Eglises d'Asie – Chine
Pékin a fait « élire » des évêques illégitimes à la tête de la Conférence des évêques « officiels » de Chine
Publié le 10/12/2010
… les 313 délégués ont porté à la présidence de la Conférence des évêques « officiels » un évêque illégitime – ordonné à l’épiscopat sans mandat pontifical – et à celle de l’Association patriotique des catholiques chinois, un évêque légitime mais assisté par deux évêques illégitimes. La lettre de 2007 du pape Benoît XVI aux catholiques chinois avait indiqué que la participation de catholiques à l’Association patriotique était incompatible avec la doctrine de l’Eglise.
Retardée à plusieurs reprises, la tenue de la 8ème Assemblée nationale des représentants catholiques n’a fait qu’entériner des choix décidés ailleurs, au sein de l’exécutif chinois. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre les propos de Liu Bainian, qui était jusqu’alors vice-président de l’Association patriotique mais qui détenait le pouvoir effectif sur les structures centrales « officielles » de l’Eglise. A l’agence Associated Press, Liu Bainian a simplement déclaré : « Ce n’est que l’élection d’une nouvelle génération de responsables, similaire à l’élection par l’Assemblée nationale populaire des dirigeants du pays. » Les scores obtenus par les nouveaux dirigeants catholiques ne laissent pas non plus de doute sur le fait que le résultat de l’élection a été entièrement préparée en amont : Mgr Joseph Ma Yinglin, 45 ans, évêque illégitime du diocèse de Kunming (province du Yunnan), a été élu président de la Conférence épiscopale par 312 voix et une abstention ; Mgr Johan Fang Xingyao, 57 ans, évêque du diocèse de Linyi (province du Shandong), a été élu président de l’Association patriotique par 310 voix et trois abstentions. Les 313 représentants étaient constitués de 45 évêques, 158 prêtres, 23 religieuses et 87 laïcs.
L’ensemble des observateurs de l’Eglise catholique en Chine souligne combien les choix opérés par Pékin augurent de profondes difficultés à venir. S’agissant de l’Association patriotique, instance dénuée de toute légitimité au sein de l’Eglise de Chine mais courroie de transmission de la politique de Pékin sur les communautés « officielles », l’élection de Mgr Fang Xingyao n’est pas une complète surprise : ordonné évêque de Linyi en 1997, il était devenu l’un des vice-présidents de la Conférence épiscopale en 2004, lors de la 7ème Assemblée nationale des représentants catholiques, et son nom circulait depuis quelques temps pour la présidence de l’Association patriotique (1) ; il est par ailleurs membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Considéré comme un proche de Liu Bainian, qui, comme lui, est originaire du Shandong, susceptible de céder aux pressions, il avait accepté, ces dernières années, de prendre part à plusieurs ordinations épiscopales illicites. Aux côtés de Mgr Fang, parmi les vice-présidents de l’Association patriotique, on trouve deux autres évêques illégitimes : Mgr Ma Yinglin mais également Mgr Guo Jincai, dont l’ordination, précipitée le 20 novembre dernier en vue de l’assemblée de Pékin, avait été fermement dénoncée par le Saint-Siège (2).
S’agissant de la Conférence épiscopale, la position de Mgr Ma Yinglin sort renforcée : il était le secrétaire général de la Conférence, il en devient le président. Pour le remplacer au poste de secrétaire général, Pékin a choisi un autre évêque illégitime : Mgr Guo Jincai, l’évêque illégitime nouvellement ordonné du diocèse de Chengde. Avec un troisième évêque illégitime au sein de la Conférence épiscopale (3), il deviendra extrêmement difficile pour les évêques légitimes d’éviter de concélébrer des offices aux côtés des prélats non reconnus par le pape. Pour l’ensemble des évêques « officiels » légitimes – qui constituent la très grande majorité du corps épiscopal « officiel » –, le malaise devient un peu plus grand, maintenant que ceux qui sont censés les représenter sont des évêques non reconnus par Rome.
Enfin, Anthony Liu Bainian, qui était vice-président de l’Association patriotique depuis 1992, ne quitte pas la scène : à l’âge de 78 ans, consécration d’un parcours au service du pouvoir politique, il devient président honoraire tant de l’Association patriotique que de la Conférence des évêques. Mgr Aloysius Jin Luxian, 94 ans, évêque « officiel » de Shanghai et figure tutélaire de l’Eglise de Chine, le rejoint à la même double fonction de président honoraire des organes officiels de l’Eglise de Chine.
Dans son discours de clôture de la 8ème Assemblée nationale des représentants catholiques, Mgr Ma Yinglin a déclaré que les nouvelles équipes dirigeantes de la Conférence épiscopale et de l’Association patriotique travailleraient à unir les catholiques de Chine derrière « le principe des trois autonomies », en avançant ensemble avec l’Eglise universelle pour être des témoins de Dieu. « Les catholiques peuvent écrire un nouveau chapitre du travail patriotique à l’œuvre dans l’Eglise de Chine », a-t-il conclu. Dans l’après-midi du 9 décembre, les 313 délégués ont rencontré les plus hauts dirigeants du pays dans le Grand Hall du peuple, qui borde la place Tiananmen.
A un journaliste du Washington Post qui l’interrogeait à propos de l’assemblée de Pékin, un prêtre catholique du Hebei a répondu : « C’est le Parti communiste qui organise tout cela, de A à Z, et ils veulent que tous les évêques y participent pour qu’à la fin, ils puissent prendre une photo et l’utiliser dans leur propagande pour dire que nous jouissons de la liberté religieuse. »
Les pressions ont été intenses, nombreuses et particulièrement fortes sur les évêques afin de s’assurer de leur collaboration. Dans le Hebei, les prêtres, les religieuses et les fidèles du diocèse de Hengshui ont tenté de faire barrage à la police pour empêcher que celle-ci n’emmène manu militari leur évêque, Mgr Feng Xinmao, à Pékin. Des échauffourées ont eu lieu, mais la police a remporté la partie. Dans le diocèse de Cangzhou (Xianxian), la police a effectué une descente en force à l’évêché pour mettre la main sur l’évêque du lieu, Mgr Joseph Li Liangui, mais celui-ci avait, semble-t-il, pris les devants et restait introuvable. Depuis, les autorités ont diffusé des appels pour qu’il se rende, sauf à ce que soit émis à son encontre un mandat d’amener pour « activités criminelles ». Le seul évêque à avoir réussi à ne pas aller siéger à Pékin serait Mgr Francis Lu Shouwang, évêque de Yichang (province du Hubei). Récemment tombé gravement malade au point de passer un mois en réanimation à l’hôpital, le jeune évêque – il est âgé de 44 ans – était dans l’incapacité physique absolue de faire le déplacement.
Au final, les évêques chinois se retrouvent dans une situation très délicate. Un temps, ils avaient espéré que Pékin choisirait Mgr Ma Yinglin pour présider l’Association patriotique et ils auraient sans doute été prêts à accepter un évêque illégitime pour assumer la direction d’une association qui elle-même est tenue par eux comme illégitime. Par le passé, Pékin avait d’ailleurs placé un évêque illégitime – Mgr Michael Fu Tieshan, évêque de Pékin – à la tête de l’Association patriotique. Mais, pour la présidence de la Conférence épiscopale « officielle », les évêques chinois espéraient que Pékin respecteraient les formes en choisissant un évêque reconnu par le pape (4). Force est de constater que le pouvoir chinois a choisi d’imposer ses vues. Pour l’heure, le Saint-Siège n’a pas commenté ou réagi à l’ensemble de ces nouvelles. Toutefois, quatre jours après l’ordination illicite de Mgr Guo Jincai, la salle de presse du Saint-Siège avait publié un communiqué disant la vive réaction du pape à un acte « dommageable à la communion ecclésiale ». Selon nos informations, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, s’est rendu à Rome et l’on peut s’attendre, d’ici à quelques jours, à une réaction pareillement forte du Saint-Siège, qui, jusqu’ici, espérait en la sincérité du gouvernement chinois dans sa volonté affichée d’améliorer ses relations avec Rome.