été condamnée par des associations humanitaires et des ONG non confessionnelles telle Human Rights Watch, dont le représentant au Pakistan, Ali Dayan Hasan, a réclamé l’abrogation d’une loi « utilisée contre les groupes les plus vulnérables, discriminés politiquement et socialement ». Quant au ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattinien, en visite à Islamabad, il a fait part, au nom de son gouvernement, de l’indignation provoquée par la nouvelle du verdict.

C’est pourtant dans ce contexte particulier que, le 11 novembre, le gouvernement du Pakistan a annoncé la suppression du ministère des Minorités, une institution qui, malgré son silence remarqué des derniers mois, se présentait comme la seule et unique voix des communautés souffrant de discriminations. « Shahbaz Bhatti, ministre fédéral pour les Minorités, clame depuis deux ans qu’il va faire réviser la loi anti-blasphème mais au lieu de cela, il a pris part à la réunion ministérielle qui a aboli la fonction de ministre des Minorités », a commenté, non sans ironie, Nazir S. Bhatti du Pakistan Christian Congress.

Plus qu’une nouvelle victime de la loi anti-blasphème, Asia Bibi semble symboliser aujourd’hui le « franchissement d’une limite », créant un précédent à la fois historique et juridique dont les conséquences inquiètent les défenseurs des droits de l’homme. Cette issue tragique pourrait alors devenir celle d’une autre chrétienne, Martha Bibi Masih, actuellement jugée à Lahore pour blasphème envers le prophète Mahomet (5).