Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR- Le développement du christianisme en Chine selon l’édition 2010 du Livre bleu sur les religions
Publié le 18/02/2011
… du diocèse de Hongkong, livre une analyse de ce rapport, dont une partie est consacrée à une vaste étude de terrain sur le protestantisme chinois. Cet article est paru en chinois dans le n° 158 (automne 2010) puis en anglais dans le n° 159 (hiver 2010) de Tripod, la publication du Centre d’études du Saint-Esprit. La traduction française est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
Le 11 août 2010, l’Académie chinoise des sciences sociales a publié le Livre bleu des religions (2010). L’ouvrage comporte des statistiques relatives aux Eglises catholique et protestantes en Chine. Le fait est assez nouveau pour qu’il soit nécessaire de s’y intéresser de plus près.
Cette nouvelle édition du Livre bleu des religions diffère de la façon dont parlaient autrefois les intellectuels des sciences sociales de l’évolution des religions. Ce Livre bleu tient en haute estime les « temps heureux » que connaissent actuellement certaines religions en Chine. Le site Internet china.com.cn en fait la relation suivante :
Le Livre bleu des religions indique que les principales religions de Chine ont toutes célébré le 60ème anniversaire de la fondation de la Chine nouvelle par des prières pour le pays et pour le peuple. Différents groupes religieux ont organisé des cérémonies pour célébrer cet anniversaire par la prière, montrant par là leurs saines traditions d’attachement à leur pays et à leur religion. Ils ont été unis dans un grand élan vers l’avenir et ont exprimé leurs sentiments profonds « d’amour pour le pays et pour le peuple ». Ces manifestations ont, non seulement, développé l’entente entre les religions, mais elles ont aussi renforcé les liens entre les communautés religieuses de Chine continentale, de Hongkong, de Macao et de Taiwan. De plus, elles ont eu un rôle considérable dans la découverte et le rayonnement de notre grande culture chinoise, de même que dans l’encouragement d’un vrai dynamisme des communautés religieuses et dans la mise en valeur des services sociaux qu’elles dispensent au peuple. (www.news.china.com.cn, 11 août 2010)
Parmi les cinq grandes religions reconnues par le gouvernement chinois, le bouddhisme est la religion qui est la plus largement acclamée dans le Livre bleu des religions. On peut en effet y lire : « 2009 était l’année du 60ème anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Les communautés bouddhistes ont organisé un grand nombre de célébrations pour prier pour le bien du pays, (…) seize temples ont organisé des camps d’été et des sessions de méditation, avec tout un programme d’activités liées au bien-être social (…). Les bouddhistes ont vraiment réussi leurs différentes prestations. Tout ceci montre que le bouddhisme est en train de vivre son âge d’or en Chine. » (Livre bleu, p. 40)
Le bouddhisme se développe donc en Chine continentale. Les croyants, quelle que soit leur appartenance religieuse, doivent s’en réjouir. Nous nous en réjouissons aussi pour nos amis bouddhistes. Mais le développement et de nombreuses activités suffisent-elles à prouver qu’une religion est prospère ? Je crois que les milieux politiques et les cercles religieux interprètent ces faits de façon différente, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter.
Pour les fidèles de la foi chrétienne, et particulièrement pour nous, catholiques, ce qui attire notre attention dans ce Livre bleu des religions, c’est le compte rendu qu’il donne du développement de la religion chrétienne en Chine.
L’estimation de la population catholique est la même que celle qui est donnée hors de Chine
L’estimation de la population catholique dans le Livre bleu des religions (2010) est divisée en deux parties. La première partie utilise les chiffres de la dernière étude produite par l’Institut Xinde (‘La foi’) sur les Etudes culturelles dans l’Eglise catholique de la province du Hebei. Ces chiffres sont les suivants :
Au 10 décembre 2009, le clergé catholique compte 3 397 membres (évêques, prêtres et diacres), dont 3 268 prêtres résidant dans près de 100 diocèses. En Chine continentale, il y a dix grands séminaires et 628 séminaristes et 30 petits séminaires et 630 séminaristes, plus 106 couvents et 5 451 religieuses ayant prononcé leurs vœux. Les membres des congrégations religieuses masculines sont au nombre de 350 environ. Il y a 5 967 églises ou centres de culte dans le pays. Enfin, selon des statistiques partielles, la Chine compte 5 714 853 catholiques. (Livre bleu, p. 98)
Ces chiffres correspondent en gros avec ceux donnés par Faith Online du 18 décembre 2009. Mais le Livre bleu des religions n’a pas utilisé toutes les statistiques de l’Institut Xinde sur les Etudes culturelles. La différence la plus voyante réside dans le fait que les chercheurs du Livre bleu des religions « ont pris en compte certaines situations particulières. Par conséquent, le nombre réel de catholiques devrait être supérieur à six millions, et probablement compris entre six et douze millions » (Livre bleu, p. 98)
Cela ouvre de très nouvelles perspectives. Le Livre bleu ne spécifie pas à quel genre de situations spéciales il se réfère pour fixer la population catholique « entre six et douze millions ». Mais c’est la première fois qu’il admet implicitement que les chiffres de la population catholique avancés par des sources extérieures (y compris celle du Centre d’études du Saint-Esprit à Hongkong) puissent être corrects. Ces chiffres sont ceux du Centre d’études du Saint-Esprit depuis 1999.
Une note de bas de page, après la phrase « Les membres des congrégations religieuses masculines sont au nombre de 350 environ », précise que « c’est la première fois que des statistiques sur les catholiques en Chine mentionnent les congrégations religieuses masculines et leurs membres. Il y a quelque 350 religieux en Chine, qui appartiennent principalement à des congrégations internationales, comme les franciscains, les SVD et les jésuites. » (Livre bleu, p. 98. note 2). Dans le passé, les administrations traitant des affaires religieuses en Chine avaient toujours ignoré l’existence des congrégations religieuses masculines. On peut donc dire aujourd’hui qu’une certaine avancée s’est produite. Espérons qu’il y en aura d’autres plus conséquentes à l’avenir.
Ce qui est beaucoup plus intéressant de noter, c’est que pendant de nombreuses années, des différences ont existé entre le nombre des catholiques donné par des sources propres à la Chine et celui provenant de sources extérieures. Ce sont les différents critères utilisés pour produire ces estimations qui sont à l’origine de ces différences. Les chiffres officiels ont toujours été différents de ceux du Centre d’études du Saint-Esprit, que j’ai donnés. Mais, assez bizarrement, l’écart entre mon estimation et celle « reconnue » par le gouvernement chinois est toujours resté constant.
En 1988, j’ai proposé pour la première fois une population catholique pour la Chine continentale à hauteur de huit millions, alors que le chiffre « reconnu » officiellement était de 3,5 millions, soit un écart de 2,3 à 1.
En 2005, j’ai estimé un chiffre de l’ordre de douze millions de catholiques en Chine continentale, alors que le chiffre « reconnu » officiellement était passé à 5,3 millions (1), soit toujours un écart de 2,3 à 1.
Nous pouvons, de la sorte, voir que les deux parties sont restées fidèles à leurs principes d’estimation – ce qui traduit un certain degré de « validité interne ». Le fait que la différence reste stable entre les sources montre qu’aucune des deux n’a souhaité toucher à ses méthodes d’évaluation. La différence dans les méthodes de recherche peut, dans une large mesure, être attribuée à la « différence entre l’Eglise officielle et l’Eglise clandestine » et au problème des résidents illégaux. Dans de nombreux villages catholiques perdus en Chine, très loin des centres politiques, la population recensée montre souvent un certain écart avec la population réelle. Ce phénomène a toujours été une lacune des statistiques relatives à la population en Chine.
Le Livre bleu des religions accepte donc le fait qu’en dehors des chiffres officiels de 5,7 millions de catholiques, il puisse exister une population estimée entre six et douze millions de catholiques (sans que le curseur permette de se situer précisément dans cette fourchette) qui corresponde à l’estimation de l’Institut Xinde du Hebei. Cela veut dire que les organismes officiels du pouvoir sont prêts à accepter la possibilité d’un chiffre supérieur de catholiques, ce qui mérite tout à fait d’être souligné.
Mais même ainsi, la situation actuelle de l’Eglise catholique en Chine ne porte pas à l’optimisme. Beaucoup de problèmes demeurent, qui nécessitent qu’on y réfléchisse.
Quelques réflexions sur le problème de la population catholique
1.) Comme le Livre bleu de 2010 le fait remarquer, le nombre total des catholiques en Chine ne s’élève pas même à 1 % de la population du pays. Sur cet aspect des choses, il n’y a pas grand-chose à dire. Selon les calculs de l’Institut Xinde, les catholiques représentent tout juste 0,44 % de la population totale de la Chine. Même selon nos statistiques, la population catholique reste en dessous de 1 %. Un pourcentage indéniablement très faible. Quant à l’impact social de la pensée catholique sur la société chinoise, il faut reconnaître qu’il est extrêmement faible. Vu sous cet angle, le gouvernement central n’a nullement besoin de focaliser son attention sur l’Eglise catholique.
2.) Depuis le tournant du siècle, la croissance de la population catholique a atteint un palier. Qu’est-ce qu’un palier ? Par définition, un palier est un « état de faible changement, voire d’absence de changement, après une période de développement ou de croissance rapide » (Oxford Advanced Learner’s English-Chinese Dictionary, 1994). En 2009, j’écrivais :
Sur la base des chiffres dont nous disposons pour les dernières décennies, je pense que l’Eglise catholique est parvenue à un palier en 1998, ou au plus tard en 2000. Selon différentes sources, nous pouvons savoir que la population catholique n’a pas connu de changement significatif depuis 2000. (Tripod, printemps 2009, n° 152, version en chinois, pp. 2-3)
3.) Le Livre bleu précise que le clergé compte 3 397 membres en Chine. Rapporté au douze millions de catholiques chinois, ce chiffre montre des ressources humaines plutôt faibles. Elles ne sont pas insuffisantes pour autant. Elles se traduisent par un ratio d’un prêtre pour 3 000 catholiques – qui est, de fait, plus élevé que le ratio moyen de l’Eglise dans le monde, où 400 000 prêtres sont au service de 1,1 milliard de catholiques. Mais il n’en pas très éloigné non plus.
Le véritable problème auquel est confrontée l’Eglise catholique en Chine est dans le 1,3 milliard de non-catholiques vivant à ses côtés, dont 1 milliard ne relève d’aucune religion. Ils devraient être l’objectif de l’évangélisation. Dans ces conditions, le ratio du clergé catholique au nombre d’incroyants passerait à 1 pour 300 000, qui est beaucoup plus élevé que le ratio mondial (approximativement 1 pour seulement 5 000). Ce serait donc à peu près 60 fois plus élevé que la moyenne mondiale. On touche là du doigt les difficultés auxquelles est confronté le clergé chinois. L’énorme population de non-croyants est, pour lui, d’une part, un défi (aussi bien que pour toute la communauté catholique chinoise), mais c’est également une extraordinaire opportunité d’évangélisation.
Le nombre des fidèles protestants semble délibérément sous-estimé
Les chiffres donnés par le Livre bleu 2010 pour la communauté protestante semblent plutôt faibles. Le Livre bleu explique, en effet : « En Chine, les protestants représentent environ 1,8 % de la population totale. Le chiffre exact est 23,05 millions, dont 15,56 millions sont baptisés, soit 67,5 % du total de la population protestante. Les 32,5 % restants ne le sont pas encore. » (Livre bleu, p. 191)
En 2007, j’avais déjà fait la remarque suivante : « Jusqu’en 2006, les chiffres des chrétiens protestants varient d’une source à l’autre. Les estimations du gouvernement donnent un chiffre aux alentours de 16 millions, quand le pasteur Zhao Tian’en, feu le fondateur de la Société chinoise évangélique, annonçait en 2002 qu’il devait être au moins de 82 millions. Une estimation objective, provenant d’autres sources, situerait ce chiffre entre 34 et 36 millions. » (Tripod, été 2007, n° 145, version en chinois, p. 3). Aujourd’hui, normalement, ces chiffres devraient être plus élevés.
Le site Internet Gospel Herald s’interroge sur le chiffre donné dans le Livre bleu. Il explique, en effet :
Responsable d’Eglises domestiques à Pékin et ancien membre de l’Académie des sciences sociales, le Dr. Fa Yafeng a affirmé : « Dans leur message, le chiffre cité n’est pas digne de foi. Prétendre que la chrétienté protestante compte 20 millions de fidèles est sans aucun fondement. Ce chiffre provient du Mouvement des trois autonomies et ne reflète donc que le seul système officiel. Au sens large, l’Eglise chrétienne devrait comprendre non seulement le Mouvement des trois autonomies, mais également les Eglises domestiques. Même l’estimation la plus conservatrice va bien au-delà de 23 millions de fidèles. » (www.pospelherald.com, 23 août 2010)
Les écarts entre les chiffres existent depuis fort longtemps. Le Gospel Herald a cité plusieurs sources et avancé qu’un chiffre possible se situait entre 40 et 100 millions. Le Gospel Herald rapporte en effet :
M. Zhao Xiao, un économiste réputé de Chine continentale, a déclaré au cours du Sommet des Dirigeants de Willow Creek que, même sur la base d’une estimation conservatrice, le nombre des chrétiens en Chine avait déjà atteint les 80 millions, alors que des estimations optimistes le situaient même à 130 millions. En 2009, Eric Burklin, le président de China Partner, a expliqué que China Partner avait effectué une étude couvrant 31 provinces, métropoles et régions autonomes concernant divers groupes sociaux et différentes professions. Cette étude a trouvé qu’il y avait environ 40 millions de protestants et 14 millions de catholiques en Chine. Eric Burklin a également expliqué que beaucoup de personnes interviewées affirmaient appartenir aux Eglises domestiques. Comme la majorité de ces Eglises n’est pas déclarée au gouvernement, arriver à une estimation juste de la population chrétienne en Chine relève du tour de force. (www.gospelherald.com, 23 août 2010)
Quant à l’affirmation selon laquelle « 68,8 % des fidèles ont rejoint une Eglise chrétienne après avoir été souffrants, ou à la suite d’une maladie d’un de leurs proches » (Livre bleu, p. 192), elle provient probablement d’une question trompeuse du questionnaire. J’ai, moi-même, en différentes occasions, pu échanger des idées avec des amis protestants et constater que leur foi était forte et résolue et qu’une guérison physique n’était pas la seule raison, voire la raison principale de leur adhésion au christianisme.
Wang Meixiu, chercheur à l’Académie chinoise des sciences sociales, a expliqué à l’agence Ucanews au début de cette année (2) que l’étude sur les Eglises protestantes avait été menée durant de nombreuses années et que les enquêteurs avaient collecté plus de 200 000 réponses à un questionnaire diffusé dans toute la Chine. « C’est, a-t-elle précisé, le point le plus captivant du rapport de cette année. » Le rédacteur de l’agence Ucanews ajoutait : « Le chiffre avancé quant au nombre des protestants ne peut être considéré que comme étant dans la fourchette basse des estimations. Etant donné que la ‘religion’ est encore un sujet délicat à aborder en Chine, on peut penser qu’un nombre important de personnes se montrent mal à l’aise dès lors qu’il s’agit de parler de leur appartenance religieuse. »
Réflexion de conclusion
Manifestement, le Livre bleu traite les différentes religions de façon différente. Par exemple, son estimation du nombre de fidèles de l’Eglise catholique est devenue plus optimiste qu’elle ne l’était, alors que l’estimation des fidèles des Eglises protestantes a suivi une tendance inverse. L’approche est différente, mais la raison sous jacente est la même : répondre aux impératifs politiques. Cela n’en reste pas moins une violation des pratiques scientifiques en la matière.
Le Livre bleu avance que les Eglises protestantes font face à une diminution de leur présence et action dans les zones rurales, phénomène auquel il faudrait ajouter un manque de pasteurs. La situation actuelle dans les églises de campagne donnerait également aux sectes une possibilité de s’implanter. Il ne faut pas oublier ce phénomène (Livre bleu, p. 8), qui mérite certainement une grande attention. Mais, en réalité, l’Eglise catholique connaît les mêmes difficultés.
En même temps, le Livre bleu admet aussi qu’avec l’accélération de l’urbanisation, la situation des Eglises en Chine est également en train de changer. Dans le passé, la plupart des chrétiens vivaient à la campagne. Mais après les grandes migrations de ces dernières années des jeunes paysans de la campagne vers les zones urbaines, à la recherche de nouveaux emplois, des chrétiens de la campagne se sont également déplacés vers les villes. Et en plus de cela, des jeunes des villes et des intellectuels ont continué de se rapprocher, voire à adhérer aux Eglises chrétiennes. En conséquence de quoi, dans bon nombre de villes, les églises craquent du fait d’un problème de « surpeuplement ». Cela pose de nouveaux défis aux Eglises (Livre bleu, p. 8).
Cette situation montre que les églises chrétiennes en Chine sont en train de changer de statut : « d’églises de campagne entourant les villes », elles deviennent « des églises de villes modernes ». C’est une situation en réalité normale dans le processus de globalisation que connaît aujourd’hui la Chine. Peut-être, l’expérience des Eglises de Hongkong peut-elle aider d’une certaine façon nos frères et sœurs de Chine à faire face aux défis de la modernité.
Mais, que nous utilisions les statistiques extérieures ou les statistiques des instances officielles pour connaître le nombre des catholiques en Chine, une chose certaine est que nous ne devons pas oublier que l’Eglise catholique est la plus petite entité des « Cinq grandes religions », reconnues par les autorités. Nous devons approfondir notre réflexion sur ce point. Même si les catholiques et les protestants se rassemblaient, ils resteraient encore une minorité en Chine. Nous devons donc, tous ensemble, faire mieux connaître l’Evangile à nos frères et à nos sœurs de ce pays.