Eglises d'Asie – Pakistan
Après la mort suspecte d’un catholique emprisonné pour blasphème, l’Eglise catholique demande au gouvernement de prendre ses responsabilités
Publié le 22/03/2011
Mgr Sebastian Shah, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Lahore, ainsi que le P. Emmanuel Yousaf Mani, directeur de la NCJP (Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale des évêques catholiques du Pakistan), présidaient la cérémonie d’inhumation en l’église Saint-Joseph de Lahore, ville dont le défunt était originaire.
La célébration, à laquelle s’est pressée une foule de plus de 300 personnes, comprenant des proches, des membres du clergé et des militants pour les droits de l’homme, s’est faite cependant dans la discrétion, la famille de David Qamar ayant écarté tout médias, en raison de menaces dont elle avait été l’objet. Le P. Andrew Nisari, vicaire général du diocèse de Lahore, a souligné « le choc et la grande tristesse » de la communauté qui « reçoit pour la seconde fois en moins de deux semaines le corps d’un chrétien, mort après avoir été accusé de blasphème ». Rappelant que sont encore menées dans tout le pays les cérémonies de deuil du ministre fédéral des Minorités, Shabhaz Bhatti, abattu le 2 mars dernier pour son opposition à la loi anti-blasphème (2), il a réclamé que « les autorités prennent enfin la décision de protéger les minorités religieuses ».
Une demande qui rejoint celle, unanime, des représentants de la communauté chrétienne. « Combien de temps encore le sang des chrétiens devra-t-il couler ? Nous n’avons pas encore fini de pleurer Shabhaz Bhatti, et notre inquiétude ne fait que croître pour l’avenir des chrétien au Pakistan », a déploré Mgr Anthony Rufin, évêque d’Islamabad-Rawalpindi.
David Qamar avait été arrêté en mai 2006 après dénonciation de l’un de ses concurrents en affaires, un musulman qui l’avait accusé de lui avoir envoyé des SMS injurieux à l’égard de Mahomet. Bien que la carte SIM du portable émetteur des texto blasphématoires ait été enregistrée sous le nom d’un musulman dénommé Ahmed Manwar, David Qamar avait été jugé coupable, le 25 février 2010, par le tribunal de Karachi d’« atteinte aux sentiments religieux » et de « blasphème contre le prophète Mahomet ». Il avait été condamné à la prison à vie, tandis qu’Ahmed Manwar était acquitté, faute de preuves. Pervez Chaudhry, avocat de David Qamar, maintient que les accusations de blasphème ont été montées de toutes pièces et que la condamnation n’a été prononcée qu’à l’appui du seul témoignage du plaignant et « sous la pression du clergé et des groupes islamistes ». Le catholique avait fait appel du verdict, avec le soutien du CLASS (Centre for Legal Aid, Assistance and Settlement), qui offre régulièrement son aide juridique aux chrétiens du Pakistan dans des cas similaires et qui avait « bon espoir d’obtenir la révision du procès ».
Mardi 15 mars dernier au matin, le catholique de 55 ans était déclaré mort d’une crise cardiaque par les autorités pénitentiaires, après un constat de décès expéditif effectué par l’hôpital Col Aziz Khan de Karachi. Dès l’annonce de sa mort, la famille de David Qamar, la communauté catholique et les organisations des droits de l’homme demandaient immédiatement une enquête afin de déterminer « les véritables causes du décès », survenu dans « des circonstances suspectes ».
Pour eux, il ne fait aucun doute que David Qamar, qui avait confié être victime de violences et de menaces de la part des gardiens comme de ses codétenus, a été assassiné, comme d’autres chrétiens emprisonnés pour blasphème avant lui (2). Son avocat le confirme : « David recevait des menaces de mort depuis le début de son procès. Il avait demandé par écrit aux autorités pénitentiaires qu’elles prennent des mesures de sécurité et, de mon côté, j’avais averti le tribunal, mais rien n’a été fait. » Récemment, la victime avait averti un des membres de sa famille, venu lui rendre visite : « Ils ne cessent de me menacer et de me dire qu’ils vont bientôt en finir avec moi, parce qu’une peine de prison ce n’est pas assez [sévère] et que je mérite la mort. »
Les propos contradictoires tenus par les autorités pénitentiaires comme par les responsables de l’hôpital ont également soulevé des doutes légitimes concernant la véracité de la version officielle d’un « décès dû à des causes naturelles ». Selon le porte-parole de la prison de Karachi, David Qamar avait appelé à l’aide depuis sa cellule et avait été transporté à l’hôpital « où il était arrivé vivant », tandis que le personnel hospitalier assure tout au contraire qu’il n’a pu que constater puis certifier le décès. Les raisons de la crise cardiaque du prisonnier, décrit par sa famille et son avocat comme « étant en bonne condition physique et ne souffrant d’aucune maladie », font également l’objet de versions différentes, la prison prétendant que David Qamar était affaibli par un traitement pour la tuberculose, l’hôpital évoquant « le stress et la dépression ».
Les autorités se sont néanmoins pliées à la demande de la famille qui a exigé une autopsie, laquelle a eu lieu le mercredi 16 mars à l’hôpital de Karachi, en présence de représentants de la prison et d’un seul des fils de David Qamar, Aqeel, le « reste de la famille ayant été trop effrayée par les menaces de mort ».
Selon le premier rapport des médecins légistes, qui ont maintenu la version officielle de la crise cardiaque, il n’y aurait aucune blessure ou marque sur le corps. Un avis qui n’est pas partagé par des associations pour les droits de l’homme cités par Nazir S. Bhatti, président du Pakistan Christian Congress. Ils affirment en effet avoir trouvé des traces de torture sur le corps de David Qamar, constations qu’ils auraient transmises au département médico-légal de l’hôpital, en vain, le certificat de décès ayant déjà été établi. « Le certificat de décès de David est du même type que celui qui a été fait pour la petite Shazia (3) où 27 marques de torture avaient été déclarées comme étant dues à une maladie de peau », s’indigne Nazir Bhatti.
Sur l’insistance de la famille de David Qamar, des prélèvements des reins, du cœur et d’autres organes du défunt ont été envoyés pour analyses dans un laboratoire, afin de déterminer s’il n’aurait pas été empoisonné.
« Maintenant, nous craignons fortement pour la vie d’Asia Bibi qui se trouve dans les mêmes conditions que David : dans une cellule où tout peut arriver. Après cet événement, nous demandons aux autorités de protéger sa vie et nous réitérons notre appel en faveur de l’abolition de la loi sur le blasphème », a déclaré Haroon Barkat Masih, directeur de la Masihi Foundation, qui suit l’affaire d’Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème (4). Cette dernière aurait déclaré en apprenant la nouvelle : « Chaque minute qui passe pourrait être la dernière (…). Je suis entre les mains de Dieu et je ne sais pas ce qui pourra m’arriver. En prison, chacun peut s’autoproclamer juge et tueur » (5).