Eglises d'Asie

Alors que le cas d’Asia Bibi continue de faire polémique, un chrétien emprisonné depuis deux ans pour blasphème est innocenté par la Haute Cour de Lahore

Publié le 01/12/2010




Est-ce la conséquence de la mobilisation internationale en faveur d’Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème (1) ? La Haute Cour de Lahore vient de libérer sous caution un chrétien emprisonné depuis deux ans pour avoir manqué de respect envers le Coran. Munir Masih avait été condamné à 25 ans de prison en 2008 par le tribunal du district de Kasur au Pendjab…

« pour avoir touché le Coran avec les mains sales ». Le chrétien avait toujours protesté de son innocence, expliquant que ces accusations infondées étaient le fait d’une dénonciation calomnieuse de son voisin musulman, après une dispute entre leurs enfants. La famille musulmane avait alors frappé sa femme Ruqqiya Bibi ainsi que différents membres de son entourage, le poussant à porter plainte à la police. C’est ensuite que son voisin l’avait accusé de blasphème selon l’article 295 C du Code pénal pakistanais.

 

Ruqqiya Bibi, qui a été également condamnée à 25 ans d’emprisonnement sur les mêmes accusations, est quant à elle toujours en détention, mais les avocats du couple espèrent que la libération de son époux, effective depuis le 27 novembre, conduira les juges de la Haute Cour qui décideront du sort de Ruqqiya la semaine prochaine, à rendre le même verdict. Membres du Centre for Legal Aid Assistance and Settlement (CLAAS), un groupe d’aide juridique aux chrétiens du Pakistan, ces avocats avaient fait successivement trois demandes de libération sous caution pour ces parents de six enfants, obtenant une brève libération en 2009 avant qu’ils ne soient de nouveau arrêtés à la suite de violentes manifestations de militants islamistes (2).

 

« Le cas de Munir Masih et de Riqqiya Bibi confirme que les condamnations abusives pour blasphème établies par des tribunaux de première instance peuvent être cassées par la Haute Cour (…). Il faut espérer que ce sera aussi le cas pour Asia Bibi », rapporte une source locale de l’agence Fides.

 

Mais les tribunaux devront rendre leur jugement dans un climat de grande tension politique, alors que des groupes extrémistes exercent des pressions sur le gouvernement et qu’un projet de modification de la loi anti-blasphème est en passe d’être discuté au Parlement. Les détracteurs de cette loi, promulguée en 1986 sous la dictature militaire, espèrent que le projet qui a été remis il y a quelques jours à la Chambre, sera examiné lors de la prochaine session prévue fin décembre. Parmi les propositions qui sont actuellement présentées à l’Assemblée figurent le remplacement de la peine de mort par l’emprisonnement, la sanction des auteurs d’accusations de blasphème infondées et l’obligation de présenter des preuves de la véracité des faits.

 

Pour les associations qui luttent pour la libération d’Asia Bibi, seul un jugement de la Haute Cour invalidant celui du tribunal local pourra définitivement innocenter la chrétienne. Une grâce présidentielle risquerait à l’inverse de donner une impression de culpabilité et permettrait aux islamistes de s’indigner qu’une blasphématrice ait été relâchée, les incitant à se faire justice eux-mêmes. Certains leaders musulmans ont d’ores et déjà averti le président pakistanais qu’ils « appelleraient [leurs fidèles] à la tuer » si Asia Bibi était libérée ou graciée, s’inquiète Mgr Sebastian Shaw, évêque auxiliaire de Lahore.

 

Le conflit larvé entre le gouvernement et la magistrature sur le cas d’Asia Bibi a éclaté au grand jour ce 30 novembre au sujet de la demande de grâce faite par Asia Bibi. A la Haute Cour de Lahore lui rappelant que la grâce présidentielle ne pouvait être accordée selon la loi qu’après l’échec des différents recours (tribunal de première instance, Haute Cour provinciale puis fédérale), le président Asif Ali Zardari a rétorqué que « la Haute Cour n’était en aucune façon habilitée à lui dire ce qu’il devait faire ou non ». Il a cependant confirmé qu’il n’envisageait pas d’accéder à cette demande de grâce pour le moment.

 

Sherry Rehman, parlementaire et présidente de l’Institut d’études politiques Ali Jinnah, explique : « Avec l’affaire Asia Bibi, la pression internationale s’est accrue, la polémique a enflé et aujourd’hui cette question fait partie des priorités des hommes politiques (…). Asia Bibi est devenue une cause mondiale. » Si elle se montre convaincue que l’on peut avoir « bon espoir » pour le prochain procès qui attend Asia Bibi, la parlementaire ne cache cependant pas le fait que la vie de la chrétienne sera désormais toujours en danger, quel que soit le verdict : « Asia, symbole de cette campagne anti-blasphème, ne pourra plus vivre au Pakistan où elle sera en danger de mort. Nous devrons la mettre en sécurité à l’étranger » (3).