Eglises d'Asie – Pakistan
L’Eglise catholique déplore vivement l’abandon d’un projet de loi visant à amender les lois anti-blasphème
Publié le 05/02/2011
Le 2 février dernier, le Premier ministre Yousaf Raza Gilani a informé l’Assemblée nationale que son gouvernement n’avait jamais eu l’intention d’apporter un quelconque changement aux lois anti-blasphème et que le comité qui avait été formé pour étudier une refonte de ces lois était dissous. Le chef du gouvernement a également précisé que Sherry Rehman, membre du Parti du peuple pakistanais (PPP), au pouvoir, qui avait déposé « à titre personnel » une proposition d’amendement demandant l’abandon de la peine capitale pour les crimes de blasphème contre Mahomet, avait retiré son texte.
La décision du Premier ministre s’inscrit dans un contexte politique de plus en tendu pour le PPP. A l’Assemblée nationale, le parti du clan Bhutto ne dispose plus que d’une majorité relative depuis la défection fin 2010 et début janvier 2011 de deux alliés, le MQM (Muttahida Qaumi Movement), parti laïque représentant notamment les « Mohajir », musulmans pakistanais chassés d’Inde après la partition de 1947 et leurs descendants, et le JUI-F (Jamiat Ulema-e-Islam), un parti religieux qui avait rejoint la coalition au pouvoir (1). Face au pouvoir, l’opposition des partis religieux, qui étaient jusqu’ici divisés en formations rivales, s’est rassemblée en se fédérant autour du refus catégorique de toute refonte des lois anti-blasphème. Un réseau de partis et de mouvements islamiques, la Tehreek-e-Tahaffuz-e Namoos-e-Risalat (TTNR, Alliance pour la défense de l’honneur du Prophète), a réussi à agréger l’ensemble des groupes extrémistes du pays. La TTNR promeut un programme d’islamisation de la société, exigeant le maintien en l’état des lois anti-blasphème et menaçant de mort ceux qui en souhaitent l’abrogation.
Dans les grandes villes, les manifestations se multiplient pour appeler à une plus forte islamisation de la société. Les mots d’ordre sont le maintien en l’état de la loi anti-blasphème et l’acquittement de Mumtaz Hussain Qadri, garde du corps de Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab, qu’il avait assassiné le 4 janvier dernier en raison du soutien que celui-ci apportait à la révision des lois anti-blasphème (2). Le 31 janvier, plusieurs dizaines de milliers de manifestants réunis à l’appel des partis religieux ont conspué le nom de Benoît XVI, qui, dans son discours au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, avait le 10 janvier dernier appelé à l’abrogation des lois anti-blasphème (3).
Pour Sherry Rehman, ancienne ministre de l’Information (mars 2008-mars 2009) et grande figure libérale du PPP, la situation devenait intenable. Avec l’assassinat de Salman Taseer, elle était devenue quasiment la seule personnalité du pays à réclamer une révision des lois sur le blasphème. Menacée de mort par les islamistes, la députée avait vu sa sécurité personnelle renforcée mais, déjà isolée au sein de son parti politique (son amendement avait été déposé à titre personnel et non au titre du PPP), elle n’avait eu que le choix de renoncer. Le 3 février, elle déclarait devant une nuée de journalistes : « Je n’ai pas d’autre option que de me ranger à la décision de mon parti. Ce projet de loi n’avait pas pour objet d’abroger la loi (anti-blasphème), mais de mieux protéger le nom de notre grand Prophète Mahomet contre les injustices. » Elle ajoutait également : « La politique qui consiste à satisfaire aux exigences des extrémistes aura des conséquences funestes. »
Pour Mgr Lawrence Saldanha, « céder aux pressions des partis musulmans est une erreur. Le gouvernement cède sur tout et il est clair qu’à court terme, il n’existe plus aucun espoir de voir amender ces lois controversées » (4). Il ajoute que « refondre ces lois dans le sens d’une amélioration ne peut que contribuer à l’honneur du pays et au respect dû au Prophète », tout en rappelant que « ce sont les pauvres et les chrétiens qui ont le plus souffert (des lois anti-blasphème) ». Désormais, conclut-il, « même les élèves ont peur de parler, de débattre ou d’écrire au sujet du Prophète », allusion à l’arrestation d’un lycéen le 29 janvier dernier. Agé de 17 ans, élève d’un lycée privé de Karachi, Sami Ullah a été accusé d’avoir écrit des commentaires blasphématoires dans un devoir ; ses examinateurs avaient alors averti la police, qui l’avait ensuite placé en détention.
Héritées d’une législation remontant à la colonisation britannique, les lois anti-blasphème ont été réactualisées par Zia ul-Haq en 1986, à un moment où le dictateur appuyait son pouvoir sur l’islamisation du Pakistan. Durcis en 1991, les articles 295 B et 295 C du Code pénal prévoient la peine de mort en cas d’offense à Mahomet et la prison à perpétuité en cas de profanation du Coran. Les responsables chrétiens ainsi que les défenseurs des droits de l’homme expliquent que ces deux articles du Code pénal sont en réalité détournés pour régler des litiges personnels, fonciers ou commerciaux ou bien encore pour persécuter les non-musulmans (5).